le Jeudi 22 mai 2025
le Mercredi 2 avril 2025 6:30 Chroniques et éditoriaux

Élection fédérale : le retour de l’homme fort

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Les chefs des deux partis en avance dans la campagne électorale de 2025 se présentent comme des hommes forts capables de s’opposer à un autre homme fort.  — Photos : Inès Lombardo – Francopresse
Les chefs des deux partis en avance dans la campagne électorale de 2025 se présentent comme des hommes forts capables de s’opposer à un autre homme fort.
Photos : Inès Lombardo – Francopresse
CHRONIQUE – La campagne électorale en cours révèle déjà la teneur du style politique du prochain gouvernement. Les deux partis qui peuvent espérer former le gouvernement mettent de l’avant un leadeurship limité à un seul individu, détaché de toute équipe et agonistique. Ils contribuent ainsi à affaiblir la démocratie au Canada.
Élection fédérale : le retour de l’homme fort
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En mettant de l’avant un choix entre des leadeurs qu’ils présentent comme forts, les partis politiques font oublier à l’électorat canadien qu’il ne vote pas pour un premier ministre, mais bien pour une représentation locale qui participe à un parti diversifié.

L’image du chef devient alors celle du parti et efface celle des candidats et candidates de chaque circonscription.

Comme cela a d’ailleurs été la norme au fil de l’histoire canadienne, les partis présentent également l’image d’un gouvernement qui tourne autour du premier ministre. Ce dernier est celui qui décide des personnes qui l’appuieront à titre de ministres ou de cadres de son équipe rapprochée.

Un tel fonctionnement tend à limiter la possibilité d’exiger des comptes de la part du premier ministre et à renforcer un gouvernement plus hiérarchique, fondé sur l’autorité. Il devient plus aisé de se défaire de ministres qui remettraient en cause l’orientation du gouvernement.

On passe dès lors de l’idée de solidarité ministérielle liée à des décisions prises en groupe, à l’obéissance de chaque personne à un patron qui peut les ignorer ou les remplacer selon son bon plaisir.

À lire : Justin Trudeau est-il à l’écoute de ses députés? (Chronique)

Après Trudeau et contre Trump

Nous sommes témoins des effets de la personnalisation du leadeurship depuis plusieurs années.

Elle a permis à Justin Trudeau de cultiver un grand espoir, qui l’a mené à la tête du Parti libéral, puis du pays avant de faire place à un mouvement spécifiquement anti-Trudeau qui n’a cessé de croitre et finalement à une mobilisation interne contre le chef au sein de son parti.

Le même effet initial s’est produit avec Mark Carney, quand son nom a commencé à circuler comme successeur de Justin Trudeau : le Parti libéral a rebondi dans les sondages.

Le Parti conservateur aussi a employé cette stratégie. Il a cherché à faire voir son chef autant que possible, tout en changeant son image. Il a accusé Justin Trudeau à répétition d’être la source des problèmes du Canada, et il s’en prend désormais au Parti libéral par le biais de son association avec l’ancien chef.

On voit aussi l’affrontement entre les chefs des partis libéral et conservateur tourner autour du choix de la personne qui sera la mieux placée pour négocier avec le président américain – ou de façon plus réaliste, pour lui tenir tête.

Homme fort contre homme fort, métaphores guerrières, hausse de ton, manifestations d’agressivité contre ses adversaires des deux côtés de la frontière… Chacun cherche à se faire voir.

À lire : Le nouveau défi de Pierre Poilievre (chronique)

La limite de la stratégie de l’homme seul

L’emploi du masculin ici est voulu. Mis à part le Parti vert qui est dirigé conjointement par un homme et une femme et qui demeure fortement associé à la figure d’Elizabeth May, non seulement les autres partis ont-ils choisi des hommes pour les mener, mais ils ont aussi déployé une stratégie qui s’appuie sur des traits traditionnellement masculins.

Autant de traits qui s’opposent au style que Trudeau avait adopté – plus rassembleur et collaboratif, ouvert à la diversité (fut-elle de surface) – mais aussi au parcours réel des deux chefs les plus susceptibles de remporter l’élection fédérale.

Ni Pierre Poilievre, le politicien de carrière, ni Mark Carney, l’économiste, n’ont encore pu gagner leurs lettres de noblesse à la tête d’un parti au pouvoir qui a une autorité politique et qui doit prendre des décisions. Ni l’un ni l’autre n’a manifesté l’ensemble des qualités que les deux croient être requises pour le poste de premier ministre.

L’un a choisi une approche populiste et doit faire croire à une proximité avec la population canadienne moyenne, tandis que l’autre doit se détacher de son expertise pour faire croire à sa capacité de maitriser les codes de la politique. Chacun semble chercher les avantages de l’autre à travers cette figure de l’homme fort.

On sent ici un refroidissement de la politique, un resserrement des rangs, un serrement des poings. Finie la représentation substantielle des groupes qui sont marginalisés en politique et dans la société : la diversité, l’inclusion, les personnes en situation de handicap, les femmes et l’égalité des genres n’ont plus de ministre dédié uniquement à ces dossiers.

Autant de questions qui ne sont pas à l’avant-plan dans la campagne électorale, du moins jusqu’à présent… et dont l’absence risque de se faire sentir après les élections.

À lire : Mark Carney couronné chef du Parti libéral du Canada : et maintenant?

Un risque pour le Canada

Or, c’est justement cette tentative de s’ouvrir à la diversité et de maintenir des services publics d’envergure qui distingue le Canada des États-Unis dans bien des esprits.

Tandis qu’il serait possible de rassembler l’électorat canadien autour de ces valeurs, tant le Parti libéral que le Parti conservateur préfèrent contribuer au patriotisme et à l’antiaméricanisme des boycottages de bonne conscience. De ce fait, l’image de pugilat persiste et il devient très difficile d’entendre ce que les autres partis ont à suggérer.

Surtout, il existe un risque que les moyens mis en œuvre pour obtenir la victoire électorale ne deviennent la norme après celle-ci. Nous continuons de faire face à la montée de l’autoritarisme et du fascisme.

Il est encore temps de le combattre pour ceux et celles qui sont membres des partis, pour les journalistes qui décident des thèmes de leur couverture et qui ont la chance de poser des questions aux chefs… et pour chaque personne qui déposera son bulletin de vote dans l’urne le 28 avril prochain.

Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.

Corrections:

le Vendredi 4 avril 2025 10:45:

Le texte pouvait donner l’impression que le ministère Femmes et Égalité des genres Canada n’existait plus, alors qu’il est toujours en fonction. C’est plutôt le titre de ministre qui a disparue. 

  • Cette section de phrase : «… les femmes et l’égalité des genres n’ont plus de ministères.»
  • a été remplacé  par : «… les femmes et l’égalité des genres n’ont plus de ministre dédié uniquement à ces dossiers.» 

Jérôme Melançon

Chroniqueur