Cette année, trois membres du Sénat prendront leur retraite, dont Marie-Françoise Mégie (Québec), Judith Seidman (Québec) et David Richards (Nouveau-Brunswick), suivis de neuf autres en 2026.
Douze sièges seront laissés vacants : cinq au Québec, deux en Ontario et un dans chacune des provinces suivantes : la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador.
Pour l’instant, les intentions du premier ministre Mark Carney sur le Sénat, tant en ce qui concerne les nominations indépendantes que francophones, n’ont pas été clairement énoncées.
Si le Comité consultatif indépendant sur les nominations du Sénat s’appuie sur des critères géographiques, linguistiques, communautaires et culturels, aucune mesure spécifique ne garantit des sièges francophones au sein de la Chambre haute du Parlement.
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Comment fonctionnent les nominations au Sénat?
Les sénateurs et sénatrices sont nommés par la gouverneure générale du Canada, sur recommandation du premier ministre.
Historiquement, les membres du Sénat étaient affiliés à un parti politique. Mais en janvier 2014, Justin Trudeau – alors chef de l’opposition officielle – annonce l’expulsion des sénateurs libéraux du caucus national du Parti libéral du Canada (PLC), afin de limiter la partisanerie à la Chambre haute. Les 32 expulsés commencent à siéger comme indépendants.
En 2015, Justin Trudeau – devenu premier ministre – annonce un nouveau processus de sélection non partisan avec la création d’un Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat, qui a pour mission de conseiller le premier ministre.
Depuis le changement opéré par Justin Trudeau, les conservateurs affirment que l’ex-premier ministre n’a jamais réellement rendu le Sénat indépendant et n’a nommé que des sénateurs et sénatrices à tendance libérale.
Avec cinq nominations en mars, juste avant son départ, Justin Trudeau totalise environ 90 nominations au Sénat.

Le sénateur acadien du Nouveau-Brunswick René Cormier ne voit «aucun signe» de changement de direction des plans de Mark Carney pour le Sénat par rapport à Justin Trudeau.
Pas de changement sur la francophonie au Sénat
Le sénateur acadien René Cormier, ancien président du Comité permanent sénatorial des langues officielles, affirme ne pas douter de la sensibilité du premier ministre actuel par rapport aux langues officielles.
Le fait que Mark Carney ait mentionné les langues officielles dans le discours du Trône, qu’il ait replacé le titre de Langues officielles dans le portefeuille du ministre Steven Guilbeault et que son français se soit amélioré au fil de la campagne électorale est la preuve, pour le sénateur, qu’il n’y a pas de raison d’être inquiet.
Je n’ai reçu aucune indication que le processus va changer, donc on peut espérer que la représentativité francophone soit là.
«Je comprends aussi que le contexte actuel – avec les enjeux avec notre voisin du Sud – fait en sorte que les priorités qui ont été articulées ont été d’abord des grandes préoccupations économiques. Mais je ne pense pas que ça veut implicitement dire que les langues officielles seraient oubliées», ajoute le sénateur Cormier.
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La francophonie «au bon vouloir du premier ministre»
Selon la professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier, déterminer un pourcentage fixe de sénateurs francophones pourrait être «intéressant» pour garantir leur représentation dans la Chambre haute.
Si l’on ouvre la porte aux francophones, ça va ouvrir la porte à d’autres groupes, observe-t-elle. Je pense aux Autochtones, qui pourraient aussi le revendiquer.

Geneviève Tellier affirme que Justin Trudeau a laissé un «legs», en nommant notamment de nombreux sénateurs à tendance libérale.
Le processus de nomination des sénateurs se fait par l’entremise du Comité consultatif indépendant sur les nominations du Sénat, qui conseille le premier ministre en fonction de plusieurs critères pour assurer que tous les groupes raciaux, communautaires, culturels et linguistiques soient représentés. Mais c’est le premier ministre qui tranche.
«Ce sera au bon vouloir du premier ministre qui pourra changer d’idée quand il veut et qu’un nouveau premier ministre pourrait décider de ne pas suivre», explique-t-elle.
«Disparition» des conservateurs au Sénat et flou de Carney
La politologue assure qu’un changement dans le processus de nomination – s’il y en a un – se ferait sans modifier la Constitution, notamment en raison de la réticence générale à réformer le Sénat, après les deux tentatives avortées du premier ministre Stephen Harper entre 2009 et 2013.
Lors de son avant-dernier jour comme premier ministre, Justin Trudeau a procédé à la nomination de cinq sénateurs, dont plusieurs francophones ou bilingues.
Dans quel but? «Ne pas répéter l’erreur de Stephen Harper», estime Geneviève Tellier, qui n’avait pas pu réformer le Sénat comme il le souhaitait, notamment après le scandale des dépenses du Sénat et de l’Affaire Mike Duffy.
Mais aussi parce que les changements souhaités par l’ancien premier ministre nécessitaient une réforme constitutionnelle, ce à quoi les Canadiens et Canadiennes s’opposaient.
En ne nommant plus aucun sénateur après l’échec de sa tentative de réforme, Stephen Harper s’est résolu à «laisser le Sénat mourir de sa belle mort», commente Geneviève Tellier.
«Cette erreur se répercute jusqu’à maintenant, car des conservateurs partent à la retraite, ce sont donc des sièges perdus pour eux […] parce que ça va être des libéraux ou des indépendants», analyse la professeure Tellier.
«Ça joue contre les conservateurs. Ils disparaissent, ils sont quasi inexistants maintenant. Et je pense que Trudeau avait ça en tête.»
La politologue évoque aussi la question du legs de Justin Trudeau : «C’est quand même important ce que Trudeau a fait. [Les sénateurs] sont plus critiques, ils se sentent moins liés au gouvernement, donc ils peuvent manifester leur désaccord.»
«Je n’ai pas l’impression que pour Mark Carney, c’est une grosse préoccupation», ajoute-t-elle.
Pour l’instant, le bureau du premier ministre n’a pas encore précisé ses plans concernant le Sénat, notamment si Mark Carney nommerait des sénateurs qui ne sont pas de tendance libérale ni conservatrice.