le Dimanche 8 juin 2025
le Dimanche 8 juin 2025 6:30 Francophonie

Comment concilier identité francophone et diversité culturelle à l’école

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La francophonie en milieu minoritaire compte beaucoup sur l’immigration francophone. Dans les écoles, où se fait une grande partie du travail de construction identitaire, les animateurs culturels réfléchissent aux manières de conjuguer protection de la culture locale et diversité.  — Photo : RDNE Stock projetct – Pexels
La francophonie en milieu minoritaire compte beaucoup sur l’immigration francophone. Dans les écoles, où se fait une grande partie du travail de construction identitaire, les animateurs culturels réfléchissent aux manières de conjuguer protection de la culture locale et diversité.
Photo : RDNE Stock projetct – Pexels
FRANCOPRESSE – Remplacer le curling par le basketball, financer des ateliers de danse africaine; la francophonie en milieu minoritaire tente, non sans dissidence, de s’ouvrir à la diversité qui grandit dans ses écoles. Si certains y voient une belle ouverture, d’autres craignent de voir la culture locale s’effacer.
Comment concilier identité francophone et diversité culturelle à l’école
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«Pour l’une de nos activités provinciales, à la demande des élèves, nous avons changé le curling pour le basketball, un sport qui rejoignait davantage de jeunes, notamment ceux issus de l’immigration récente», témoigne une responsable de l’animation socioculturelle en Saskatchewan, Marie-Hélène Tanguay, dans un document sur la construction identitaire et l’animation culturelle rédigé en 2019 par l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF), dont elle est aujourd’hui directrice générale.

Ce changement d’activité sportive est un exemple parmi d’autres des façons dont les animateurs culturels s’adaptent à une francophonie de plus en plus diversifiée, un mandat qui leur est d’ailleurs conféré par l’ACELF dans le document. «Ils sont là pour tous les élèves et pour faire en sorte que la diversité au sein de la francophonie soit mise en valeur.»

Luc Paquette*, animateur culturel en Ontario français, craint de son côté un «effacement» de la société d’accueil.

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«Tyrannie du présent»

Il y a de l’immigration qui vient de partout et, par conséquent, on veut souligner la contribution de chaque communauté culturelle. On a commencé avec le Mois de l’histoire des Noirs, et ça va de soi. Après, [d’autres] communautés culturelles ont commencé à demander le mois du patrimoine asiatique, latino-américain [etc.].

— Luc Paquette

De son expérience, le mois de l’histoire des Noirs est de plus en plus consacré aux cultures africaines, plutôt qu’à l’histoire de ces communautés au Canada, et bénéficie d’une attention «démesurée», en comparaison au mois de la Francophonie ou au Jour des Franco-Ontariens dans certaines écoles. «Plus d’activités, plus de grands évènements organisés, des célébrations […]. Inévitablement, ça a un impact sur les référents culturels qu’on leur propose.»

«Pendant ce temps-là, qu’est-ce qu’il reste [à l’histoire et à la culture franco-ontarienne]? Pas grand-chose.»

Luc Paquette confirme que les écoles fêtent toujours le Jour des Franco-Ontariens le 25 septembre et que le 50e du drapeau vert et blanc sera célébré cette année. Mais à son avis, la culture franco-ontarienne est souvent présentée comme une chose du passé et son histoire n’est pas assez racontée. «C’est la tyrannie du présent», lâche l’animateur culturel.

Les conseils scolaires francophones du Moyen-Nord de l’Ontario organisent chaque année un spectacle de la Saint-Jean pour leurs élèves. Cette année, plus de 4000 jeunes ont assisté à un spectacle de la formation musicale franco-ontarienne LGS, dans l’aréna communautaire du Grand Sudbury. 

Photo : Leo Duquette

«Accueillir l’élève où il est»

Après une carrière de 20 ans comme animatrice culturelle franco-ontarienne, Louise Allard constate que les animateurs culturels ont eu à s’ajuster.

L’approche de Mme Allard consiste à échanger avec l’élève et à s’intéresser à sa culture d’origine.

Il faut qu’il se sente impliqué. Si je lui donne un drapeau franco-ontarien et que je lui dis «on fête le 25 septembre», il va arriver à la maison et raconter qu’il y avait un party, du gâteau et des chansons. Ça n’a aucune signification.

Selon elle, il faut reconnaitre et célébrer les origines des individus qui portent aujourd’hui ce drapeau. «Ça ne veut pas dire de mettre un X sur notre histoire. Au contraire, elle évolue.»

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«La tension entre la tradition et la modernité, et puis cette place qu’on veut faire à la diversité en milieu scolaire au niveau des arts et de la culture, vient souvent du fait que les budgets sont tellement limités», estime Marie-Ève Désormaux. 

Photo : Marianne Duval

Des activités de partout, en français

«La francophonie est plurielle, elle est en évolution constante», remarque la directrice de la programmation Arts à l’école de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Ève Désormaux. L’organisation a mis sur pied PassepART, un programme de microsubventions dédié aux projets artistiques et culturels dans les écoles francophones.

Plus de 1700 activités en ont bénéficié entre 2019-2023. «On a des activités qui ont mis en valeur les cultures africaines, autochtones, caribéennes, latino-américaines, magrébines, indiennes», comme des ateliers de danse africaine, donne en exemple Mme Désormaux.

«Le critère, c’est que ce soit en français, mais ça pourrait être des cultures de partout dans le monde, explique-t-elle. Il y a une juste place à la tradition, au patrimoine, à un certain folklore, tout en ayant une place à toute la francophonie actuelle.»

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Pour l’avenir du français

«On n’a pas le choix. Il faut tendre la main à toute communauté linguistique qui choisit les émotions en français, la culture en français. Ça passe par la jeunesse», estime Mathieu Gingras, un passeur culturel basé au Nouveau-Brunswick qui fait la tournée des écoles. Il est conférencier officiel de l’organisme Français pour l’avenir.

Mathieu Gingras, alias «le gars aux drapeaux», met beaucoup d’emphase sur «l’expérience en français», et estime qu’il faut plus d’évènements, de festivals et de congrès mondiaux comme le Congrès mondial acadien. 

Photo : Courtoisie

Tendre la main, ça veut aussi dire expliquer : «Le nouvel arrivant [dont le français] est sa deuxième, troisième, quatrième langue parlée, va se dire “mais pourquoi il y a deux langues officielles au Canada? […] Moi je parle le swahili, l’arabe, le portugais à la maison. Pourquoi pas ces langues-là aussi?” Il y a un côté historique, patrimonial, héritage qu’il faut raconter.»

«Je n’ai pas vu en 20 ans quelqu’un issu de l’international qui me dit ne pas être d’accord, une fois qu’il entend pourquoi on [protège] le français», assure Mathieu Gingras.

La sauvegarde des cultures franco-canadiennes, qui réside au cœur des préoccupations de Luc Paquette, demeure le grand défi.

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Les Canadiens français se sont battus pendant plus d’un siècle, rappelle le chercheur de l’Université de Moncton, Daniel Bourgeois. «On voulait vivre notre propre culture, notre propre histoire, notre propre patrimoine. On a enfin eu ça. Maintenant, on accueille beaucoup de francophones – la langue n’est pas vraiment l’enjeu principal – qui nous arrivent avec différentes cultures. […] Il y a des différences évidentes.»

«Équilibrer la valorisation de notre propre langue, culture, patrimoine, etc., et intégrer celui des nouveaux arrivants» n’est «pas toujours facile», reconnait-il. Les animateurs culturels sont en grande partie ceux qui doivent trouver l’équilibre, mais comme le rappelle M. Bourgeois, ceux-ci se font rares dans certaines provinces.

*Une nom fictif est utilisé pour des raisons de sécurité et de confidentialité.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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