le Mercredi 14 mai 2025

Publié le 19 février 2023

Sont-ils à plaindre? Peut-être, mais au moins, ça rapporte. La valeur des débarquements la saison dernière dans la plus grande zone du Canada, celle de la pointe sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, était de 375 millions de dollars. Qui dit mieux? Personne.

Désolé de vous l’apprendre, mais tout le homard que nous mangeons au Canada est un homard… américain. Rassurez-vous, de nom seulement.

La ville de Shediac, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick, se targue d’avoir le plus gros homard au monde. Le «vrai» plus gros homard pêché enregistré pesait 20 kg.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Il y a plusieurs espèces de homard dans le monde, mais deux seules sont exploitées commercialement.

Le homard qui se trouve le long des côtes atlantiques de l’Amérique du Nord porte le nom savant d’Homarus americanus, soit le homard d’Amérique. Gageons que ce n’est pas un scientifique canadien qui a pris cette décision (pari gagné – c’est un zoologiste français).

Le homard européen, souvent nommé en France le homard breton ou encore le homard bleu en raison de la couleur de sa carapace, porte le nom scientifique dHomarus gammarus.

D’homarus non grata à aliment de luxe

Il aura fallu plus de deux siècles au homard pour grimper en haut de la pyramide épicurienne.

Pour les colons européens qui arrivent en Amérique du Nord au XVIIe siècle, le homard est un plat à éviter, tout comme pour les Autochtones, qui le mangent cru à l’époque. Les carcasses du crustacé jonchent les rives et dégagent une odeur à vouloir retourner dans les vieux pays.

La guédille au homard est un régal autant au Canada qu’en Nouvelle-Angleterre.

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic

Le homard sert alors surtout d’engrais dans les champs. Puis, on le donne à manger aux engagés, aux prisonniers et aux pauvres.

À l’époque, le homard a tellement peu la cote que, pour certaines familles, c’était même une honte d’en manger, car c’était avouer qu’elles n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent.

La cuisson du homard vivant et l’arrivée du train vont populariser la consommation du crustacé, et sa forte demande va en faire un plat davantage accessible aux mieux nantis.

Les choses changent quand on s’aperçoit que le homard goûte beaucoup mieux s’il est cuit vivant. L’arrivée du train en fait une superstar fin XIXe siècle. Les restaurateurs de New York et de Boston s’en mêlent. Résultat : le homard verra sa chaire devenir… pas mal plus chère.

De la honte à la gloire, il n’y a qu’un pas que les dix pattes du homard ont franchi avec courage.

Une anatomie hors du commun

Le homard en tant qu’animal est vraiment une drôle de bibitte. D’abord, il n’a pas de nez. En fait, il «sent» avec ses pattes et ses pinces qui sont munies de plusieurs récepteurs grâce avec lesquels il peut repérer sa nourriture.

Le homard qui se trouve le long des côtes atlantiques de l’Amérique du Nord porte le nom savant d’Homarus americanus, soit le homard d’Amérique.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Ensuite, il n’a pas de dents. En fait oui, mais pas dans sa bouche. Elles sont plutôt dans son estomac – plus précisément, dans un de ses deux estomacs. S’il est vrai qu’on peut avoir l’estomac dans les talons, le homard, lui, l’a – ou plutôt les a – dans la tête, juste derrière les yeux.

D’ailleurs, cela nous mène à une autre grande révélation : la queue du homard, biologiquement, n’est pas une queue. C’est un abdomen. On y trouve d’ailleurs son intestin, cette petite veine noire qu’il ne faut pas manger.

Quant à son cerveau, n’en parlons pas. Bon, parlons-en mais brièvement. Il a la grosseur d’un pois, juste derrière les yeux, à côté donc des estomacs. Certains experts disent qu’il n’en a pas vraiment.

Plus sérieusement, une des bizarreries du homard est à envier : s’il perd une pince ou une patte, ce membre repoussera à la prochaine mue. On aimerait connaître le truc. Puis, bonne nouvelle : il a un cœur et, de surcroit, à la bonne place. Rassurant.

Le Maine et la Nouvelle-Écosse en tête de peloton

Pêcheurs de homard à la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, 1er décembre 1950. 

Photo : John Collier Jr., Archives Nouvelle-Écosse

De nature généreuse, l’Homarus americanus s’offre à nous sur le littoral atlantique, de la Caroline du Nord jusqu’au sud du Labrador.

Mais là où ça devient sérieux, c’est dans le golfe du Maine et le golfe du Saint-Laurent.

Quelques chiffres – mais pas trop :

Plus de 166 500 tonnes de homard ont été pêchées dans ce grand territoire nautique en 2020-2021. Près des deux tiers de cette manne ont été débarqués au Canada (63 %), le reste (37 %) aux États-Unis.

Les pêcheurs de l’État du Maine sont responsables d’environ 80 % du homard capturé aux États-Unis. Le crustacé y est tellement abondant que la saison de pêche est ouverte toute l’année, même pendant la mue, ce qui serait un sacrilège au Canada.

Si les pêcheurs du Maine sont les champions américains du homard, ceux du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse volent nettement la vedette au Canada. Dans la seule zone 34 (qui couvre la pointe sud-ouest de la province), on y a capturé plus de 20 000 tonnes de homard en 2020-2021, soit un homard sur cinq qui a été débarqué au Canada. Depuis 1980, les captures dans cette zone bénie des dieux ont augmenté de 600 %!

Parmi les quelque 1000 pêcheurs de cette zone, de nombreux loups de mer sont Acadiens et viennent des régions de Clare et d’Argyle en Nouvelle-Écosse.

À lire aussi : Comprendre la crise de la pêche au homard en Nouvelle-Écosse

Un gars, une fille?

Entre les deux genres de homard, le cœur des consommateurs balance. Comment faire la différence?

Dougall Doucette tient le premier homard de la saison à Miminegash, Île-du-Prince-Édouard, en septembre 1948.

Photo : George Hunter, Bibliothèque et Archives Canada

Sous la queue – ou l’abdomen, pour les puristes – il y a cinq paires de trucs – ou petites excroissances pour être plus précis – qui ressemblent à des nageoires. Pour tout vous dire, ce sont des pléopodes. Chez le mâle, la paire la plus près du thorax est plus grosse et elle est dure; chez la femelle, elle est molle.

Certaines rumeurs veulent que les «hanches» ou plutôt la partie supérieure de la queue des femelles soient plus larges. Aucun scientifique n’a osé se prononcer jusqu’ici sur le sujet. Non, c’est une blague! C’est effectivement le cas : cette partie du corps du homard femelle est plus large, même arrondie, question de mieux contenir les œufs.

L’espace nous manque pour parler du débat entourant la souffrance ou non du homard lorsqu’on le cuit dans l’eau bouillante ou encore tergiverser sans fin sur qui a inventé la guédille (le fameux lobster roll, dans l’autre langue officielle).

Terminons avec une histoire savoureuse concoctée par les Cadiens de la Louisiane. Ils aiment raconter, sourire en coin, que leurs ancêtres acadiens ont pris avec eux des homards lors de la Déportation et, ce faisant, que ceux-ci ont rapetissé pour devenir des écrevisses. C’est le genre de truc qu’on aimerait qui soit vrai.

Publié le 7 mai 2023

L’orthographe rectifiée — ou la nouvelle orthographe — a 33 ans. Ce chiffre peut avoir plusieurs sens.

C’est «l’âge du Christ», disait-on souvent «dans le temps». Les opposants à l’orthographe rectifiée pourraient donc dire qu’il s’agit du moment idéal pour «crucifier» cette réforme.

L’hymne des pythagoriciens au soleil levant représente des disciples de Pythagore chantant des Vers d’Or (ou Dorés) attribués à leur maitre après sa mort. 

Photo : Fédor Bronnikov, 1869 – Wikimedia Commons, domaine public

Mais les partisans des «nénufars» de ce monde peuvent s’inspirer du fait que «33» est un chiffre sacré, selon les adeptes de la numérologie inspirés de Pythagore, ce mathématicien que l’on connait surtout pour son célèbre théorème. Un sacré numéro que ce Pythagore.

Pour terminer sur la symbolique du chiffre 33, disons que dans l’islam, tous les gens qui vont au paradis ont 33 ans à leur arrivée. Qu’importe, tout le monde veut aller au ciel, oui mais personne ne veut mourir.

Malgré cette tentative de diversion, nous devons revenir au sujet du jour.

Les prémices de l’orthographe rectifiée

En 1989, le premier ministre français Michel Rocard crée le Conseil supérieur de la langue française et lui confie, entre autres, comme mission de proposer des rectifications à l’orthographe de la langue française.

Maurice Druon a présidé la réforme de l’orthographe, il y a 33 ans. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

Pour accomplir cette tâche, ô combien ingrate, le Conseil forme ensuite un comité d’experts présidé par le respectable Maurice Druon.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Druon, résumons : tour à tour, militaire, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, écrivain (Goncourt 1948), dramaturge, gaulliste et ministre sous Pompidou, député… Un homme aux 33 métiers quoi!

Ah oui, et entretemps, il avait été élu à l’Académie française, puis en était devenu secrétaire perpétuel. Immortel et perpétuel… tout un contrat. Il est, malgré tout, mort en 2009. Pour dire… un titre, ça demeure juste un titre.

C’est donc en tant que secrétaire perpétuel de l’Académie et pour l’ensemble de son œuvre que l’immortel et perpétuel Maurice Druon pilote la grande réforme de l’orthographe.

En décembre 1990, le résultat des travaux du comité est présenté par cet auteur des Rois maudits. Des Rois maudits à l’orthographe maudite, il n’y a qu’un pas qu’il est possible de franchir sans même y penser. C’est fait.

La guerre des mots

Avant de poursuivre, impossible de ne pas jeter un petit coup d’œil dans le passé. Le présent récit ne s’appelle pas Dans le rétroviseur pour rien.

En 1694, les membres de l’Académie française remettaient au roi Louis XIV la première édition de leur dictionnaire. 

Photo : Jean Mariette (graveur) et Jean-Baptiste Corneille (dessinateur) – Wikimedia Commons, domaine public

Depuis des siècles, les Français se disputent entre eux sur la façon d’écrire les mots. L’arrivée de l’imprimerie soulève le besoin d’une orthographe commune. Oui, mais laquelle?

Certains défendent l’orthographe dite étymologique, qui tend à conserver des lettres qu’on ne prononce pas, afin de maintenir une trace de leur origine latine ou grecque. Par exemple, le mot «savoir» était écrit à l’époque «sçavoir», car il dérivait du latin scire. Fallait le savoir. Passons.

D’autres, comme Louis Meigret, auteur de la première grammaire française, Tretté de la grammere francoeze, milite plutôt pour une orthographe phonétique ; il était en fait le premier à dire qu’il faudrait «écrire comme on parle». Ce sera partie remise.

On retrouvait également une multitude de lettres doublées ou de lettres muettes sans que ce soit nécessaire. Des rumeurs circulent voulant que les scribes, alors parmi les rares ayant le privilège de l’écriture, en soient les grands responsables. C’est que, ces suspects numéro un étaient payés selon la longueur de leur texte. Mais ce ne sont que des rumeurs…

Et que dire du son /ε̃/ comme dans hein? En français, on l’écrit de 23 façons.

L’Académie à la rescousse

Pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm de la langue écrite, le cardinal de Richelieu fonde en 1634 (ou 1635) l’Académie française, qui a pour principale mission de «donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences».

Pour y arriver, l’Académie compilera notamment — et surtout — un Dictionnaire, dont la première édition sera présentée… 60 ans plus tard. Ces choses-là prennent du temps, que voulez-vous.

L’Académie française, 1897. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

L’Académie était alors très attachée à l’orthographe «ancienne», parce qu’on pouvait y déceler l’origine des mots.

Pour François Eudes de Mézeray, l’académicien qui va plancher sur les règles à définir, il valait mieux privilégier «l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes». Disons qu’il ne serait pas très populaire de nos jours.

L’orthographe sera réformée régulièrement au fil des éditions du Dictionnaire. En 1740, plus de 6 000 mots sur les 17 500 environ que comptait l’ouvrage sont modifiés.

Par exemple, on remplace des «s» par des accents circonflexes sur la voyelle précédente (apostre-apôtre), on élimine des consonnes muettes (advocat-avocat), on remplace des «y» par des «i» (cecy-ceci), etc.

Voltaire, alors membre de l’Académie, avait convaincu ses pairs de remplacer le «oi» par le «ai» dans les mots comme françois, anglois ou j’estoi. Bonne idée.

La réforme de 1990 n’est donc que la dernière mouture d’une longue suite de modifications à la langue française.

Qu’a changé la dernière rectification?

Bof, finalement, surtout de petites choses, quoique parfois ce sont les plus petites qui dérangent le plus. Comme leadeur qui a remplacé leader. Ah oui, on l’a déjà dit. Et ognon qui a succédé à oignon. Mentionné aussi.

Allo a perdu son accent circonflexe. Chapeau! Bigbang n’a plus son trait d’union (qui n’en a pas un d’ailleurs), tout comme millepatte (qui a aussi perdu son «s» au singulier).

Entre 1 400 et 5 000 modifications ont été «proposées». Les modifications sont proposées parce qu’elles ne sont pas obligatoires ; l’orthographe traditionnelle et la nouvelle sont admises. Ouf!

La nouvelle orthographe a 33 ans. Stop ou encore?

Photo : Wikimedia Commons

Originale ou moderne? À vous de choisir.

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 4.0 International

L’orthographe rectifiée, disions-nous, a 33 ans. Un âge charnière. «L’année du bonheur», à en croire un sondage où la majorité des répondants (70 %) ont indiqué avoir véritablement atteint cet état de plénitude à l’âge de 33 ans.

L’avenir semble prometteur pour l’orthographe. Bonne raison pour se réconcilier avec elle…

Publié le 19 mars 2023

Avouons-le : il fallait faire preuve de témérité et être un peu fou pour explorer des eaux glacées, à des températures horriblement basses dans un dédale d’iles inconnues pour trouver une voie depuis l’Atlantique vers le Pacifique et les Indes orientales, but ultime de cette quête.

Premières escapades européennes

Cinq-cents ans avant les voyages de Christophe Colomb, les Vikings se sont aventurés dans les eaux marquant le début du Passage du Nord-Ouest. Les archéologues ont trouvé des traces de leur séjour sur l’ile de Baffin et l’ile d’Ellesmere, où les vestiges d’un navire viking échoué ont été découverts.

Pour l’époque, atteindre Ellesmere était tout un exploit. Il s’agit de l’ile la plus au nord du Canada. Sa pointe nord-est n’est qu’à 26 kilomètres du nord-ouest du Groenland.

Le planisphère de Cantino est considéré comme étant la plus ancienne et l’une des plus importantes cartes de «l’âge des découvertes». D’un auteur inconnu, elle date du début du XVIe siècle. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Mais délaissons le Nord quelque peu et parlons du Sud, car il y a un lien assez direct entre les expéditions européennes en Amérique du Sud — et centrale — et les explorations dans les eaux arctiques.

Comme on le sait, lorsque Christophe Colomb débarque sur une ile des Bahamas le 12 octobre 1792, il pense avoir atteint les Indes. Quelques années plus tard, d’autres explorateurs et Colomb lui-même se rendront compte qu’ils ont atteint un tout autre continent.

Le détroit d’Arán, tel qu’imaginé par certains cartographes. 

Photo : Carte de Guillaume Sanson, 1687, Wikimedia Commons, domaine public

Mais il a fallu encore quelques années pour déterminer si l’Amérique du Nord et du Sud formait un seul continent ou si un détroit les séparait. Vient alors le mythe du détroit d’Anián.

Des explorateurs et des cartographes ont imaginé (le mot est faible) qu’un long (très très long) détroit servait de trait d’union entre les océans Atlantique et Pacifique à travers l’Amérique du Nord. L’une des hypothèses voulait que le détroit d’Anián relie le golfe de Californie et celui du Saint-Laurent.

Imaginons un instant quelle aurait pu être la devise du pays traversé par ce détroit au long cours : «D’un golfe à l’autre»! Mais on s’égare.

Ce mythe perdurera quand même tout au long du XVIIIe siècle et motivera la quête d’un lien maritime entre les deux océans.

Jean Cabot et les autres

L’explorateur Jean Cabot — Giovanni Caboto de son vrai nom — avait bien avant, imaginé qu’il était possible d’atteindre la Chine en passant au nord du continent américain.

En 1497, il gagne les côtes de l’ile de Terre-Neuve et du Labrador. Certains pensent que cette terre est la Chine. Mais le Passage du Nord-Ouest échappe à Cabot. Il remet ça l’année suivante ; hélas, sa flotte disparait en mer.

Jean Cabot, peint ici en vêtements vénitiens traditionnels. 

Photo : Giustino Menescardi, 1762, Wikimedia Commons, domaine public

On est un peu dans la brume aussi pour ce qui est des voyages de son fils, Sébastien Cabot. Suivant les traces (maritimes) et le rêve d’un Passage du Nord-Ouest, de son père, Cabot fils aurait navigué le long du Labrador, traversé le détroit d’Hudson et même atteint la baie d’Hudson avant de rebrousser chemin.

Les explorateurs français Jacques Cartier et Samuel de Champlain croiront pouvoir trouver ce passage plus au sud en explorant le fleuve Saint-Laurent. Là encore, un rêve inassouvi.

Entretemps, la Grande-Bretagne avait repris le flambeau de l’exploration des eaux arctiques. En 1576, Martin Frobisher se rend jusqu’à la Terre de Baffin (plus grande ile du Canada, partie du Nunavut) et pénètre dans ce qu’il croit être un détroit, mais qui s’avèrera être une baie, qui porte aujourd’hui son nom.

Peu après, son compatriote John Davis se butera lui aussi, par trois fois, à la Terre de Baffin.

Au début du XVIIe siècle, l’explorateur anglais Henry Hudson pousse le rêve un peu plus loin. Il atteint la grande baie à laquelle il donnera son nom. Mais, victime d’une mutinerie, il est abandonné dans un canot avec son fils et sept membres d’équipage. Il sera établi plus tard qu’il s’avère impossible d’atteindre le Pacifique en empruntant le détroit et le nord de la baie d’Hudson.

Peinture de John Everett Millais montrant un vieux marin désabusé et sa fille lisant un journal de bord. L’œuvre représente la frustration britannique après plusieurs échecs pour trouver cette voie maritime.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Trois survivants de cette expédition participeront à d’autres tentatives qui, même si elles n’aboutissent pas, orienteront les explorateurs suivants vers la bonne route, soit au nord de la Terre de Baffin.

Près de deux siècles s’écouleront avant que d’autres ne se lancent dans cette aventure.

En 1845 et 1846, John Franklin et ses 133 marins à bord de deux navires vont plus loin que tous leurs prédécesseurs : ils contournent la Terre de Baffin, piquent vers le sud, mais restent emprisonnés dans les glaces près de l’ile du Roi-Guillaume. Personne ne survivra.

L’aboutissement de siècles d’efforts

Finalement, en 1854, Robert McLure est le premier à franchir le passage d’ouest en est sur mer, mais aussi en partie sur la glace.

Malgré tous ces efforts, toutes ces pertes de vie lors d’expéditions britanniques, ce sera un Norvégien, le célèbre explorateur Roald Amundsen (qui sera d’ailleurs le premier, cinq ans plus tard, à atteindre le pôle Sud), qui parviendra à franchir complètement le Passage du Nord-Ouest par la mer, et cette fois de l’ouest vers l’est 1450 kilomètres.

L’une des raisons de son succès : sa goélette. La Gjøa était un petit navire, ce qui fait qu’elle a réussi à naviguer dans des eaux peu profondes.

Comme les nombreuses autres expéditions qui l’ont précédée, celle d’Amundsen a été atroce. L’équipage a failli y laisser sa peau à plusieurs reprises.

Équipage de la Gjøa au lendemain de son arrivée à Nome, en Alaska. Amundsen se trouve devant, à gauche.

Photo : Frank N. Powel, Wikimedia Commons, domaine public

C’est sur cette petite goélette qu’Amundsen et ses hommes ont réussi à franchir le Passage du Nord-Ouest.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Arrivé en eau libre, Amundsen écrira d’ailleurs dans son journal : «Le passage du Nord-Ouest est ouvert. Mon rêve d’enfance vient de se réaliser à ce moment. Une étrange sensation me prend à la gorge. Je suis surmené et à bout — c’est une faiblesse —, mais je sens les larmes me monter aux yeux.»

De nos jours, le Passage du Nord-Ouest est de plus en plus facilement navigable, résultat des changements climatiques. Il ouvre la voie à une course à l’exploitation controversée des richesses naturelles de l’Arctique et il ravive les questions de souveraineté de ces eaux.

Le rêve pourrait encore se transformer en cauchemar.

En moins de 15 minutes, le jeudi 14 aout 2003, plus de 55 millions d’Américains et de Canadiens ont été privés d’électricité.

Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa. 

PHOTO : Courtoisie

En Ontario, le courant a été rétabli à peu près partout en moins de deux jours, mais à certains endroits, il a fallu attendre une semaine pour un retour à la normale. Aux États-Unis, le courant n’est pas revenu avant quatre jours dans plusieurs secteurs.

Ce jour-là, le mercure dépassait 30 °C à plusieurs endroits. La forte demande en électricité en raison de l’utilisation des climatiseurs n’a pas été étrangère aux problèmes qui ont causé cette grande interruption du courant.

La panne a mis au jour plusieurs lacunes dans la structure et la gestion de la distribution de l’électricité, particulièrement aux États-Unis, où le bris a pris naissance.

«Globalement, ça a montré que les défaillances majeures pouvaient avoir des impacts non seulement aux États-Unis, mais aussi chez les voisins», explique Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique à l’Université d’Ottawa.

Comme le réseau électrique ontarien est interconnecté avec certains États américains, le courant circule dans les deux sens, selon les besoins des uns et des autres.

Les prémices

Si la panne comme telle a débuté peu après 16 h (HAE), les incidents déclencheurs sont survenus quelques heures plus tôt.

Tout a commencé à 12 h 15 avec une panne de données sur le réseau de transport d’électricité dans la région de Cleveland, en Ohio. Un peu plus d’une heure plus tard, une défaillance provoque une perte de 600 mégawatts à la centrale d’Eastlake, en banlieue de Cleveland.

D’autres pannes informatiques se produisent au cours de l’après-midi. Le problème : les exploitants du système ne s’en rendent pas compte, en raison même des défaillances des programmes informatiques. Ce n’est que vers 15 h 45 que les responsables réalisent que le réseau est menacé. Mais il est trop tard.

Effet domino

Vers 16 h 10, une poussée de courant provoque une surcharge sur certaines lignes de haute transmission, qui deviennent inopérantes. Mais le courant, lui, ne s’arrête pas ; il cherche d’autres lignes où circuler. Celles-ci sont de moindre capacité et flanchent à leur tour.

Les résidents de New York n’avaient que la rue pour circuler lors de la panne. 

PHOTO : Wikimedia Commons, Share Alike, 2.0 Generic

Très rapidement, les incidents se répandent en cascade en Ontario, de Toronto à Windsor, et dans les États environnants : Michigan, Pennsylvanie, New York, New Jersey, Vermont, Connecticut et Massachusetts.

Quelques minutes plus tard, 508 génératrices dans 265 centrales dans les deux pays sont mises à l’arrêt, privant les usagers des 61 800 mégawatts d’électricité qui auraient normalement dû circuler dans la région.

Presque instantanément, 55 millions de personnes n’ont plus de courant, dont 10 millions de ce côté-ci de la frontière.

La panne en Ontario

La panne a frappé une grande partie de l’Ontario et de plusieurs États américains. 

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Pratiquement tout l’est de la province de l’Ontario est frappé, soit la partie à l’est de Wawa, incluant les villes d’Ottawa, Toronto, Sudbury, Kitchener, London et Windsor.

Exceptions notables, la région de Cornwall, alimentée par le Québec, et celle de Niagara, qui a pu isoler son réseau hydroélectrique des systèmes voisins, sont épargnées.

Plus de courant, plus d’air climatisé, plus d’ordinateur, plus de feux de circulation. Faute de policiers en nombre suffisant, des civils vont eux-mêmes s’en occuper.

À Toronto, le métro cesse de fonctionner. Les usagers restés coincés doivent marcher dans les tunnels pour sortir. Les plus malchanceux sont celles et ceux qui se retrouvent dans un ascenseur.

«Comme si le temps s’était arrêté»

Journaliste culturelle à Radio-Canada Acadie, Anne-Marie Parenteau – qui avait vécu la crise du verglas au Québec en 1998 – travaillait à la station de Toronto cette année-là. Elle se rappelle que pendant la panne, elle devait marcher plus d’une heure pour se rendre au boulot.

Caroline Bourdua, alors animatrice à la radio de Radio-Canada, a vécu la panne à Toronto. 

PHOTO : Courtoisie

«Il y avait un peu comme un sentiment de fin du monde je dirais. Pas d’électricité dans la plus grande ville du Canada, pas de transports en commun, de tramway, pas de taxis disponibles! Comme si le temps s’était arrêté.»

Caroline Bourdua était à l’époque animatrice à Radio-Canada en Ontario. Elle se trouvait en réunion à Toronto quand on lui a demandé d’animer quelques heures d’une émission radio spéciale consacrée à la panne.

Elle se souvient de l’étrangeté de la situation au centre-ville : «Quand j’ai marché à mon hôtel, c’était tellement hallucinant, parce qu’il n’y avait rien. Pas un bruit. Il y avait des gens sur la rue qui marchaient, les tramways étaient tous arrêtés, les chauffeurs demeuraient dans leurs tramways jusqu’à ce que quelqu’un passe ramasser la cagnotte.»

À l’arrivée dans sa chambre d’hôtel, au 9e étage, l’absence de pollution sonore était impressionnante. «Je pouvais entendre les gens marcher et parler sur le trottoir, tellement c’était silencieux partout. C’était vraiment fou.»

Les leçons à tirer du «blackout»

À l’époque, les gens de l’industrie savaient qu’avec l’arrivée d’un grand libre marché de l’électricité quelques années auparavant, les investissements avaient été insuffisants pour faire face à une demande grandissante.

Il existait bien une autorité nord-américaine du réseau de transmission, le NERC (North American Electric Reliability Corporation), créée après la grande panne de 1965 qui avait touché à peu près la même région dans le nord-est de l’Amérique du Nord, mais elle ne pouvait obliger les exploitants du réseau de se conformer à ses normes.

Afin d’éviter qu’une telle mégapanne ne se reproduise, le Canada et les États-Unis ont créé un groupe de travail. Son rapport remis en avril 2004 contient 46 recommandations dont celle de rendre obligatoires les normes de la NERC.

Au Canada, bien que les provinces soient responsables de ces normes, celles du NERC sont maintenant obligatoires ou sont en voie de l’être presque partout au pays.

Même si elle n’a duré que quelques jours, la perte de courant a eu des conséquences économiques importantes.

Le produit intérieur brut (PIB) du Canada a chuté de 0,7 % en aout 2003. Près de 19 millions d’heures de travail ont été perdues et la valeur des livraisons de biens manufacturés a diminué de 2,3 milliards de dollars en Ontario sur la période.

Publié le 21 mai 2023

Mais ce n’est pas avec sa voix que Robertine Barry ébranlera les colonnes du temple de la société patriarcale dans laquelle elle vivait, mais avec sa plume, sous le nom de Françoise.

Que ce soit comme journaliste, autrice, conférencière ou autre, Robertine Barry a défendu la condition féminine. 

Photo : Vers 1900, Wikimedia Commons, domaine public

Réputée être la première canadienne-française à gagner sa vie comme journaliste, cette célibataire libre-penseuse, vivant dans un monde conservateur sur lequel l’Église exerce encore une grande emprise, ira complètement à l’encontre de l’idéal féminin de l’époque, selon lequel elle aurait dû être une épouse et une mère dévouée.

Les mots, qui ont été l’épée par laquelle cette féministe avant l’heure a revendiqué une meilleure condition pour les femmes, ont été présents dès sa jeune enfance.

Robertine grandit dans une famille à l’aise. Née à L’Isle-Verte, au Québec, en 1863, elle était neuvième de treize enfants. Elle se plonge très jeune dans les œuvres de La Fontaine, puis de Hugo, de Lamartine et même des sœurs Brontë.

Après l’école primaire, Robertine ira parfaire son éducation classique au couvent Jésus-Marie à Trois-Pistoles, puis chez les Ursulines à Québec.

Le voile ou la plume?

Fondateur et directeur du journal La Patrie, Honoré Beaugrand donnera à Robertine Barry sa première chance comme journaliste. 

Photo : 1894, Wikimedia Commons, domaine public

À son retour de Québec à Trois-Pistoles, où sa famille s’est installée, elle songe un moment à devenir religieuse comme sa sœur Évelyne. Sur les conseils de son père, elle part à Halifax pour y enseigner la musique dans un couvent, question de voir si elle a la vocation. La réponse sera non.

Elle décide alors de tenter sa chance à l’écriture, et particulièrement au journalisme. Mais le risque est grand, car en son temps, très peu de femmes peuvent vivre de ce métier.

Elle sollicitera plusieurs éditeurs et essuiera plusieurs refus, jusqu’à ce qu’elle rencontre, en 1891, Honoré Beaugrand, directeur fondateur de La Patrie, l’un des grands journaux canadiens-français de l’époque.

Beaugrand est bien connu pour ses idées libérales radicales et anticléricales. Il embauche Robertine, mais surtout, il ne la confine pas aux pages féminines comme c’était la coutume à l’époque.

Robertine devient Françoise

Robertine Barry va alors déployer ses ailes. Elle prend le nom de plume de Françoise, en l’honneur de saint François de Sales. Dès ses débuts, elle revendique le droit des filles à l’instruction et s’en prend aux mentalités conservatrices.

Ella connaitra bientôt une certaine notoriété avec sa «Chronique du lundi» qu’Honoré Beaugrand publie en première page du journal.

Françoise s’en donne à cœur joie. Ses textes portent, entre autres, sur le droit de vote des femmes, le besoin d’interdire juridiquement le travail des enfants, la mise en place de refuges pour les femmes victimes de violence et l’éducation laïque.

Recueil de certains numéros de la «Chonique du lundi» de Françoise, parue dans le journal La Patrie.

Elle réclame même pour les femmes l’accès à l’université et le droit d’exercer les mêmes professions que les hommes. La décrire comme une avant-gardiste serait un euphémisme.

Ses prises de position vont à l’encontre de plusieurs personnalités en vue, dont Henri Bourassa, futur fondateur du journal québécois Le Devoir et antiféministe. Certains, par dérision, l’appellent d’ailleurs «Monsieur».

Écrite à la première personne, sous la forme d’une conversation, mélangeant digressions, anecdotes et humour, la «Chronique du lundi» sera publiée jusqu’en 1900. Françoise publiera à compte d’auteur un recueil regroupant ses chroniques du début de sa carrière.

Pendant ces années, elle écrira aussi pour d’autres journaux et magazines montréalais, comme Le Coin du feu, le Bulletin, le Franc Parler, la Femme et plusieurs autres.

Représentante du Canada à des expositions universelles

La réputation de Françoise ne fait que grandir. Avec une autre pionnière journaliste canadienne-française, Joséphine Dandurand (née Marchand), elle sera représentante des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris en 1900.

Elle sera également déléguée aux expositions universelles de Saint-Louis au Missouri en 1904 et de Milan en 1906. Lors de ce dernier voyage, elle aura d’ailleurs une rencontre officielle avec le pape Pie X.

Le voyage à Paris mettra fin à sa collaboration avec le journal d’Honoré Beaugrand. De retour à Montréal, elle est atteinte de la fièvre typhoïde, mais rien n’arrête cette femme d’une énergie et d’une détermination hors du commun.

Une fois remise de sa maladie, elle fonde en 1902, avec ses propres économies, Le Journal de Françoise, qu’elle dirigera jusqu’en 1909 et qui restera son œuvre majeure. Plus de 500 collaborateurs signeront des textes dans cette publication, dont certains noms réputés tels qu’Émile Nelligan.

Une amitié intime

Puisqu’on en parle, ouvrons une petite parenthèse sur les liens entre l’auteur de Soir d’hiver et du Vaisseau d’or et Françoise.

Dès 1999, des murmures se font entendre voulant que le poète soit épris de la journaliste, de 16 ans son ainée. Françoise, qui est une amie de sa mère, accueille Nelligan à plusieurs reprises chez elle à Montréal. Il lui récite de ses poèmes et se confie en elle ; elle lui donne des conseils.

On ne sait pas jusqu’où ira cette relation, mais Nelligan évoquera Françoise dans plusieurs poèmes enflammés, dont Rêve d’artiste, dans lequel il la nomme «sa sœur d’amitié». Puis, une brouille s’installera entre les deux.

Robertine Barry, dite Françoise, s’engage aussi dans des regroupements féminins, dont en tant que vice-présidente du Canadian’s Women Press et présidente de l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises.

Premier conseil d’administration de Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, dont Robertine Barry (en bas, à droite) a été cofondatrice. 

Photo : Wikimedia Commons, 1907

Elle fera partie en 1907 du premier conseil d’administration de la première association féministe canadienne-française, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste.

Elle participera aussi à la fondation d’un premier collège classique féminin qui deviendra le Collège Marguerite-Bourgeois.

Elle n’arrête pas d’écrire pour autant. Elle écrira notamment une pièce de théâtre, Méprise, en 1905. Le premier ministre canadien Wilfrid Laurier viendra à Montréal pour la voir.

Après la fermeture du Journal de Françoise, en 1909, la dépression la guette. Elle fait un dernier voyage à Paris et meurt quelques mois après son retour, le 7 janvier 1910. Elle avait 46 ans.

Elle aura été célibataire toute sa vie. Robertine Barry, dite Françoise, a beaucoup écrit sur la question pour souligner la liberté que le célibat lui apportait. Un jour, dans son journal personnel, elle a écrit : «Je ne suis pas de celles qui considèrent le mariage comme le but vers lequel doivent tendre les plus nobles efforts de toute une vie.»

Quelqu’un d’autre écrira, bien plus tard : la femme est l’avenir de l’homme.

Publié le 4 mai 2023

Allons-y.

Toute cette affaire date du jour où le roi d’Angleterre Édouard 1er a carrément volé la pierre de Scone. Ce genre de choses arrive.

Le roi anglais Édouard 1er s’est approprié la pierre de Scone en Écosse pour la faire transporter à Londres.

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Quelques détails plus ou moins importants ici : la pierre est faite de grès jaune. Elle mesure environ 67 cm de long sur 27 cm de large et 42 cm d’épaisseur.

Curieusement, c’est à peu près la taille d’un épagneul… Cavalier King Charles, un chien nommé en honneur du roi Charles II, qui vouait presque un culte envers cette race de chien. Bref, c’était le corgi du XVIIe siècle.

Édouard 1er était surnommé Longshanks ou «longues jambes» (il faisait 1,90 m). Les cinéphiles qui ont vu le film Cœur vaillant (Braveheart) savent que le héros William Wallace lutte héroïquement pour empêcher ce roi d’Angleterre d’envahir l’Écosse.

Divulgâchons gaiment : à la fin, William Wallace, alias Cœur vaillant, est capturé, pendu, éviscéré et écartelé. Bref, il meurt.

Après quelques années de guerre, l’Écosse obtient son indépendance de l’Angleterre, puis la perd et la regagne jusqu’à ce que le roi Jacques VI d’Écosse unisse les deux royaumes en devenant aussi roi d’Angleterre après la mort d’Elizabeth 1re, celle qui avait fait tuer sa mère, la reine Marie Stuart. La belle époque.

La «chaise du couronnement» sert de trône pour le couronnement des souverains anglais et britanniques depuis le début du XIVe siècle. On peut apercevoir la «pierre de Scone» sous le siège. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Donc, avant son petit différend avec Wallace, Édouard 1er, grâce sans doute à sa haute stature, avait réussi en 1296 à «enjamber» la frontière écossaise et à envahir le pays. L’occupation est temporaire, mais Édouard — nous y voilà — parvient à dérober la pierre de Scone et à l’apporter à Londres. On lui jette la première vous savez quoi? C’était peut-être le plus grand des voleurs. Oui, mais pas un gentleman. Demandez à Wallace.

La tant convoitée pierre du destin est installée à l’abbaye de Westminster, où étaient couronnés les souverains anglais depuis Guillaume le Conquérant. Notre, hum, bon roi Édouard fait construire sur mesure un trône, qu’on appellera «chaise du couronnement» afin d’y insérer la fameuse pierre sous le siège.

C’est sur ce trône d’Édouard 1er, avec la pierre de Scone en prime, que seront couronnés tous les souverains anglais et britanniques qui suivront.

Mais pourquoi désirait-on tant ce petit bloc de roche pas plus gros qu’un épagneul pour ne plus s’en passer? Encore une fois, la réponse est dans le rétroviseur.

Un bloc vieux comme Hérode

Avant d’être dérobée, la pierre était conservée à l’abbaye de Scone (d’où son nom), où les anciens rois écossais étaient couronnés. D’ailleurs, le scone, ce petit… truc difficile à définir (ni gâteau, ni biscuit, ni pain – cake?) pourrait avoir été baptisé du nom de l’endroit.

La pierre de Scone ou pierre du destin. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Le Lia Fàil — nom de la pierre en gaélique — était auparavant sur l’ile d’Iona, près de la côte ouest du pays du biscuit sablé (qui, d’ailleurs, a curieusement une allure ressemblant à notre pierre).

Et avant? C’est ici où le mythe rencontre la légende, où l’Histoire laisse place aux fables.

Selon la tradition, la pierre de Scone tire ses origines d’une histoire biblique qui remonte à entre 1 800 et 1 500 années avant notre ère (pour dire vrai, on ne le sait pas vraiment). Vieux comme Hérode indeed!

C’est à cette époque très antique que vivait Jacob, l’un des trois patriarches de l’Ancien Testament avec son père Isaac et son grand-père Abraham. Un jour, Jacob s’endort, sa tête reposant sur une… pierre, d’où le surnom d’«oreiller de Jacob» qu’on donne parfois à la fameuse roche.

Chaise de couronnement et de la pierre de Scone. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public, entre 1875 et 1885

Pendant son sommeil, Jacob voit en songe une échelle qui monte jusqu’au ciel, et sur laquelle des anges montent et descendent. Voilà pour la partie biblique.

De là, la pierre de Jacob emprunte différents chemins selon les légendes. L’une d’elles veut que l’objet désormais sacré ait abouti en Égypte et, de là, ait été transporté en Sicile, puis en Espagne et enfin en Irlande. On aurait installé la pierre sur la mythique colline de Tara, où les anciens rois irlandais étaient acclamés. Puis, un souverain irlandais, Fergus Mor, l’aurait apportée en Écosse. Allez savoir pourquoi! Jacob le sait peut-être.

Selon un autre récit, une princesse égyptienne nommée Scota, descendante de Moïse, aurait transporté la pierre dans un pays à qui elle a donné son nom : Scotland (Écosse).

Mais depuis, les géologues ont prouvé que la pierre provenait d’une carrière de la région de Scone et non de la Judée… Quand la science vient gâcher une belle histoire.

Et c’est pas fini…

Retour vers le futur : après avoir reposé tranquillement pendant des centaines d’années à Londres, la pierre vivra quelques péripéties.

Le Canada a un peu de pierre de Scone dans son histoire.

Lors du bombardement allemand de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, la pierre a été retirée et cachée dans un endroit tenu secret.

Craignant le pire, les responsables de la pierre ont envoyé au Canada des plans indiquant son emplacement au premier ministre canadien de l’époque, William Lyon Mackenzie King, ainsi qu’au lieutenant-gouverneur de l’Ontario. Très «tripatif».

Et ça continue…

Comme ses prédécesseurs royaux de longue date, Charles III sera couronné sur la pierre de Scone.

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2,0 Generic

En 1950, aux petites heures du jour de Noël, quatre étudiants écossais nationalistes, avec à leur tête un certain Ian Hamilton, réussissent à pénétrer dans l’abbaye de Westminster et dérobent la pierre pour la ramener à son ancienne patrie. Mais trois mois plus tard, la pierre au curieux destin est ramenée à Londres. Les étudiants ne seront pas poursuivis.

Toutefois, en 1996, 700 ans précisément après le larcin d’Édouard 1er, justice est enfin faite : la pierre de Scone est formellement remise à l’Écosse.

Elle trône depuis dans la «salle de la couronne» au château d’Édimbourg. L’Écosse, bon prince, a accepté de la «prêter» à la famille royale et de l’expédier à Londres pour le couronnement de ce bon vieux roi Charles.

Qui sait cependant ce qui pourrait se passer pendant le trajet? Si jamais, par malheur, quelque chose devait arriver à la pierre avant le couronnement, pas de panique! Un épagneul Cavalier King Charles pourrait très bien faire l’affaire.

Publié le 13 avril 2023

Avertissement : Exceptionnellement, la présente édition du Rétroviseur est rédigée au «je», pour rendre honneur à cette chouette lettre au passé relativement jeune.

La lettre J a eu une longue gestation avant de venir au monde. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

On ne double jamais la lettre «j». Comme le «i», sa voisine et sœur ainée, on ne lui met pas de point lorsqu’elle est majuscule (à moins qu’on ne l’ait simplement pas trouvé). Ce qui ne fait pas d’elle une minus pour autant. Au contraire!

Elle est un peu princesse : elle n’apparait jamais avant une consonne ou la voyelle «i» — sauf dans des mots empruntés, comme jihadisme — ni à la fin d’un mot (déj ne compte pas). Elle est une des dernières venues de notre alphabet. Histoire de J.

Malgré qu’elle serve d’initiale à tous ces mots jouissifs, et à bien d’autres, la lettre J a été adoptée officiellement dans notre alphabet seulement en 1762, par l’entremise de la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française.

Dans la préface de l’ouvrage, l’Académie explique que l’ajout du J — ainsi que du U, au même moment — fait partie de changements considérables «que les gens de lettres demandent depuis longtemps».

Le J et le U deviennent alors les 24e et 25e lettres de l’alphabet. La 26e sera le W, quoique, entre vous et moi, il y a anguille sous roche derrière toute cette affaire.

La lettre W n’est toujours pas reconnue par l’Académie française comme 26e lettre de l’alphabet. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Même si des mots commençant par la lettre W figurent dans le Dictionnaire de l’Académie française depuis la 5e édition (1798), l’Académie n’a pas encore ajouté cette lettre à l’alphabet.

La 8e — et plus récente — édition du Dictionnaire de l’Académie française atteste l’usage de cette lettre, mais souligne, comme dans la 7e édition (1878), que le W n’est utilisé que «pour écrire un certain nombre de mots empruntés aux langues [des peuples du Nord]».

Cela n’a pas empêché le Petit Larousse d’intégrer le W à l’alphabet français en 1948, suivi du Grand Robert en 1964.

Ces dictionnaires ont-ils le pouvoir de décréter l’ajout d’une lettre, même si l’Académie ne l’a pas fait? Pas sûr.

Mais il y a de l’espoir : la 9e édition du Dictionnaire adoptera tout probablement le W. Enfin, c’est ma prédiction. Cette édition est en préparation depuis… 1986. L’Académie a publié par tranches les sections terminées. Elle en est rendue au mot «sommairement».

Quand on est immortels, on peut prendre son temps. J’espère qu’on ne les paie pas à l’heure…

Le J doit tout au I

On a beaucoup écrit sur l’origine du J. Parfois, comme c’est souvent le cas lorsqu’on fouille l’histoire des choses, on trouve des explications différentes, voire contradictoires. C’est le défi de pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie. Je braque ici le télescope sur le Rétroviseur, afin de reculer très loin.

1 Alphabet phénicien, 2 Alphabet grec (ionien, attique et eubéen), 3 Alphabet grec (classique, étrusque), 4 Alphabet latin. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 4.0 International

Pour faire court (disons, moyennement court), notre alphabet est une modification de l’alphabet latin, adopté par les Romains, et il était lui-même une variation de l’alphabet étrusque tiré de l’alphabet grec, ce dernier étant issu de l’alphabet phénicien (le plus ancien qui mérite cette appellation) qui, en fait, était le résultat d’emprunts et d’inspirations de l’écriture cunéiforme des Sumériens et des hiéroglyphes égyptiens. L’arbre est dans ses feuilles marilon, marilé.

Ni les Phéniciens, ni les Grecs, ni les Étrusques, pas plus que les Romains n’avaient de lettre J dans leur alphabet respectif. Le I était alors suivi directement du K. La naissance du J dans notre alphabet — donc, son jour J — surviendra lors de la… Renaissance. C’est compliqué.

Mais pour tout dire, le J est un rejeton de la lettre I, qui s’appelle le iota chez les Grecs. Et ce sont eux qui ont commencé à utiliser le J à la fois pour le son «i» comme en français et pour le «ye». Les Étrusques n’ont pas dérogé d’un iota (je m’excuse) à cette façon de faire, pas plus que les Romains, et ensuite les Français.

En France, au Moyen Âge, on a eu tendance à «allonger» le I lorsqu’il était en position prééminente, comme sous la forme d’une initiale. Le J aura différentes prononciations dans d’autres langues. C’est leur droit.

Une lettre, deux pères

La paternité du J est disputée par deux grammairiens européens.

Page couverture du Tretté de la grammere francoeze, première grammaire française, signée par Louis Meigret. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Dans le coin droit, on retrouve Gian Giorgio Trissino, dit Le Trissin, un Italien né en 1478. En 1524, Trissino écrit l’Epistola de le lettere nuovamente aggiunte ne la lingua Italiana adressée au pape Clément VII. Dans cet ouvrage, il crée les lettres J et U. Comme le I qui avait deux rôles, la lettre V était jusque-là utilisée pour représenter deux sons : celui du V et du U.

Dans le coin gauche, on aperçoit un rival de taille : Louis Meigret, un Français né vers 1510 et auteur de la première grande grammaire française. Dans son Tretté de la grammere francoeze, publié en 1550, il fait du I long un J et lui donne la prononciation actuelle [ʒ], comme dans «je suis libre».

Les Français font de Meigret le «père» des lettres J et U, même si son ouvrage parait 26 ans après celui de Trissino. Fake news?

Toujours est-il que certains attribuent à Trissino la forme actuelle du nom de Jésus dans plusieurs langues – dont le français et l’anglais. À l’origine écrit «Yeshua» en araméen, le prénom se transforme en «Iesous» en grec, légèrement modifié à «Iesus» en latin, avec la prononciation «ye».

Donc, Trissino remplace le I de Iesus par le J et Meigret lui donne la prononciation actuelle. Un travail d’équipe. Dans la langue anglaise, on préférera plutôt la prononciation «dj» pour le J, ce qui donnera «djisus». Chacun son truc.

Gian Giorgio Trissino est l’un des deux grammairiens à qui on attribue «l’invention» de la lettre J. 

Photo : Vincenzo Catena, vers 1525-1527, au Musée du Louvre, Wikimedia Commons, domaine public

Malgré «l’invention» du J et du U au XVIe siècle, le I et le V continueront d’être utilisés respectivement pour le J et le U pendant un certain temps.

À preuve, au siècle suivant un certain écrivain du nom de François-Marie Arouet décide de se créer un pseudonyme. Il prend son nom de famille et y ajoute les initiales L. J. (signifiant Le Jeune – pour imiter, croit-on, des auteurs de l’Antiquité, comme Pline le Jeune), ce qui donnerait aujourd’hui Arouet L. J.

Or, comme à l’époque le U et le J sont encore respectivement V et I, Arouet L.J s’écrit en fait AROVET L. I., ce qui donnera l’anagramme… Voltaire. Brillant!

Cette histoire de J m’a quelque peu épuisé. Permettez que je «finis-je» ici?

Publié le 27 avril 2023

C’est un pur hasard si deux mets aussi populaires issus du Canada francophone partagent le nom de poutine. C’est d’ailleurs la seule chose – outre la patate – que la poutine québécoise et la poutine acadienne ont en commun. Et encore là, tout un monde sépare la frite de la boulette gluante.

La poutine râpée acadienne : le résultat final. 

Photo : Acadie Nouvelle

Si vous lisez quelque part que la poutine râpée est le plat «national» de l’Acadie, détrompez-vous! C’est un plat traditionnel acadien, mais uniquement dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, dont la région de Moncton.

Dans ce coin d’Acadie, on la mange n’importe quand, pour les petites ou les grandes occasions. À Noël et pour les pas d’occasions pantoute.

Au fil du temps, elle est tout de même devenue emblématique au pays de la Sagouine. Dans sa mémorable interprétation des Douze jours de Noël (Twelve Days of Christmas), l’ancien groupe acadien Les Méchants Maquereaux reçoit, au premier jour, «un gros mess de poutine râpée».

Quelques restaurants ont fait de ce plat leur spécialité. À Bouctouche, où se trouve le vrai Pays de la Sagouine, il y a La Poutine à Léa et La Poutine acadienne. Il y a aussi Saint-Antoine poutine râpée à… Saint-Antoine. À Moncton, Chez mémère poutine & râpée offre la poutine du jour et, pour 25 cents de rabais, la poutine d’hier. Curieux, car certains, comme la chanteuse acadienne Lisa LeBlanc, disent qu’elle est meilleure le lendemain. M’enfin.

La râpure, une variante de la poutine râpée, est très populaire chez les Acadiens et Acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard et de la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse. 

Photo : Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic

Une variante appelée râpure garnit les tables acadiennes de l’Île-du-Prince-Édouard et de la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse. Il y a aussi des dérivés comme la poutine à trou, d’apparence similaire, mais qui est un dessert.

L’origine du mot poutine? Étrangement, tant pour l’acadienne que la québécoise, certains ont pensé que «poutine» pourrait être une déformation de «pouding», francisation du mot anglais pudding, qui lui-même proviendrait du français «boudin». Mais cette hypothèse ne semble pas tenir la route. La poutine ne fera pas chanter les p’tits Simard.

Une chose cependant est sure : la poutine râpée précède de loin la poutine du Québec, inventée dans les années 1950.

Sur la piste de la poutine râpée

Alors, d’où vient la poutine râpée? Vous êtes au bon endroit pour le découvrir.

La référence en la matière est le père Clément Cormier. Il semble en effet être le seul à s’être vraiment penché sur le passé de ce plat de la gastronomie acadienne. Historien et bâtisseur de l’Acadie moderne, il a été, entre autres, le recteur-fondateur de l’Université de Moncton.

Des poutines râpées en cours de préparation. 

Photo : Wikimedia Commons, Share Alike 3.0

Dans le premier cahier de la Société historique acadienne, paru en 1961, le père Cormier signe un article «savoureux» intitulé La poutine râpée, aux yeux de l’histoire. C’est une enquête à caractère populaire, rédigée par cet homme d’Église avec un sourire en coin évident.

Dès le départ, il met cartes sur table : la poutine râpée n’est pas une tradition apportée de la France, car si c’était le cas, on la retrouverait dans les cuisines de toutes les régions acadiennes. (L’écrivain Melvin Gallant, coauteur de La cuisine traditionnelle en Acadie, souligne que la pomme de terre, originaire d’Amérique du Sud, n’a été répandue à grande échelle en France qu’au milieu du XVIIIe siècle, soit bien après que les Français eurent colonisé l’Acadie.)

Le père Cormier le confirme, la poutine râpée ne fait pas l’unanimité en Acadie : «Le visiteur de Caraquet ou de Tracadie désillusionne son hôte de Shédiac en faisant la moue devant cette masse gluante; s’il a le goût du risque, par délicatesse, il acceptera d’y goûter sans trop grimacer.» Ç’a l’avantage d’être direct!

Il en remet plus loin : «Le compatriote de la Baie Ste-Marie regardera avec dédain ces boulettes incolores. […] Il faut le reconnaître : à mesure qu’on s’éloigne de la région monctonienne, notre “mets acadien” perd de son attrait pour devenir objet d’indifférence, de suspicion, de répugnance.» Plus qu’un direct, c’est un uppercut!

La filière allemande…

Le père Cormier raconte ensuite dans son récit qu’une Acadienne vivant en Pennsylvanie après la Seconde Guerre mondiale avait offert à manger à deux ex-prisonniers allemands, venus quémander de la nourriture. Elle leur avait servi des poutines râpées qu’elle venait de préparer. À la vue de ces boules de pommes de terre, les deux Allemands se seraient écriés : «c’est notre mets national!»

Concessions accordées aux familles pionnières de Moncton. Ces terres correspondent aujourd’hui au centre-ville de Moncton.

Photo : Marc Poirier

Ce curieux témoignage amène le père Cormier à se souvenir que la ville de Moncton a été fondée par quelques familles allemandes arrivées – par hasard – de Pennsylvanie – dans les années 1760. La poutine râpée serait-elle germanique? Kaum zu glauben!

En fait, pas si difficile à croire que ça. Il existe un plat très prisé en Allemagne, et ailleurs en Europe centrale et de l’Est, qui ressemble étrangement à la poutine acadienne. Le knödel a plusieurs variantes, mais l’une d’elles consiste en une boule faite d’un mélange de pommes de terre crues et cuites râpées. Qui l’eût cru? La patate râpée, surement.

Mais… comment le knödel s’est-il transformé en poutine râpée? Poser la question, ce n’est pas toujours y répondre. Mystère et boules gluantes. Mais on a un indice!

Arrivées de Pennsylvanie, les familles fondatrices allemandes ont eu peine à affronter le premier hiver. Certaines sources avancent qu’elles ont reçu l’aide de Mik’maq et d’Acadiens qui étaient revenus s’établir dans la région après la Déportation. À noter que, dès leur arrivée, les pionniers allemands ont planté 200 livres de… pommes de terre.

Chez Mémère, à Moncton, l’un des nombreux restaurants qui se spécialisent dans la poutine râpée. 

Photo : Marc Poirier

Une autre hypothèse veut qu’une fois bien établies, certaines familles allemandes aient embauché des Acadiennes comme domestiques. Celles-ci auraient ainsi appris à faire des knödels qui, au fil du temps, seraient devenus les poutines râpées. L’affaire est ketchup! D’ailleurs, le ketchup ne serait pas une mauvaise idée pour s’initier à la poutine râpée.

Toujours est-il que, malgré ses recherches, le père Cormier disait manquer de preuves pour attester hors de tout doute que la poutine acadienne avait des ancêtres dans l’outre-Rhin.

Donc, une enquête qui a fait patate?

Mais, entre nous… jusqu’à preuve du contraire, on peut bien y croire.

Publié le 20 avril 2023

Dans les années 1940, le géant sud-africain du diamant De Beers avait adopté le slogan «les diamants sont éternels.» L’expression est restée, surtout qu’elle a été par la suite consacrée en devenant le titre du septième volet de la saga James Bond.

Le proton est composé de trois sous-particules nommées des quarks. 

Photo : Wikimedia Commons, Share-Alike 4.0

Toute vérité n’est pas bonne à dire…

Même si le diamant est l’un des matériaux les plus durs de la planète (les scientifiques ont découvert un minéral encore plus dur, le lonsdaléite) et qu’il est extrêmement résistant, le diamant peut être détruit en le brulant.

Mais pour le faire disparaitre complètement, il faudrait le chauffer à une température d’environ 1 400 degrés Celsius pendant deux ou trois heures. Faut le vouloir!

Avec le temps va, tout s’en va. Tout? Pas vraiment.

Au commencement, il y avait le proton. Il va s’avérer être le champion toutes catégories de longévité et, pour ainsi dire, éternel. Le diamant peut aller se rassoir.

Mais… qu’est-ce qu’un proton?

Permettez que l’on prenne un peu de recul. Disons, jusqu’au Ve siècle av. J.-C.

Rien ne se perd, rien ne se crée

Cette maxime bien connue est la version simplifiée d’une notion exprimée en 1789 par le mathématicien et chimiste français Antoine de Lavoisier (c’est aussi lui qui a décelé la présence de l’oxygène — et qui lui a donné son nom — dans l’air et dans l’eau).

Le philosophe grec Anaxogore de Clazomènes est à l’origine de la notion du «rien ne se perd, rien ne se crée». 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

En fait, le principe est simple : lors d’une réaction, la nature de la matière change, mais non la quantité (sauf lors de réactions nucléaires). C’est la base de la loi de la conservation de la masse. Et si la masse demeure la même, c’est que le nombre d’atomes dans la matière transformée reste le même.

Or… encore une fois, les Grecs y avaient pensé avant! Eh oui, au Ve siècle av. J.-C., le philosophe Anaxogore de Clazomènes, considéré comme l’un des grands penseurs de son temps, «l’avait vu venir». Anaxogore (à retenir pour les parents qui cherchent un prénom original) a passé sa vie à la recherche et à l’explication des phénomènes naturels.

Dans son ouvrage Fragments, il écrit : «Aucune chose ne devient ni ne périt, mais elle se mêle ou se sépare de choses qui sont.» Quand même. Un collant à son cahier.

Les savants grecs — sans pouvoir évidemment l’observer — énonceront le principe voulant que toute la matière soit formée de «grains invisibles» qui ne peuvent être divisés. Ce grain, ils le nomment atomos, signifiant «qu’on ne peut couper» ou «insécable».

Cette notion de l’atome comme étant la particule «élémentaire» ou «fondamentale» de toute chose, c’est-à-dire une particule qui n’est pas constituée d’autres particules, a perduré jusqu’au XXe siècle.

Et dans l’atome, il y a…

En 1919, le physicien néozélandais Ernest Rutherford montre que l’atome n’est pas vide ; il existe à l’intérieur une sous-particule, le proton.

Un peu plus tard, on découvrira que le proton a un colocataire : le neutron.

Donc, proton et neutron forment le noyau de l’atome, autour duquel les électrons orbitent et en assurent la stabilité. Le nombre d’électrons est toujours égal à celui des protons, mais la quantité de neutrons varie.

L’atome, base de toute matière dans l’univers, avec en son centre les protons et les neutrons, autour desquels tournent les électrons. 

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Le proton joue un rôle fondamental dans la matière puisque sa quantité dans l’atome définit la nature même des éléments. Un atome constitué d’un seul proton forme l’hydrogène, qui porte le numéro 1 dans le tableau périodique.

L’atome d’hydrogène est le seul à n’avoir qu’un proton, sans neutron. C’est donc l’élément le plus simple, mais aussi — et de loin — le plus courant dans l’univers ; il constitue 92 % de tous les atomes. C’est un one-man-show qui domine le monde, depuis le début de l’univers.

Mais oh, attention! Le proton n’est pas la plus petite particule pour autant. Les scientifiques ont découvert, comme dans une poupée russe, qu’à l’intérieur du proton (et aussi du neutron) se trouvent des «entités vibratoires» nommées des quarks. Trois quarks, pour être précis.

Et selon une théorie, dans les quarks… il y aurait des préons. Où cela s’arrêtera-t-il?

Tout s’est joué dans les premières minutes du bigbang. Presque immédiatement, les quarks tentent de se regrouper. Ça se passe mal. Ils s’anéantissent presque tous, tout comme les électrons.

Mais peu après, miracle! Des quarks réussissent à se souder en forme de triangle pour créer des protons et neutrons assez stables. Puis, les protons et les électrons commencent à former les premiers atomes. L’hydrogène. Un quart d’heure après le bigbang, deux électrons et deux protons s’unissent pour créer l’hélium. Et c’est parti.

Comme le dirait Charles Tisseyre… fascinant.

De ces premiers atomes et premiers éléments naissent tous les autres, un proton de plus à la fois.

L’uranium est l’élément que l’on retrouve à l’état naturel avec le plus de protons, soit 92. Plusieurs autres éléments en ont davantage, mais ils ont été créés artificiellement.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos protons.

L’immortalité existe…

Un atome ne perd jamais de proton. La désintégration spontanée d’un proton n’a jamais été observée. Idem pour les électrons. Ceux-ci peuvent parfois s’échapper d’un atome, mais un autre composé les capte automatiquement. L’«électron libre» n’existe pas vraiment.

Du bigbang jusqu’à nos jours. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Rien ne se perd, rien ne se crée…

Les meilleures estimations actuelles de la durée de vie d’un proton s’élèvent à au moins 1033 années, soit un milliard de milliards de milliards de milliards d’années (d’autres disent 1034, mais n’ergotons pas pour si peu). Les protons pourraient donc facilement se dire : l’infini ne nous effraie pas.

L’électron, lui, pourrait mourir un peu plus jeune, soit à l’âge de 660 000 000 000 000 000 000 000 000 000 années (ou, si vous préférez, 6,6×1028).

Quand on sait que l’univers a environ 14 milliards d’années de vie, on peut dire sans se tromper que le proton et son complice l’électron vont tous nous enterrer.

Comme l’a dit Woody Allen, «l’éternité, c’est long… surtout vers la fin».

D’ici là, un bon conseil : si vous voulez impressionner l’être aimé, oubliez les diamants. Un collier de protons éternels, c’est bien mieux. Toujours.

Publié le 15 janvier 2023

Tout en laissant le temps passer, prenons un peu de temps à explorer non pas la notion du temps, mais comment on l’a découpé, calculé, divisé.

Calendrier astronomique de la religion sumérienne divisé en 12 parties. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Et dans ce vaste effort de mesurer le temps – un travail dont les origines remontent à des milliers d’années avant notre ère –, deux nombres se démarquent. Certains nombres sont fondamentaux sur la façon dont on encadre le temps.

Ces nombres sont le 12 et le 60. Et ils sont intimement liés.

Pour bien comprendre, il faut regarder très loin dans le rétroviseur. Disons, 6 000 ans en arrière. Vers 4 000 ans av. J.-C., dans le sud de la Mésopotamie, au Moyen-Orient, apparait entre les fleuves du Tigre et de l’Euphrate la civilisation de Sumer.

Encore mystérieuse, Sumer est réputée être la première grande civilisation de l’Histoire, ayant inventé l’écriture et innové en matière de gouvernance, d’archéologie et dans bien d’autres domaines. C’est sur cet héritage que se sont bâties les civilisations akkadienne et babylonienne qui lui ont succédé.

Base 12

Les Sumériens avaient une méthode bien à eux pour compter. Au lieu de compter par tranches de 10, comme d’autres peuples, ils comptaient par tranches de 12, puis de 60. Pourquoi 12?

Méthode employée par les Sumériens et les Babyloniens pour compter jusqu’à 12 sur une main. Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

La façon primitive de compter était sur les mains. On le fait encore. Les Sumériens et les Babyloniens comptaient aussi sur les mains, mais plus précisément sur leurs phalanges. En utilisant une main, ils comptaient avec le pouce sur les phalanges des quatre autres doigts de la main. Chaque doigt a trois phalanges. Quatre fois trois… 12. Bingo!

Quand la personne qui comptait arrivait à 12, elle retenait ce nombre en levant un doigt sur l’autre main. Le processus recommençait pour atteindre de nouveau 12. Elle levait alors un autre doigt sur l’autre main pour marquer une deuxième tranche de 12, soit 24. Lorsqu’elle levait le cinquième doigt, elle avait atteint le chiffre 60.

Ce système de comptage à base de 60 se nomme sexagésimal.

S’il fallait compter au-delà de 60, on recommençait à compter à partir de un. Le chiffre 60 avait son propre symbole et on comptait ainsi par tranche de 60.

D’autres symboles existaient pour certains multiples de 60, comme 600, 3 600 et 36 000. Comme ce n’était pas un système à base de 10, il n’y avait pas de symbole pour les nombres 100, 1000, etc.

Le 12, un chiffre qui ne veut pas mourir

L’héritage du 12 sera énorme dans l’histoire de l’humanité.

Au Moyen-Âge, Charlemagne (il n’a pas inventé que l’école) adopte un système monétaire dont la plus petite unité était le denier. Douze deniers valaient un sou (ou sol) et 240 deniers (12 fois 20) valaient une livre.

En envahissant l’Angleterre, au XIe siècle, Guillaume le Conquérant a importé le système monétaire de Charlemagne. Le denier allait devenir le penny (pence au pluriel), le sou allait devenir le shilling et la livre, le pound. Jusqu’en 1971, le shilling était divisé en 12 pence. Ce système s’était étendu également en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Irlande.

Le 12 a fait son chemin jusqu’aux Romains qui l’ont utilisé pour diviser le pied. Mais la longueur du pied et des pouces a varié selon les endroits. En France la longueur du «pied du roi» était censée être celle du pied de Charlemagne (encore lui!). À l’origine, le pouce était divisé en 12 lignes et la ligne, en douze points.

Nous vivons encore avec les vestiges du calcul à base de 12 des Mésopotamiens : on vend encore les œufs à la douzaine, tout comme les huitres, les escargots… et la bière!

La douzaine, c’est aussi une année

Et les 12 mois d’une année? Ça, c’est autre chose.

Table babylonienne_Cr. Wikimedia Common. Liste de chiffres babyloniens jusqu’à 59. Il y avait aussi un symbole pour soixante (non illustré). 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Cette division de l’année en douze parties a été élaborée de façon indépendante par plusieurs peuples, principalement en raison de la présence de 12 cycles lunaires (parfois 13) dans une année.

Les scribes sumériens sont cependant les premiers à inventer un calendrier de type lunaire comptant 12 mois de 30 jours. Les Égyptiens de l’Antiquité vont faire de même. Ils seront d’ailleurs plus précis puisqu’ils ajouteront cinq jours à la fin de l’année pour obtenir 365 jours.

Enfin, Jules César va faire un pas de plus en remaniant l’ancien calendrier romain de 10 mois pour établir le calendrier de 365 jours répartis en 12 mois, auquel une journée était ajoutée tous les quatre ans, comme c’est encore le cas de nos jours.

Au fil du temps

Mais revenons à nos moutons.

Les Sumériens et les Babyloniens avaient de la suite dans les idées. La division de la journée en 12 heures le jour et 12 heures la nuit est venue naturellement, ce qui concordait avec leurs observations du ciel. Ce serait les Babyloniens cependant qui auraient divisé l’heure en 60 minutes et les minutes en 60 secondes.

Ruines de l’ancienne cité mythique de Babylone. 

Photo : Wikimedia Commons, Share alike 4.0 international

Et après avoir divisé l’année en 360 jours, il était tout naturel pour ces Mésopotamiens d’appliquer le même principe pour le cercle. Celui-ci a donc été divisé en 360 parties, qui ont été baptisées des «degrés», et les degrés divisés en 60 parties, ou «minutes», et les minutes en 60 parties, ou «secondes».

Ce concept géométrique babylonien se propagera partout dans le monde et il est largement utilisé encore aujourd’hui.

De quoi faire tourner la tête! Restons-en là.

Mais cela fera de quoi réfléchir la prochaine fois que vous penserez aux 12 apôtres ou lorsque vous achèterez une douzaine de beignes ou encore une caisse de douze.