«Les milieux ruraux seront les plus pénalisés par la suppression des bureaux de poste», dénonce le président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau‑Brunswick, Yvon Godin.
Le responsable craint l’émergence d’un système postal «à deux vitesses», avec les villes d’un côté et les campagnes de l’autre, «où les gens devront se déplacer sur de grandes distances pour aller chercher leur courrier».
Dans un rapport déposé le 15 mai, la Commission d’enquête sur les relations de travail chez Postes Canada recommande la levée des moratoires sur la fermeture des bureaux de poste ruraux et la conversion vers des boites postales communautaires.
Le commissaire William Kaplan conseille également l’élimination progressive de la livraison quotidienne du courrier à domicile aux adresses individuelles.
Le rapport découle d’une demande d’Ottawa faite lorsque le gouvernement a mis fin à la grève qui perturbait la livraison du courrier à l’approche des Fêtes, l’an dernier. Le gouvernement avait fait appel à la Commission fédérale des relations de travail et de l’emploi afin d’ordonner le retour des employés des postes au travail.
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Rapport sur fond de conflit social
Le rapport de la commission d’enquête sur les relations de travail examine la situation financière de Postes Canada. Selon William Kaplan, la société d’État fait face à une crise existentielle. Elle est insolvable ou en faillite, mentionne-t-il. «Sans changements réfléchis, mesurés, échelonnés, mais immédiats, sa situation financière continuera à se détériorer.»
Le PDG de Postes Canada, Doug Ettinger, a salué les recommandations du rapport. Elles arrivent à un «moment crucial», d’après lui, et offrent «une évaluation franche et directe» des défis.
Pendant ce temps, les négociations se poursuivent entre les négociateurs syndicaux et patronaux en vue de conclure un accord pour une nouvelle convention collective.
Le jeudi 22 mai, le syndicat des 55 000 travailleurs et travailleuses de Postes Canada a finalement opté pour une grève du temps supplémentaire afin de laisser davantage le temps aux négociateurs d’examiner les dernières offres patronales.
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Un «rôle social» essentiel
«On se bat pour maintenir notre présence dans les zones rurales et éloignées, ce sont celles qui ont le plus besoin de nous. On les aide à maintenir une connexion avec le reste du pays», réagit la négociatrice pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) de Montréal, Anny Lesage.

«La Loi [sur la Société canadienne des postes] exige des livraisons tous les jours. On pense que la livraison doit être quotidienne et à la porte», affirme Anny Lesage du STTP.
À ses yeux, les compagnies privées «n’atteindront jamais les régions éloignées au même prix» que Postes Canada, qui est une société d’État.
Pour le professeur agrégé d’études sur le travail à l’Université du Manitoba, David Camfield, les bureaux de poste jouent également un «rôle social» essentiel : «Dans de nombreuses zones rurales, où la population est très dispersée, ce sont des espaces communautaires et la principale institution liée au gouvernement fédéral.»
«C’est important d’offrir des services de proximité aux personnes âgées qui habitent dans ces régions. Elles ne sont pas dans le monde informatique, elles ont besoin d’un bureau de poste», renchérit Yvon Godin.
Le professeur à l’École de gestion Sprott de l’Université Carleton, Ian Lee, juge aussi qu’Ottawa doit «continuer à assurer l’accès au courrier et aux colis dans les régions rurales et les réserves des Premières Nations où il n’y a pas d’entreprises privées capables de prendre le relai.»
«Postes Canada est insolvable, elle doit réduire ses effectifs et restructurer ses activités en se concentrant sur les communautés rurales et éloignées qui n’ont pas d’alternative», déclare-t-il.
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Des facteurs au chevet des ainés
En revanche, Ian Lee considère que des «franchises rurales de Postes Canada, installées dans de petites épiceries ou pharmacies», doivent remplacer à terme les boites postales communautaires et les bureaux de poste détenus et gérés par la société de la Couronne.

Yvon Godin de l’Association francophone des municipalités du Nouveau‑Brunswick craint une baisse de la qualité des services postaux disponibles dans les régions rurales.
«Ce modèle coutera moins cher. Les habitants iront chercher leur courrier au bureau de poste de la franchise où ils se rendent de toute façon pour acheter leur nourriture ou leurs médicaments», avance-t-il.
Yvon Godin ne se montre pas totalement opposé à cette idée de points de service dans des entreprises : «Ça peut être envisageable pour être plus rentable et compétitif. Ce qu’il faut, c’est absolument trouver des solutions innovantes sans nuire aux employés.»
Pour engranger des revenus supplémentaires, Anny Lesage plaide plutôt en faveur d’un «élargissement et d’une diversification de la gamme de services» qu’offre Postes Canada dans les communautés rurales et éloignées.
Elle mentionne notamment la création d’un bureau de poste de type carrefour communautaire à Membertou, en Nouvelle-Écosse, en partenariat avec la Première Nation mi’kmaq locale.
Location de salles de réunion, accès à Internet sans fil, à des ordinateurs, autant de services qui «aident les gens à se rassembler», selon Anny Lesage.
Propositions «irréalistes»
La négociatrice cite par ailleurs la France en exemple. Depuis 2015, les facteurs de l’Hexagone se rendent chez les ainés isolés, même sans courrier, afin de s’assurer qu’ils se portent bien.
«C’est une forme de soutien à la population que l’on pourrait implanter chez nous, soutient-elle. On pourrait aussi imaginer que les facteurs livrent des produits d’épicerie à domicile.»

Le professeur à l’Université du Manitoba, David Camfield, défend une «expansion et une diversification des services» qu’offre Postes Canada aux communautés rurales et éloignées.
Anny Lesage évoque enfin l’option des services bancaires. Postes Canada a lancé cette année un projet pilote, MonArgent, un compte d’épargne et de dépenses destiné aux Canadiennes et Canadiens mal desservis.
«Bon nombre de personnes en région rurale ou éloignée sont confrontées à des obstacles systémiques pour l’accès à des services financiers. Il y a donc une demande en dehors du système bancaire traditionnel», assure-t-elle.
Le commissaire William Kaplan juge néanmoins toutes ces propositions du STTP «irréalistes». «À mon avis, compte tenu de la crise financière, Postes Canada doit se concentrer sur la sauvegarde de son activité principale et non sur l’offre de nouveaux services», écrit-il dans son rapport.
Au Manitoba, David Camfield estime pour sa part que le débat actuel «devrait être lié à une redéfinition de la société d’État en tant que service public». «Postes Canada fournit des services vitaux auxquels tous les habitants du pays devraient avoir accès.»