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le Mercredi 7 novembre 2018 19:00 Actualité

Pour honorer ceux qui ont vu l’inimaginable : Le jour du Souvenir vu par une ancienne militaire

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Johanne Baril en Somalie en 1992. 
 — Photos : Courtoisie
Johanne Baril en Somalie en 1992.
Photos : Courtoisie
Pour honorer ceux qui ont vu l’inimaginable : Le jour du Souvenir vu par une ancienne militaire
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Aujourd’hui résidante et mairesse de Val Rita, près de Kapuskasing, dans le Nord-Est ontarien, Johanne Baril a été dans les Forces armées canadiennes pendant 12 ans. D’Année en année, elle se fait un devoir de souligner le jour du Souvenir. Non pas pour se rappeler sa participation à la mission de paix en Somalie, mais pour réfléchir aux sacrifices que certains ont faits avant elle pour aider d’autres peuples.

Johanne Baril participe fidèlement aux activités du jour du Souvenir, du moins, quand elle le peut. Si elle ne peut pas se rendre au cénotaphe le plus près, elle suit les cérémonies à la télévision.

Le jour du Souvenir est pour cette ex-militaire, active dans les Forces armées de 1986 à 1998, un moment de recueillement. « Il y a des gens qui ne sont pas super religieux et qui vont à la messe parce que ça leur donne l’occasion d’arrêter pendant une heure pour dire merci », illustre-t-elle. À ses yeux, le Souvenir, c’est exactement ça : un moment pour reconnaitre les défis humanitaires et ce que des humains, qu’ils soient militaires ou non, ont fait pour en protéger d’autres.

Pour elle, ce recueillement et la réflexion qui s’ensuit sont nécessaires pour éviter d’être désabusée. « On voit tellement de choses à la télé et on dirait que plus rien ne nous dérange. C’est loin de notre quotidien », observe-t-elle.

Photos : Courtoisie

Une empathie pour les anciens combattants

Johanne Baril se souvient clairement de sa toute première participation aux célébrations du jour du Souvenir au manège militaire de Hull. Elle était une jeune adolescente et venait de joindre les cadets.

Elle avait été émue bien malgré elle. « Je ne pensais pas, à cet âge-là, que je vivrais ces émotions-là. » Elle était entourée d’ainés vêtus de leurs habits de Légion. « Je les ai vus pleurer », se rappelle-t-elle, 35 ans plus tard. Elle n’a pas pu retenir ses larmes non plus.

Loin d’elle l’idée d’entériner la guerre — surtout celles qui sont menées avec une façade humanitaire pour protéger des intérêts commerciaux. C’est l’empathie pour les personnes qui ont servi qui la ramène, année après année, près du cénotaphe de Kapuskasing, où se déroule la cérémonie du 11 novembre. « C’est pour me souvenir qu’on a participé dans des guerres pour aider des gens qui souffraient », plaide-t-elle.

Elle s’explique : « Si ce n’était pas de la présence des Canadiens à la Deuxième Guerre mondiale, les Juifs qui habitent à Toronto n’existeraient pas. Il y a eu un génocide et si les autres peuples ne s’en étaient pas mêlés pour protéger ces gens-là, il y aurait eu un génocide total. »

Bien entendu, le Souvenir est aussi l’occasion de penser aux sacrifices de toutes les personnes qui ont participé à des missions humanitaires, au-delà des Casques bleus, et à ceux qui sont revenus blessés psychologiquement de leurs missions. « Ces gens voient des choses épouvantables », dit-elle, citant au passage l’organisme Médecins sans frontières. « Je pense à ceux qui ont souffert de troubles de stress posttraumatique, qui ont souffert de troubles mentaux, sociaux et financiers par rapport à leur retour. J’ai beaucoup de compréhension pour ceux qui souffrent de ça. »

Pour cause : elle a été en Somalie et a été témoin, elle aussi, de scènes d’horreur. « Mon expérience, ce n’est pas à ça que je réfléchis. Moi, ce que j’ai vu, c’est RIEN. »

Photos : Courtoisie

Des images qui ne s’effacent pas

Un peu par hasard, Johanne Baril est entrée chez les cadets, où elle avait quelques amis. « C’était plutôt social et ça m’apportait une certaine structure que je cherchais dans ma vie. » Au fil des années, les défis qui se posaient à elle lui ont donné le gout de s’enrôler et de devenir militaire.

Son parcours dans les Forces armées canadiennes l’a menée à 17 ans en Nouvelle-Écosse. Ensuite, à Carp, Kingston et Ottawa, elle a gravi les échelons : opératrice aux communications, superviseure et autres.

Mais quiconque lit son c.v. remarquera les deux déploiements auxquels elle a participé : l’opération RECUPERATION, pendant la tempête de verglas qui a touché l’est de l’Ontario et l’ouest du Québec en janvier 1998, et l’opération DELIVRANCE, menée par l’ONU de 1993 à 1995 en Somalie.

« Des enfants mouraient de faim [en Somalie]. Des factions en guerre ouverte se brutalisaient mutuellement et terrorisaient la population civile », rappelle l’édition de l’été 2001 de la Revue militaire canadienne.

C’est dans ce contexte que Johanne Baril est arrivée en Somalie, en 1992, pour tenter de rétablir la paix dans un pays en pleine guerre civile, souffrant d’une extrême pauvreté et d’une grave famine.

Photos : Courtoisie

Un tout autre monde

« On n’a pas pu faire de différence », dit-elle, 25 ans plus tard. « On a commencé par faire du maintien de la paix parce qu’il n’y avait pas de paix. On n’a jamais réussi. Quand on est partis, le progrès qu’on avait fait était presque nul. »

Elle ne regrette pas toutefois pas son expérience.

Elle y a découvert une tout autre planète, dévastée. « Les gens essayaient de survivre par tous les moyens possibles » explique-t-elle. Les décisions que les civils prenaient lui ont d’abord paru inhumaines. « Mais à force de voir des choses, on commence à comprendre qu’ils n’ont pas le choix pour survivre. »

La nourriture manquait. Même les Casques bleus canadiens trouvaient leurs rations petites. « On ne s’en plaignait quand on voyait ce qu’eux avaient », fait-elle savoir.

« Les gens crevaient de faim. Ils s’arrachaient la bouffe les un aux autres. Mais si tu donnes quelque chose à quelqu’un, les autres se mettent en foule autour de toi [pour en avoir aussi] et tu dois te sauver. Et le pauvre jeune à qui tu as donné une bouteille d’eau se fait battre pour sa bouteille. C’est difficile à voir, ces choses-là. »

L’après-déploiement

Il lui aura fallu un an pour se remettre de son expérience de quatre mois. À son retour, ses proches l’ont trouvé prompte et très peu tolérante. « J’étais pas capable d’entendre les gens se plaindre. Je trouvais ça tellement insignifiant. »

Pendant cette période de réajustement, nombre de collègues qui avaient été déployés en Bosnie, en Somalie ou au Cambodge ont vécu des séparations. « Ça change une personne. On ne peut pas s’attendre à ce que les personnes autour changent aussi. Elles n’ont pas vu ce qu’on a vu », dit-elle.

Aujourd’hui encore, elle n’aime pas entendre les gens se plaindre de la démocratie et dire « que tous les politiciens sont des pourris » — elle qui est d’ailleurs devenue mairesse de Val Rita-Harty en 2014. « On a quelque chose, au moins. Non, ce n’est pas parfait. Le système de santé, non, il n’est pas parfait. Mais on est tellement chanceux », plaide-t-elle.

Elle subit encore les séquelles de son expérience à l’occasion. En 2016, plus de 20 ans après son séjour en Somalie, elle est allée voir un spectacle de L’Écho d’un peuple à Kapuskasing dans lequel il y avait des effets pyrotechniques. « Je m’attendais pas à ça. J’ai été obligée de sortir parce que j’ai freaké. Ça m’arrive rarement, mais des fois, je rentre quelque part et il y a une senteur qui me ramène là-bas. »

Avec elle recul, elle a trouvé une solution. « Des fois, c’est mieux de juste essayer d’oublier ce qu’on a vu. Juste tout enterrer pour être moins fragile. »

Et pourtant, elle l’a dit plus tôt : « Moi, ce que j’ai vu, c’est RIEN », rappelant le sacrifice de ceux qui ont participé aux deux grandes guerres.