«Il y a encore beaucoup de personnes ainées qui ont de la difficulté à sortir du placard, à s’afficher. Il y a des cheminements de vie qu’on ne voit pas autant chez les plus jeunes», remarque Michel Tremblay, directeur général de la Fédération des ainés et retraités francophones de l’Ontario (FARFO).
«Il faut savoir qu’il y a eu une période où c’était illégal, criminel, au Canada, d’être homosexuel. En 1968, la loi a changé.» Il évoque aussi la crise du sida dans les années 1980 et 1990; autant d’épreuves qui ont marqué le parcours des ainés et ainées francophones 2ELGBTQI+*. Un parcours toujours semé d’embuches.
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Une «triple minorité», une même solitude
Pierre Soucy siège au conseil d’administration du Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO). L’un des éléments qui l’ont poussé à s’engager, c’est l’absence de personnes ainées au sein de l’organisme. «Ce que j’avais observé en visitant le site Web du CFQO, c’est que les gens de mon âge n’étaient pas très visibles.»
«C’est pas facile d’aller chercher les ainés francophones queers, conçoit-il. Parce qu’il y a de grosses craintes dans cette population-là d’être visibles.»

Je fais partie d’une triple minorité : comme francophone en Colombie-Britannique, comme homme gay et comme homme francophone âgé. Notre communauté, si je rassemble ces trois qualificatifs-là, on n’est pas nombreux, et puis on est éparpillé.
Pour répondre à cette réalité, le CFQO organise beaucoup d’activités en ligne, même si rejoindre les ainés de cette façon reste un défi. Selon son directeur général, Martin Bouchard, l’organisme ne demande pas de subventions pour ce type d’initiatives, «peut-être parce que les opportunités de financement ne visent pas non plus [cette population]».
En Ontario, l’organisme FrancoQueer mène actuellement une étude pour évaluer les besoins des francophones 2ELGBTQI+ de 50 ans et plus à Toronto.
Le principal défi identifié jusqu’alors reste l’isolement, causé notamment par «l’âgisme dans les milieux arc-en-ciel, la queerphobie et le cis-hétéro-sexisme dans les milieux pour personnes âgées», énumère l’agent·e de recherche, sensibilisation et formation auprès de l’association, Élisabeth Bruins.
«On sait aussi que les personnes 2ELGBTQI+ sont plus susceptibles d’avoir vécu des ruptures avec leurs réseaux sociaux, leurs familles, ajoute-t-elle. Plusieurs de cette génération ont perdu des proches pendant la crise du VIH. […] Passer des années à se protéger, à cacher son identité, ça a des séquelles.»
Participer à des activités communautaires comme aller à des projections de films, ce n’est pas suffisant pour briser son isolement. Ça prend des relations sociales.
Un nouveau réseau à Toronto
En partenariat avec FrancoQueer, la Fédération des ainés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) a lancé le Réseau Vivre+ Fierté, pour réunir les francophones 2ELGBTQI+* de Toronto.
«On veut créer un groupe qui se rencontre régulièrement, qui va finir par se connaitre et créer des amitiés, pour que les membres de la communauté puissent avoir quelqu’un d’autre à qui se confier et sur qui compter», explique l’animateur du Réseau, Normand Babin.
«Souvent, ces gens-là sont célibataires, ils n’ont pas de conjoint, ils n’ont pas d’enfant, donc ils se retrouvent assez isolés.»
Le réseau, qui compte déjà une trentaine de membres à Toronto, organise un cocktail intergénérationnel à l’occasion du mois de la Fierté. Il propose aussi des clubs de lecture, des visites, des piqueniques ou encore des ateliers de dessin.
«Le dernier placard»
L’isolement s’accentue lorsque vient le temps d’accéder à des soins de santé adaptés.
«Si elles ne peuvent pas compter sur les professionnels ni sur leurs proches, ça fait en sorte qu’il y a beaucoup de personnes âgées arc-en-ciel qui n’ont pas accès aux soins dont elles ont besoin», alerte Élisabeth Bruins.
Certaines personnes se tournent vers des établissements anglophones, faute de trouver des services à la fois en français et inclusifs.
«Ici à Toronto, il y a le Centre Rekai [anglophone, NDRL], un des rares foyers au Canada qui a une approche dédiée aux personnes 2ELGBTQI+. Mais à part ça, il n’y en a pas beaucoup. Souvent pour ces gens, les soins de longue durée c’est, comme on dit, “le dernier placard”», relève Michel Tremblay.
«Le personnel n’est pas toujours ouvert. Il y a beaucoup de ces personnes-là qui viennent de pays où l’homosexualité n’est pas acceptée.»
«Certains ont dû retourner dans le garde-robe, nier le fait qu’ils sont gais, lesbiennes, transgenres ou autre», confirme Paul-André Gauthier, infirmier clinicien spécialiste. Certains couples sont également placés dans des chambres séparées en raison de leur orientation sexuelle.
Ce consultant en santé a d’ailleurs contribué à la rédaction d’un guide, en collaboration avec la FARFO, à destination, entre autres, des fournisseurs de services au sein des établissements de santé.
«Le mot de passe, c’est toujours le respect», insiste Paul-André Gauthier. Pour éviter que les droits des personnes soient bafoués, il recommande de former l’ensemble du personnel, et surtout de mettre en place un suivi, «pour s’assurer que ces lignes directrices sont respectées».
«Il faut être inclusif aussi quand on fait des activités. On accepte tout le monde, puis on essaie d’utiliser un langage un peu plus neutre», suggère-t-il.
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Un plan d’action fédéral
Le gouvernement fédéral a mené une consultation en ligne entre le 1er mai 2024 et le 17 juillet 2024, visant à aider les ainés 2ELGBTQI+ à vieillir à domicile.
Emploi et Développement Social Canada termine actuellement les travaux de recherche et les rapports finaux ne sont pas encore achevés.
La consultation, menée dans le cadre du Plan d’action fédéral 2ELGBTQI+, s’est penchée sur des sujets comme le logement, les soins, la santé ou encore les réseaux sociaux.
Les idées et les commentaires qui ont été recueillis pourraient «soutenir la conception de politiques», rapporte le ministère par courriel.
Dialogues intergénérationnels
Partout au pays, des initiatives locales cherchent à combler les vides. Pour plusieurs, c’est dans la rencontre entre générations que se dessine un avenir plus inclusif.
«On essaie de mettre en place des activités intergénérationnelles […] Le but c’est vraiment de réunir des personnes de 2ELGBTQI+ de tous les âges pour favoriser le partage de connaissances et l’entraide», commente de son côté Élisabeth Bruins à FrancoQueer.
L’organisme torontois collabore ainsi avec la FARFO pour combiner ses connaissances sur la diversité affective, sexuelle et de genre à leur expertise en matière de vieillissement.
En Acadie, une programmation en construction
«Avec le vieillissement de la population en Acadie et la contribution historique de nos ainé·es queer, c’est vraiment important pour nous de développer de la programmation dédiée», indique par courriel le directeur général d’Alter Acadie, Alex Arseneau.
L’organisme pense notamment à collaborer avec des organismes comme l’Association francophone des ainés du Nouveau-Brunswick (AFANB).
Sur le site Internet d’Alter Acadie, une section répertorie les foyers de soins identifiés comme sécuritaires pour les personnes ainées 2ELGBTQI+.
Pour Pierre Soucy, le dialogue intergénérationnel demeure essentiel et il s’efforce de le favoriser en s’impliquant dans différents organismes. «Les ainés aussi peuvent avoir des perspectives, des préjugés [sur les jeunes]. L’âgisme fonctionne dans les deux sens.»
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*L’acronyme 2ELGBTQI+ désigne les personnes aux deux esprits (et bispirituelles, 2E), lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, intersexuées et toutes les autres personnes faisant partie des communautés de diversité sexuelle et de genre qui utilisent une autre terminologie (+).