le Vendredi 9 mai 2025
le Jeudi 20 mars 2025 6:30 Francophonie

Francophonie : la gestion des «tensions» entre protection du français et diversité

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Une discussion a eu lieu sous le thème «La diversité au sein de la francophonie», présentée par le Bureau du vice-provost, équité, diversité et excellence en matière d’inclusion de l’Université d’Ottawa.  — Photo : Diva Plavalaguna – Pexels
Une discussion a eu lieu sous le thème «La diversité au sein de la francophonie», présentée par le Bureau du vice-provost, équité, diversité et excellence en matière d’inclusion de l’Université d’Ottawa.
Photo : Diva Plavalaguna – Pexels
FRANCOPRESSE – La transformation du portrait des communautés francophones en situation minoritaire suscite des questions en matière de cohésion sociale et de préservation linguistique. Lors d’un panel sur la diversité à l’Université d’Ottawa, les intervenants ont largement plaidé pour une francophonie plus ouverte et diversifiée.
Francophonie : la gestion des «tensions» entre protection du français et diversité
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«Faire en sorte que toute la société puisse épouser une idée, je trouve cela très très dangereux. Et on l’entend souvent. Quand on parle par exemple des nouveaux arrivants, on a souvent entendu qu’ils doivent s’intégrer, qu’ils doivent apprendre à vivre comme ici. Mais c’est quoi “apprendre à vivre comme ici” quand on sait que la société évolue de jour en jour?»

La question, lancée par le directeur artistique du Festival Noir et fier, Wilgis Agossa, lors d’une discussion sur la diversité au sein de la francophonie tenue le 18 mars, a obtenu le consensus des quatre panélistes : la francophonie doit s’ouvrir à la diversité.

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«La diversité nous invite à sortir de notre cadre de référence personnelle, de notre système de croyances, et à se situer dans nos communautés en transformation», explique Elie Ndala, qui a habité au Nouveau-Brunswick. 

Photo : Courtoisie

«Célébrer» la diversité

Elie Ndala, doctorant en éducation à l’Université d’Ottawa, a récemment visité des écoles franco-ontariennes : «On va entendre parler du créole, du lingala, de l’anglais. Ça fait partie d’une diversité à laquelle on doit discuter, penser et, en toute humilité, redéfinir ensemble.»

Il faut éviter, dit-il, de faire de la langue et de la culture «un monument et une révérence» et accorder plus de place à «ceux qui font évoluer [le français]» ainsi qu’aux autres langues et cultures. «C’est important, je le reconnais, de défendre les acquis francophones, et il est tout à fait possible à mon humble avis de le faire en protégeant aussi ceux des minorités en son sein.»

Sa directrice de thèse, la professeure titulaire en éducation Phyllis Dalley, aimerait que les écoles «cessent de croire que l’identité linguistique est le nerf de la guerre».

Si les élèves ne sortent pas en portant autour du cou le drapeau franco-ontarien, ce n’est pas grave, estime-t-elle. Les militants et militantes comme moi, il ne faudrait pas en avoir trop. Il y a déjà du monde qui sent qu’on marche trop sur leurs pieds.

— Phyllis Dalley

Selon elle, la francophonie a besoin de plus de «personnes non binaires, de médecins [et] de musiciens». «Mais les “Francos-fous”? C’est peut-être le temps de se rendre à l’hôpital», a-t-elle lâché, avant de souligner que ce dernier commentaire n’était qu’une blague.

«Les familles francophones aujourd’hui n’ont pas toutes le français comme langue maternelle», fait remarquer Phyllis Dalley. Même dans les écoles de langue française, «il faut qu’on célèbre le fait qu’on a des enfants qui parlent d’autres langues que le français à la maison».

Avec la langue de Molière, la chercheuse prône «l’approche plurinormative», qui «accepte que la variation ait sa place dans l’apprentissage». Autrement dit, elle plaide pour le droit d’utiliser différents lexiques, syntaxes, expressions, le franglais, le créole, le chiac, etc., en apprenant.

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Une question de survie

Megan Cotnam-Kappel, professeure agrégée en éducation à l’Université d’Ottawa, a aussi été la doctorante de Phyllis Dalley. Elle nuance les propos de son ancienne mentore : «C’est important pour moi qu’un finissant de l’école de langue française sorte avec le drapeau [franco-ontarien] autour de son cou, parce qu’une fois en relation avec l’autre, on a besoin d’être assez bien armé juste pour pouvoir survivre comme francophone.»

La grande majorité de ses amis vivent aujourd’hui en anglais. «Ils n’ont pas survécu la violence symbolique au sein de [l’Université d’Ottawa], raconte-t-elle. Nous sommes peut-être 40 % de la population étudiante, mais nos accents sont marginalisés. Nos identités sont mises de côté.»

Comme étudiante, on lui a déjà dit qu’elle obtiendrait de meilleures notes si elle faisait ses études en anglais, plutôt qu’en français.

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«Je ne veux pas qu’on me change»

«Apporter les différentes perspectives et différents points de vue ensemble pour coexister : je vois beaucoup de richesse là-dedans», témoigne Wilgis Agossa, qui habite au Manitoba. «Mais dans chaque culture, on peut faire le choix de prendre la richesse, de prendre ce qui me convient à moi.»

L’assimilation est, à son sens, «très dangereuse». «Moi, je ne veux pas être changé, je ne veux pas qu’on me change», insiste-t-il.

Dans ses 15 dernières années passées au Canada, il reconnait avoir épousé certaines facettes de la culture canadienne, «parce que je vois comment ça me rejoint dans mes valeurs, dans mon identité, comment ça peut m’apporter énormément de choses».

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«Faire partie de la gang»

Depuis son arrivée en francophonie canadienne, Elie Ndala tente de s’adapter : «Qu’est-ce que je dois faire pour faire partie de la gang? Est-ce qu’il faut que j’arrête d’amener la nourriture de mon pays, de ma grand-mère natale, pour me faire des amis à l’école?»

La diversité ici nous expose à un système de relations, à des dynamiques de pouvoir, à des modes d’adaptation, à de nouvelles idéologies dans lesquelles il faut, malheureusement, se placer. Il faut, parfois, s’assimiler. Ou il faut résister, avec les conséquences qui s’ensuivent.

— Elie Ndala

Née d’un père anglophone et d’une mère acadienne, Phyllis Dalley raconte avoir lutté pour avoir droit à l’identité acadienne. Elle met en garde contre l’idée selon laquelle l’identité est une question de sang.

«On n’arrête pas de raconter l’histoire de la déportation. C’est important, mais ce n’est pas ce qui nous définit aujourd’hui, ou du moins pas uniquement. Je pense que l’identité se bâtit dans la relation. Elle n’existe pas en moi. C’est quelque chose que je construis avec toi.»

Elie Ndala remarque deux «tensions» : «D’un côté, protéger les identités francophones historiquement moins représentées au sein de la francophonie. Ou prioriser le combat contre l’anglophonie institutionnellement dominante et la menace des droits qui ont été acquis.»

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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