Francopresse : Pouvez-vous décrire le contexte de l’époque?
Georges Arsenault : En 1720, c’est l’arrivée des premiers Français, les premiers Acadiens à l’ile, concédée à la Compagnie de l’Isle Saint-Jean par la France avec le mandat d’amener des colons et, surtout, d’y développer l’agriculture. On cherchait alors à produire de la nourriture pour [la forteresse de] Louisbourg puisque la terre n’était pas trop fertile au Cap Breton et les autorités françaises n’arrivaient pas vraiment à encourager les Acadiens de la Nouvelle-Écosse à déménager [à l’ile Saint-Jean].
Qui étaient donc ces premiers colons à s’y établir?
G. A. : Ces premiers colons sont venus directement de France et s’intéressaient beaucoup à la pêche à la morue qui était la pêche commerciale la plus importante. Environ 200 colons sont amenés à l’ile et ils se sont établis sur la côte nord.
La même année, quelques familles acadiennes sont recrutées dont celle de Michel Haché, dit Gallant, qui se trouvait à Beaubassin et dont les premiers membres sont venus [à l’Isle Saint-Jean] en 1720.
Une autre famille acadienne est celle de Pierre Martin qui s’est établie près d’un marais à la source de la rivière du nord-est dans ce que l’on appelle aujourd’hui le marais de Mount Stewart. Cette famille est venue du Cap-Breton, mais elle est native de Port-Royal.
Très peu de ces familles qui sont venues de France sont restées. La Compagnie a fait faillite quelques années plus tard et les familles sont reparties ailleurs ou retournées en France. Mais la famille Gallant est toujours bien représentée aujourd’hui et il y a encore des descendants de ce Pierre Martin.
Reste-t-il aujourd’hui des vestiges de leur présence?
G. A. : Pas vraiment. Les Gallant se sont établis à Port-la-Joye, le centre administratif et militaire de l’Isle Saint-Jean. Nous savons que Michel y a été enterré, mais nous n’avons pas réussi à situer le cimetière. Quelques années passées, des fouilles archéologiques ont eu lieu où se trouvait, croit-on, sa maison. Le lieu historique national de Skmaqn–Port-la-Joye–Fort-Amherst a installé un panneau qui indique où se trouvait la maison de Michel à Port-la-Joye.

Comment s’est développée cette première présence française dans la province insulaire au fil des années?
G. A. : Entre 1720 et 1748, la population française et acadienne de l’ile était seulement de 735 personnes. À partir de 1749, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse se sentaient menacés de déportation et le gouvernement mettait de plus en plus de pression pour qu’ils prennent le serment d’allégeance. À ce moment, on voit beaucoup plus de familles de la Nouvelle-Écosse déménager à l’ile et, en 1755, la déportation commence en Nouvelle-Écosse et l’ile accueille beaucoup de réfugiés. Entre 1748 et 1758, la population a pris de l’ampleur avec ces centaines ou même quelques milliers de réfugiés et on estime que la population était d’environ 4250 à la veille de la Déportation.
Qu’est-il arrivé à ces gens lors de la Déportation?
G. A. : Quand les Britanniques ont pris possession de Louisbourg, l’Isle Saint-Jean est automatiquement tombée dans les mains des Britanniques et l’ordre a été donné de déporter sa population vers la France. Près de 3000 Acadiens ont été déportés des mois d’aout à novembre 1758. Ce fut une déportation assez meurtrière. Juste en mer, près de 1500 morts sont dues à la noyade ou à la maladie et bien d’autres sont ensuite morts après leur arrivée en France. On estime que près de 40 % de la population de l’ile a péri pendant la Déportation ou dans les mois qui l’ont suivie.
Qu’est-il arrivé à ceux qui ont survécu?
G. A. : Quelques familles seraient restées sur place et le reste, entre 1000 et 2000 personnes, aurait quitté l’ile pour aller se réfugier sur la terre ferme. Certains sont allés sur la rivière Miramichi, la rivière Restigouche ou dans la baie des Chaleurs. Quelques années plus tard, certains ont commencé à revenir à l’ile, surtout qu’à cette époque, les gens ne savaient pas trop où aller. Même des entrepreneurs britanniques ont recruté des Acadiens puisqu’ils cherchaient des pêcheurs. De ceux qui ont été déportés en France, seulement deux familles sont revenues s’établir à l’ile de façon permanente : une famille de Doiron et une famille de Longuépée.
Que représente ce tricentenaire pour les Acadiens de l’ile aujourd’hui?
G. A. : Comme historien, j’essaye de sensibiliser les gens à l’importance de souligner ce 300e de l’arrivée des premiers Européens à s’établir ici et qui ont beaucoup de descendants à l’ile. C’est aussi pour faire reconnaitre la contribution des Acadiens et des francophones à l’Ile-du-Prince-Édouard. Depuis quelques années, on met beaucoup en valeur la communauté acadienne, mais ça n’a pas toujours été le cas. C’est aussi une occasion de rappeler l’histoire et, finalement, l’histoire acadienne n’est pas beaucoup enseignée dans les écoles. Cela pourrait encourager les gens à se renseigner davantage sur le parcours acadien et francophone à l’ile et reconnaitre leur contribution.
De quelles façons la communauté acadienne marquera-t-elle ce tricentenaire?
G. A. : C’est encore en planification. Nous avons accueilli le Congrès mondial acadien en 2019 et toutes les énergies ont été mises de ce côté. Nous avons pris un peu de retard, mais le gouvernement semble vouloir faire une certaine contribution qui sera probablement annoncée dans les prochaines semaines. Moi-même je vais faire des conférences à des organismes acadiens et anglophones. Le ministère de l’Éducation veut faire quelque chose, tout comme plusieurs organismes acadiens veulent souligner cet anniversaire dans leur programmation culturelle.