le Jeudi 18 septembre 2025

Ce récit est divisé en deux parties. En voici la première.

La maison familiale des Webster à Shediac, construite par le père J. Clarence Webster. Elle existe toujours. 

Photo : Gracieuseté Collection famille Webster

Né à Shediac, près de Moncton, d’une famille aisée, William Lusk Webster n’a jamais – jusqu’à sa mort – voulu parler ouvertement de son rôle dans l’effort scientifique sans précédent qui a mené à l’arme nucléaire. Peut-être était-il perturbé par l’aboutissement du projet Manhattan. Peut-être souhaitait-il que sa participation demeure la plus discrète possible, préférant une vie loin des projecteurs.

Ce que l’on sait de son histoire provient de nombreuses lettres, de comptes rendus dans quelques livres et documents sur l’aventure nucléaire et aussi d’«enquêtes» effectuées à son propos.

Voyons cela de plus près.

John Edward Belliveau, originaire de Moncton, était journaliste pour le Toronto Star au Québec. On se souviendra de lui notamment pour avoir écrit une série d’articles et un livre sur la célèbre «affaire Coffin».

Le parcours scientifique de William Lusk Webster, originaire de Shediac, au Nouveau-Brunswick, demeure nébuleux. 

Photo : Auteur inconnu, vers 1970, Musée du Nouveau-Brunswick, 1989.103.216

À l’été 1979, ce journaliste publie dans le magazine Atlantic Advocate un récit en deux parties sur la vie de William Lusk Webster : «Atomic Superspy» (Le super espion atomique). Bon, le titre en beurrait un peu épais.

Au cours des années 1970 et après, l’historien acadien Régis Brun s’intéresse lui aussi à la vie de William L. Webster. Il rassemble dans un document une quantité impressionnante de lettres et autres références sur ce personnage.

Dans ces papiers se trouve aussi l’ébauche d’une biographie sur Webster qui n’a jamais été publiée. Les informations présentées dans ce récit proviennent en bonne partie des recherches menées par Régis Brun, dont plusieurs sont inédites.

Voici donc l’étonnante histoire de William Lusk Webster.

Un étudiant brillant

Son père était John Clarence Webster, un anglophone originaire de la petite ville acadienne de Shediac, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Sa mère, Alice Lusk, était américaine et issue d’une famille fortunée de New York.

J. Clarence Webster était médecin gynécologue et auteur de manuels de médecine. À l’époque, la famille Webster vivait à Chicago, mais passait presque tous les étés à Shediac, où William vient au monde en 1903. En 1919, la famille déménage pour de bon à Shediac.

Le Laboratoire Cavendish était le nom donné au Département de physique de l’Université Cambridge, qu’a fréquenté William Lusk Webster et de nombreux scientifiques célèbres. 

Photo : 1911, Popular Science Monthly, vol. 78, Wikimedia Commons, domaine public

William a donc grandi à Chicago jusqu’à ce qu’il entreprenne des études supérieures au Victoria College de l’Université de Toronto, puis au prestigieux Trinity College de l’Université de Cambridge, en Angleterre. C’est à Cambridge qu’il obtient un doctorat en physique en 1926, à l’âge d’à peine 23 ans.

C’est aussi à Cambridge qu’il côtoiera des scientifiques de grand renom, qui joueront un rôle dans les recherches qui mèneront à la fabrication de la bombe atomique et avec qui Webster travaillera.

Parmi ces scientifiques, il y a Ernest Rutherford, directeur du «Laboratoire Cavendish», nom donné au Département de physique de l’Université de Cambridge. Rutherford, lauréat d’un prix Nobel, est considéré comme le «père de la physique nucléaire». Sous sa direction, une équipe du laboratoire réussira une fission artificielle de l’atome, ce qui est au cœur de l’élaboration de la bombe atomique.

John Cockcroft est l’un des membres de l’équipe ayant réussi la première fission. Brillant physicien britannique lui aussi, il recevra un jour à son tour un prix Nobel. Webster s’associera de près avec lui, comme nous le verrons.

Mentionnons enfin James Chadwick, autre prix Nobel, qui a découvert le neutron, ce qui a mené à la fission nucléaire.

C’est dans un tel environnement scientifique fébrile qu’évolue William L. Webster, quoiqu’il ne soit pas directement engagé dans la recherche nucléaire à cette époque. En fait, au fil des ans, il déchante de plus en plus par rapport à la «science pure» et cherche d’autres voies professionnelles.

Problèmes psychologiques

À vrai dire, Webster est un être perturbé. Il se confie parfois dans des lettres à des collègues ou connaissances, admettant que les «troubles» qui le tenaillent sont de nature psychologique. Il est irritable, nerveux, ce qui nuit à son travail. Il hésite, doute de plusieurs choses, change souvent d’idée sur sa carrière.

En 1933, il décide qu’il a besoin d’une pause. Il se rend en Afrique du Sud et, au cours des mois qui suivent, il parcourt en voiture le continent africain du sud au nord, traversant le désert du Sahara jusqu’à Alger. De là, il se rend en France, où vit sa sœur Janet.

De retour en Grande-Bretagne à la fin de l’hiver 1934, Webster réoriente du tout au tout sa carrière et s’inscrit à la réputée London School of Economics, où il étudiera jusqu’en 1938.

Un doctorat à l’Université de Cambridge ne suffira pas pour William L. Webster. Il fréquentera ensuite la London School of Economics de 1935 à 1938. 

Photo : 1913, Jim Larrison, Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic

Petite anecdote, il y a presque côtoyé un jeune John F. Kennedy. Celui-ci s’était inscrit à cette école en 1935 et s’était rendu à Londres, mais il a dû retourner aux États-Unis avant le début des cours en raison de maladie. Il n’y retournera pas.

Pendant ses études, Webster tergiverse toujours sur son avenir. Il songe à revenir au Canada et même à se présenter comme député fédéral de Westmorland, la circonscription comprenant la ville de Shediac. Il envisage aussi de devenir professeur d’économie à l’Université de Toronto. Il finira par renoncer à ces deux projets.

Sa mère s’exaspère de l’état de son fils. Après avoir visité sa fille Janet en France puis William à Londres, en mars 1938, elle confie à une amie dans une lettre être déçue que son fils ait renoncé à revenir au Canada :

«Je comprends qu’il veuille résoudre ses ennuis personnels à sa façon, mais il a maintenant 35 ans et je pense qu’il est temps d’abandonner les théories abstraites au profit d’une expérience pratique des besoins humains. [trad.]»

L’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, en septembre 1939, marquera un tournant dans la carrière de William Lusk Webster. Ses nouvelles fonctions, plus secrètes, l’amèneront aux États-Unis et le plongeront dans l’orbite du projet de la bombe atomique.

Suite la semaine prochaine…

On ignore quand l’enfant est venu au monde. Apparence qu’il a lancé un grand cri. Et que le corps était chaud.

Des traces de changements dans les pluies des iles Galapagos reliées au phénomène El Niño ont été observées déjà il y a 2 000 ans. Certaines recherches indiquent plutôt une naissance il y a 5 000, voire 6 000 ans. C’est ce que disent des arêtes de poisson. Difficile de contredire de vieilles carcasses.

El Niño en pleine action. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Si la date de naissance est plus ou moins précise, le baptême, lui, est clair. Enfin, presque. Certains affirment que le nom est apparu dès le XVIIe siècle. D’autres disent au XVIe siècle. Qui croire? Malheureusement, l’acte de baptême n’a jamais été retrouvé.

Ce sont les pêcheurs péruviens qui ont inventé le nom. Le phénomène survenait vers décembre, près de la période de Noël. Or, El Niño est l’un des noms que la population sud-américaine donnait à l’Enfant Jésus. Mais c’était loin d’être un don du ciel…

Au moins, au moins, on sait «pour sûr» que le phénomène – et le nom – ont été dévoilés au monde en 1920 par le physicien anglais Sir Gilbert Walker. C’est toujours ça.

Bien beau de parler d’où et de quand ça vient, mais voyons comment ça se passe.

El Niño, mode d’emploi

Les mécanismes météorologiques et atmosphériques qui mènent au phénomène El Niño sont complexes et probablement un peu ennuyants à expliquer en détail. Allons-y donc s-u-c-c-i-n-t-e-m-e-n-t.

D’abord, il y a un ralentissement – on ne sait trop pourquoi – des vents soufflant dans une grande partie de la région qui s’étend environ du nord du Mexique jusqu’au milieu du Chili.

Pêcheur péruvien en 1910 à Pacasmayo. Ce sont les pêcheurs de cette région qui ont baptisé le phénomène météorologique El Niño. 

Photo : Robert Ervin Coker, Wikimedia Commons, domaine public

Ces vents, nommés alizés, font habituellement remonter du fond de l’océan les eaux froides qui rafraichissent une bonne partie de la côte pacifique de l’Amérique du Sud.

L’absence ou la présence atténuée de ces eaux froides font que les courants chauds s’accumulent dans l’ouest du Pacifique et se dirigent vers le continent américain.

Lorsque la température de l’eau de surface grimpe d’au moins 0,5 oC, bingo! Il est né le div… Bien, pas très divin finalement.

Ce réchauffement provoque des tempêtes qui vont retenir beaucoup d’humidité. Ces tempêtes se moquent des courants d’air, comme le courant-jet, et larguent leur trop-plein d’humidité sur les Amériques, soit sous forme de pluie, soit sous forme de neige. Ce qu’El Niño prend, El Niño redonne…

El Niño a des effets qui se font sentir partout sur la planète. Il peut provoquer de fortes sècheresses dans des régions chaudes comme l’Australie et l’Inde et entrainer un nombre supérieur d’ouragans dans le Pacifique.

En 2015-2016, l’enfant s’est fâché

C’est comme si, en 2015, El Niño s’était levé du mauvais pied. Dans certaines régions, son impact sur la météo a été tel qu’il a provoqué des épidémies.

Le voici : El Niño. Ou plutôt les températures chaudes qu’il provoque près des côtes de l’Équateur et du Pérou. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

C’est ce qui s’est passé au Colorado et au Nouveau-Mexique, où l’augmentation des précipitations et des températures a favorisé la végétation. Qui en a profité? Les rongeurs porteurs de maladies comme la peste – oui la peste – et d’autres associées à des infections virales.

N’oublions pas qu’El Niño est péruvien. Quand El Niño est fâché, lui toujours agir ainsi.

Il semble bien que le petit enfant se fâchera de plus en plus souvent. Et de plus en plus fort. Certaines études indiquent que la puissance du phénomène a augmenté de 25 % depuis le début de l’ère industrielle.

Ainsi, le phénomène El Niño se forme plus tôt et plus à l’ouest dans le Pacifique qu’avant, ce qui lui permet d’augmenter son intensité en se dirigeant vers l’est. Les occurrences d’un «super El Niño», comme celui des années 1982, 1997 et 2015, risquent d’être de plus en plus fréquentes.

Le Canada y goute également

Savantes illustrations montrant les changements atmosphériques provoqués par El Niño et La Niña. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Habituellement, le phénomène El Niño affecte le Canada en apportant du temps plus doux dans les régions côtières du Pacifique et de l’Atlantique. C’est l’inverse pour les Prairies et les régions au nord qui héritent alors d’hivers plus froids.

On enregistre par ailleurs une hausse des précipitations dans le sud de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, de même que dans les provinces de l’Atlantique. Cela peut se traduire par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, de l’érosion côtière, des inondations et d’autres épisodes météorologiques violents.

Dans la période hivernale de décembre 2015 à février 2016, le mercure a grimpé d’au moins 0,5 °C au-dessus de la normale dans toutes les provinces canadiennes.

Bref, un peu n’importe quoi. Parce que tout est la faute d’El Niño.

Et la saison des ouragans?

Normalement, El Niño contribue à une réduction du nombre de tempêtes dans l’océan Atlantique, car il amplifie les vents en haute altitude qui se dirigent vers les Caraïbes. Ces vents chauds perturbent la mouvance des vents et créent un effet de «cisaillement» qui, pour ainsi dire, «déchire» les ouragans.

Or, cette année, la température des eaux dans l’Atlantique où se forment les tempêtes tropicales atteint des niveaux records, jusqu’à 5 °C de plus par endroits. L’enfant terrible du climat n’est pas de taille à faire une différence. Pour une fois, ce ne sera pas la faute d’El Niño.

Et La Niña? Bof, on en parlera une autre fois. Pour simplifier un peu trop les choses, disons qu’elle fait tout le contraire de son frère, et parfois ses ravages sont encore pires. Mais comme c’est toujours la faute «à» El Niño, La Niña s’en sort bien.

L’affaire du père André Mercure a amené la Cour suprême du Canada à invalider toutes les lois existantes de la 

Photo : Société historique de la Saskatchewan

C’est un beau roman, c’est une belle histoire. Pardon, encore de l’ironie. En fait, les prémices de cette saga ne se déroulent pas en Alberta, mais en Saskatchewan. Le «coupable»? André Mercure. Oui, coupable d’excès de vitesse.

Dans les années 1980, ce prêtre, reconnu pour son engagement envers la jeunesse fransaskoise, conteste sa contravention et exige un procès en français.

Pour comprendre son argumentation juridique, il faut savoir qu’avant leur création comme province et leur adhésion au Canada, en 1905, la Saskatchewan et l’Alberta faisaient partie des Territoires du Nord-Ouest et de la Terre de Rupert.

Administrée par la Compagnie de la Baie d’Hudson, cette vaste région comprenait à l’époque les trois territoires actuels, la région des Prairies, ainsi que les parties nord du Québec et de l’Ontario.

Des droits linguistiques acquis?

André Mercure invoque devant le tribunal que la Saskatchewan – et par extension, l’Alberta – avait hérité de certains droits linguistiques garantis à l’époque aux francophones habitant le territoire administré par la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Ces droits, inscrits dans l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, prévoient que :

«Toute personne pourra faire usage soit de la langue anglaise, soit de la langue française, dans les débats de l’Assemblée législative des territoires, ainsi que dans les procédures devant les cours de justice ; […] et toutes les ordonnances rendues sous l’empire du présent acte seront imprimées dans ces deux langues.»

Créée par une charte royale britannique en 1670, la Compagnie de la Baie d’Hudson exploitait et administrait un vaste territoire qu’elle a fini par vendre au Canada naissant. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 2.0 Generic

Bref, un certain niveau de bilinguisme législatif et judiciaire.

Mais ces droits ont-ils été maintenus lors de la création de l’Alberta et de la Saskatchewan? Telle est la question, comme dirait Hamlet.

Après une demi-victoire, l’affaire se rend en Cour suprême du Canada. Entretemps, André Mercure meurt, mais des associations continuent son combat devant le tribunal.

Le 25 février 1988, la Cour suprême statue que l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest a bel et bien continué d’être en vigueur en Saskatchewan ainsi qu’en Alberta : les lois «doivent être adoptées, imprimées et publiées en français et en anglais», peut-on lire, et «ces deux langues peuvent être utilisées devant les tribunaux».

Cette décision signifiait qu’André Mercure avait le droit de faire usage du français lors des procédures judiciaires. Ce droit lui a été refusé. La Cour a donc annulé sa déclaration de culpabilité. Une victoire malheureusement posthume pour le curé militant.

Donc… l’Alberta et la Saskatchewan sont bilingues! Yes, oui, bonjour, hello.

Bilingues, oui mais…

Mais, mais oui, que voulez-vous, ce nouveau statut bilingue reconnu a été très éphémère.

Depuis la création de l’Alberta en 1905, l’Assemblée législative n’a adopté qu’une seule loi bilingue, celle qui a validé toutes les lois unilingues anglaises. 

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic

En fait, la Cour suprême a expliqué que ce même article 110 donnait à l’époque aux anciens Territoires du Nord-Ouest, d’où ont été constituées l’Alberta et la Saskatchewan, l’autorité de modifier leurs règlements, dont ceux de nature linguistique.

Ce pouvoir de changer les règles du jeu valait donc également pour les deux nouvelles provinces. Or, elles ne l’ont jamais fait.

Résultat : toutes les lois adoptées par les deux provinces, depuis leur création en 1905, étaient invalides. Petit problème…

Comme la justice a horreur du chaos, la Cour suprême a donné aux Assemblées législatives deux options pour régler l’affaire : traduire toutes ses lois, les adopter de nouveau et les publier en français – c’est-à-dire maintenir un certain bilinguisme – ou… adopter une loi validant toutes les anciennes lois.

Mais comme cette loi «réparatrice» devait être conforme aux statuts hérités de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, elle devait être bilingue.

La Cour suprême a elle-même souligné la particularité de cette situation : «[…] l’Assemblée législative peut avoir recours à l’expédient manifeste, voire même ironique, de l’adoption d’une loi bilingue abrogeant les restrictions que lui impose l’article 110, puis déclarant valides toutes les lois provinciales nonobstant le fait qu’elles aient été adoptées, imprimées et publiées en anglais uniquement.»

Être ou ne pas être bilingue

Un choix difficile… mais pas vraiment.

À peine un mois après l’arrêt Mercure, la Saskatchewan adopte The Language Act/Loi linguistique afin de valider les anciennes lois unilingues anglaises.

L’Alberta fera de même en juillet 1988 avec une loi similaire et un titre presque identique : Languages Act/Loi linguistique.

Dans les deux cas, ces lois concèdent tout de même certains droits aux francophones pour ce qui est de l’usage du français dans les tribunaux.

Ce prix de consolation ne plait pas à tous. En Alberta, certains vont contester la loi «bilingue» de 1988.

L’exemple le plus connu est celui de Gilles Caron et de Pierre Boutet. Comme pour André Mercure, l’affaire Caron, qui inclut l’affaire Boutet, débute par des infractions routières rédigées en anglais.

Avant leur création en 1905, l’Alberta et la Saskatchewan faisaient partie de vastes territoires nommés Terre de Rupert et Territoires du Nord-Ouest qui étaient administrés par la Compagnie de la Baie d’Hudson. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 4.0 International

Les deux hommes soutiennent que la Loi linguistique de 1988 permettant l’usage de contraventions unilingues anglaises est invalide, car les garanties linguistiques acquises avant la création de la province étaient, selon eux, de nature constitutionnelle.

La Cour provinciale leur donne raison. Évidemment, la décision sera portée devant la Cour suprême. En fin de compte, cet appel demande au plus haut tribunal du pays – avec quelques arguments différents – de modifier sa décision de 1988 dans l’arrêt Mercure.

Eh non.

La Cour suprême rejette l’affaire.

Cependant, trois juges, dont le juge en chef actuel de la Cour suprême, Richard Wagner, expriment leur dissidence et concluent que l’Alberta a l’obligation constitutionnelle d’adopter et de publier ses lois dans les deux langues officielles du pays.

L’opinion des trois juges est ferme : «Le dossier historique démontre de manière convaincante que les représentants de la population des territoires ont fait du bilinguisme législatif une condition d’annexion et que non seulement leurs homologues canadiens ne s’y sont pas objectés, mais ils ont même donné l’assurance que cette condition serait respectée.»

Deux autres juges de plus et c’était dans la poche! Mais bon, c’est plus compliqué que ça.

Publié le 19 février 2023

Sont-ils à plaindre? Peut-être, mais au moins, ça rapporte. La valeur des débarquements la saison dernière dans la plus grande zone du Canada, celle de la pointe sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, était de 375 millions de dollars. Qui dit mieux? Personne.

Désolé de vous l’apprendre, mais tout le homard que nous mangeons au Canada est un homard… américain. Rassurez-vous, de nom seulement.

La ville de Shediac, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick, se targue d’avoir le plus gros homard au monde. Le «vrai» plus gros homard pêché enregistré pesait 20 kg.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Il y a plusieurs espèces de homard dans le monde, mais deux seules sont exploitées commercialement.

Le homard qui se trouve le long des côtes atlantiques de l’Amérique du Nord porte le nom savant d’Homarus americanus, soit le homard d’Amérique. Gageons que ce n’est pas un scientifique canadien qui a pris cette décision (pari gagné – c’est un zoologiste français).

Le homard européen, souvent nommé en France le homard breton ou encore le homard bleu en raison de la couleur de sa carapace, porte le nom scientifique dHomarus gammarus.

D’homarus non grata à aliment de luxe

Il aura fallu plus de deux siècles au homard pour grimper en haut de la pyramide épicurienne.

Pour les colons européens qui arrivent en Amérique du Nord au XVIIe siècle, le homard est un plat à éviter, tout comme pour les Autochtones, qui le mangent cru à l’époque. Les carcasses du crustacé jonchent les rives et dégagent une odeur à vouloir retourner dans les vieux pays.

La guédille au homard est un régal autant au Canada qu’en Nouvelle-Angleterre.

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic

Le homard sert alors surtout d’engrais dans les champs. Puis, on le donne à manger aux engagés, aux prisonniers et aux pauvres.

À l’époque, le homard a tellement peu la cote que, pour certaines familles, c’était même une honte d’en manger, car c’était avouer qu’elles n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent.

La cuisson du homard vivant et l’arrivée du train vont populariser la consommation du crustacé, et sa forte demande va en faire un plat davantage accessible aux mieux nantis.

Les choses changent quand on s’aperçoit que le homard goûte beaucoup mieux s’il est cuit vivant. L’arrivée du train en fait une superstar fin XIXe siècle. Les restaurateurs de New York et de Boston s’en mêlent. Résultat : le homard verra sa chaire devenir… pas mal plus chère.

De la honte à la gloire, il n’y a qu’un pas que les dix pattes du homard ont franchi avec courage.

Une anatomie hors du commun

Le homard en tant qu’animal est vraiment une drôle de bibitte. D’abord, il n’a pas de nez. En fait, il «sent» avec ses pattes et ses pinces qui sont munies de plusieurs récepteurs grâce avec lesquels il peut repérer sa nourriture.

Le homard qui se trouve le long des côtes atlantiques de l’Amérique du Nord porte le nom savant d’Homarus americanus, soit le homard d’Amérique.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Ensuite, il n’a pas de dents. En fait oui, mais pas dans sa bouche. Elles sont plutôt dans son estomac – plus précisément, dans un de ses deux estomacs. S’il est vrai qu’on peut avoir l’estomac dans les talons, le homard, lui, l’a – ou plutôt les a – dans la tête, juste derrière les yeux.

D’ailleurs, cela nous mène à une autre grande révélation : la queue du homard, biologiquement, n’est pas une queue. C’est un abdomen. On y trouve d’ailleurs son intestin, cette petite veine noire qu’il ne faut pas manger.

Quant à son cerveau, n’en parlons pas. Bon, parlons-en mais brièvement. Il a la grosseur d’un pois, juste derrière les yeux, à côté donc des estomacs. Certains experts disent qu’il n’en a pas vraiment.

Plus sérieusement, une des bizarreries du homard est à envier : s’il perd une pince ou une patte, ce membre repoussera à la prochaine mue. On aimerait connaître le truc. Puis, bonne nouvelle : il a un cœur et, de surcroit, à la bonne place. Rassurant.

Le Maine et la Nouvelle-Écosse en tête de peloton

Pêcheurs de homard à la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, 1er décembre 1950. 

Photo : John Collier Jr., Archives Nouvelle-Écosse

De nature généreuse, l’Homarus americanus s’offre à nous sur le littoral atlantique, de la Caroline du Nord jusqu’au sud du Labrador.

Mais là où ça devient sérieux, c’est dans le golfe du Maine et le golfe du Saint-Laurent.

Quelques chiffres – mais pas trop :

Plus de 166 500 tonnes de homard ont été pêchées dans ce grand territoire nautique en 2020-2021. Près des deux tiers de cette manne ont été débarqués au Canada (63 %), le reste (37 %) aux États-Unis.

Les pêcheurs de l’État du Maine sont responsables d’environ 80 % du homard capturé aux États-Unis. Le crustacé y est tellement abondant que la saison de pêche est ouverte toute l’année, même pendant la mue, ce qui serait un sacrilège au Canada.

Si les pêcheurs du Maine sont les champions américains du homard, ceux du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse volent nettement la vedette au Canada. Dans la seule zone 34 (qui couvre la pointe sud-ouest de la province), on y a capturé plus de 20 000 tonnes de homard en 2020-2021, soit un homard sur cinq qui a été débarqué au Canada. Depuis 1980, les captures dans cette zone bénie des dieux ont augmenté de 600 %!

Parmi les quelque 1000 pêcheurs de cette zone, de nombreux loups de mer sont Acadiens et viennent des régions de Clare et d’Argyle en Nouvelle-Écosse.

À lire aussi : Comprendre la crise de la pêche au homard en Nouvelle-Écosse

Un gars, une fille?

Entre les deux genres de homard, le cœur des consommateurs balance. Comment faire la différence?

Dougall Doucette tient le premier homard de la saison à Miminegash, Île-du-Prince-Édouard, en septembre 1948.

Photo : George Hunter, Bibliothèque et Archives Canada

Sous la queue – ou l’abdomen, pour les puristes – il y a cinq paires de trucs – ou petites excroissances pour être plus précis – qui ressemblent à des nageoires. Pour tout vous dire, ce sont des pléopodes. Chez le mâle, la paire la plus près du thorax est plus grosse et elle est dure; chez la femelle, elle est molle.

Certaines rumeurs veulent que les «hanches» ou plutôt la partie supérieure de la queue des femelles soient plus larges. Aucun scientifique n’a osé se prononcer jusqu’ici sur le sujet. Non, c’est une blague! C’est effectivement le cas : cette partie du corps du homard femelle est plus large, même arrondie, question de mieux contenir les œufs.

L’espace nous manque pour parler du débat entourant la souffrance ou non du homard lorsqu’on le cuit dans l’eau bouillante ou encore tergiverser sans fin sur qui a inventé la guédille (le fameux lobster roll, dans l’autre langue officielle).

Terminons avec une histoire savoureuse concoctée par les Cadiens de la Louisiane. Ils aiment raconter, sourire en coin, que leurs ancêtres acadiens ont pris avec eux des homards lors de la Déportation et, ce faisant, que ceux-ci ont rapetissé pour devenir des écrevisses. C’est le genre de truc qu’on aimerait qui soit vrai.

Publié le 7 mai 2023

L’orthographe rectifiée — ou la nouvelle orthographe — a 33 ans. Ce chiffre peut avoir plusieurs sens.

C’est «l’âge du Christ», disait-on souvent «dans le temps». Les opposants à l’orthographe rectifiée pourraient donc dire qu’il s’agit du moment idéal pour «crucifier» cette réforme.

L’hymne des pythagoriciens au soleil levant représente des disciples de Pythagore chantant des Vers d’Or (ou Dorés) attribués à leur maitre après sa mort. 

Photo : Fédor Bronnikov, 1869 – Wikimedia Commons, domaine public

Mais les partisans des «nénufars» de ce monde peuvent s’inspirer du fait que «33» est un chiffre sacré, selon les adeptes de la numérologie inspirés de Pythagore, ce mathématicien que l’on connait surtout pour son célèbre théorème. Un sacré numéro que ce Pythagore.

Pour terminer sur la symbolique du chiffre 33, disons que dans l’islam, tous les gens qui vont au paradis ont 33 ans à leur arrivée. Qu’importe, tout le monde veut aller au ciel, oui mais personne ne veut mourir.

Malgré cette tentative de diversion, nous devons revenir au sujet du jour.

Les prémices de l’orthographe rectifiée

En 1989, le premier ministre français Michel Rocard crée le Conseil supérieur de la langue française et lui confie, entre autres, comme mission de proposer des rectifications à l’orthographe de la langue française.

Maurice Druon a présidé la réforme de l’orthographe, il y a 33 ans. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

Pour accomplir cette tâche, ô combien ingrate, le Conseil forme ensuite un comité d’experts présidé par le respectable Maurice Druon.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Druon, résumons : tour à tour, militaire, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, écrivain (Goncourt 1948), dramaturge, gaulliste et ministre sous Pompidou, député… Un homme aux 33 métiers quoi!

Ah oui, et entretemps, il avait été élu à l’Académie française, puis en était devenu secrétaire perpétuel. Immortel et perpétuel… tout un contrat. Il est, malgré tout, mort en 2009. Pour dire… un titre, ça demeure juste un titre.

C’est donc en tant que secrétaire perpétuel de l’Académie et pour l’ensemble de son œuvre que l’immortel et perpétuel Maurice Druon pilote la grande réforme de l’orthographe.

En décembre 1990, le résultat des travaux du comité est présenté par cet auteur des Rois maudits. Des Rois maudits à l’orthographe maudite, il n’y a qu’un pas qu’il est possible de franchir sans même y penser. C’est fait.

La guerre des mots

Avant de poursuivre, impossible de ne pas jeter un petit coup d’œil dans le passé. Le présent récit ne s’appelle pas Dans le rétroviseur pour rien.

En 1694, les membres de l’Académie française remettaient au roi Louis XIV la première édition de leur dictionnaire. 

Photo : Jean Mariette (graveur) et Jean-Baptiste Corneille (dessinateur) – Wikimedia Commons, domaine public

Depuis des siècles, les Français se disputent entre eux sur la façon d’écrire les mots. L’arrivée de l’imprimerie soulève le besoin d’une orthographe commune. Oui, mais laquelle?

Certains défendent l’orthographe dite étymologique, qui tend à conserver des lettres qu’on ne prononce pas, afin de maintenir une trace de leur origine latine ou grecque. Par exemple, le mot «savoir» était écrit à l’époque «sçavoir», car il dérivait du latin scire. Fallait le savoir. Passons.

D’autres, comme Louis Meigret, auteur de la première grammaire française, Tretté de la grammere francoeze, milite plutôt pour une orthographe phonétique ; il était en fait le premier à dire qu’il faudrait «écrire comme on parle». Ce sera partie remise.

On retrouvait également une multitude de lettres doublées ou de lettres muettes sans que ce soit nécessaire. Des rumeurs circulent voulant que les scribes, alors parmi les rares ayant le privilège de l’écriture, en soient les grands responsables. C’est que, ces suspects numéro un étaient payés selon la longueur de leur texte. Mais ce ne sont que des rumeurs…

Et que dire du son /ε̃/ comme dans hein? En français, on l’écrit de 23 façons.

L’Académie à la rescousse

Pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm de la langue écrite, le cardinal de Richelieu fonde en 1634 (ou 1635) l’Académie française, qui a pour principale mission de «donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences».

Pour y arriver, l’Académie compilera notamment — et surtout — un Dictionnaire, dont la première édition sera présentée… 60 ans plus tard. Ces choses-là prennent du temps, que voulez-vous.

L’Académie française, 1897. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

L’Académie était alors très attachée à l’orthographe «ancienne», parce qu’on pouvait y déceler l’origine des mots.

Pour François Eudes de Mézeray, l’académicien qui va plancher sur les règles à définir, il valait mieux privilégier «l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes». Disons qu’il ne serait pas très populaire de nos jours.

L’orthographe sera réformée régulièrement au fil des éditions du Dictionnaire. En 1740, plus de 6 000 mots sur les 17 500 environ que comptait l’ouvrage sont modifiés.

Par exemple, on remplace des «s» par des accents circonflexes sur la voyelle précédente (apostre-apôtre), on élimine des consonnes muettes (advocat-avocat), on remplace des «y» par des «i» (cecy-ceci), etc.

Voltaire, alors membre de l’Académie, avait convaincu ses pairs de remplacer le «oi» par le «ai» dans les mots comme françois, anglois ou j’estoi. Bonne idée.

La réforme de 1990 n’est donc que la dernière mouture d’une longue suite de modifications à la langue française.

Qu’a changé la dernière rectification?

Bof, finalement, surtout de petites choses, quoique parfois ce sont les plus petites qui dérangent le plus. Comme leadeur qui a remplacé leader. Ah oui, on l’a déjà dit. Et ognon qui a succédé à oignon. Mentionné aussi.

Allo a perdu son accent circonflexe. Chapeau! Bigbang n’a plus son trait d’union (qui n’en a pas un d’ailleurs), tout comme millepatte (qui a aussi perdu son «s» au singulier).

Entre 1 400 et 5 000 modifications ont été «proposées». Les modifications sont proposées parce qu’elles ne sont pas obligatoires ; l’orthographe traditionnelle et la nouvelle sont admises. Ouf!

La nouvelle orthographe a 33 ans. Stop ou encore?

Photo : Wikimedia Commons

Originale ou moderne? À vous de choisir.

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 4.0 International

L’orthographe rectifiée, disions-nous, a 33 ans. Un âge charnière. «L’année du bonheur», à en croire un sondage où la majorité des répondants (70 %) ont indiqué avoir véritablement atteint cet état de plénitude à l’âge de 33 ans.

L’avenir semble prometteur pour l’orthographe. Bonne raison pour se réconcilier avec elle…

Publié le 19 mars 2023

Avouons-le : il fallait faire preuve de témérité et être un peu fou pour explorer des eaux glacées, à des températures horriblement basses dans un dédale d’iles inconnues pour trouver une voie depuis l’Atlantique vers le Pacifique et les Indes orientales, but ultime de cette quête.

Premières escapades européennes

Cinq-cents ans avant les voyages de Christophe Colomb, les Vikings se sont aventurés dans les eaux marquant le début du Passage du Nord-Ouest. Les archéologues ont trouvé des traces de leur séjour sur l’ile de Baffin et l’ile d’Ellesmere, où les vestiges d’un navire viking échoué ont été découverts.

Pour l’époque, atteindre Ellesmere était tout un exploit. Il s’agit de l’ile la plus au nord du Canada. Sa pointe nord-est n’est qu’à 26 kilomètres du nord-ouest du Groenland.

Le planisphère de Cantino est considéré comme étant la plus ancienne et l’une des plus importantes cartes de «l’âge des découvertes». D’un auteur inconnu, elle date du début du XVIe siècle. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Mais délaissons le Nord quelque peu et parlons du Sud, car il y a un lien assez direct entre les expéditions européennes en Amérique du Sud — et centrale — et les explorations dans les eaux arctiques.

Comme on le sait, lorsque Christophe Colomb débarque sur une ile des Bahamas le 12 octobre 1792, il pense avoir atteint les Indes. Quelques années plus tard, d’autres explorateurs et Colomb lui-même se rendront compte qu’ils ont atteint un tout autre continent.

Le détroit d’Arán, tel qu’imaginé par certains cartographes. 

Photo : Carte de Guillaume Sanson, 1687, Wikimedia Commons, domaine public

Mais il a fallu encore quelques années pour déterminer si l’Amérique du Nord et du Sud formait un seul continent ou si un détroit les séparait. Vient alors le mythe du détroit d’Anián.

Des explorateurs et des cartographes ont imaginé (le mot est faible) qu’un long (très très long) détroit servait de trait d’union entre les océans Atlantique et Pacifique à travers l’Amérique du Nord. L’une des hypothèses voulait que le détroit d’Anián relie le golfe de Californie et celui du Saint-Laurent.

Imaginons un instant quelle aurait pu être la devise du pays traversé par ce détroit au long cours : «D’un golfe à l’autre»! Mais on s’égare.

Ce mythe perdurera quand même tout au long du XVIIIe siècle et motivera la quête d’un lien maritime entre les deux océans.

Jean Cabot et les autres

L’explorateur Jean Cabot — Giovanni Caboto de son vrai nom — avait bien avant, imaginé qu’il était possible d’atteindre la Chine en passant au nord du continent américain.

En 1497, il gagne les côtes de l’ile de Terre-Neuve et du Labrador. Certains pensent que cette terre est la Chine. Mais le Passage du Nord-Ouest échappe à Cabot. Il remet ça l’année suivante ; hélas, sa flotte disparait en mer.

Jean Cabot, peint ici en vêtements vénitiens traditionnels. 

Photo : Giustino Menescardi, 1762, Wikimedia Commons, domaine public

On est un peu dans la brume aussi pour ce qui est des voyages de son fils, Sébastien Cabot. Suivant les traces (maritimes) et le rêve d’un Passage du Nord-Ouest, de son père, Cabot fils aurait navigué le long du Labrador, traversé le détroit d’Hudson et même atteint la baie d’Hudson avant de rebrousser chemin.

Les explorateurs français Jacques Cartier et Samuel de Champlain croiront pouvoir trouver ce passage plus au sud en explorant le fleuve Saint-Laurent. Là encore, un rêve inassouvi.

Entretemps, la Grande-Bretagne avait repris le flambeau de l’exploration des eaux arctiques. En 1576, Martin Frobisher se rend jusqu’à la Terre de Baffin (plus grande ile du Canada, partie du Nunavut) et pénètre dans ce qu’il croit être un détroit, mais qui s’avèrera être une baie, qui porte aujourd’hui son nom.

Peu après, son compatriote John Davis se butera lui aussi, par trois fois, à la Terre de Baffin.

Au début du XVIIe siècle, l’explorateur anglais Henry Hudson pousse le rêve un peu plus loin. Il atteint la grande baie à laquelle il donnera son nom. Mais, victime d’une mutinerie, il est abandonné dans un canot avec son fils et sept membres d’équipage. Il sera établi plus tard qu’il s’avère impossible d’atteindre le Pacifique en empruntant le détroit et le nord de la baie d’Hudson.

Peinture de John Everett Millais montrant un vieux marin désabusé et sa fille lisant un journal de bord. L’œuvre représente la frustration britannique après plusieurs échecs pour trouver cette voie maritime.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Trois survivants de cette expédition participeront à d’autres tentatives qui, même si elles n’aboutissent pas, orienteront les explorateurs suivants vers la bonne route, soit au nord de la Terre de Baffin.

Près de deux siècles s’écouleront avant que d’autres ne se lancent dans cette aventure.

En 1845 et 1846, John Franklin et ses 133 marins à bord de deux navires vont plus loin que tous leurs prédécesseurs : ils contournent la Terre de Baffin, piquent vers le sud, mais restent emprisonnés dans les glaces près de l’ile du Roi-Guillaume. Personne ne survivra.

L’aboutissement de siècles d’efforts

Finalement, en 1854, Robert McLure est le premier à franchir le passage d’ouest en est sur mer, mais aussi en partie sur la glace.

Malgré tous ces efforts, toutes ces pertes de vie lors d’expéditions britanniques, ce sera un Norvégien, le célèbre explorateur Roald Amundsen (qui sera d’ailleurs le premier, cinq ans plus tard, à atteindre le pôle Sud), qui parviendra à franchir complètement le Passage du Nord-Ouest par la mer, et cette fois de l’ouest vers l’est 1450 kilomètres.

L’une des raisons de son succès : sa goélette. La Gjøa était un petit navire, ce qui fait qu’elle a réussi à naviguer dans des eaux peu profondes.

Comme les nombreuses autres expéditions qui l’ont précédée, celle d’Amundsen a été atroce. L’équipage a failli y laisser sa peau à plusieurs reprises.

Équipage de la Gjøa au lendemain de son arrivée à Nome, en Alaska. Amundsen se trouve devant, à gauche.

Photo : Frank N. Powel, Wikimedia Commons, domaine public

C’est sur cette petite goélette qu’Amundsen et ses hommes ont réussi à franchir le Passage du Nord-Ouest.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Arrivé en eau libre, Amundsen écrira d’ailleurs dans son journal : «Le passage du Nord-Ouest est ouvert. Mon rêve d’enfance vient de se réaliser à ce moment. Une étrange sensation me prend à la gorge. Je suis surmené et à bout — c’est une faiblesse —, mais je sens les larmes me monter aux yeux.»

De nos jours, le Passage du Nord-Ouest est de plus en plus facilement navigable, résultat des changements climatiques. Il ouvre la voie à une course à l’exploitation controversée des richesses naturelles de l’Arctique et il ravive les questions de souveraineté de ces eaux.

Le rêve pourrait encore se transformer en cauchemar.

En moins de 15 minutes, le jeudi 14 aout 2003, plus de 55 millions d’Américains et de Canadiens ont été privés d’électricité.

Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa. 

PHOTO : Courtoisie

En Ontario, le courant a été rétabli à peu près partout en moins de deux jours, mais à certains endroits, il a fallu attendre une semaine pour un retour à la normale. Aux États-Unis, le courant n’est pas revenu avant quatre jours dans plusieurs secteurs.

Ce jour-là, le mercure dépassait 30 °C à plusieurs endroits. La forte demande en électricité en raison de l’utilisation des climatiseurs n’a pas été étrangère aux problèmes qui ont causé cette grande interruption du courant.

La panne a mis au jour plusieurs lacunes dans la structure et la gestion de la distribution de l’électricité, particulièrement aux États-Unis, où le bris a pris naissance.

«Globalement, ça a montré que les défaillances majeures pouvaient avoir des impacts non seulement aux États-Unis, mais aussi chez les voisins», explique Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa.

Comme le réseau électrique ontarien est interconnecté avec certains États américains, le courant circule dans les deux sens, selon les besoins des uns et des autres.

Les prémices

Si la panne comme telle a débuté peu après 16 h (HAE), les incidents déclencheurs sont survenus quelques heures plus tôt.

Tout a commencé à 12 h 15 avec une panne de données sur le réseau de transport d’électricité dans la région de Cleveland, en Ohio. Un peu plus d’une heure plus tard, une défaillance provoque une perte de 600 mégawatts à la centrale d’Eastlake, en banlieue de Cleveland.

D’autres pannes informatiques se produisent au cours de l’après-midi. Le problème : les exploitants du système ne s’en rendent pas compte, en raison même des défaillances des programmes informatiques. Ce n’est que vers 15 h 45 que les responsables réalisent que le réseau est menacé. Mais il est trop tard.

Effet domino

Vers 16 h 10, une poussée de courant provoque une surcharge sur certaines lignes de haute transmission, qui deviennent inopérantes. Mais le courant, lui, ne s’arrête pas ; il cherche d’autres lignes où circuler. Celles-ci sont de moindre capacité et flanchent à leur tour.

Les résidents de New York n’avaient que la rue pour circuler lors de la panne. 

PHOTO : Wikimedia Commons, Share Alike, 2.0 Generic

Très rapidement, les incidents se répandent en cascade en Ontario, de Toronto à Windsor, et dans les États environnants : Michigan, Pennsylvanie, New York, New Jersey, Vermont, Connecticut et Massachusetts.

Quelques minutes plus tard, 508 génératrices dans 265 centrales dans les deux pays sont mises à l’arrêt, privant les usagers des 61 800 mégawatts d’électricité qui auraient normalement dû circuler dans la région.

Presque instantanément, 55 millions de personnes n’ont plus de courant, dont 10 millions de ce côté-ci de la frontière.

La panne en Ontario

La panne a frappé une grande partie de l’Ontario et de plusieurs États américains. 

PHOTO : Wikimedia Commons, Share Alike 2.5 Generic

Pratiquement tout l’est de la province de l’Ontario est frappé, soit la partie à l’est de Wawa, incluant les villes d’Ottawa, Toronto, Sudbury, Kitchener, London et Windsor.

Exceptions notables, la région de Cornwall, alimentée par le Québec, et celle de Niagara, qui a pu isoler son réseau hydroélectrique des systèmes voisins, sont épargnées.

Plus de courant, plus d’air climatisé, plus d’ordinateur, plus de feux de circulation. Faute de policiers en nombre suffisant, des civils vont eux-mêmes s’en occuper.

À Toronto, le métro cesse de fonctionner. Les usagers restés coincés doivent marcher dans les tunnels pour sortir. Les plus malchanceux sont celles et ceux qui se retrouvent dans un ascenseur.

«Comme si le temps s’était arrêté»

Journaliste culturelle à Radio-Canada Acadie, Anne-Marie Parenteau – qui avait vécu la crise du verglas au Québec en 1998 – travaillait à la station de Toronto cette année-là. Elle se rappelle que pendant la panne, elle devait marcher plus d’une heure pour se rendre au boulot.

Caroline Bourdua, alors animatrice à la radio de Radio-Canada, a vécu la panne à Toronto. 

PHOTO : Courtoisie

«Il y avait un peu comme un sentiment de fin du monde je dirais. Pas d’électricité dans la plus grande ville du Canada, pas de transports en commun, de tramway, pas de taxis disponibles! Comme si le temps s’était arrêté.»

Caroline Bourdua était à l’époque animatrice à Radio-Canada en Ontario. Elle se trouvait en réunion à Toronto quand on lui a demandé d’animer quelques heures d’une émission radio spéciale consacrée à la panne.

Elle se souvient de l’étrangeté de la situation au centre-ville : «Quand j’ai marché à mon hôtel, c’était tellement hallucinant, parce qu’il n’y avait rien. Pas un bruit. Il y avait des gens sur la rue qui marchaient, les tramways étaient tous arrêtés, les chauffeurs demeuraient dans leurs tramways jusqu’à ce que quelqu’un passe ramasser la cagnotte.»

À l’arrivée dans sa chambre d’hôtel, au 9e étage, l’absence de pollution sonore était impressionnante. «Je pouvais entendre les gens marcher et parler sur le trottoir, tellement c’était silencieux partout. C’était vraiment fou.»

Les leçons à tirer du «blackout»

À l’époque, les gens de l’industrie savaient qu’avec l’arrivée d’un grand libre marché de l’électricité quelques années auparavant, les investissements avaient été insuffisants pour faire face à une demande grandissante.

Il existait bien une autorité nord-américaine du réseau de transmission, le NERC (North American Electric Reliability Corporation), créée après la grande panne de 1965 qui avait touché à peu près la même région dans le nord-est de l’Amérique du Nord, mais elle ne pouvait obliger les exploitants du réseau de se conformer à ses normes.

Afin d’éviter qu’une telle mégapanne ne se reproduise, le Canada et les États-Unis ont créé un groupe de travail. Son rapport remis en avril 2004 contient 46 recommandations dont celle de rendre obligatoires les normes de la NERC.

Au Canada, bien que les provinces soient responsables de ces normes, celles du NERC sont maintenant obligatoires ou sont en voie de l’être presque partout au pays.

Même si elle n’a duré que quelques jours, la perte de courant a eu des conséquences économiques importantes.

Le produit intérieur brut (PIB) du Canada a chuté de 0,7 % en aout 2003. Près de 19 millions d’heures de travail ont été perdues et la valeur des livraisons de biens manufacturés a diminué de 2,3 milliards de dollars en Ontario sur la période.

Publié le 21 mai 2023

Mais ce n’est pas avec sa voix que Robertine Barry ébranlera les colonnes du temple de la société patriarcale dans laquelle elle vivait, mais avec sa plume, sous le nom de Françoise.

Que ce soit comme journaliste, autrice, conférencière ou autre, Robertine Barry a défendu la condition féminine. 

Photo : Vers 1900, Wikimedia Commons, domaine public

Réputée être la première canadienne-française à gagner sa vie comme journaliste, cette célibataire libre-penseuse, vivant dans un monde conservateur sur lequel l’Église exerce encore une grande emprise, ira complètement à l’encontre de l’idéal féminin de l’époque, selon lequel elle aurait dû être une épouse et une mère dévouée.

Les mots, qui ont été l’épée par laquelle cette féministe avant l’heure a revendiqué une meilleure condition pour les femmes, ont été présents dès sa jeune enfance.

Robertine grandit dans une famille à l’aise. Née à L’Isle-Verte, au Québec, en 1863, elle était neuvième de treize enfants. Elle se plonge très jeune dans les œuvres de La Fontaine, puis de Hugo, de Lamartine et même des sœurs Brontë.

Après l’école primaire, Robertine ira parfaire son éducation classique au couvent Jésus-Marie à Trois-Pistoles, puis chez les Ursulines à Québec.

Le voile ou la plume?

Fondateur et directeur du journal La Patrie, Honoré Beaugrand donnera à Robertine Barry sa première chance comme journaliste. 

Photo : 1894, Wikimedia Commons, domaine public

À son retour de Québec à Trois-Pistoles, où sa famille s’est installée, elle songe un moment à devenir religieuse comme sa sœur Évelyne. Sur les conseils de son père, elle part à Halifax pour y enseigner la musique dans un couvent, question de voir si elle a la vocation. La réponse sera non.

Elle décide alors de tenter sa chance à l’écriture, et particulièrement au journalisme. Mais le risque est grand, car en son temps, très peu de femmes peuvent vivre de ce métier.

Elle sollicitera plusieurs éditeurs et essuiera plusieurs refus, jusqu’à ce qu’elle rencontre, en 1891, Honoré Beaugrand, directeur fondateur de La Patrie, l’un des grands journaux canadiens-français de l’époque.

Beaugrand est bien connu pour ses idées libérales radicales et anticléricales. Il embauche Robertine, mais surtout, il ne la confine pas aux pages féminines comme c’était la coutume à l’époque.

Robertine devient Françoise

Robertine Barry va alors déployer ses ailes. Elle prend le nom de plume de Françoise, en l’honneur de saint François de Sales. Dès ses débuts, elle revendique le droit des filles à l’instruction et s’en prend aux mentalités conservatrices.

Ella connaitra bientôt une certaine notoriété avec sa «Chronique du lundi» qu’Honoré Beaugrand publie en première page du journal.

Françoise s’en donne à cœur joie. Ses textes portent, entre autres, sur le droit de vote des femmes, le besoin d’interdire juridiquement le travail des enfants, la mise en place de refuges pour les femmes victimes de violence et l’éducation laïque.

Recueil de certains numéros de la «Chonique du lundi» de Françoise, parue dans le journal La Patrie.

Elle réclame même pour les femmes l’accès à l’université et le droit d’exercer les mêmes professions que les hommes. La décrire comme une avant-gardiste serait un euphémisme.

Ses prises de position vont à l’encontre de plusieurs personnalités en vue, dont Henri Bourassa, futur fondateur du journal québécois Le Devoir et antiféministe. Certains, par dérision, l’appellent d’ailleurs «Monsieur».

Écrite à la première personne, sous la forme d’une conversation, mélangeant digressions, anecdotes et humour, la «Chronique du lundi» sera publiée jusqu’en 1900. Françoise publiera à compte d’auteur un recueil regroupant ses chroniques du début de sa carrière.

Pendant ces années, elle écrira aussi pour d’autres journaux et magazines montréalais, comme Le Coin du feu, le Bulletin, le Franc Parler, la Femme et plusieurs autres.

Représentante du Canada à des expositions universelles

La réputation de Françoise ne fait que grandir. Avec une autre pionnière journaliste canadienne-française, Joséphine Dandurand (née Marchand), elle sera représentante des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris en 1900.

Elle sera également déléguée aux expositions universelles de Saint-Louis au Missouri en 1904 et de Milan en 1906. Lors de ce dernier voyage, elle aura d’ailleurs une rencontre officielle avec le pape Pie X.

Le voyage à Paris mettra fin à sa collaboration avec le journal d’Honoré Beaugrand. De retour à Montréal, elle est atteinte de la fièvre typhoïde, mais rien n’arrête cette femme d’une énergie et d’une détermination hors du commun.

Une fois remise de sa maladie, elle fonde en 1902, avec ses propres économies, Le Journal de Françoise, qu’elle dirigera jusqu’en 1909 et qui restera son œuvre majeure. Plus de 500 collaborateurs signeront des textes dans cette publication, dont certains noms réputés tels qu’Émile Nelligan.

Une amitié intime

Puisqu’on en parle, ouvrons une petite parenthèse sur les liens entre l’auteur de Soir d’hiver et du Vaisseau d’or et Françoise.

Dès 1999, des murmures se font entendre voulant que le poète soit épris de la journaliste, de 16 ans son ainée. Françoise, qui est une amie de sa mère, accueille Nelligan à plusieurs reprises chez elle à Montréal. Il lui récite de ses poèmes et se confie en elle ; elle lui donne des conseils.

On ne sait pas jusqu’où ira cette relation, mais Nelligan évoquera Françoise dans plusieurs poèmes enflammés, dont Rêve d’artiste, dans lequel il la nomme «sa sœur d’amitié». Puis, une brouille s’installera entre les deux.

Robertine Barry, dite Françoise, s’engage aussi dans des regroupements féminins, dont en tant que vice-présidente du Canadian’s Women Press et présidente de l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises.

Premier conseil d’administration de Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, dont Robertine Barry (en bas, à droite) a été cofondatrice. 

Photo : Wikimedia Commons, 1907

Elle fera partie en 1907 du premier conseil d’administration de la première association féministe canadienne-française, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste.

Elle participera aussi à la fondation d’un premier collège classique féminin qui deviendra le Collège Marguerite-Bourgeois.

Elle n’arrête pas d’écrire pour autant. Elle écrira notamment une pièce de théâtre, Méprise, en 1905. Le premier ministre canadien Wilfrid Laurier viendra à Montréal pour la voir.

Après la fermeture du Journal de Françoise, en 1909, la dépression la guette. Elle fait un dernier voyage à Paris et meurt quelques mois après son retour, le 7 janvier 1910. Elle avait 46 ans.

Elle aura été célibataire toute sa vie. Robertine Barry, dite Françoise, a beaucoup écrit sur la question pour souligner la liberté que le célibat lui apportait. Un jour, dans son journal personnel, elle a écrit : «Je ne suis pas de celles qui considèrent le mariage comme le but vers lequel doivent tendre les plus nobles efforts de toute une vie.»

Quelqu’un d’autre écrira, bien plus tard : la femme est l’avenir de l’homme.

Publié le 4 mai 2023

Allons-y.

Toute cette affaire date du jour où le roi d’Angleterre Édouard 1er a carrément volé la pierre de Scone. Ce genre de choses arrive.

Le roi anglais Édouard 1er s’est approprié la pierre de Scone en Écosse pour la faire transporter à Londres.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Quelques détails plus ou moins importants ici : la pierre est faite de grès jaune. Elle mesure environ 67 cm de long sur 27 cm de large et 42 cm d’épaisseur.

Curieusement, c’est à peu près la taille d’un épagneul… Cavalier King Charles, un chien nommé en honneur du roi Charles II, qui vouait presque un culte envers cette race de chien. Bref, c’était le corgi du XVIIe siècle.

Édouard 1er était surnommé Longshanks ou «longues jambes» (il faisait 1,90 m). Les cinéphiles qui ont vu le film Cœur vaillant (Braveheart) savent que le héros William Wallace lutte héroïquement pour empêcher ce roi d’Angleterre d’envahir l’Écosse.

Divulgâchons gaiment : à la fin, William Wallace, alias Cœur vaillant, est capturé, pendu, éviscéré et écartelé. Bref, il meurt.

Après quelques années de guerre, l’Écosse obtient son indépendance de l’Angleterre, puis la perd et la regagne jusqu’à ce que le roi Jacques VI d’Écosse unisse les deux royaumes en devenant aussi roi d’Angleterre après la mort d’Elizabeth 1re, celle qui avait fait tuer sa mère, la reine Marie Stuart. La belle époque.

La «chaise du couronnement» sert de trône pour le couronnement des souverains anglais et britanniques depuis le début du XIVe siècle. On peut apercevoir la «pierre de Scone» sous le siège. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Donc, avant son petit différend avec Wallace, Édouard 1er, grâce sans doute à sa haute stature, avait réussi en 1296 à «enjamber» la frontière écossaise et à envahir le pays. L’occupation est temporaire, mais Édouard — nous y voilà — parvient à dérober la pierre de Scone et à l’apporter à Londres. On lui jette la première vous savez quoi? C’était peut-être le plus grand des voleurs. Oui, mais pas un gentleman. Demandez à Wallace.

La tant convoitée pierre du destin est installée à l’abbaye de Westminster, où étaient couronnés les souverains anglais depuis Guillaume le Conquérant. Notre, hum, bon roi Édouard fait construire sur mesure un trône, qu’on appellera «chaise du couronnement» afin d’y insérer la fameuse pierre sous le siège.

C’est sur ce trône d’Édouard 1er, avec la pierre de Scone en prime, que seront couronnés tous les souverains anglais et britanniques qui suivront.

Mais pourquoi désirait-on tant ce petit bloc de roche pas plus gros qu’un épagneul pour ne plus s’en passer? Encore une fois, la réponse est dans le rétroviseur.

Un bloc vieux comme Hérode

Avant d’être dérobée, la pierre était conservée à l’abbaye de Scone (d’où son nom), où les anciens rois écossais étaient couronnés. D’ailleurs, le scone, ce petit… truc difficile à définir (ni gâteau, ni biscuit, ni pain – cake?) pourrait avoir été baptisé du nom de l’endroit.

La pierre de Scone ou pierre du destin. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le Lia Fàil — nom de la pierre en gaélique — était auparavant sur l’ile d’Iona, près de la côte ouest du pays du biscuit sablé (qui, d’ailleurs, a curieusement une allure ressemblant à notre pierre).

Et avant? C’est ici où le mythe rencontre la légende, où l’Histoire laisse place aux fables.

Selon la tradition, la pierre de Scone tire ses origines d’une histoire biblique qui remonte à entre 1 800 et 1 500 années avant notre ère (pour dire vrai, on ne le sait pas vraiment). Vieux comme Hérode indeed!

C’est à cette époque très antique que vivait Jacob, l’un des trois patriarches de l’Ancien Testament avec son père Isaac et son grand-père Abraham. Un jour, Jacob s’endort, sa tête reposant sur une… pierre, d’où le surnom d’«oreiller de Jacob» qu’on donne parfois à la fameuse roche.

Chaise de couronnement et de la pierre de Scone. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public, entre 1875 et 1885

Pendant son sommeil, Jacob voit en songe une échelle qui monte jusqu’au ciel, et sur laquelle des anges montent et descendent. Voilà pour la partie biblique.

De là, la pierre de Jacob emprunte différents chemins selon les légendes. L’une d’elles veut que l’objet désormais sacré ait abouti en Égypte et, de là, ait été transporté en Sicile, puis en Espagne et enfin en Irlande. On aurait installé la pierre sur la mythique colline de Tara, où les anciens rois irlandais étaient acclamés. Puis, un souverain irlandais, Fergus Mor, l’aurait apportée en Écosse. Allez savoir pourquoi! Jacob le sait peut-être.

Selon un autre récit, une princesse égyptienne nommée Scota, descendante de Moïse, aurait transporté la pierre dans un pays à qui elle a donné son nom : Scotland (Écosse).

Mais depuis, les géologues ont prouvé que la pierre provenait d’une carrière de la région de Scone et non de la Judée… Quand la science vient gâcher une belle histoire.

Et c’est pas fini…

Retour vers le futur : après avoir reposé tranquillement pendant des centaines d’années à Londres, la pierre vivra quelques péripéties.

Le Canada a un peu de pierre de Scone dans son histoire.

Lors du bombardement allemand de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, la pierre a été retirée et cachée dans un endroit tenu secret.

Craignant le pire, les responsables de la pierre ont envoyé au Canada des plans indiquant son emplacement au premier ministre canadien de l’époque, William Lyon Mackenzie King, ainsi qu’au lieutenant-gouverneur de l’Ontario. Très «tripatif».

Et ça continue…

Comme ses prédécesseurs royaux de longue date, Charles III sera couronné sur la pierre de Scone.

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2,0 Generic

En 1950, aux petites heures du jour de Noël, quatre étudiants écossais nationalistes, avec à leur tête un certain Ian Hamilton, réussissent à pénétrer dans l’abbaye de Westminster et dérobent la pierre pour la ramener à son ancienne patrie. Mais trois mois plus tard, la pierre au curieux destin est ramenée à Londres. Les étudiants ne seront pas poursuivis.

Toutefois, en 1996, 700 ans précisément après le larcin d’Édouard 1er, justice est enfin faite : la pierre de Scone est formellement remise à l’Écosse.

Elle trône depuis dans la «salle de la couronne» au château d’Édimbourg. L’Écosse, bon prince, a accepté de la «prêter» à la famille royale et de l’expédier à Londres pour le couronnement de ce bon vieux roi Charles.

Qui sait cependant ce qui pourrait se passer pendant le trajet? Si jamais, par malheur, quelque chose devait arriver à la pierre avant le couronnement, pas de panique! Un épagneul Cavalier King Charles pourrait très bien faire l’affaire.

Publié le 13 avril 2023

Avertissement : Exceptionnellement, la présente édition du Rétroviseur est rédigée au «je», pour rendre honneur à cette chouette lettre au passé relativement jeune.

La lettre J a eu une longue gestation avant de venir au monde. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

On ne double jamais la lettre «j». Comme le «i», sa voisine et sœur ainée, on ne lui met pas de point lorsqu’elle est majuscule (à moins qu’on ne l’ait simplement pas trouvé). Ce qui ne fait pas d’elle une minus pour autant. Au contraire!

Elle est un peu princesse : elle n’apparait jamais avant une consonne ou la voyelle «i» — sauf dans des mots empruntés, comme jihadisme — ni à la fin d’un mot (déj ne compte pas). Elle est une des dernières venues de notre alphabet. Histoire de J.

Malgré qu’elle serve d’initiale à tous ces mots jouissifs, et à bien d’autres, la lettre J a été adoptée officiellement dans notre alphabet seulement en 1762, par l’entremise de la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française.

Dans la préface de l’ouvrage, l’Académie explique que l’ajout du J — ainsi que du U, au même moment — fait partie de changements considérables «que les gens de lettres demandent depuis longtemps».

Le J et le U deviennent alors les 24e et 25e lettres de l’alphabet. La 26e sera le W, quoique, entre vous et moi, il y a anguille sous roche derrière toute cette affaire.

La lettre W n’est toujours pas reconnue par l’Académie française comme 26e lettre de l’alphabet. 

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Même si des mots commençant par la lettre W figurent dans le Dictionnaire de l’Académie française depuis la 5e édition (1798), l’Académie n’a pas encore ajouté cette lettre à l’alphabet.

La 8e — et plus récente — édition du Dictionnaire de l’Académie française atteste l’usage de cette lettre, mais souligne, comme dans la 7e édition (1878), que le W n’est utilisé que «pour écrire un certain nombre de mots empruntés aux langues [des peuples du Nord]».

Cela n’a pas empêché le Petit Larousse d’intégrer le W à l’alphabet français en 1948, suivi du Grand Robert en 1964.

Ces dictionnaires ont-ils le pouvoir de décréter l’ajout d’une lettre, même si l’Académie ne l’a pas fait? Pas sûr.

Mais il y a de l’espoir : la 9e édition du Dictionnaire adoptera tout probablement le W. Enfin, c’est ma prédiction. Cette édition est en préparation depuis… 1986. L’Académie a publié par tranches les sections terminées. Elle en est rendue au mot «sommairement».

Quand on est immortels, on peut prendre son temps. J’espère qu’on ne les paie pas à l’heure…

Le J doit tout au I

On a beaucoup écrit sur l’origine du J. Parfois, comme c’est souvent le cas lorsqu’on fouille l’histoire des choses, on trouve des explications différentes, voire contradictoires. C’est le défi de pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie. Je braque ici le télescope sur le Rétroviseur, afin de reculer très loin.

1 Alphabet phénicien, 2 Alphabet grec (ionien, attique et eubéen), 3 Alphabet grec (classique, étrusque), 4 Alphabet latin. 

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Pour faire court (disons, moyennement court), notre alphabet est une modification de l’alphabet latin, adopté par les Romains, et il était lui-même une variation de l’alphabet étrusque tiré de l’alphabet grec, ce dernier étant issu de l’alphabet phénicien (le plus ancien qui mérite cette appellation) qui, en fait, était le résultat d’emprunts et d’inspirations de l’écriture cunéiforme des Sumériens et des hiéroglyphes égyptiens. L’arbre est dans ses feuilles marilon, marilé.

Ni les Phéniciens, ni les Grecs, ni les Étrusques, pas plus que les Romains n’avaient de lettre J dans leur alphabet respectif. Le I était alors suivi directement du K. La naissance du J dans notre alphabet — donc, son jour J — surviendra lors de la… Renaissance. C’est compliqué.

Mais pour tout dire, le J est un rejeton de la lettre I, qui s’appelle le iota chez les Grecs. Et ce sont eux qui ont commencé à utiliser le J à la fois pour le son «i» comme en français et pour le «ye». Les Étrusques n’ont pas dérogé d’un iota (je m’excuse) à cette façon de faire, pas plus que les Romains, et ensuite les Français.

En France, au Moyen Âge, on a eu tendance à «allonger» le I lorsqu’il était en position prééminente, comme sous la forme d’une initiale. Le J aura différentes prononciations dans d’autres langues. C’est leur droit.

Une lettre, deux pères

La paternité du J est disputée par deux grammairiens européens.

Page couverture du Tretté de la grammere francoeze, première grammaire française, signée par Louis Meigret. 

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Dans le coin droit, on retrouve Gian Giorgio Trissino, dit Le Trissin, un Italien né en 1478. En 1524, Trissino écrit l’Epistola de le lettere nuovamente aggiunte ne la lingua Italiana adressée au pape Clément VII. Dans cet ouvrage, il crée les lettres J et U. Comme le I qui avait deux rôles, la lettre V était jusque-là utilisée pour représenter deux sons : celui du V et du U.

Dans le coin gauche, on aperçoit un rival de taille : Louis Meigret, un Français né vers 1510 et auteur de la première grande grammaire française. Dans son Tretté de la grammere francoeze, publié en 1550, il fait du I long un J et lui donne la prononciation actuelle [ʒ], comme dans «je suis libre».

Les Français font de Meigret le «père» des lettres J et U, même si son ouvrage parait 26 ans après celui de Trissino. Fake news?

Toujours est-il que certains attribuent à Trissino la forme actuelle du nom de Jésus dans plusieurs langues – dont le français et l’anglais. À l’origine écrit «Yeshua» en araméen, le prénom se transforme en «Iesous» en grec, légèrement modifié à «Iesus» en latin, avec la prononciation «ye».

Donc, Trissino remplace le I de Iesus par le J et Meigret lui donne la prononciation actuelle. Un travail d’équipe. Dans la langue anglaise, on préférera plutôt la prononciation «dj» pour le J, ce qui donnera «djisus». Chacun son truc.

Gian Giorgio Trissino est l’un des deux grammairiens à qui on attribue «l’invention» de la lettre J. 

Photo : Vincenzo Catena, vers 1525-1527, au Musée du Louvre, Wikimedia Commons, domaine public

Malgré «l’invention» du J et du U au XVIe siècle, le I et le V continueront d’être utilisés respectivement pour le J et le U pendant un certain temps.

À preuve, au siècle suivant un certain écrivain du nom de François-Marie Arouet décide de se créer un pseudonyme. Il prend son nom de famille et y ajoute les initiales L. J. (signifiant Le Jeune – pour imiter, croit-on, des auteurs de l’Antiquité, comme Pline le Jeune), ce qui donnerait aujourd’hui Arouet L. J.

Or, comme à l’époque le U et le J sont encore respectivement V et I, Arouet L.J s’écrit en fait AROVET L. I., ce qui donnera l’anagramme… Voltaire. Brillant!

Cette histoire de J m’a quelque peu épuisé. Permettez que je «finis-je» ici?