Le Portugal a réellement été le premier royaume européen à envoyer ses navires à tout vent.
Christophe Colomb arrivant en Amérique en 1492.
Les explorations sont entreprises en 1415 sur les côtes d’Afrique à l’instigation d’un des fils du roi Jean 1er. Le prince Henri le Navigateur avait, en effet, découvert qu’il y avait des trésors sur ce continent en participant à la prise de Ceuta, port commercial situé au bord du détroit de Gibraltar et enclavé dans le Maroc actuel.
Mais le prince Henri nourrit d’autres – et plus grandes – ambitions pour envoyer ses bateaux vers le sud : il veut mettre fin au monopole que détiennent les Vénitiens sur le commerce avec l’Asie orientale, souvent désignée comme «les Indes».
À noter qu’Henri a été surnommé le «Navigateur» en raison des missions qu’il a organisées. Il n’a pourtant lui-même jamais commandé de navire, ni mené d’expédition, ni découvert quoi que ce soit. Finalement, il était un navigateur… qui n’avait jamais navigué. Ohé ohé.
Des iles, puis la côte
François 1er, roi de France, a été le premier monarque à contester le partage du monde conclu entre le Portugal et l’Espagne.
Les (vrais) marins et explorateurs portugais découvrent premièrement les archipels des Açores et de Madère, qui sont inhabités. Puis, ils longent les côtes africaines, érigeant des forts et des comptoirs commerciaux par-ci par-là, jusqu’aux iles du Cap-Vert, au large du Sénégal actuel; ces iles sont aussi inhabitées.
Le grand voisin du Portugal, l’Espagne, en pleine campagne d’unification de ses royaumes, ne veut pas être en reste et jette son dévolu sur les iles Canaries, situées au sud de Madère, au large de la côte du sud du Maroc. Mais l’archipel des Canaries est peuplé depuis des centaines d’années; la conquête sera longue et sanglante.
La valse des traités et des bulles…
Par le traité d’Alcáçovas, en 1479, le Portugal et la Castille – le royaume au cœur de la formation de l’Espagne – s’entendent pour se reconnaitre mutuellement la possession de ces archipels et affirmer le contrôle du Portugal sur la côte de la Guinée, en Afrique.
Le cap des Aiguilles est la pointe la plus au sud de l’Afrique. L’explorateur portugais Bartolomeu Dias a été le premier Européen à le franchir, en 1488.
Deux ans plus tard, le pape Sixte IV édicte la bulle Aeterni regis, qui entérine le traité et donne ainsi sa bénédiction à un premier partage du monde entre des royaumes européens et à la volonté de ces derniers d’en faire la colonisation, évidemment sans égard aux populations autochtones.
Sixte IV accorde aussi au Portugal toutes les terres qu’il pourrait conquérir au sud du 27e parallèle (au sud des iles Canaries), jusqu’aux Indes, soit toute l’Asie, à condition d’en évangéliser les habitants.
Le Portugal poursuit alors ses explorations encore plus au sud. En 1488, Bartolomeu Dias devient le premier Européen à dépasser la pointe sud du continent africain. Il montre ainsi qu’on peut gagner l’océan Indien par la mer et atteindre les Indes, ce qu’il réalisera dix ans plus tard en accompagnant le navigateur Vasco de Gama.
Go Ouest
Entretemps, comme la route du Sud lui est coupée par son voisin, l’Espagne tente d’atteindre l’Asie vers l’Ouest. Quand Christophe Colomb met le pied aux Bahamas, le Portugal revendique ces terres, car elles sont au sud du 27e parallèle…
Il y a péril en la demeure espagnole. Ça tombe bien, le nouveau pape Alexandre VI est originaire d’Espagne. Il décide, en 1493, d’un nouveau partage du monde via une nouvelle bulle : Inter Cætera.
Cette fois-ci, la division n’est pas établie en fonction d’une latitude, mais plutôt d’un méridien, fixé à 100 lieues (environ 420 km) à l’ouest du Cap-Vert. Les terres situées à l’ouest de cette ligne dans l’océan Atlantique reviennent donc à l’Espagne, soit donc, en principe, toutes les Amériques.
Le monde tel que se le sont partagé le Portugal (en vert) et l’Espagne (en orange) aux XVe et XVIe siècles.
Mais le Portugal lève la main, craignant que ce partage menace ses prétentions en Asie de l’Est. Afin d’éviter une guerre, le Portugal et l’Espagne en arrivent à un compromis avec le traité de Tordesillas, qui pousse le méridien-frontière encore plus à l’ouest, soit à 370 lieus (1 770 km) du Cap-Vert.
Prémonitoire? Encore une fois, le hasard – ou est-ce bien un hasard? – fait bien les choses, car en 1500, l’explorateur portugais Cabral, voulant contourner l’Afrique et se rendre aux Indes, dérive loin vers l’ouest, jusqu’au continent américain.
Cette terre «découverte» est la seule partie des Amériques située à l’est du méridien du traité de Tordesillas. Le territoire deviendra le Brésil et il sera portugais. Sans Tordesillas, il n’y aurait pas de samba ni de bossanova!
Si la question de l’Afrique et de l’Amérique est réglée, le même problème se posera pour l’est de l’Asie. En principe, tout est réservé aux Portugais, qui d’ailleurs étendront leur influence dans la région.
Après le voyage de Magellan qui, pour le compte de l’Espagne, atteint les Philippines, les deux pays concluent en 1529 le traité de Saragosse, qui trace un méridien dans le Pacifique pour départager leurs zones d’influence. Le traité donne à l’Espagne accès aux Philippines, même si celles-ci se trouvent dans la «zone» portugaise.
Le testament d’Adam
Mais pendant que l’Espagne et le Portugal, à coups de bulles, se disputent et se partagent le monde, comme s’ils étaient… seuls au monde, d’autres puissances maritimes européennes – soit la France, l’Angleterre et plus tard les Pays-Bas – la trouvent de moins en moins drôle.
Page couverture de la version portugaise du traité de Tordesillas, conservée à la Bibliothèque nationale du Portugal, à Lisbonne.
C’est la France qui viendra «péter la bulle» des royaumes ibériques.
En 1533, le roi François 1er obtient du pape Clément VII une modification du traité de Tordesillas qui, désormais, ne touche que «les terres connues et non les terres ultérieurement découvertes par les autres Couronnes». La voie est libre pour que, l’année suivante, le roi François mandate la première expédition du Malouin Jacques Cartier dans ce qui deviendra le Canada.
Quelques années plus tard, le souverain français, ne manquant pas d’aplomb, aurait déclaré à l’empereur Charles Quint, roi (entre autres…) d’Espagne : «Le soleil luit pour moi comme pour les autres. Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde.»
On n’a jamais trouvé cette clause, pas plus que celle qui autorisait les nations européennes à coloniser et à exercer leur emprise sur une bonne partie de la planète.
Il est difficile d’imaginer que, dans un pays comme le nôtre, où les droits de la personne constituent l’un des fondements de la société, on ait mis à l’écart presque toute une communauté ethnique dans les années 1940.
Et quand on dit «presque toute», c’est exactement ça : à l’hiver de 1942, environ 90 % de la population canadienne d’origine japonaise est rassemblée et relocalisée. Pourtant, les trois quarts des membres de cette communauté sont citoyens du Canada.
L’évènement déclencheur est l’attaque japonaise qui survient le 7 décembre 1941 contre la base navale de Pearl Harbor, sur l’ile d’Ohau, à Hawaii (le territoire deviendra le 50e État américain en 1959).
Le même jour, le Canada devient le premier pays à déclarer la guerre au Japon, devançant donc d’un jour les États-Unis, qui s’engagent ainsi dans le conflit mondial.
Tout se déroule alors très vite. Dans les jours suivants, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) arrête une quarantaine de Canadiens japonais qu’elle soupçonne de liens avec l’Empire nippon.
Ensuite, les autorités saisissent tous les bateaux de pêche appartenant aux personnes d’origine japonaise, confisquent leurs caméras et radios à ondes courtes, et ferment leurs journaux ainsi que leurs écoles. Un couvre-feu leur est imposé. On craint l’ennemi de l’intérieur…
Mais ce n’est qu’un début. La situation s’envenime lorsque, le 25 décembre, les troupes japonaises capturent la garnison militaire de Hong Kong, où deux bataillons déployés par le Canada venaient d’arriver. Les soldats canadiens et alliés qui survivent à l’attaque resteront prisonniers de guerre jusqu’en aout 1945.
Camp d’internement de Lemon Creek, en Colombie-Britannique.
Expulsion, éparpillement, dénuement
Au cours de l’hiver 1942, c’est le début du cauchemar pour les Canadiens japonais : le 24 février, le cabinet fédéral adopte un décret qui permettra de déplacer, en théorie, n’importe qui, mais qui visera spécifiquement la communauté japonaise habitant dans un territoire, appelé «zone protégée» longeant la côte de la Colombie-Britannique et s’étendant 160 kilomètres vers l’intérieur.
Environ 22 000 personnes d’origine japonaise seront évacuées de cette «zone protégée» au cours de l’année.
L’opération débute vers la mi-mars. Un premier groupe d’environ 8 000 personnes sont envoyées au parc Hastings, à Vancouver, qui servira de centre de transit. Les détenus sont logés dans de petits bâtiments utilisés habituellement pour le bétail.
De là, ils sont transportés dans des camps d’internement isolés à l’intérieur des terres en Colombie-Britannique.
La vie dans les camps est dure. Plusieurs familles sont installées dans des tentes ou de petites cabanes mal bâties. Bien souvent, les camps sont surpeuplés, privés d’eau courante et d’électricité. La nourriture laisse à désirer.
Beaucoup d’hommes sont envoyés hors des camps pour construire des autoroutes dans la province, en Alberta ou en Ontario.
Quelques familles réussissent à ne pas être séparées en acceptant de travailler dans des fermes de betteraves à sucre en manque de main-d’œuvre en Alberta et au Manitoba.
Environ 700 hommes qui résistent à l’internement passeront des années dans des camps de prisonniers de guerre en Ontario, notamment à Petawawa et au camp 101, à Angler, sur la rive nord du lac Supérieur.
Slocan City abritait un camp d’internement pour les Canadiens d’origine japonaise et servait de lieu de transit vers d’autres camps. C’est aussi de là que plusieurs ont été déportés au Japon.
Confiscation et vente des biens
Au moment de l’expulsion, les autorités ont pris possession des objets personnels que les prisonniers ne pouvaient prendre avec eux et ont saisi leurs propriétés dans la «zone protégée».
Le gouvernement a créé un bureau spécial pour administrer ces biens. Le fédéral assurait alors qu’il ne s’agissait pas de les confisquer, mais de les gérer dans l’intérêt des propriétaires.
Mais en 1943, l’«intérêt» passe des prisonniers au gouvernement. Ce dernier se donne alors le pouvoir de liquider ces biens afin de financer… l’internement des Canadiens japonais. Ironie, quand tu nous tiens…
En 1944, certaines personnes, particulièrement dans les milieux politiques de la Colombie-Britannique, commencent à demander l’expulsion définitive des Canadiens japonais. Après la guerre, on offre alors aux prisonniers le choix de s’établir à l’est des Rocheuses ou d’être envoyés au Japon. Près de 10 000 d’entre eux optent pour la mère patrie.
Mais lorsque la paix survient en 1945, plusieurs changent d’idée et ne veulent plus se rendre dans un Japon dévasté par la guerre.
À priori, le gouvernement refuse ces demandes, mais en 1947, il permet aux Canadiens japonais qui sont toujours au pays de rester.
Entretemps, environ 4 000 des détenus ont été déportés au Japon; la moitié d’entre eux environ était née au Canada et n’avait jamais mis les pieds en terre nippone.
Plusieurs retourneront vers la côte ouest, mais ils devront recommencer leur vie à zéro. Une commission créée en 1947 sur la confiscation et la vente des biens saisis leur donnera droit à une restitution de la valeur monétaire de leurs biens, mais elle sera minime.
D’autres choisiront de rester dans les environs des lieux où ils ont été internés ou bien ils iront s’établir dans d’autres villes, notamment à Toronto.
En 1949, ils obtiendront le droit de vote, en même temps que les Canadiens d’origine chinoise.
Dans les jours suivant l’attaque de Pearl Harbor, des centaines de bateaux de pêcheurs d’origine japonaise ont été saisies en Colombie-Britannique, dont à Stevenson (photo)
Épilogue
Ce n’est que près de 40 ans plus tard que le gouvernement fédéral reconnait ses torts.
Le 22 septembre 1988, à la Chambre des Communes, le premier ministre Brian Mulroney présente des excuses officielles à la communauté japonaise canadienne.
Une entente est conclue pour notamment verser 21 000 dollars à chaque personne directement touchée par l’internement. Le gouvernement accepte aussi d’accorder la citoyenneté canadienne aux déportés et à leurs descendants.
Enfin, il met sur pied un fonds de 24 millions de dollars pour la création de ce qui est aujourd’hui la Fondation canadienne des relations raciales.
Alors, qu’est-ce que du creton? Ou des cretons, c’est selon. Pour Le Robert, il s’agit d’un «pâté à base de viande de porc assaisonnée avec des oignons». Le Larousse? «Au Canada, charcuterie généralement constituée de viande de porc haché.»
C’est le moment idéal de l’année pour savourer du creton.
C’est assez réducteur comme définitions. Le creton, c’est bien plus que ça. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle creton qu’on peut se laisser insulter.
Pour une description plus poétique, on peut se tourner vers l’écrivain normand Jean de Fleury qui décrivait ainsi les «cretouns» dans son Essai sur le patois normand de La Hague paru en 1886 : «résidus de graisses, rapetissés, plissés, ratatinés, crétis par le feu». C’est beau.
Est-ce à dire que les «cretouns» serait l’ancêtre du creton canadien? Nom d’une Jehane Benoît! (Elle a une recette de cretons d’ailleurs.) Mystère. Mais on sait une chose : c’est bon.
On ne sait pas trop non plus quand ce mets a été créé; c’était surement dans quelque chaumière de l’ancien Canada, au Québec actuel. C’est chaud.
En fait, pas vraiment chaud, car le creton se mange généralement froid.
Les meilleurs plats sont des restants
Comme bien d’autres plats populaires, le creton est probablement le fruit de restants qu’on ne voulait pas perdre. Il se pourrait qu’à l’époque, après avoir tué le cochon à l’automne, l’auteur ou auteure de la recette ait décidé que de faire des cretons était une façon de conserver la viande pendant la saison froide.
Les cretons peuvent servir autant à satisfaire une petite fringale qu’à épater la galerie pour les grandes occasions.
Ou bien les cretons viendraient-ils des «bonnes sœurs» venues de France? En tout cas, on retrouve beaucoup de références à une recette des Ursulines de Québec à laquelle on attribue l’épithète «ancestrale». Hum, food for thought, comme aurait dit Shakespeare.
Loin de se cantonner au Québec, les cretons ont fait du chemin depuis leur arrivée ou leur création en Nouvelle-France. Un peu par osmose, ils se sont répandus ailleurs dans le Canada moderne, au gré des déplacements, de la parenté, de génération en génération.
Après des mille, voire des millions de tartinades sur des morceaux de pain grillé, le creton atteint la consécration au tournant du deuxième millénaire : il fait son entrée dans Le Petit Larousse en 2002, en même temps que bleuetier, débriefer (eh oui), feng shui, papy-boom (re-eh oui), canoë-kayak, snowboard (re-re) et zirable (mot poitevin implanté par les colons français en Acadie, puis par les Acadiens en Louisiane). Une bien grosse année.
Le Robert, de son côté, inclura «cretons» cinq ans plus tard, en 2007.
D’ici ou de France?
Tout cela est fort étonnant quand on constate que «cretons» a fait son apparition dans le Dictionnaire de l’Académie française dès sa 6e édition, en… 1835.
Plusieurs entreprises produisent des cretons commercialement qui sont vendus notamment dans les supermarchés.
Les Immortels font remonter l’origine du mot au moins au XIIe siècle. Selon eux, il s’agirait «probablement» d’un emprunt du moyen néerlandais kerte, qui signifie «entaille».
La courte définition de «creton» dans ce dictionnaire des dictionnaires est restée sensiblement la même depuis sa première entrée : «Résidu de la fonte du suif et de la graisse des animaux, dont on fait ordinairement des pains qui servent à nourrir les chiens de basse-cour et les chiens de chasse.»
Dans la 8e édition, on a ajouté au début «Morceau de graisse». Puis, dans la 9e édition, l’actuelle, il est précisé que la graisse vient du porc. Le truc sur les chiens de basse-cour et de chasse a disparu.
Fait intéressant, des liens externes sur l’usage du mot dans différentes régions en français et ailleurs ont été ajoutés dans la dernière édition.
On apprend ainsi qu’en Belgique, le mot est utilisé pour désigner de «minces tranches de lard grillé», de «petits morceaux de lard coupés en dés et frits, que l’on incorpore dans certains plats» ou encore des «résidus croustillants de la fonte de la panne de porc».
Le terme est aussi répandu dans plusieurs régions de France, surtout dans le Nord où il semble surgir en premier, comme dans la Somme, la Lorraine et les Ardennes.
«Répandu» n’est peut-être pas le bon mot, car il s’agit de régions près de la Belgique. Il serait plausible, puisque l’origine étymologique pointe vers les Pays-Bas, que le mot soit passé par la Belgique et le Nord de la France pour aboutir en Nouvelle-France. Finalement, on s’est passé le mot.
Mais assez d’analyse grammaticale. Passons à table.
De la table à la télé
Contrairement à nos amis européens qui n’en font que du résidu de gras ou de suif, ici le creton est à base de viande, précisément de porc haché. À cela s’ajoutent quelques ingrédients tout simples : oignons, cannelle, clou de girofle, persil séché et parfois sarriette.
Certaines variantes contiennent des miettes de pain, de l’ail, du bouillon de poulet ou de la gélatine (pas sûr…). Enfin, le célèbre Ricardo n’y va pas avec le dos de la fourchette en osant du gras de canard, du lait, du vin blanc, du piment de la Jamaïque, des flocons d’avoine. Alouette.
Premier monastère des Ursulines de Québec, en 1840. Le creton canadien y serait-il né?
Un petit truc de grand-mère : on peut ajouter une demi-tasse de beurre, à la fin de la cuisson, pour rendre le tout plus lisse.
Au début des années 1960, on parle de cretons en chanson, soit dans la très populaire chanson, Gros Jambon, de Réal Giguère :
Y’a personne qui savait de quel coin y venait
Mais, nous, on se doutait ben que c’était un Québécois
Parce qu’il sacrait tout le temps et mangeait ben des cretons
Pis y avait tout le poil frisé comme un mouton
Le creton entre véritablement dans l’imaginaire culturel québécois et franco-canadien grâce au savoureux personnage de Lison Dubé Paré (Josée Deschênes) dans la série La Petite Vie parce que son mari, Rénald (Marc Labrèche), l’appelait disons affectueusement Creton.
Il faut dire qu’un autre mets traditionnel québécois et franco-canadien avait une grande place dans l’émission : le pâté chinois. Mais ce sera pour un autre numéro du Rétroviseur…
Bon. Assez parler culture. Car, c’est bien connu, la culture, c’est comme du creton : moins on en a, plus on l’étale.
L’histoire du train est fascinante. On sait évidemment qu’il a joué un rôle central dans la fondation du pays. Il est intéressant de savoir que les premiers chemins de fer n’étaient pas en fer, mais en bois. Pour les… férus d’histoire, voyons ça de plus près.
La genèse du train : Grande-Bretagne
Les premiers rails font leur apparition en Grande-Bretagne au tournant du XIXe siècle. On ne parle pas encore de «train»; il s’agit plus ou moins d’un charriot sur des rails tirés par des chevaux. Parfois des ânes. Parfois des mules. On reste dans la même famille.
L’ancêtre de la locomotive, la Salamanca, a été construite au début du XIXe siècle, en Grande-Bretagne.
Tout va alors très vite : alors que l’invention sert au départ à transporter de la marchandise, notamment du charbon, du bois, du blé ou des pommes de terre, le premier service public de train pour passagers est inauguré dès 1807 à Oystermouth, dans le Pays de Galles, mais sur une courte distance.
Il faudra attendre 1830 pour la première ligne entre deux villes, soit Liverpool et Manchester. C’est la première ligne également à n’utiliser que des locomotives à vapeur. Exit les chevaux; ils sont désormais interdits.
La locomotive à vapeur avait d’ailleurs été inventée dès 1802 en Angleterre. Les simples rails de bois avaient rapidement laissé leur place à des rails encore en bois, mais revêtus de lisses de fer. On innove en 1820 par des rails en fer forgé. L’ère du véritable «chemin de fer» commence.
Le Bas-Canada, précurseur
Les autres pays industrialisés suivent rapidement les traces de la Grande-Bretagne, d’abord en Europe et en Amérique du Nord, puis un peu partout dans le monde.
Au Canada, le véritable premier chemin de fer est terminé en 1836, entre La Prairie, en banlieue de Montréal, et Saint-Jean-sur-Richelieu (alors appelé Dorchester), au Québec, dans ce qui était à l’époque le Bas-Canada.
La photo emblématique de la pose du «dernier crampon» du chemin de fer du Canadien Pacifique par Donald Smith, l’un des financiers du projet.
Ce n’était qu’un court tronçon de 26 kilomètres, mais comme on dit, petit train va loin. Le projet, financé par nul autre que le brasseur John Molson (oui, celui-là), sera l’un des maillons qui permettra désormais d’acheminer des marchandises de Montréal à New York.
Le trajet est un peu compliqué cependant : du port de Montréal, il faut traverser le fleuve Saint-Laurent jusqu’au port de La Prairie. Les marchandises sont alors transvidées dans des wagons qui partent ensuite pour Saint-Jean-sur-Richelieu.
Arrivées à ce nouveau point de transit, les marchandises sont chargées sur des bateaux, qui descendent la rivière Richelieu, jusqu’au sud du lac Champlain, pour emprunter ensuite le fleuve Hudson, grâce au canal Champlain terminé en 1823. Enfin, les denrées poursuivent leur route sur ce cours d’eau jusqu’à New York.
L’inauguration du premier «voyage», le 21 juillet 1836, a réuni les grandes personnalités du temps, dont le lieutenant-gouverneur du Bas-Canada, Lord Gosford, et un certain… Louis-Joseph Papineau, alors toujours chef du Parti patriote et futur rebelle.
Le tissage d’une toile de fer
Puis, mille après mille, jour après jour, le réseau ferroviaire s’étend au Canada, comme un peu partout dans le monde. Au Canada et aux États-Unis, il jouera un rôle central dans la construction des deux pays.
Le chemin de fer devient si important dans le développement économique qu’il se retrouvera dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), la loi de 1867 créant le Canada par l’union de l’Ontario, du Québec (formant alors la Province du Canada), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.
La première locomotive fabriquée au Canada a été construite à Toronto en 1853 par James Good. L’engin no 2, baptisé «Toronto», figure fièrement sur cette photo de 1881.
Si en Ontario et au Québec, le réseau ferroviaire est déjà bien étendu, ce n’est pas le cas dans les deux plus petits partenaires du nouveau pacte canadien.
L’article 145 de l’AANB fait état de la «déclaration commune» du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse et de «l’importance primordiale revêtue par la construction d’un chemin de fer intercolonial pour la consolidation de l’union de l’Amérique du Nord britannique.»
Le chemin de fer sera l’un des enjeux majeurs de l’adhésion de la Colombie-Britannique et de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération canadienne, qui aura lieu respectivement en 1871 et en 1873.
Le chemin de fer Intercolonial qui relie Halifax au fleuve Saint-Laurent sera achevé en 1876. Le défi sera immensément plus grand pour réaliser le tronçon de l’Ouest jusqu’à la côte du Pacifique.
Une entreprise colossale
Le chemin de fer promis à la Colombie-Britannique est un projet gigantesque : 1 600 km et un passage à travers les montagnes Rocheuses. En raison d’un scandale financier et politique qui a forcé la démission du premier ministre John A. Macdonald et de son gouvernement en 1873, les travaux ne s’amorcent qu’en 1881.
La compagnie du Canadien Pacifique réussit l’exploit extraordinaire quatre ans plus tard, avec la célèbre pose du «dernier crampon» le 7 novembre 1885. Le premier train de passagers de Montréal à Port Moody, près de Vancouver, fera le trajet en six jours, du 28 juin au 4 juillet 1886.
Bien plus tard, l’historien et concepteur du drapeau canadien, George F. Stanley, écrira dans un chapitre de The Canadians 1867-1967 : «Des liens d’acier et de sentiment étaient nécessaires pour maintenir la nouvelle Confédération. Sans les chemins de fer, le Canada n’aurait pas existé.»
Plaque commémorative de la construction du premier chemin de fer du Canada.
Mais ce «rêve canadien» a été réalisé à grands couts humains. Plus de 15 000 travailleurs chinois ont participé à la construction du chemin de fer dans les Rocheuses. Une main-d’œuvre bon marché qui a été largement exploitée.
On estime que trois travailleurs chinois ont perdu la vie lors d’accidents pour chaque kilomètre de voie ferrée dans le canyon du Fraser en Colombie-Britannique.
Plus de 200 ans après l’arrivée du «cheval de fer» au Canada, les défis pour la survie de l’industrie sont toujours très grands, particulièrement du côté du service passager.
Alors qu’en Europe et ailleurs dans le monde, le train à grande vitesse a sauvé l’industrie, le Canada se fait tirer l’oreille. Le gouvernement fédéral caresse plutôt un projet de «train à grande fréquence» entre Québec et Toronto, et encore là, il faudra attendre au milieu des années 2030.
Entretemps, le train pourra continuer de siffler sur la colline. Mais peut-être que personne ne viendra…
L’un des portraits les plus connus de Louis XVII, à l’âge de 7 ans.
Pour bien comprendre cette histoire, il faut remonter à la Révolution française. Peu après le début de celle-ci, en octobre 1789, la famille royale quitte de force le château de Versailles pour s’installer dans celui des Tuileries, à Paris.
Trois ans plus tard, en 1792, la monarchie est abolie : la famille royale est incarcérée dans la veille tour du Temple, d’où Marie-Antoinette, Louis XVI et sa sœur Élisabeth («Madame Élisabeth») ne sortiront que pour être guillotinés.
Mais il reste, dans cette «prison du Temple», deux enfants du couple royal encore vivants (deux étaient morts en bas âge avant la Révolution), dont Marie-Thérèse, l’ainée de la famille, qu’on surnommait «Madame Royale».
Divulgâchage : elle sortira vivante de tout ce chaos et épousera plus tard son propre cousin, le duc d’Angoulême, fils du roi Charles X, frère de Louis XVI. Ah! Les histoires de familles!
Le petit roi…
L’autre enfant est celui qui est à l’origine notre intrigue. Louis-Charles est devenu dauphin à la mort de son frère ainé, Louis-Joseph Xavier François, survenue un peu plus d’un mois avant la prise de la Bastille, en pleins États généraux.
Originaire d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick, Carl Nadeau a passé sa vie adulte à Fort Wayne, dans l’État de l’Indiana.
Le dauphin n’a que 7 ans lorsqu’il est enfermé avec sa famille. Après l’exécution de ses parents, les royalistes le reconnaissent comme Louis XVII.
Mais le prince est un enfant à la santé fragile. Les conditions de vie au Temple sont horribles, et son état ne fera que se détériorer ; il meurt, à son tour, en janvier 1795.
Mais est-il vraiment mort?
En fait, il faut plutôt se demander qui est l’enfant mort au Temple.
Car très vite, des rumeurs se mettent à circuler voulant que Louis XVII ait été exfiltré de son donjon et qu’il ait été remplacé par un enfant malade, qui aurait été sourd-muet. Des théories de toutes sortes seront énoncées, des centaines de livres seront écrits sur ce qui deviendra l’une des plus grandes énigmes de France.
De nombreux «Louis XVII» se manifestent. Les historiens en ont recensé plus d’une centaine. Le plus célèbre d’entre eux est Karl Wilhelm Naundorff, un horloger prussien.
Et Naundorff devint Bourbon
Vivant à Berlin, ce prétendu descendant déclare publiquement être en fait Louis XVII.
Jusque sur son son lit de mort, Karl Wilhelm Naundorff soutiendra qu’il était Louis XVII.
En 1833, il arrive (ou revient, selon les points de vue) en France pour faire reconnaitre son identité. Il convainc beaucoup de gens, tellement que cela dérange.
Deux ans plus tard, il est expulsé en Grande-Bretagne, puis il s’installe aux Pays-Bas où il meurt en 1845.
Par la suite, sa famille obtient des autorités des Pays-Bas l’autorisation de porter le patronyme «de Bourbon». Ses descendants à ce jour continuent de rêver à la couronne de France. Mais comme toute bonne famille, elle se divise en deux clans.
La branche aujourd’hui «française» remonte à l’un des fils de Naundorff, Charles-Edmond. L’autre branche, dite «canadienne», descend d’un autre fils, Adelberth. On la nomme «canadienne» puisque ses membres vivent en Ontario depuis 1952.
Né en 1933 aux Pays-Bas, Charles-Louis de Bourbon est venu s’installer au Canada. Il a fait carrière dans l’industrie du vêtement, puis dans l’immobilier et a continué, jusqu’à sa mort en 1922, de prétendre activement à la couronne de France, allant jusqu’à écrire deux livres : Louis XVII a survécu à la prison du Temple et I Exist.
Charles-Louis de Bourbon et son lointain cousin, Charles-Louis Edmond, de la branche française, ont chacun contesté le titre royal jusqu’à leur mort.
Mais où en est cette affaire aujourd’hui? Il semble que Hugues de Bourbon, représentant actuel de la branche française, libraire de son état, ne veuille plus jouer à cette joute royale, ce qui laisse la porte toute grande ouverte à l’Ontarien Michel-Henri (Henri VII pour ses partisans) pour devenir l’unique prétendant de la famille Naundorff.
Des tests d’ADN et des contrexpertises ont tour à tour laissé entrevoir, ou non, que l’enfant du Temple était Louis XVII.
Un prétendant néobrunswickois
Un autre Canadien a aspiré à la couronne de France, mais sans que ces prétentions aient des échos dans la mère patrie.
Un jeune Carl Nadeau, de son vivant prétendant néobrunswickois d’une descendance de Louis XVII.
Carl Nadeau, originaire d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick, a été professeur de littérature anglaise à l’Université St. Francis, à Fort Wayne, en Indiana, où il est mort en 2011. Toute sa vie d’adulte, il a cherché à démontrer qu’il était le descendant de Louis XVII.
Sa théorie veut que le prince, une fois évadé de la prison du Temple, soit caché à Londres. Devenu adulte, Louis XVII part pour le Canada afin de fuir ceux qui voudraient sa perte (notamment Napoléon et les frères de Louis XVI).
Il aboutit au Madawaska, au Nouveau-Brunswick, où il prend un nom courant, celui de Nadeau, pour se fondre dans la masse. Il y meurt sans être découvert, mais son secret se transmet de père en fils jusqu’à Carl Nadeau.
Après la mort de ce dernier, des experts mettront un terme à cette belle histoire, en montrant que l’ADN de la famille de Carl Nadeau est identique à celui des autres Nadeau d’Amérique.
Ça se bouscule au portillon du trône
Un mot enfin sur les prétendants plus sérieux au trône de Louis XIV… plus sérieux, car leur ascendance royale ne fait aucun de doute. Encore là, deux clans s’affrontent.
Pierre tombale de Karl Wilhelm Naundorff, à Delft, aux Pays-Bas.
D’un côté, les «Orléanistes», partisans de la branche cadette des Bourbon, plus précisément de la lignée de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, et dont un membre, Louis-Philippe 1er, a été le dernier roi français. Le prétendant actuel est Jean d’Orléans.
De l’autre côté, les «Légitimistes», qui misent sur Louis de Bourbon, descendant de la branche espagnole de la célèbre famille royale française.
Né en Espagne (sa résidence principale est à Madrid) Louis de Bourbon est : 1) l’arrière-petit-fils du roi espagnol Alphonse XII ; 2) petit-cousin du roi actuel d’Espagne, Philippe VI ; 3) descendant de Louis XIV ; 4) ouf!; 5) ah oui, il est aussi arrière-petit-fils du dictateur Franco, dont il a souvent défendu l’héritage!
Toutes ces tribulations ne mèneront sans doute à rien puisque la France ne semble nullement désireuse de restaurer la monarchie. Mais cela nous permet de nous rappeler qu’il y avait, autrefois, un petit roi…
Lorsqu’il a été élu premier ministre en 2015, Trudeau fils s’est installé avec sa famille au Rideau Cottage, près de Rideau Hall, résidence de la gouverneure générale, en raison de l’état lamentable du 24, promenade Sussex.
La résidence officielle des premiers ministres du Canada, avant les rénovations effectuées avant 1950.
Depuis, on ne sait plus trop quoi faire de cette résidence officielle maintenant vide. Rénover? Tout raser? Les paris sont encore ouverts, huit ans plus tard…
Pour tout dire, la vieille demeure traine de vieux démons. Ça tombe bien, l’Halloween est à nos portes. Amusant. Presque.
Certains pensent que le fantôme de l’homme qui a fait construire la maison au 24, promenade Sussex rend parfois visite à la vieille demeure. Encore des histoires de peur.
Pourtant, tout avait bien commencé lorsque Joseph Merrill Currier, un entrepreneur ayant connu du succès dans l’industrie du bois, décide, peu après la Confédération, de faire construire une superbe résidence comme cadeau de noces à sa troisième femme.
Ah ah! La troisième femme. Qu’en est-il des deux premières? Puisque vous le demandez, voici.
Jamais deux sans trois
C’est avec la première, Christina Wilson, que Joseph a eu ses quatre enfants. Hélas, trois fois hélas, trois d’entre eux meurent de la scarlatine, et Christina succombe ensuite en raison de son chagrin.
Le destin de sa deuxième femme, Ann Elizabeth Crosby, sera encore pire. Peu après leur retour de leur lune de miel, Joseph a la mauvaise idée de faire visiter le moulin Watson, dont il était copropriétaire, à sa nouvelle conjointe.
Joseph Merrill Currier, homme d’affaires et député fédéral, a fait construire le 24, promenade Sussex à Ottawa pour sa troisième femme.
Femme issue d’une famille aisée, Ann visite le site vêtue d’une robe à crinoline. Comble de malheur, sa tenue se prend dans l’une des turbines du moulin et la mariée est violemment projetée contre un pilier. Une fin abrupte du deuxième mariage.
La légende veut que, depuis sa mort en 1861, Ann hante le moulin. Celui-ci, toujours en activité, organise chaque année des soirées hantées en mémoire de la jeune infortunée. Hou hou.
Quelques années plus tard, Joseph Merrill Currier s’éprend d’Hannah Wright, elle aussi née d’une famille riche, qu’il épouse en 1868. Pour Currier, Wright sera la bonne…
En guise de cadeau de noces, Joseph fait bâtir une somptueuse résidence non loin du centre de la ville d’Ottawa, au bord de la rivière des Outaouais.
Joseph donne à la nouvelle demeure le nom de Gorffwysfa (prononcé «gore – voïce – va»), un nom gallois signifiant, selon les sources, «lieu de repos», «lieu de paix» ou «havre de paix». Bien… 155 ans plus tard, on peut dire que la résidence est un «lieu de paix», puisque plus personne n’y habite.
La pendaison de crémaillère de Gorffwysfa attire environ 500 personnes, dont le premier ministre John A. Macdonald, qui allait devenir lui-même plus tard un adepte des pendaisons. Hou hou!
Prise en main par le gouvernement fédéral
La résidence devient un endroit où se réunit l’élite de la capitale et des personnalités de passage en ville. Currier meurt en 1884 ; sa femme lui survit jusqu’en 1901. La demeure est alors vendue à un autre grand commerçant de bois, William Cameron Edwards, qui à son décès, en 1921, la lèguera à son neveu.
Justin Trudeau, bébé au 24, promenade Sussex, en 1972, sous le regard de sa mère, Margaret Sinclair, et dans les bras de Pat Nixon, femme du président américain Richard Nixon.
Jusque-là tout va bien, mais dans les années 1940, le gouvernement fédéral convoite le domaine. Ottawa possède déjà presque tous les terrains qui longent la rivière des Outaouais à cet endroit et veut éviter toute exploitation des berges.
En 1943, le gouvernement exproprie la propriété, mais le neveu Edwards s’y opposera vivement pendant quelques années. Le lieu de paix était devenu un objet de discorde, mais au bout du compte, en 1946, le gouvernement obtient gain de cause.
Gorffwysfa devient en 1949 la résidence officielle du premier ministre du Canada. Louis St-Laurent sera le premier à s’y installer, mais on a dû le convaincre. Il était au départ contre l’idée d’une résidence officielle. Il finit par acquiescer, à condition de payer un loyer, une pratique qui se poursuivra jusqu’en 1971, alors qu’un certain Trudeau est premier ministre.
Après le calme, la tourmente
Les années et les premiers ministres se succèdent, et la vie au 24 Sussex y est assez paisible, jusqu’à… jusqu’à ce que, dans la nuit du 5 novembre 1995, un homme – André Dallaire – s’introduise sans frapper dans la résidence habitée à l’époque par Jean Chrétien et sa femme Aline.
Dallaire est armé d’un couteau pliant dont la lame fait une dizaine de centimètres. Arrivé près de la chambre du premier ministre, l’homme est confronté par Aline Chrétien. Celle-ci rentre aussitôt dans la chambre et verrouille la porte. Elle appelle la GRC qui, à son arrivée, trouve André Dallaire toujours sur place et l’arrête.
Vue arrière du 24, promenade Sussex.
Souffrant de schizophrénie depuis l’adolescence, l’assaillant dira par la suite avoir entendu des voix l’ordonnant de tuer Jean Chrétien pour venger la victoire du oui au référendum sur la souveraineté du Québec tenue quelques jours auparavant. Dallaire sera condamné pour tentative de meurtre, mais n’ira pas en prison en raison de son état mental.
Dix-huit ans après l’incident Dallaire, voilà que le 24, promenade Sussex fait l’objet d’une autre invasion : des rats. Les efforts pour régler le problème ont permis de découvrir une quantité de carcasses et d’excréments de rats à l’intérieur des murs, au grenier et au sous-sol.
Avec l’infestation de rats et la présence d’autres problèmes, le débat est encore ouvert à savoir si on injectera les dizaines de millions de dollars nécessaires afin que Gorffwysfa redevienne ce havre de paix qu’il a déjà été ou si on la laissera aux fantômes.
Le texte ci-dessous constitue la deuxième et dernière partie du présent récit. La première partie se trouve ici.
Résumé de la première partie
Natif de Shediac, au Nouveau-Brunswick, William Lusk Webster entreprend une carrière scientifique dans les années 1920 à l’Université de Cambridge, en Angleterre, où il obtient un doctorat en physique. Il y côtoie de nombreuses sommités du monde des sciences, dont certaines participeront au projet Manhattan, visant à concevoir et à fabriquer la bombe atomique. Mais Webster est aussi un homme très renfermé, qui doit composer avec des troubles psychologiques qui perturberont son cheminement professionnel.
William Lusk Webster a gravité autour du projet Manhattan, sans y participer directement.
En 1938, l’Allemagne réussit la première fission nucléaire, ce qui déclenche la course à la bombe atomique. Craignant qu’Hitler puisse avoir un jour accès à une telle technologie destructrice, les États-Unis, mais d’abord le Royaume-Uni, se lancent dans un effort sans précédent pour se doter, avant l’Allemagne nazie, de l’arme nucléaire.
C’est dans cet environnement fébrile du début de la Seconde Guerre mondiale que William Lusk Webster sort de sa torpeur en obtenant un poste à la division de recherche scientifique au ministère britannique des Approvisionnements, un ministère qui jouera un rôle important dans l’effort de guerre.
Le rôle de Webster n’est pas très clair ; en septembre 1940, il déplore dans une lettre à un ami du Nouveau-Brunswick qu’il n’est qu’un «pion» dans l’appareil.
La Bataille d’Angleterre fait rage depuis juillet. Les autorités britanniques manquent de ressources pour poursuivre leurs travaux sur la bombe atomique et sur d’autres armes.
Elles décident alors de faire appel aux États-Unis et d’y envoyer une délégation en mission secrète pour y établir une collaboration scientifique et technique.
L’aboutissement du projet Manhattan : en juillet 1945, l’équipe de Los Alamos, dans le désert du Nouveau-Mexique, parvient à faire exploser la première bombe atomique.
À la suite de cette mission, le gouvernement britannique crée, à l’hiver 1941, un bureau scientifique à Washington : le British Central Scientific Office (BCSO). Son directeur est Charles G. Darwin (petit-fils de Charles Darwin, auteur de la théorie de l’évolution). Webster est nommé «secrétaire» pour seconder Darwin.
Le BCSO allait devenir le pilier de la collaboration scientifique entre les deux pays. Il allait assurer les échanges des recherches, dont certaines jetteront les bases de la production de la bombe atomique.
Mais à l’automne 1941, Webster commence à désenchanter : le bureau devient trop bureaucratique à son gout. Dans une lettre à un collègue du ministère des Approvisionnements, il déplore que le BCSO soit devenu une «agence de voyages».
En juillet 1942, Webster démissionne, mais il ne quitte pas l’orbite nucléaire pour autant.
Le Canada abrite les recherches nucléaires britanniques
La situation est de plus en plus problématique au Royaume-Uni. Après trois ans de guerre, en 1942, le pays transfère au Canada l’essentiel de l’équipe de son programme de développement d’armes nucléaires, baptisé Tube Alloys. Un laboratoire secret est aménagé, à Montréal, d’abord à l’Université McGill, puis à l’Université de Montréal.
Après une vie de célibataire, William Lusk Webster se marie en décembre 1957, à l’âge de 54 ans. Son union avec Patricia O’Brien durera moins d’un an.
À peu près au même moment, William L. Webster quitte Washington et s’installe à Ottawa, où il est embauché par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) qui supervise justement les recherches secrètes à Montréal. Webster travaille directement avec le président du CNRC à la coordination des recherches nucléaires.
Le laboratoire de Montréal finira par réunir près de 600 chercheurs et sera le seul à l’extérieur des États-Unis qui participera au projet Manhattan.
Mais les vieux démons de Webster reviennent le hanter et il retombe dans un état dépressif. En février 1943, après seulement quelques mois au CNRC, il démissionne.
Retour à Londres, puis à Washington
Webster est cependant de retour à Londres en avril pour travailler dans une unité de recherche de défense au Air Defence Research Development Establishment.
Ce sera de courte durée. À l’automne, il revient à Washington, cette fois au sein du bureau de liaison du programme nucléaire britannique Tube Alloys, qui entretemps a été entièrement intégré au projet Manhattan.
Remise de la médaille de la Liberté à l’ambassade des États-Unis à Ottawa, en mars 1947. William Lusk Webster, derrière au centre, avec huit autres Canadiens récipiendaires de cette distinction. À l’extrême gauche, Ray Atherton, ambassadeur américain au Canada.
Webster est l’adjoint du chef du bureau de liaison, James Chadwick, physicien britannique qui a découvert le neutron en 1932 et qui dirige l’équipe britannique engagée dans le projet Manhattan.
Dans son rôle, Webster reçoit la correspondance secrète adressée aux scientifiques et la redirige aux laboratoires participants au projet de bombe atomique.
Comme à son habitude, Webster ne restera pas en poste longtemps. Il démissionne en février 1945, quelques mois avant l’aboutissement du projet Manhattan.
Ce sera la fin de l’aventure «nucléaire» de William L. Webster.
De retour au Canada, il est investi de l’Ordre de l’Empire britannique en 1946. L’année suivante, il reçoit, pour ses services au sein du BCSO, la médaille de la Liberté (Medal of Freedom), créée par le président américain Harry Truman pour honorer la contribution de personnes lors de la Seconde Guerre mondiale.
Retour au bercail
En 1950, le père de William, John Clarence Webster, meurt. Le fils se rend à Shediac pour les funérailles et pour s’occuper de sa mère. Il ne repartira plus. Il s’investira dans les activités de son père, notamment au sein du Musée du Nouveau-Brunswick. William L. Webster quitte ainsi le monde scientifique pour de bon.
William L. Webster quelques années avant sa mort, en compagnie de Katie Gallant, la «servante» de la famille depuis des dizaines d’années.
La mère de Webster meurt à son tour, en 1953. William devient alors le dernier survivant de la famille : son seul frère, John, est mort dans l’écrasement de son avion en 1931 et sa seule sœur, Janet, a été arrêtée en France par les nazis en 1942 et est morte en janvier 1945 dans un camp de concentration de Ravensbrück, en Allemagne
Célibataire endurci, Webster se marie en 1957 avec Patricia O’Brien, de Moncton, mais la relation du couple est tumultueuse et aboutit à un divorce moins d’un an plus tard.
Le reste de la vie de Webster sera un fleuve assez tranquille. Il mourra en 1975, à Shediac, sans jamais avoir partagé ses péripéties scientifiques et nucléaires…
Ce récit est divisé en deux parties. En voici la première.
La maison familiale des Webster à Shediac, construite par le père J. Clarence Webster. Elle existe toujours.
Né à Shediac, près de Moncton, d’une famille aisée, William Lusk Webster n’a jamais – jusqu’à sa mort – voulu parler ouvertement de son rôle dans l’effort scientifique sans précédent qui a mené à l’arme nucléaire. Peut-être était-il perturbé par l’aboutissement du projet Manhattan. Peut-être souhaitait-il que sa participation demeure la plus discrète possible, préférant une vie loin des projecteurs.
Ce que l’on sait de son histoire provient de nombreuses lettres, de comptes rendus dans quelques livres et documents sur l’aventure nucléaire et aussi d’«enquêtes» effectuées à son propos.
Voyons cela de plus près.
John Edward Belliveau, originaire de Moncton, était journaliste pour le Toronto Star au Québec. On se souviendra de lui notamment pour avoir écrit une série d’articles et un livre sur la célèbre «affaire Coffin».
Le parcours scientifique de William Lusk Webster, originaire de Shediac, au Nouveau-Brunswick, demeure nébuleux.
À l’été 1979, ce journaliste publie dans le magazine Atlantic Advocate un récit en deux parties sur la vie de William Lusk Webster : «Atomic Superspy» (Le super espion atomique). Bon, le titre en beurrait un peu épais.
Au cours des années 1970 et après, l’historien acadien Régis Brun s’intéresse lui aussi à la vie de William L. Webster. Il rassemble dans un document une quantité impressionnante de lettres et autres références sur ce personnage.
Dans ces papiers se trouve aussi l’ébauche d’une biographie sur Webster qui n’a jamais été publiée. Les informations présentées dans ce récit proviennent en bonne partie des recherches menées par Régis Brun, dont plusieurs sont inédites.
Voici donc l’étonnante histoire de William Lusk Webster.
Un étudiant brillant
Son père était John Clarence Webster, un anglophone originaire de la petite ville acadienne de Shediac, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Sa mère, Alice Lusk, était américaine et issue d’une famille fortunée de New York.
J. Clarence Webster était médecin gynécologue et auteur de manuels de médecine. À l’époque, la famille Webster vivait à Chicago, mais passait presque tous les étés à Shediac, où William vient au monde en 1903. En 1919, la famille déménage pour de bon à Shediac.
Le Laboratoire Cavendish était le nom donné au Département de physique de l’Université Cambridge, qu’a fréquenté William Lusk Webster et de nombreux scientifiques célèbres.
William a donc grandi à Chicago jusqu’à ce qu’il entreprenne des études supérieures au Victoria College de l’Université de Toronto, puis au prestigieux Trinity College de l’Université de Cambridge, en Angleterre. C’est à Cambridge qu’il obtient un doctorat en physique en 1926, à l’âge d’à peine 23 ans.
C’est aussi à Cambridge qu’il côtoiera des scientifiques de grand renom, qui joueront un rôle dans les recherches qui mèneront à la fabrication de la bombe atomique et avec qui Webster travaillera.
Parmi ces scientifiques, il y a Ernest Rutherford, directeur du «Laboratoire Cavendish», nom donné au Département de physique de l’Université de Cambridge. Rutherford, lauréat d’un prix Nobel, est considéré comme le «père de la physique nucléaire». Sous sa direction, une équipe du laboratoire réussira une fission artificielle de l’atome, ce qui est au cœur de l’élaboration de la bombe atomique.
John Cockcroft est l’un des membres de l’équipe ayant réussi la première fission. Brillant physicien britannique lui aussi, il recevra un jour à son tour un prix Nobel. Webster s’associera de près avec lui, comme nous le verrons.
Mentionnons enfin James Chadwick, autre prix Nobel, qui a découvert le neutron, ce qui a mené à la fission nucléaire.
C’est dans un tel environnement scientifique fébrile qu’évolue William L. Webster, quoiqu’il ne soit pas directement engagé dans la recherche nucléaire à cette époque. En fait, au fil des ans, il déchante de plus en plus par rapport à la «science pure» et cherche d’autres voies professionnelles.
Problèmes psychologiques
À vrai dire, Webster est un être perturbé. Il se confie parfois dans des lettres à des collègues ou connaissances, admettant que les «troubles» qui le tenaillent sont de nature psychologique. Il est irritable, nerveux, ce qui nuit à son travail. Il hésite, doute de plusieurs choses, change souvent d’idée sur sa carrière.
En 1933, il décide qu’il a besoin d’une pause. Il se rend en Afrique du Sud et, au cours des mois qui suivent, il parcourt en voiture le continent africain du sud au nord, traversant le désert du Sahara jusqu’à Alger. De là, il se rend en France, où vit sa sœur Janet.
De retour en Grande-Bretagne à la fin de l’hiver 1934, Webster réoriente du tout au tout sa carrière et s’inscrit à la réputée London School of Economics, où il étudiera jusqu’en 1938.
Un doctorat à l’Université de Cambridge ne suffira pas pour William L. Webster. Il fréquentera ensuite la London School of Economics de 1935 à 1938.
Petite anecdote, il y a presque côtoyé un jeune John F. Kennedy. Celui-ci s’était inscrit à cette école en 1935 et s’était rendu à Londres, mais il a dû retourner aux États-Unis avant le début des cours en raison de maladie. Il n’y retournera pas.
Pendant ses études, Webster tergiverse toujours sur son avenir. Il songe à revenir au Canada et même à se présenter comme député fédéral de Westmorland, la circonscription comprenant la ville de Shediac. Il envisage aussi de devenir professeur d’économie à l’Université de Toronto. Il finira par renoncer à ces deux projets.
Sa mère s’exaspère de l’état de son fils. Après avoir visité sa fille Janet en France puis William à Londres, en mars 1938, elle confie à une amie dans une lettre être déçue que son fils ait renoncé à revenir au Canada :
«Je comprends qu’il veuille résoudre ses ennuis personnels à sa façon, mais il a maintenant 35 ans et je pense qu’il est temps d’abandonner les théories abstraites au profit d’une expérience pratique des besoins humains. [trad.]»
L’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, en septembre 1939, marquera un tournant dans la carrière de William Lusk Webster. Ses nouvelles fonctions, plus secrètes, l’amèneront aux États-Unis et le plongeront dans l’orbite du projet de la bombe atomique.
Suite la semaine prochaine…
On ignore quand l’enfant est venu au monde. Apparence qu’il a lancé un grand cri. Et que le corps était chaud.
Des traces de changements dans les pluies des iles Galapagos reliées au phénomène El Niño ont été observées déjà il y a 2 000 ans. Certaines recherches indiquent plutôt une naissance il y a 5 000, voire 6 000 ans. C’est ce que disent des arêtes de poisson. Difficile de contredire de vieilles carcasses.
El Niño en pleine action.
Si la date de naissance est plus ou moins précise, le baptême, lui, est clair. Enfin, presque. Certains affirment que le nom est apparu dès le XVIIe siècle. D’autres disent au XVIe siècle. Qui croire? Malheureusement, l’acte de baptême n’a jamais été retrouvé.
Ce sont les pêcheurs péruviens qui ont inventé le nom. Le phénomène survenait vers décembre, près de la période de Noël. Or, El Niño est l’un des noms que la population sud-américaine donnait à l’Enfant Jésus. Mais c’était loin d’être un don du ciel…
Au moins, au moins, on sait «pour sûr» que le phénomène – et le nom – ont été dévoilés au monde en 1920 par le physicien anglais Sir Gilbert Walker. C’est toujours ça.
Bien beau de parler d’où et de quand ça vient, mais voyons comment ça se passe.
El Niño, mode d’emploi
Les mécanismes météorologiques et atmosphériques qui mènent au phénomène El Niño sont complexes et probablement un peu ennuyants à expliquer en détail. Allons-y donc s-u-c-c-i-n-t-e-m-e-n-t.
D’abord, il y a un ralentissement – on ne sait trop pourquoi – des vents soufflant dans une grande partie de la région qui s’étend environ du nord du Mexique jusqu’au milieu du Chili.
Pêcheur péruvien en 1910 à Pacasmayo. Ce sont les pêcheurs de cette région qui ont baptisé le phénomène météorologique El Niño.
Ces vents, nommés alizés, font habituellement remonter du fond de l’océan les eaux froides qui rafraichissent une bonne partie de la côte pacifique de l’Amérique du Sud.
L’absence ou la présence atténuée de ces eaux froides font que les courants chauds s’accumulent dans l’ouest du Pacifique et se dirigent vers le continent américain.
Lorsque la température de l’eau de surface grimpe d’au moins 0,5 oC, bingo! Il est né le div… Bien, pas très divin finalement.
Ce réchauffement provoque des tempêtes qui vont retenir beaucoup d’humidité. Ces tempêtes se moquent des courants d’air, comme le courant-jet, et larguent leur trop-plein d’humidité sur les Amériques, soit sous forme de pluie, soit sous forme de neige. Ce qu’El Niño prend, El Niño redonne…
El Niño a des effets qui se font sentir partout sur la planète. Il peut provoquer de fortes sècheresses dans des régions chaudes comme l’Australie et l’Inde et entrainer un nombre supérieur d’ouragans dans le Pacifique.
En 2015-2016, l’enfant s’est fâché
C’est comme si, en 2015, El Niño s’était levé du mauvais pied. Dans certaines régions, son impact sur la météo a été tel qu’il a provoqué des épidémies.
Le voici : El Niño. Ou plutôt les températures chaudes qu’il provoque près des côtes de l’Équateur et du Pérou.
C’est ce qui s’est passé au Colorado et au Nouveau-Mexique, où l’augmentation des précipitations et des températures a favorisé la végétation. Qui en a profité? Les rongeurs porteurs de maladies comme la peste – oui la peste – et d’autres associées à des infections virales.
N’oublions pas qu’El Niño est péruvien. Quand El Niño est fâché, lui toujours agir ainsi.
Il semble bien que le petit enfant se fâchera de plus en plus souvent. Et de plus en plus fort. Certaines études indiquent que la puissance du phénomène a augmenté de 25 % depuis le début de l’ère industrielle.
Ainsi, le phénomène El Niño se forme plus tôt et plus à l’ouest dans le Pacifique qu’avant, ce qui lui permet d’augmenter son intensité en se dirigeant vers l’est. Les occurrences d’un «super El Niño», comme celui des années 1982, 1997 et 2015, risquent d’être de plus en plus fréquentes.
Le Canada y goute également
Savantes illustrations montrant les changements atmosphériques provoqués par El Niño et La Niña.
Habituellement, le phénomène El Niño affecte le Canada en apportant du temps plus doux dans les régions côtières du Pacifique et de l’Atlantique. C’est l’inverse pour les Prairies et les régions au nord qui héritent alors d’hivers plus froids.
On enregistre par ailleurs une hausse des précipitations dans le sud de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, de même que dans les provinces de l’Atlantique. Cela peut se traduire par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, de l’érosion côtière, des inondations et d’autres épisodes météorologiques violents.
Dans la période hivernale de décembre 2015 à février 2016, le mercure a grimpé d’au moins 0,5 °C au-dessus de la normale dans toutes les provinces canadiennes.
Bref, un peu n’importe quoi. Parce que tout est la faute d’El Niño.
Et la saison des ouragans?
Normalement, El Niño contribue à une réduction du nombre de tempêtes dans l’océan Atlantique, car il amplifie les vents en haute altitude qui se dirigent vers les Caraïbes. Ces vents chauds perturbent la mouvance des vents et créent un effet de «cisaillement» qui, pour ainsi dire, «déchire» les ouragans.
Or, cette année, la température des eaux dans l’Atlantique où se forment les tempêtes tropicales atteint des niveaux records, jusqu’à 5 °C de plus par endroits. L’enfant terrible du climat n’est pas de taille à faire une différence. Pour une fois, ce ne sera pas la faute d’El Niño.
Et La Niña? Bof, on en parlera une autre fois. Pour simplifier un peu trop les choses, disons qu’elle fait tout le contraire de son frère, et parfois ses ravages sont encore pires. Mais comme c’est toujours la faute «à» El Niño, La Niña s’en sort bien.
L’affaire du père André Mercure a amené la Cour suprême du Canada à invalider toutes les lois existantes de la
C’est un beau roman, c’est une belle histoire. Pardon, encore de l’ironie. En fait, les prémices de cette saga ne se déroulent pas en Alberta, mais en Saskatchewan. Le «coupable»? André Mercure. Oui, coupable d’excès de vitesse.
Dans les années 1980, ce prêtre, reconnu pour son engagement envers la jeunesse fransaskoise, conteste sa contravention et exige un procès en français.
Pour comprendre son argumentation juridique, il faut savoir qu’avant leur création comme province et leur adhésion au Canada, en 1905, la Saskatchewan et l’Alberta faisaient partie des Territoires du Nord-Ouest et de la Terre de Rupert.
Administrée par la Compagnie de la Baie d’Hudson, cette vaste région comprenait à l’époque les trois territoires actuels, la région des Prairies, ainsi que les parties nord du Québec et de l’Ontario.
Des droits linguistiques acquis?
André Mercure invoque devant le tribunal que la Saskatchewan – et par extension, l’Alberta – avait hérité de certains droits linguistiques garantis à l’époque aux francophones habitant le territoire administré par la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Ces droits, inscrits dans l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, prévoient que :
«Toute personne pourra faire usage soit de la langue anglaise, soit de la langue française, dans les débats de l’Assemblée législative des territoires, ainsi que dans les procédures devant les cours de justice ; […] et toutes les ordonnances rendues sous l’empire du présent acte seront imprimées dans ces deux langues.»
Créée par une charte royale britannique en 1670, la Compagnie de la Baie d’Hudson exploitait et administrait un vaste territoire qu’elle a fini par vendre au Canada naissant.
Bref, un certain niveau de bilinguisme législatif et judiciaire.
Mais ces droits ont-ils été maintenus lors de la création de l’Alberta et de la Saskatchewan? Telle est la question, comme dirait Hamlet.
Après une demi-victoire, l’affaire se rend en Cour suprême du Canada. Entretemps, André Mercure meurt, mais des associations continuent son combat devant le tribunal.
Le 25 février 1988, la Cour suprême statue que l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest a bel et bien continué d’être en vigueur en Saskatchewan ainsi qu’en Alberta : les lois «doivent être adoptées, imprimées et publiées en français et en anglais», peut-on lire, et «ces deux langues peuvent être utilisées devant les tribunaux».
Cette décision signifiait qu’André Mercure avait le droit de faire usage du français lors des procédures judiciaires. Ce droit lui a été refusé. La Cour a donc annulé sa déclaration de culpabilité. Une victoire malheureusement posthume pour le curé militant.
Donc… l’Alberta et la Saskatchewan sont bilingues! Yes, oui, bonjour, hello.
Bilingues, oui mais…
Mais, mais oui, que voulez-vous, ce nouveau statut bilingue reconnu a été très éphémère.
Depuis la création de l’Alberta en 1905, l’Assemblée législative n’a adopté qu’une seule loi bilingue, celle qui a validé toutes les lois unilingues anglaises.
En fait, la Cour suprême a expliqué que ce même article 110 donnait à l’époque aux anciens Territoires du Nord-Ouest, d’où ont été constituées l’Alberta et la Saskatchewan, l’autorité de modifier leurs règlements, dont ceux de nature linguistique.
Ce pouvoir de changer les règles du jeu valait donc également pour les deux nouvelles provinces. Or, elles ne l’ont jamais fait.
Résultat : toutes les lois adoptées par les deux provinces, depuis leur création en 1905, étaient invalides. Petit problème…
Comme la justice a horreur du chaos, la Cour suprême a donné aux Assemblées législatives deux options pour régler l’affaire : traduire toutes ses lois, les adopter de nouveau et les publier en français – c’est-à-dire maintenir un certain bilinguisme – ou… adopter une loi validant toutes les anciennes lois.
Mais comme cette loi «réparatrice» devait être conforme aux statuts hérités de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, elle devait être bilingue.
La Cour suprême a elle-même souligné la particularité de cette situation : «[…] l’Assemblée législative peut avoir recours à l’expédient manifeste, voire même ironique, de l’adoption d’une loi bilingue abrogeant les restrictions que lui impose l’article 110, puis déclarant valides toutes les lois provinciales nonobstant le fait qu’elles aient été adoptées, imprimées et publiées en anglais uniquement.»
Être ou ne pas être bilingue
Un choix difficile… mais pas vraiment.
À peine un mois après l’arrêt Mercure, la Saskatchewan adopte The Language Act/Loi linguistique afin de valider les anciennes lois unilingues anglaises.
L’Alberta fera de même en juillet 1988 avec une loi similaire et un titre presque identique : Languages Act/Loi linguistique.
Dans les deux cas, ces lois concèdent tout de même certains droits aux francophones pour ce qui est de l’usage du français dans les tribunaux.
Ce prix de consolation ne plait pas à tous. En Alberta, certains vont contester la loi «bilingue» de 1988.
L’exemple le plus connu est celui de Gilles Caron et de Pierre Boutet. Comme pour André Mercure, l’affaire Caron, qui inclut l’affaire Boutet, débute par des infractions routières rédigées en anglais.
Avant leur création en 1905, l’Alberta et la Saskatchewan faisaient partie de vastes territoires nommés Terre de Rupert et Territoires du Nord-Ouest qui étaient administrés par la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Les deux hommes soutiennent que la Loi linguistique de 1988 permettant l’usage de contraventions unilingues anglaises est invalide, car les garanties linguistiques acquises avant la création de la province étaient, selon eux, de nature constitutionnelle.
La Cour provinciale leur donne raison. Évidemment, la décision sera portée devant la Cour suprême. En fin de compte, cet appel demande au plus haut tribunal du pays – avec quelques arguments différents – de modifier sa décision de 1988 dans l’arrêt Mercure.
Eh non.
La Cour suprême rejette l’affaire.
Cependant, trois juges, dont le juge en chef actuel de la Cour suprême, Richard Wagner, expriment leur dissidence et concluent que l’Alberta a l’obligation constitutionnelle d’adopter et de publier ses lois dans les deux langues officielles du pays.
L’opinion des trois juges est ferme : «Le dossier historique démontre de manière convaincante que les représentants de la population des territoires ont fait du bilinguisme législatif une condition d’annexion et que non seulement leurs homologues canadiens ne s’y sont pas objectés, mais ils ont même donné l’assurance que cette condition serait respectée.»
Deux autres juges de plus et c’était dans la poche! Mais bon, c’est plus compliqué que ça.