Publié le 12 février 2023
Du temps de la Nouvelle-France, on utilise d’abord la bannière de France : c’est un drapeau carré affichant trois fleurs de lys dorées sur fond bleu. Il a flotté sur l’ile Sainte-Croix en 1604, année de fondation de l’Acadie et – possiblement – sur l’Habitation de Champlain à Québec.
À la Confédération, en 1867, le Red Ensign affiche les armoiries des quatre provinces fondatrices du Canada moderne : l’Ontario (en haut, à gauche), le Québec (en haut, à droite), la Nouvelle-Écosse (en bas, à gauche) et le Nouveau-Brunswick (en bas, à droite).
Par la suite, c’est un pavillon complètement blanc de la marine royale française qui fait son apparition, à la fois sur les navires et sur certains forts.
Lorsque la Grande-Bretagne devient maitre du pays, le drapeau britannique puis celui du Royaume-Uni communément appelé «Union Jack» s’utilisent largement par les colonies britanniques, qui formeront le Canada.
Mais un autre drapeau rivalise déjà avec l’Union Jack : le Red Ensign, un pavillon de la marine marchande britannique qui s’agite notamment sur certains forts et canots de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Il s’agit d’un drapeau rouge arborant, dans le coin supérieur gauche, la bannière du Royaume-Uni. Après la Confédération, on y ajoutera les armes des quatre provinces fondatrices du Canada.
Ce drapeau aura plusieurs variantes : on y ajoutera parfois les emblèmes des nouvelles provinces, tandis que d’autres versions auront un castor, une couronne, des branches avec des feuilles d’érable, etc.
En 1921, une nouvelle version du Red Ensign apparait. Au lieu des armes des provinces, il arbore plutôt celles des quatre nations «fondatrices» du Canada – l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et la France – ainsi que trois feuilles d’érable.
Une nouvelle version officielle du Red Ensign est adoptée en 1921. Les armes des provinces et autres symboles sont remplacés par les «armoiries royales du Canada» concédées par le roi George V. L’écu se compose des symboles des quatre nations européennes «fondatrices» du Canada, soit l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et la France. Dessous, trois feuilles d’érable représentent le Canada.
Ce drapeau sera utilisé jusqu’à l’adoption du drapeau canadien actuel, en 1965.
Le souhait d’avoir un drapeau strictement canadien, sans symboles britanniques, prendra de l’ampleur à mesure que le pays gagne en indépendance.
Le premier ministre William Lyon Mackenzie King tentera le coup à deux reprises, en 1925 et en 1945. L’opposition est telle qu’il fait marche arrière.
L’échec du drapeau canadien, la victoire du drapeau du Québec
Ce nouvel échec provoque une déception au Québec, qui souhaite que le Canada se débarrasse des symboles britanniques. Mais l’adoption d’un drapeau officiel n’est pas plus facile à Québec qu’à Ottawa.
La bannière de Carillon, utilisée lors de la bataille du fort Carillon, en 1758, est à l’origine du drapeau officiel du Québec, le fleurdelisé.
En 1946 et en 1947, des motions présentées par le député René Chaloult sont rejetées par le gouvernement de Maurice Duplessis. Ce dernier, voulant la paternité du nouveau drapeau, fait lui-même adopter le fleurdelisé le 28 janvier 1948, soit il y a 75 ans.
C’est un drapeau qui tire son origine de la bataille de Carillon, lors de la guerre de Sept Ans. C’est un drapeau bleu arborant, aux quatre coins, une fleur de lys pointée vers le centre, où se trouvent les armes du roi de France.
Au début du 20e siècle, le curé Elphège-Prime Filiatrault modifie la bannière de Carillon afin de doter les Canadiens français d’un emblème national. Il ajoute à ce qu’on appellera le «Carillon moderne», soit une croix blanche, et retire les armes royales.
Maurice Duplessis veut faire du «Carillon moderne» LE drapeau national du Québec. Il aurait cependant voulu lui donner une touche personnelle. Il consulte alors le prêtre nationaliste Lionel Groulx. C’est lui qui aurait proposé de redresser les lys pour qu’ils pointent vers le haut.
Vers l’unifolié
Mais revenons au drapeau canadien. Après l’échec de 1945, il faudra attendre 15 ans avant que quelqu’un ne prenne la relève.
Le drapeau ci-dessus était l’un des trois «finalistes» envisagés pour devenir le drapeau canadien. Il avait été soumis par le premier ministre Lester B. Pearson lui-même.
Dans les années 1960, Lester B. Pearson, reprend le bâton (pour ne pas dire le mât) du pèlerin. Il promet un nouveau drapeau à temps pour les célébrations du centenaire de la Confédération, en 1967. Facile à dire!
Élu premier ministre du Canada en 1963, Pearson crée en 1964 un comité parlementaire qui recevra plus de 2 400 suggestions de drapeau arborant notamment :
Entre en jeu George F. Stanley, alors doyen de la Faculté des arts du Collège militaire royal de Kingston en Ontario, et historien militaire.
En mars 1964, avant même les délibérations du comité, Stanley écrit à John Matheson, bras droit de Pearson et membre du comité du drapeau. Stanley explique qu’il faut un drapeau simple, reconnaissable de loin et dépourvu de symboles d’autres pays comme l’Union Jack ou la fleur de lys.
L’historien George F. Stanley s’est inspiré du drapeau du Collège militaire royal de Kingston, en Ontario, pour concevoir le drapeau canadien.
Il faut selon lui que le drapeau soit distinctement canadien. Le rouge est déjà associé au Canada, avec le Red Ensign. Quant à la feuille d’érable, elle fait partie de l’écu du Canada depuis longtemps.
Stanley va donc fortement s’inspirer du drapeau du Collège militaire royal de Kingston. Celui-ci a deux bandes verticales rouges avec au milieu une bande verticale blanche sur laquelle figure l’emblème de l’institution : un bras d’armure tenant trois feuilles d’érable surmonté d’une couronne.
Dans sa lettre, Stanley propose de substituer l’emblème de l’institution par une seule feuille d’érable rouge. Simple, mais il fallait y penser!
Après bien des débats, trois propositions sont retenues par le comité parlementaire, dont celle de Stanley. Tous les membres du comité votent pour l’unifolié.
Le concepteur du drapeau canadien, George F. Stanley et son épouse Ruth.
La décision du comité sera suivie de vives discussions pendant six semaines à la Chambre des communes. Dans la nuit du 15 décembre 1964, après un débat musclé, les Communes adoptent l’unifolié par un vote de 163 contre 78.
Le nouveau drapeau sera hissé pour la première fois sur le Parlement le 15 février 1965. George F. Stanley deviendra par la suite lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, de 1981 à 1987.
Outre le Québec, la plupart des provinces et les deux territoires de l’époque se doteront d’un drapeau dans les années 1960. La Nouvelle-Écosse l’avait fait en 1929 et Terre-Neuve-et-Labrador le fera en 1980. Le Nunavut aura le sien à sa création, en 1999.
Bien avant tout ça, les Acadiens avaient choisi un drapeau en 1884. Les Franco-Ontariens feront de même en 1975 et deviendront la deuxième communauté francophone de l’extérieur du Québec à avoir son drapeau.
Solstice : du latin solstitium, signifie «soleil immobile».
Effectivement, c’est comme si le soleil s’arrêtait pendant quelques jours. Tintin aurait réussi cet exploit alors qu’il était sur un bucher sacrificiel dans un temple inca, mais on attend une deuxième source avant de le confirmer.
Jean le Baptiste tel qu’imaginé par Léonard de Vinci.
En Europe, dans les temps anciens (mais après l’ère des dinosaures, quand même), cette période du cycle était l’occasion d’allumer des feux. Une idée qui perdurera.
Autour du Ve siècle, alors que Rome est tombée et que l’évangélisation du continent européen s’amorce, l’Église catholique fera avec le solstice d’été ce à quoi elle excelle : transformer les fêtes païennes en fêtes chrétiennes, afin de convertir les populations dites «barbares».
L’une des principales cibles des missionnaires sera le solstice d’été. Ils choisiront le 24 juin et Jean le Baptiste, figure majeure de l’Histoire sainte, pour supplanter la fête païenne de cette époque de l’année.
Faut-il le rappeler? Jean est un prédicateur juif, fils d’Élisabeth et de Zacharie. Les Évangiles le disent cousin de Jésus.
Vérification des faits! Les Saintes Écritures soulignent qu’Élisabeth est la «parente» de Marie, mère de Jésus. Les exégètes du Nouveau Testament ont interprété «parente» comme voulant dire «cousine».
Si tel est le cas, et si l’on veut être pointilleux (oui, on le veut), il faudrait plutôt dire que Jean et Jésus étaient cousins issus de germains (ou germaines?). Mais bon, cousins peut faire l’affaire.
Les feux de la Saint-Jean
L’opération de christianisation de la fête païenne du solstice d’été réussit. Mais un élément important des anciennes traditions subsistera : les feux.
La tradition d’allumer des feux pour célébrer le solstice d’été remonte à l’ère préchrétienne.
Jusqu’à Louis XIV, le roi de France participait au rituel en allumant lui-même le feu de la Saint-Jean à Paris, à la place de la Grève, l’actuelle place de l’Hôtel-de-Ville.
Les colons français qui arrivent en Nouvelle-France apportent tout naturellement leurs coutumes et leurs fêtes religieuses.
En 1606, le poète, historien et voyageur Marc Lescarbot était à bord du Jonas qui transportait des colons en Acadie. Dans son long poème Adieu à la France, Marc Lescarbot raconte que le jour de la Saint-Jean se passe dans la réjouissance en raison de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve.
Deux ans auparavant, Samuel de Champlain, en voyage exploratoire en Acadie, avait donné le nom de Saint-Jean à une rivière reconnue le 24 juin. C’est le fleuve Saint-Jean du Nouveau-Brunswick, que les anglophones appellent Saint John, nom duquel les loyalistes baptiseront la ville qu’ils fonderont à l’embouchure de ce grand cours d’eau.
La Saint-Jean «exportée» au Canada
La tradition des feux de la Saint-Jean est bien présente au début de la colonie du fleuve Saint-Laurent qui deviendra le Québec. Par exemple, la veille du 24 juin 1636, le gouverneur Montmagny consacre un bucher.
La pratique semble s’essouffler par la suite, jusqu’à ce que l’évêque de Québec, Mgr de Saint-Vallier en fasse une fête chômée en 1694.
Mais c’est vraiment en 1834 où la popularité de la Saint-Jean prendra un élan.
Depuis 1977, au Québec, la fête de la Saint-Jean-Baptiste est devenue la fête nationale.
Cette année-là, à Montréal, on fonde l’association Aide-toi et le ciel t’aidera (inspiré d’une association française du temps de la révolution de Juillet), qui deviendra la Société Saint-Jean-Baptiste. Le groupe a notamment comme but de doter les Canadiens français d’une fête nationale et d’y associer des célébrations comme le font déjà depuis 10 ans les Irlandais à Montréal lors de la Saint-Patrick. Si c’est bon pour pitou, c’est bon pour minou.
C’est donc tout naturellement que le 24 juin sera choisi comme fête patriotique pour la «nation» canadienne-française. Elle le deviendra véritablement dans les années et décennies à venir alors que les francophones de l’Ontario et de l’Ouest l’adopteront.
L’exception acadienne
Ce ne sera cependant pas le cas en Acadie. La première Convention nationale acadienne, en 1881, porte en grande partie sur le choix des symboles d’un peuple qui commence tout juste à se remettre de la Déportation du XVIIIe siècle.
Tintamarre en 2019. En Acadie, la fête nationale se célèbre le 15 aout ; la Saint-Jean-Baptiste y a une bien moindre importance.
Le débat sur la fête nationale est houleux. Il y a le camp du 24 juin et celui du 15 aout, fête de l’Assomption.
À cette époque, les Acadiens ne sont «Canadiens» que depuis 1867. Ils se sentent frileux (et le sont toujours) d’épouser l’identité «canadienne-française», de peur que leur identité soit noyée.
Finalement, le 15 aout l’emportera. Le tintamarre, les casseroles et les cuillères en bois viendront plus tard.
En 1908, c’est la consécration : le pape Pie X déclare que saint Jean-Baptiste est le «patron spécial auprès de Dieu des fidèles Franco-Canadiens, tant de ceux qui sont au Canada que ceux qui vivent sur une terre étrangère». Pratique d’avoir un patron qui te suit partout!
Le gouvernement du Québec fait un pas de plus en 1925 en faisant du 24 juin un jour férié. Encore un pas, un petit pas.
La coupure
Affiche de la «grande fête nationale des Canadiens français» à Québec, en 1880.
La Saint-Jean-Baptiste vogue sur un fleuve tranquille à l’ouest du Nouveau-Brunswick jusqu’à la fin des années 1960. C’est alors que de plus en plus de francophones du Québec, surtout les plus nationalistes ou souverainistes, rejettent l’identité canadienne-française pour épouser la québécoise.
Au fil des ans, la Saint-Jean-Baptiste devient, au Québec, non plus la fête des Canadiens français, mais celle des Québécois, ce qu’officialise en 1977 le premier ministre René Lévesque. Élu à la tête d’un gouvernement indépendantiste un an auparavant, il fait du 24 juin la fête nationale du Québec.
Depuis… on en est à peu près là. La Saint-Jean, fête nationale au Québec, lors de laquelle souverainistes et fédéralistes se tirent toujours la couverture, fête des Canadiens français à l’ouest de la rivière des Outaouais, et… fête assez insignifiante en Acadie.
Faudrait peut-être trouver autre chose…
Cette nuit-là, et les quelques jours suivants, des centaines, voire des milliers de personnes – surtout des hommes – marginalisées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ont décidé qu’elles en avaient assez d’être traitées en parias de la société.
Symbole de la fierté 2ELGBTQI+.
À quoi correspond cet éveil de conscience? Pourquoi cette volonté d’agir réprimée pendant tant d’années a-t-elle explosé à ce moment précis, dans un bar de Greenwich Village, à New York?
La répression s’abattait contre les bars gais depuis le début des années 1960 dans la plus grande ville des États-Unis. Des policiers en civil allaient jusqu’à «piéger» les homosexuels dans des bars en engageant une conversation avec eux et en arrêtant ceux qui leur proposaient de quitter les lieux ensemble.
Persécutés depuis Mathusalem
Évidemment, les États-Unis ne faisaient pas exception dans leur façon de traiter les homosexuels, victimes de persécutions depuis des temps immémoriaux.
Les grandes religions monothéistes y ont été pour beaucoup en considérant l’homosexualité comme abominable et parfois en la punissant de mort. Certaines religions ont aujourd’hui révisé leur position, d’autres pas.
Dans le monde occidental, ce n’est vraiment qu’au milieu du XXe siècle qu’on assiste à un changement de paradigme. Le Royaume-Uni donne le ton en 1957 avec le rapport Wolfenden, qui propose de mettre fin à 400 ans d’illégalité pour les homosexuels.
Le Rapport Wolfenden de 1957 préconise, pour la première fois, la décriminalisation des activités homosexuelles au Royaume-Uni.
La loi sur la bougrerie – la Buggery Act – avait été adoptée en 1533 sous Henri VIII rendant la sodomie punissable de pendaison, une sentence qui a été maintenue jusqu’en 1861.
L’interdiction de pratiquer des actes homosexuels s’est étendue par la suite dans les colonies britanniques, et certains anciens territoires du Royaume-Uni, notamment en Afrique, la maintiennent encore à ce jour.
Dix ans après le rapport Wolfenden, en 1967, le Royaume-Uni adopte une loi décriminalisant l’homosexualité.
Inspiré par ce qui se passait au pays de la reine Elizabeth II, Pierre Elliot Trudeau, alors ministre de la Justice, dépose en décembre 1967 le fameux «bill omnibus», un projet de loi pour moderniser le Code criminel canadien, notamment en décriminalisant l’avortement et l’homosexualité.
Trudeau avait alors lancé cette phrase dont on se souvient encore : «L’État n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation.» Le projet de loi est adopté en 1969, Trudeau étant devenu entretemps premier ministre du Canada.
Malgré ces avancées, les États-Unis sont alors toujours à la traine dans l’acceptation de l’homosexualité.
En 1952, l’Association américaine de psychiatrie, dans son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, désigne l’homosexualité comme un «désordre mental» et une «déviation sexuelle» au même titre que la pédophilie. Cette «définition» n’allait être modifiée qu’en… 1974.
Pas surprenant donc qu’à la fin des années 1960, les corps policiers américains sévissaient toujours contre les bars gais.
Greenwich Village, refuge des homosexuels
À l’époque, le quartier de Greenwich Village – ainsi que celui de Harlem – à New York comptait une importante population d’homosexuels depuis plusieurs années. Et le Stonewall Inn était l’un des seuls bars où les homosexuels pouvaient se rencontrer.
Le Stonewall Inn, situé au 53 de la rue Christopher dans le quartier Greenwich Village, à New York.
Environ 98 % de la clientèle était mâle, surtout âgée de 18 ans à la jeune trentaine. On y retrouvait des hommes habillés partiellement ou totalement en femme, des transgenres, des prostitués et quelques sans-abris.
Comme plusieurs bars gais des États-Unis, l’établissement était la propriété de la mafia. Il n’avait pas de permis d’alcool. Ses propriétaires versaient des pots-de-vin à la police afin de rester en affaires.
Cela n’empêchait pas les descentes, mais les propriétaires étaient avertis au préalable par leurs contacts au sein de la police. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé dans la nuit du 28 juin 1969.
Vers une heure et vingt du matin, quatre policiers en civil et deux autres en uniforme arrivent au bar. Une fois à l’intérieur, ils verrouillent les portes. Les agents commencent à arrêter des clients et à les entasser dans leurs fourgons.
Ceux qu’ils laissent sortir se regroupent près du bar. D’autres personnes les rejoignent.
La lutte pour l’acceptation de l’homosexualité a été longue et ardue.
Puis, les policiers sortent avec une femme menottée. Celle-ci se débat avec vigueur et harangue les gens qui se sont amassés autour du bar en leur demandant pourquoi ils «ne font rien».
La colère monte dans la foule, qui a atteint maintenant entre 500 et 600 personnes. Lorsque la police jette rudement la femme dans un fourgon, tout bascule et tourne à l’émeute. Les policiers perdent le contrôle de la situation et certains se barricadent dans le bar où, peu après, un incendie se déclenche.
L’escouade tactique arrive sur les lieux, mais elle est vite dépassée par les évènements elle aussi. Les affrontements violents se poursuivent jusqu’à quatre heures du matin.
Le lendemain, d’autres affrontements éclatent avec la police au même endroit.
Trois jours plus tard, le même scénario se reproduit. Les mécontents se chiffrent alors entre 500 et 1000 personnes.
Dans les semaines qui suivent, des résidents du quartier s’organisent en groupe de revendication pour les droits des homosexuels. En six semaines, trois journaux militants gais voient le jour à New York.
Le parc devant le Stonewall Inn est consacré à la commémoration des évènements du 28 juin 1969.
Dans ce bar plein de garçons pas comme les autres, les policiers de la Grosse pomme n’avaient pas fait face à un mur de pierre, mais de béton.
Il n’y aura plus de retour en arrière. Stonewall a été un moment charnière. Le mouvement pour les droits des homosexuels et des personnes ayant d’autres orientations sexuelles prend rapidement de l’ampleur et ne s’arrêtera plus.
Le 28 juin 1970, des marches de fierté ont lieu à New York, Chicago, San Francisco et Los Angeles pour marquer le premier anniversaire des émeutes de Stonewall. D’autres villes emboiteront le pas autant aux États-Unis qu’ailleurs dans le monde.
En juin 2019, une foule estimée à cinq-millions de personnes marche à New York pour souligner le 50e anniversaire de Stonewall. À cette occasion, le chef de police de la ville a présenté des excuses officielles pour les gestes perpétrés par les forces de l’ordre lors des émeutes de juin 1969.
De quoi être fiers.
Couverture d’une des premières éditions de Hamlet de 1604.
Au Canada, la pièce Hamlet a aussi la cote. Depuis les débuts du réputé Festival de théâtre de Stratford, en Ontario, qui se tient depuis 70 ans, Hamlet est l’une des quatre tragédies de Shakespeare qui y a été présentée le plus souvent. La dernière fois remonte à 2022.
À Ottawa, Hamlet est la pièce de Shakespeare qui a été produite le plus de fois entre 1867 et 2017, soit 28.
Mais l’incidence d’Hamlet transcende sa popularité comme spectacle. La pièce a joué un rôle majeur dans le développement de la psychanalyse. Nous verrons ça plus loin. D’abord, «rétrovisons».
La première représentation d’Hamlet a lieu en 1602. Elizabeth 1re en est à la dernière année de son long règne de 45 ans comme reine d’Angleterre.
C’est une période d’incertitude politique, car la souveraine, sans enfant, refuse de nommer un successeur. (Finalement, ce sera Jacques VI d’Écosse, fils de Mary Stuart, qu’Elizabeth avait fait exécuter. C’est une autre histoire non moins intéressante…)
La pièce Hamlet, en parallèle, se déroule aussi en plein tourment de succession royale. C’est une histoire assez tordue, comme on les aime. Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on.
Portrait du fantôme du père de Hamlet, page couverture d’une édition de la pièce du même nom de 1890.
L’histoire va comme suit
Une fois c’t’un gars, comprends-tu? Le gars, c’est Hamlet, prince du Danemark. Son père meurt. Il s’appelait Hamlet lui aussi. L’oncle du gars, frère du roi, épouse assez rapidement Gertrude, la veuve, sa belle-sœur, et succède au roi. Il s’appelle Claudius. Claudius, oncle du gars, devient donc aussi son beau-père. Le fantôme du roi décédé apparait au gars (Hamlet fils) et lui révèle que c’est Claudius qui l’a tué en lui versant du poison dans l’oreille pendant qu’il dormait. Le gars prend ça plutôt mal. Son père-fantôme lui demande de le venger. Ouais, pas mal tordu.
Dans la même scène, une sentinelle du château dit : «Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark.» Bien dit. La phrase deviendra célèbre. Ce ne sera pas la seule. Le reste de la trame repose essentiellement sur la difficulté — et surtout les hésitations — qu’aura Hamlet pour exécuter la volonté de son père, notamment en simulant la folie.
Légende scandinave racontée en France
Shakespeare n’a pas inventé le personnage d’Hamlet. Eh non! L’histoire du récit et la façon dont la pièce s’est rendue sur les planches du Globe, le théâtre de Shakespeare, à Londres, est une aventure en soi.
Couverture de l’œuvre Danorum Regum Heroumque Historia, qui a été publiée à Paris en 1514 et qui contient le récit d’où Hamlet est tiré.
Vers l’an 1200, le moine et historien Saxo Grammaticus (Saxon le Grammairien, signifiant un enseignant de lettres) écrit une œuvre magistrale, La Geste des Danois (Gesta Danorum), des chroniques en 16 tomes de l’histoire médiévale du Danemark et de la mythologie nordique.
L’une de ses chroniques raconte l’histoire du roi Horvendil, assassiné par son frère Fengo. Ce dernier épouse la veuve du roi. Le fils du défunt roi, Amleth (voir ce qui arrive lorsqu’on déplace le «h» de la fin au début), laisse croire qu’il est atteint de folie afin d’avoir la vie sauve. Il finit par tuer l’assassin de son père. Presque un copié-collé non?
Ces éléments et certains autres aspects du récit se retrouveront dans l’Hamlet de Shakespeare.
L’œuvre de Grammaticus est publiée à Paris par un autre auteur danois au début du 16e siècle.
En 1572, le Français François de Belleforest traduit et adapte une partie du récit danois dans ses Histoires tragiques. Sous sa plume, Amleth devient Hamlet. Le texte, qui diffère sur certains points de l’original, prend plus la forme d’un dialogue que ce qu’avait écrit Saxo.
Il est largement attesté que Shakespeare ne connaissait pas les écrits de Saxo Grammaticus, mais qu’il s’est inspiré de la version française, traduite ensuite en anglais.
Hamlet ou la procrastination personnifiée
Si la trame d’Hamlet est célèbre, les longues hésitations du héros qui tarde à accomplir sa mission de tuer son beau-père font, depuis des siècles, l’objet d’études et d’analyses de la part des plus grands penseurs.
Ces derniers se sont notamment demandé pourquoi cette inaction occupe toute la tragédie.
William Shakespeare, génie de la littérature anglaise.
C’est ce qu’ils ont appelé l’«énigme Hamlet». Allez, c’est oui ou bien c’est non? Mais, pourquoi cette inaction? Peut-être qu’Hamlet n’avait pas envie de passer à l’acte, c’est tout. Mauvaise réponse.
Mais la vraie réponse était loin d’être simple, et elle ne l’est sans doute toujours pas. L’«énigme» a donné lieu à des hypothèses à n’en plus finir, qui sont souvent contradictoires.
Cette affaire est presque devenue une véritable obsession. En 1948, le grand comédien britannique Laurence Olivier adapte la pièce au grand écran. Le narrateur ouvre le film Hamlet en disant : «Voici la tragédie d’un homme qui ne pouvait se décider à agir.»
Le débat sur les raisons de l’inaction a fait rage particulièrement en Allemagne. L’écrivain Goethe, après avoir longuement étudié la pièce et tenté de résoudre l’énigme, en vient à la conclusion que l’inaction d’Hamlet est liée à son tempérament. Ses facultés intellectuelles très développées l’amènent à examiner toutes les facettes d’un problème.
Bref, Hamlet pense trop. On pourrait sans doute dire la même chose des experts qui ont tenté de décortiquer le personnage.
Sigmund Freud a voulu valider sa théorie du complexe d’Œdipe par le personnage d’Hamlet.
Freud ira beaucoup plus loin et attaquera le problème sous un autre angle.
Pour lui, Hamlet est la personnification même du complexe d’Œdipe, la théorie que le neurologue autrichien a développée et qui deviendra centrale à la psychanalyse.
Selon Freud, l’inaction d’Hamlet s’explique par ses sentiments amoureux envers sa mère qu’il a refoulés depuis son enfance. Hamlet ne peut se résoudre à tuer l’homme qui a réalisé ce qu’il voulait faire.
Comme Œdipe qui avait résolu l’énigme du Sphinx, Freud résout enfin l’énigme d’Hamlet. L’affaire est ketchup. Être ou ne pas être, dit Hamlet. Il aurait tout à fait pu dire «agir ou ne pas agir».
Ah oui. Finalement, à la toute fin de la pièce, Hamlet reçoit un coup d’épée empoisonnée qui le fera mourir. Mais avant de trépasser, il tue Claudius. Tout est bien qui finit mal.
La coupe Stanley, photographiée en 2015, objet de convoitise des hockeyeurs de ce monde.
La renommée du trophée est telle que, contrairement à bien d’autres championnats de sports d’équipe, celui du hockey porte le nom même de sa coupe.
Alors que le baseball a ses séries mondiales, que le football a le Super Bowl et que le basketball a le championnat de la NBA, la Ligue nationale de hockey (LNH), elle, a ses séries de la Coupe Stanley.
Le trophée mythique a connu une vie mouvementée. Volé, oublié, trimbalé sans permission, certains joueurs ont dormi ou même pris une douche avec lui.
Le légendaire ailier des Canadiens de Montréal, Maurice Richard, s’est cassé deux dents en buvant à même la coupe. Ce trophée est aussi allé deux fois en Afghanistan pour rendre visite aux soldats canadiens.
Mais le mot qui décrit sans doute le mieux la coupe Stanley est : convoité. Depuis des décennies, elle fait rêver les jeunes joueurs. Malheureusement, il y a beaucoup d’appelés, mais très peu d’Indiana Jones qui ont pu toucher au saint Graal. Ou d’avoir un Mistral gagnant.
Centre-trente ans à «sentir» la coupe
À tout seigneur tout honneur! Le mot est juste puisque c’est à un lord, britannique de surcroit, que l’on doit le trophée et son nom.
Frederick Arthur Stanley, alors gouverneur général du Canada, est à l’origine de la coupe qui porte son nom.
Qui est le père de la coupe des coupes? Frederick Arthur Stanley, 1er baron Stanley de Preston, 16e comte de Derby. Espérons qu’il ne signait pas ainsi ses chèques! Heureusement, on en viendra à l’appeler plus simplement lord Stanley.
Fils d’un premier ministre britannique, secrétaire aux colonies, il est nommé gouverneur général du Canada en 1888. Il n’était pas membre de la classe moyenne.
Avec son épouse et quatre de ses enfants (ils en auront dix), il arrive à Québec, où se trouve la seconde résidence du gouverneur général, après Rideau Hall à Ottawa. Son épouse, lady Constance Villiers, écrit peu après à sa sœur, lui disant que «Frederick a fait une très grande et bonne impression par son français».
Tout cela est bien intéressant, mais revenons à notre sport national. La crosse? Non, le hockey, enfin en hiver. (Oui, officiellement – il y a une loi pour ça).
Lors de son premier hiver au Canada, lord Stanley assiste à un match de hockey et commence à s’intéresser à ce sport inconnu dans son pays. Quelques années plus tard, il fait forger un bol en argent à Londres – ce qui lui coute une cinquantaine de dollars – afin qu’il soit remis chaque année à la meilleure équipe de hockey du Canada.
La future coupe arrive au Canada au début de 1893. Elle est alors baptisée la «Dominion Hockey Challenge Cup», mais rapidement on commencera à l’appeler la coupe Stanley.
La première équipe à remporter le trophée est le Montreal Hockey Club, affilié à l’Association athlétique amateur de Montréal, il y a 130 ans cette année.
La renommée – et la taille – de la coupe prend de l’ampleur
Le joueur des Maple Leafs de Toronto, Syl Apps, tient la coupe Stanley en 1942 avec ses multiples bases ajoutées au fil des ans et qu’on surnommait «tuyau de poêle».
C’est aussi lord Stanley qui fait ajouter, sous le bol, une base circulaire pour y faire graver le nom des joueurs de l’équipe championne. Les Wanderers de Montréal seront la première équipe à le faire, en 1907. Une longue tradition, assez particulière dans le sport professionnel, est ainsi née.
En 1916, une autre tradition entourant la coupe s’installe : pour la première fois y sera gravé le nom des joueurs des Canadiens de Montréal. L’équipe répètera l’exploit 23 autres fois, plus que toute autre formation.
Faut-il rappeler que la dernière victoire de la Coupe Stanley des Canadiens remonte à 1993, soit il y a 30 ans? Oui, même si ça fait mal.
Mais bientôt, la coupe déborde… de noms. On y ajoute alors une base, puis une autre, puis une autre… si bien qu’au milieu des années 1940, elle devient encombrante et assez lourde, même pour des gaillards de 6 pieds et 2 pouces et de 240 livres. (L’équivalent en métrique est omis volontairement.)
Trois coupes valent mieux qu’une tu l’auras
En 1948, la coupe Stanley est remodelée pour lui donner meilleure allure et en 1958, les bases accumulées sont remplacées par cinq grandes bandes qui forment des anneaux.
La première coupe Stanley, en 1893, était véritablement… une coupe. Depuis les années 1960, elle repose au Temple de la renommée du hockey, à Toronto.
Mais le vieux bol de lord Stanley de 1893 prend de l’âge et devient fragile, comme la vie. Dans les années 1960, on décide de le remplacer par une copie ; l’original est placé au Temple de la renommée du hockey, à Toronto, d’où il ne bougera plus.
Et de deux.
La coupe qui est alors remise à l’équipe championne ressemble à celle d’aujourd’hui, avec la réplique du bol, les petites bases originales et les cinq grands anneaux sur lesquels est inscrit le nom des joueurs et des membres de l’organisation des équipes championnes.
Afin que la coupe ne s’allonge pas de nouveau, chaque fois que le grand anneau inférieur est plein, on retire celui du haut et on ajoute une nouvelle bande au bas. Les anneaux retirés sont également exposés au Temple de la renommée. Voilà d’où vient l’expression : n’en jetez plus, la coupe est pleine. Non c’est faux.
En 1993, une réplique de la deuxième coupe est fabriquée. C’est la coupe de rechange. Elle est exposée au Temple de la renommée lorsque la coupe officielle se balade, de façon à ce que les visiteurs du musée puissent toujours la voir.
Et de trois.
Les Canadiens de Montréal est l’équipe qui a remporté le plus souvent la Coupe Stanley, soit 24 fois.
Pour résumer : le bol original est au Temple ; la troisième coupe Stanley, également au Temple, est une copie de la coupe remise aux champions de la LNH, dont le bol est lui-même une réplique de l’original. Vous me suivez?
Fait important : Henri Richard, jeune frère de Maurice Richard (15 ans et dix centimètres le séparent du «Rocket»), membre aussi des Canadiens, est le joueur qui l’a gagné le plus souvent, soit 11 fois. Un autographe SVP!
Il faut aussi savoir que la coupe Stanley n’a pas été remise à deux reprises : en 1919, en raison de la grippe espagnole, et en 2005, à cause de la grève des joueurs. Même la COVID-19 n’a pu empêcher les séries.
Enfin, treize femmes ont leur nom gravé sur la coupe ; elles en tant que membres d’organisations championnes.
P.-S. – Une coupe, ça ne sent pas vraiment grand-chose. Lorsqu’elle est propre.
Comme aurait pu le dire la Sagouine, «j’pensions point que j’savions si peu de choses sur les pensions du Canada»…
Quel meilleur endroit que les «vieux pays» pour inventer les pensions de retraite? Rendons à César ce qui appartient à César : c’est au pays du Kaiser qu’on attribue le premier régime de retraite moderne.
De 70 à 65 ans
On attribue à l’homme fort de l’unification allemande, Otto von Bismarck, la paternité du premier régime moderne de pensions de vieillesse.
Auteur de l’unification de l’Allemagne, Otto von Bismarck, le chancelier vainqueur de Napoléon III, veut contrer la montée du marxisme et du socialisme dans son pays. Ironiquement, il le fera en établissant, au début des années 1880, des programmes… sociaux.
La petite histoire veut que Bismarck ait consulté ses conseillers pour savoir à quel âge il pourrait fixer la retraite pour ne pas qu’elle coute trop cher à l’État. Ils lui ont répondu : 65 ans. Alors, il l’a fixée à 70 ans! À noter qu’à l’époque, l’espérance de vie était de 45 à 50 ans. Pas bête le Bismarck.
L’âge de la retraite en Allemagne sera ramené à 65 ans pendant la Première Guerre mondiale, alors que les hommes risquaient davantage de mourir au front que de vieillesse.
En France, le régime de retraite général est mis en place en 1930, mais son «ancêtre», une pension pour les marins, avait été créé en 1673 par Colbert, premier ministre de facto sous Louis XIV.
Un an après le début de la Révolution française, en 1790, une caisse de retraite des fonctionnaires de l’État est créée. Mais encore là, il était sans doute probablement plus facile de toucher la lame de la guillotine que la pension…
De son côté, en 1908, le Royaume-Uni instaure un régime de pensions pour les personnes de plus de 70 ans.
Et les États-Unis suivront, loin derrière, en 1935.
Le Canada
En 1908, le Dominion (on disait aussi «Puissance», en français) du Canada, qui était encore le Tanguy du Royaume-Uni, entre dans la danse. Il lance un programme qu’il nomme les «Rentes sur l’État».
Avant l’arrivée des régimes de pensions de retraite et de vieillesse, la pauvreté chez les ainés pouvait être extrême.
Les particuliers peuvent ainsi se préparer financièrement à leur retraite en achetant une «rente». Toutefois, peu nombreux sont ceux qui avaient alors les moyens de participer à ce régime.
Pourtant, de plus en plus d’ainés sont démunis et doivent vivre aux crochets des familles, qui ont peine à les soutenir. Plusieurs connaitront une fin de vie très difficile. Certains seront obligés de mendier ou d’aller finir leurs jours dans un asile des pauvres.
Cette nouvelle réalité sociale suscite des discussions politiques sur le besoin d’un vrai programme d’aide pour les personnes âgées et les retraités.
En 1927, le Canada établit la «pension de vieillesse», comme on l’appelle communément encore aujourd’hui. Instaurée par le gouvernement de Mackenzie King, la pension est financée à parts égales par le fédéral et les provinces.
Comme ce genre d’aide sociale relève des compétences provinciales conformément à la Constitution, ce sont les provinces qui l’administrent.
Loin de la «Liberté 55»
À l’époque, la pension maximale au Canada s’élevait à 20 $ par mois. Pour y avoir droit, il fallait avoir au moins 70 ans, avoir un revenu annuel de moins de 365 $ et être sujet britannique. Le Canada était toujours un «Tanguy» à l’époque.
Il est important de noter que les Autochtones ayant le statut d’«Indiens inscrits» étaient exclus du programme.
La création de la pension était un petit pas, mais un pas quand même. Ce premier programme amorcera toute l’évolution de l’aide aux retraités et aux ainés qui suivra.
Le rêve d’une retraite dorée, est-ce possible avec la pension des ainés?
Fait intéressant, seize ans avant le premier programme de pension de vieillesse canadien, Terre-Neuve, alors toujours une colonie (et Tanguy aussi) du Royaume-Uni, avait mis sur pied un plan d’aide aux ainés.
Le programme terre-neuvien n’était offert qu’aux particuliers de 75 ans et plus, et contrairement aux programmes similaires en Occident, seulement aux hommes. Le montant accordé s’élevait à 50 $ par année, mais le nombre de bénéficiaires, au départ, était plafonné à 400 $, peu importe si davantage d’hommes y étaient admissibles.
Les pensionnés devaient également subir une enquête sur leurs besoins financiers avant d’avoir droit à cette aide.
Le programme canadien de 1927 imposait aussi une enquête, une mesure qui sera jugée humiliante. Cet «examen des ressources» pouvait être assez intrusif. Les autorités calculaient les revenus, les avantages — comme un logement — et même les repas gratuits.
En 1951, les provinces acceptent d’accorder au fédéral la gestion du programme, rebaptisé «Sécurité de la vieillesse» et maintenant offert aux «Indiens inscrits».
La même année, un autre programme, l’assistance vieillesse, voit le jour pour les personnes âgées de 65 à 69 ans.
Et voilà le Régime de pensions du Canada
C’est en 1965 qu’est créé le Régime de pensions du Canada, un programme financé uniquement par les employés et les employeurs. Au même moment, le Québec lance son propre programme, le Régie des rentes du Québec.
Les régimes de pensions ne sont souvent pas suffisants pour une retraite aisée.
La Sécurité de la vieillesse demeure en place, mais l’âge minimum sera graduellement abaissé à 65 ans. Entretemps, on y ajoute un nouveau volet, le Supplément de revenu garanti, pour fournir un montant supplémentaire aux prestataires de la Sécurité de la vieillesse plus démunis.
Encore un pas. Un petit pas. (Il y en aura un autre en 1969, mais aucun rapport.)
Puis, des changements et améliorations se sont succédé : allocation au conjoint (1975), admissibilité des Autochtones (1988), des couples de même sexe (2000).
En 2019, Ottawa annonçait que les cotisations allaient augmenter, mais aussi les prestations. Depuis ses tout débuts, les prestations du Régime de pensions du Canada représentaient en moyenne le quart du revenu du travail. D’ici 2025, les montants reçus équivaudront au tiers du revenu du travail.
À cela s’ajoutent évidemment les pensions de l’employeur, s’il y en a, les REER et CELI de ce monde, les investissements – encore une fois s’il y en a – et autres.
Là-dessus, on vous souhaite le paradis fiscal à la fin de vos jours. Asteure, j’pensions que j’étions plus smart à la fin qu’au début. J’pensions, mais j’étions point sûr. Dixit la Sagouine.
Que ce soit comme journaliste, autrice, conférencière ou autre, Robertine Barry a défendu la condition féminine.
Mais ce n’est pas avec sa voix que Robertine Barry ébranlera les colonnes du temple de la société patriarcale dans laquelle elle vivait, mais avec sa plume, sous le nom de Françoise.
Réputée être la première canadienne-française à gagner sa vie comme journaliste, cette célibataire libre-penseuse, vivant dans un monde conservateur sur lequel l’Église exerce encore une grande emprise, ira complètement à l’encontre de l’idéal féminin de l’époque, selon lequel elle aurait dû être une épouse et une mère dévouée.
Les mots, qui ont été l’épée par laquelle cette féministe avant l’heure a revendiqué une meilleure condition pour les femmes, ont été présents dès sa jeune enfance.
Robertine grandit dans une famille à l’aise. Née à L’Isle-Verte, au Québec, en 1863, elle était neuvième de treize enfants. Elle se plonge très jeune dans les œuvres de La Fontaine, puis de Hugo, de Lamartine et même des sœurs Brontë.
Après l’école primaire, Robertine ira parfaire son éducation classique au couvent Jésus-Marie à Trois-Pistoles, puis chez les Ursulines à Québec.
Le voile ou la plume?
Fondateur et directeur du journal La Patrie, Honoré Beaugrand donnera à Robertine Barry sa première chance comme journaliste.
À son retour de Québec à Trois-Pistoles, où sa famille s’est installée, elle songe un moment à devenir religieuse comme sa sœur Évelyne.
Sur les conseils de son père, elle part à Halifax pour y enseigner la musique dans un couvent, question de voir si elle a la vocation. La réponse sera non.
Elle décide alors de tenter sa chance à l’écriture, et particulièrement au journalisme. Mais le risque est grand, car en son temps, très peu de femmes peuvent vivre de ce métier.
Elle sollicitera plusieurs éditeurs et essuiera plusieurs refus, jusqu’à ce qu’elle rencontre, en 1891, Honoré Beaugrand, directeur fondateur de La Patrie, l’un des grands journaux canadiens-français de l’époque.
Beaugrand est bien connu pour ses idées libérales radicales et anticléricales. Il embauche Robertine, mais surtout, il ne la confine pas aux pages féminines comme c’était la coutume à l’époque.
Robertine devient Françoise
Robertine Barry va alors déployer ses ailes. Elle prend le nom de plume de Françoise, en l’honneur de saint François de Sales. Dès ses débuts, elle revendique le droit des filles à l’instruction et s’en prend aux mentalités conservatrices.
Ella connaitra bientôt une certaine notoriété avec sa «Chronique du lundi» qu’Honoré Beaugrand publie en première page du journal.
Françoise s’en donne à cœur joie. Ses textes portent, entre autres, sur le droit de vote des femmes, le besoin d’interdire juridiquement le travail des enfants, la mise en place de refuges pour les femmes victimes de violence et l’éducation laïque.
Recueil de certains numéros de la «Chronique du lundi» de Françoise, parue dans le journal La Patrie.
Elle réclame même pour les femmes l’accès à l’université et le droit d’exercer les mêmes professions que les hommes. La décrire comme une avant-gardiste serait un euphémisme.
Ses prises de position vont à l’encontre de plusieurs personnalités en vue, dont Henri Bourassa, futur fondateur du journal québécois Le Devoir et antiféministe. Certains, par dérision, l’appellent d’ailleurs «Monsieur».
Écrite à la première personne, sous la forme d’une conversation, mélangeant digressions, anecdotes et humour, la «Chronique du lundi» sera publiée jusqu’en 1900. Françoise publiera à compte d’auteur un recueil regroupant ses chroniques du début de sa carrière.
Pendant ces années, elle écrira aussi pour d’autres journaux et magazines montréalais, comme Le Coin du feu, le Bulletin, le Franc Parler, la Femme et plusieurs autres.
Représentante du Canada à des expositions universelles
La réputation de Françoise ne fait que grandir. Avec une autre pionnière journaliste canadienne-française, Joséphine Dandurand (née Marchand), elle sera représentante des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris en 1900.
Elle sera également déléguée aux expositions universelles de Saint-Louis au Missouri en 1904 et de Milan en 1906. Lors de ce dernier voyage, elle aura d’ailleurs une rencontre officielle avec le pape Pie X.
Le voyage à Paris mettra fin à sa collaboration avec le journal d’Honoré Beaugrand. De retour à Montréal, elle est atteinte de la fièvre typhoïde, mais rien n’arrête cette femme d’une énergie et d’une détermination hors du commun.
Une fois remise de sa maladie, elle fonde en 1902, avec ses propres économies, Le Journal de Françoise, qu’elle dirigera jusqu’en 1909 et qui restera son œuvre majeure. Plus de 500 collaborateurs signeront des textes dans cette publication, dont certains noms réputés tels qu’Émile Nelligan.
Une amitié intime
Puisqu’on en parle, ouvrons une petite parenthèse sur les liens entre l’auteur de Soir d’hiver et du Vaisseau d’or et Françoise.
Dès 1999, des murmures se font entendre voulant que le poète soit épris de la journaliste, de 16 ans son ainée. Françoise, qui est une amie de sa mère, accueille Nelligan à plusieurs reprises chez elle à Montréal. Il lui récite de ses poèmes et se confie en elle ; elle lui donne des conseils.
On ne sait pas jusqu’où ira cette relation, mais Nelligan évoquera Françoise dans plusieurs poèmes enflammés, dont Rêve d’artiste, dans lequel il la nomme «sa sœur d’amitié». Puis, une brouille s’installera entre les deux.
Robertine Barry, dite Françoise, s’engage aussi dans des regroupements féminins, dont en tant que vice-présidente du Canadian’s Women Press et présidente de l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises.
Premier conseil d’administration de Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, dont Robertine Barry (en bas, à droite) a été cofondatrice.
Elle fera partie en 1907 du premier conseil d’administration de la première association féministe canadienne-française, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste.
Elle participera aussi à la fondation d’un premier collège classique féminin qui deviendra le Collège Marguerite-Bourgeois.
Elle n’arrête pas d’écrire pour autant. Elle écrira notamment une pièce de théâtre, Méprise, en 1905. Le premier ministre canadien Wilfrid Laurier viendra à Montréal pour la voir.
Après la fermeture du Journal de Françoise, en 1909, la dépression la guette. Elle fait un dernier voyage à Paris et meurt quelques mois après son retour, le 7 janvier 1910. Elle avait 46 ans.
Elle aura été célibataire toute sa vie. Robertine Barry, dite Françoise, a beaucoup écrit sur la question pour souligner la liberté que le célibat lui apportait. Un jour, dans son journal personnel, elle a écrit : «Je ne suis pas de celles qui considèrent le mariage comme le but vers lequel doivent tendre les plus nobles efforts de toute une vie.»
Quelqu’un d’autre écrira, bien plus tard : la femme est l’avenir de l’homme.
L’homme derrière ce premier guichet était un ingénieur écossais du nom de John Shepherd-Barron. Pour la petite histoire, on raconte qu’un vendredi de 1965, il a fait face à des portes closes, à la banque, alors qu’il voulait retirer de l’argent. Situation pour le moins gênante pour ce dirigeant de la société De La Rue, qui entre autres, imprimait des billets de banque…
C’est à la succursale d’Enfield de la banque Barclays qu’a été inauguré le premier guichet automatique du monde, le 27 juin 1967.
Assez contrarié, il rentre chez lui. Alors qu’il prend un bain, il réfléchit à tout ça et paf!, c’est la révélation : si on peut le faire pour les barres de chocolat, on peut aussi le faire pour des billets de banque! Il faut croire que, dans son bain, John Shepherd-Barron ne jouait pas au sous-marin. De La Rue s’associera à la Barclays pour écrire l’histoire.
Mais il s’en est fallu de peu pour que la Barclays se fasse damer le pion.
Quelques jours après l’ouverture du premier guichet, la suédoise Uppsala Sparbank, inaugurait, le 6 juillet 1967, un distributeur de monnaie (nommé Bankomat) mis au point par la société Metior. Presque en même temps, une autre banque britannique, la Westminster Bank, mettait en fonction son distributeur.
Comme on le voit, plusieurs personnes planchaient en même temps sur cette idée, dont des inventeurs aux États-Unis, où le premier guichet entrera en activité le 2 septembre 1969, dans une succursale de la Chemical Bank à New York.
Vu longtemps comme «l’inventeur» du guichet automatique, John Shepherd-Barron est décoré en 2005 de l’Ordre de l’Empire britannique pour son exploit. C’est alors que son titre d’inventeur sera contesté par James Goodfellow.
Écossais lui aussi, Goodfellow est le cerveau derrière le guichet de la Westminster Bank. Et il a un brevet du 2 mai 1966 pour le prouver.
D’ailleurs, on le considère également comme l’inventeur du NIP (numéro d’identification personnel), qui permet à une personne d’avoir une carte unique pour accéder aux guichets. Shepherd-Barron soutiendra aussi être l’inventeur du NIP. C’est cela, oui.
Interrogé sur son rival écossais en 2005, Shepherd-Barron dira que ce qui le démarque de Goodfellow est qu’il a mis au point tout le système des guichets automatiques. Selon lui, la machine de son rival était un «échec élégant». Et les gants étaient jetés.
La confusion au Canada aussi
Qu’en est-il au Canada? Qui a gagné la course au premier guichet automatique? C’est selon.
En fait, deux histoires contradictoires circulent.
La CIBC a été la première à mettre en service un guichet automatique au Canada, en 1969. Ou peut-être pas selon la coopérative Sherwood Credit Union de la Saskatchewan.
D’un côté, il y a la CIBC qui revendique la palme. Le premier guichet de cette banque a été mis en service le 1er décembre 1969 à Toronto. Les clients pouvaient retirer un maximum de 30 dollars, ce qui permettait à l’époque d’acheter probablement une voiture, un chalet et toute la collection des Beatles. Petite exagération.
De l’autre côté, alors que l’on trouve bien des références corroborant cette première place, d’autres sources renvoient plutôt à la coopérative saskatchewanaise de crédit Sherwood Credit Union (maintenant Conexus).
L’Encyclopédie de la Saskatchewan explique que les deux guichets de cette coopérative à Régina ont ouvert en… 1977, soit bien après celui de la CIBC et, d’ailleurs, celui du Québec en 1972.
Malheureusement, il a été impossible pour Le Rétroviseur de faire la lumière sur cette épineuse question. Disons seulement qu’il serait étonnant que les premiers guichets soient apparus au Canada si longtemps (11 ans) après leur invention. Disons.
À la conquête du monde
Ce qui est sans équivoque, c’est que les guichets n’ont pas pris de temps à se répandre partout sur la planète.
Combien de temps reste-t-il avant que nous chantions le requiem de l’argent comptant?
Dès la fin de 1971, environ 1000 distributeurs sont installés dans le monde. En 1997, ils prouvent leur utilité à New York lorsqu’un blizzard frappe la ville et force les banques à demeurer fermées pendant plusieurs jours. Les guichets, eux, ont fait face aux intempéries et ont pu continuer le travail. Pas de répit pour Mélanie.
Comme des lapins, les guichets automatiques se sont multipliés. De 100 000 en 1984, le nombre de guichets dépasse maintenant trois-millions d’unités, dont 70 000 au Canada. Par ici la monnaie.
Le début de la fin?
A-t-on atteint l’apogée? Les statistiques montrent qu’un déclin général s’est amorcé en 2021. Ici et là, les guichets sont… moins aguichants.
Il serait facile de penser que la pandémie est en cause, mais en fait, la baisse avait commencé à se manifester quelques années auparavant, comme en France, qui a noté une diminution de la fréquence de l’utilisation dès 2016, ainsi qu’en Belgique. Aux États-Unis, le nombre de guichets a baissé de 450 000 en 2022.
Au Canada, dans le réseau Desjardins, le guichet était en chute libre : une machine sur cinq a disparu entre 2015 et 2019. En 2018, le PDG Guy Cormier créait l’émoi en prédisant la fin du guichet en 2028!
Même des transactions en bitcoins sont possibles à certains guichets automatiques, comme celui-ci au Massachusetts.
Le coupable? De plus en plus, les transactions s’effectuent par carte de débit, carte de crédit ou autres moyens électroniques. Une tendance lourde.
Par contre, les guichets n’ont pas dit leur dernier mot pour autant et l’industrie tente de se réinventer.
Mais l’autre menace qui guette les guichets est l’avenir de l’argent comptant. Certains, comme le patron de la Deutsche Bank, John Cryan, prédisait en 2017 que «le cash n’existera probablement plus dans dix ans». Il ne reste donc que quatre ans avant sa disparition.
La question qui tue : comme la Banque du Canada a indiqué qu’il faudra attendre quelques années avant que les nouveaux billets de banque à l’effigie de Charles III soient en circulation, le nouveau monarque gagnera-t-il cette course contre la montre? Le temps, c’est de l’argent.
P.-S. – Question d’«aguicher» les partisans, 1967 est aussi la dernière année où les Maple Leafs de Toronto ont gagné la coupe Stanley.
L’orthographe rectifiée — ou la nouvelle orthographe — a 33 ans. Ce chiffre peut avoir plusieurs sens.
C’est «l’âge du Christ», disait-on souvent «dans le temps». Les opposants à l’orthographe rectifiée pourraient donc dire qu’il s’agit du moment idéal pour «crucifier» cette réforme.
L’hymne des pythagoriciens au soleil levant représente des disciples de Pythagore chantant des Vers d’Or (ou Dorés) attribués à leur maitre après sa mort.
Mais les partisans des «nénufars» de ce monde peuvent s’inspirer du fait que «33» est un chiffre sacré, selon les adeptes de la numérologie inspirés de Pythagore, ce mathématicien que l’on connait surtout pour son célèbre théorème. Un sacré numéro que ce Pythagore.
Pour terminer sur la symbolique du chiffre 33, disons que dans l’islam, tous les gens qui vont au paradis ont 33 ans à leur arrivée. Qu’importe, tout le monde veut aller au ciel, oui mais personne ne veut mourir.
Malgré cette tentative de diversion, nous devons revenir au sujet du jour.
Les prémices de l’orthographe rectifiée
En 1989, le premier ministre français Michel Rocard crée le Conseil supérieur de la langue française et lui confie, entre autres, comme mission de proposer des rectifications à l’orthographe de la langue française.
Maurice Druon a présidé la réforme de l’orthographe, il y a 33 ans.
Pour accomplir cette tâche, ô combien ingrate, le Conseil forme ensuite un comité d’experts présidé par le respectable Maurice Druon.
Pour ceux qui ne connaitraient pas Druon, résumons : tour à tour, militaire, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, écrivain (Goncourt 1948), dramaturge, gaulliste et ministre sous Pompidou, député… Un homme aux 33 métiers quoi!
Ah oui, et entretemps, il avait été élu à l’Académie française, puis en était devenu secrétaire perpétuel. Immortel et perpétuel… tout un contrat. Il est, malgré tout, mort en 2009. Pour dire… un titre, ça demeure juste un titre.
C’est donc en tant que secrétaire perpétuel de l’Académie et pour l’ensemble de son œuvre que l’immortel et perpétuel Maurice Druon pilote la grande réforme de l’orthographe.
En décembre 1990, le résultat des travaux du comité est présenté par cet auteur des Rois maudits. Des Rois maudits à l’orthographe maudite, il n’y a qu’un pas qu’il est possible de franchir sans même y penser. C’est fait.
La guerre des mots
Avant de poursuivre, impossible de ne pas jeter un petit coup d’œil dans le passé. Le présent récit ne s’appelle pas Dans le rétroviseur pour rien.
En 1694, les membres de l’Académie française remettaient au roi Louis XIV la première édition de leur dictionnaire.
Depuis des siècles, les Français se disputent entre eux sur la façon d’écrire les mots. L’arrivée de l’imprimerie soulève le besoin d’une orthographe commune. Oui, mais laquelle?
Certains défendent l’orthographe dite étymologique, qui tend à conserver des lettres qu’on ne prononce pas, afin de maintenir une trace de leur origine latine ou grecque. Par exemple, le mot «savoir» était écrit à l’époque «sçavoir», car il dérivait du latin scire. Fallait le savoir. Passons.
D’autres, comme Louis Meigret, auteur de la première grammaire française, Tretté de la grammere francoeze, milite plutôt pour une orthographe phonétique ; il était en fait le premier à dire qu’il faudrait «écrire comme on parle». Ce sera partie remise.
On retrouvait également une multitude de lettres doublées ou de lettres muettes sans que ce soit nécessaire. Des rumeurs circulent voulant que les scribes, alors parmi les rares ayant le privilège de l’écriture, en soient les grands responsables. C’est que, ces suspects numéro un étaient payés selon la longueur de leur texte. Mais ce ne sont que des rumeurs…
Et que dire du son /ε̃/ comme dans hein? En français, on l’écrit de 23 façons.
L’Académie à la rescousse
Pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm de la langue écrite, le cardinal de Richelieu fonde en 1634 (ou 1635) l’Académie française, qui a pour principale mission de «donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences».
Pour y arriver, l’Académie compilera notamment — et surtout — un Dictionnaire, dont la première édition sera présentée… 60 ans plus tard. Ces choses-là prennent du temps, que voulez-vous.
L’Académie française, 1897.
L’Académie était alors très attachée à l’orthographe «ancienne», parce qu’on pouvait y déceler l’origine des mots.
Pour François Eudes de Mézeray, l’académicien qui va plancher sur les règles à définir, il valait mieux privilégier «l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes». Disons qu’il ne serait pas très populaire de nos jours.
L’orthographe sera réformée régulièrement au fil des éditions du Dictionnaire. En 1740, plus de 6 000 mots sur les 17 500 environ que comptait l’ouvrage sont modifiés.
Par exemple, on remplace des «s» par des accents circonflexes sur la voyelle précédente (apostre-apôtre), on élimine des consonnes muettes (advocat-avocat), on remplace des «y» par des «i» (cecy-ceci), etc.
Voltaire, alors membre de l’Académie, avait convaincu ses pairs de remplacer le «oi» par le «ai» dans les mots comme françois, anglois ou j’estoi. Bonne idée.
La réforme de 1990 n’est donc que la dernière mouture d’une longue suite de modifications à la langue française.
Qu’a changé la dernière rectification?
Bof, finalement, surtout de petites choses, quoique parfois ce sont les plus petites qui dérangent le plus. Comme leadeur qui a remplacé leader. Ah oui, on l’a déjà dit. Et ognon qui a succédé à oignon. Mentionné aussi.
Allo a perdu son accent circonflexe. Chapeau! Bigbang n’a plus son trait d’union (qui n’en a pas un d’ailleurs), tout comme millepatte (qui a aussi perdu son «s» au singulier).
Entre 1 400 et 5 000 modifications ont été «proposées». Les modifications sont proposées parce qu’elles ne sont pas obligatoires ; l’orthographe traditionnelle et la nouvelle sont admises. Ouf!
L’orthographe rectifiée, disions-nous, a 33 ans. Un âge charnière. «L’année du bonheur», à en croire un sondage où la majorité des répondants (70 %) ont indiqué avoir véritablement atteint cet état de plénitude à l’âge de 33 ans.
L’avenir semble prometteur pour l’orthographe. Bonne raison pour se réconcilier avec elle…
Le roi anglais Édouard 1er s’est approprié la pierre de Scone en Écosse pour la faire transporter à Londres.
Allons-y.
Toute cette affaire date du jour où le roi d’Angleterre Édouard 1er a carrément volé la pierre de Scone. Ce genre de choses arrive.
Quelques détails plus ou moins importants ici : la pierre est faite de grès jaune. Elle mesure environ 67 cm de long sur 27 cm de large et 42 cm d’épaisseur.
Curieusement, c’est à peu près la taille d’un épagneul… Cavalier King Charles, un chien nommé en honneur du roi Charles II, qui vouait presque un culte envers cette race de chien. Bref, c’était le corgi du XVIIe siècle.
Édouard 1er était surnommé Longshanks ou «longues jambes» (il faisait 1,90 m). Les cinéphiles qui ont vu le film Cœur vaillant (Braveheart) savent que le héros William Wallace lutte héroïquement pour empêcher ce roi d’Angleterre d’envahir l’Écosse.
Divulgâchons gaiment : à la fin, William Wallace, alias Cœur vaillant, est capturé, pendu, éviscéré et écartelé. Bref, il meurt.
Après quelques années de guerre, l’Écosse obtient son indépendance de l’Angleterre, puis la perd et la regagne jusqu’à ce que le roi Jacques VI d’Écosse unisse les deux royaumes en devenant aussi roi d’Angleterre après la mort d’Elizabeth 1re, celle qui avait fait tuer sa mère, la reine Marie Stuart. La belle époque.
Chaise de couronnement et de la pierre de Scone.
Donc, avant son petit différend avec Wallace, Édouard 1er, grâce sans doute à sa haute stature, avait réussi en 1296 à «enjamber» la frontière écossaise et à envahir le pays. L’occupation est temporaire, mais Édouard — nous y voilà — parvient à dérober la pierre de Scone et à l’apporter à Londres. On lui jette la première vous savez quoi? C’était peut-être le plus grand des voleurs. Oui, mais pas un gentleman. Demandez à Wallace.
La tant convoitée pierre du destin est installée à l’abbaye de Westminster, où étaient couronnés les souverains anglais depuis Guillaume le Conquérant. Notre, hum, bon roi Édouard fait construire sur mesure un trône, qu’on appellera «chaise du couronnement» afin d’y insérer la fameuse pierre sous le siège.
C’est sur ce trône d’Édouard 1er, avec la pierre de Scone en prime, que seront couronnés tous les souverains anglais et britanniques qui suivront.
Mais pourquoi désirait-on tant ce petit bloc de roche pas plus gros qu’un épagneul pour ne plus s’en passer? Encore une fois, la réponse est dans le rétroviseur.
Un bloc vieux comme Hérode
Avant d’être dérobée, la pierre était conservée à l’abbaye de Scone (d’où son nom), où les anciens rois écossais étaient couronnés. D’ailleurs, le scone, ce petit… truc difficile à définir (ni gâteau, ni biscuit, ni pain – cake?) pourrait avoir été baptisé du nom de l’endroit.
Le Lia Fàil — nom de la pierre en gaélique — était auparavant sur l’ile d’Iona, près de la côte ouest du pays du biscuit sablé (qui, d’ailleurs, a curieusement une allure ressemblant à notre pierre).
Et avant? C’est ici où le mythe rencontre la légende, où l’Histoire laisse place aux fables.
La pierre de Scone ou pierre du destin.
Selon la tradition, la pierre de Scone tire ses origines d’une histoire biblique qui remonte à entre 1 800 et 1 500 années avant notre ère (pour dire vrai, on ne le sait pas vraiment). Vieux comme Hérode indeed!
C’est à cette époque très antique que vivait Jacob, l’un des trois patriarches de l’Ancien Testament avec son père Isaac et son grand-père Abraham. Un jour, Jacob s’endort, sa tête reposant sur une… pierre, d’où le surnom d’«oreiller de Jacob» qu’on donne parfois à la fameuse roche.
Pendant son sommeil, Jacob voit en songe une échelle qui monte jusqu’au ciel, et sur laquelle des anges montent et descendent. Voilà pour la partie biblique.
De là, la pierre de Jacob emprunte différents chemins selon les légendes. L’une d’elles veut que l’objet désormais sacré ait abouti en Égypte et, de là, ait été transporté en Sicile, puis en Espagne et enfin en Irlande. On aurait installé la pierre sur la mythique colline de Tara, où les anciens rois irlandais étaient acclamés. Puis, un souverain irlandais, Fergus Mor, l’aurait apportée en Écosse. Allez savoir pourquoi! Jacob le sait peut-être.
Selon un autre récit, une princesse égyptienne nommée Scota, descendante de Moïse, aurait transporté la pierre dans un pays à qui elle a donné son nom : Scotland (Écosse).
Mais depuis, les géologues ont prouvé que la pierre provenait d’une carrière de la région de Scone et non de la Judée… Quand la science vient gâcher une belle histoire.
Et c’est pas fini…
Retour vers le futur : après avoir reposé tranquillement pendant des centaines d’années à Londres, la pierre vivra quelques péripéties.
Le Canada a un peu de pierre de Scone dans son histoire.
Lors du bombardement allemand de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, la pierre a été retirée et cachée dans un endroit tenu secret.
Craignant le pire, les responsables de la pierre ont envoyé au Canada des plans indiquant son emplacement au premier ministre canadien de l’époque, William Lyon Mackenzie King, ainsi qu’au lieutenant-gouverneur de l’Ontario. Très «tripatif».
Et ça continue…
Comme ses prédécesseurs royaux de longue date, Charles III sera couronné sur la pierre de Scone.
En 1950, aux petites heures du jour de Noël, quatre étudiants écossais nationalistes, avec à leur tête un certain Ian Hamilton, réussissent à pénétrer dans l’abbaye de Westminster et dérobent la pierre pour la ramener à son ancienne patrie. Mais trois mois plus tard, la pierre au curieux destin est ramenée à Londres. Les étudiants ne seront pas poursuivis.
Toutefois, en 1996, 700 ans précisément après le larcin d’Édouard 1er, justice est enfin faite : la pierre de Scone est formellement remise à l’Écosse.
Elle trône depuis dans la «salle de la couronne» au château d’Édimbourg. L’Écosse, bon prince, a accepté de la «prêter» à la famille royale et de l’expédier à Londres pour le couronnement de ce bon vieux roi Charles.
Qui sait cependant ce qui pourrait se passer pendant le trajet? Si jamais, par malheur, quelque chose devait arriver à la pierre avant le couronnement, pas de panique! Un épagneul Cavalier King Charles pourrait très bien faire l’affaire.