C’est en 1910, lors de la conférence internationale des femmes socialistes, que la militante féministe allemande Clara Zetkin propose pour la première fois la création d’une «Journée internationale des femmes».
S’ancrant dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes qui agitent alors l’Europe et l’Amérique du Nord, et s’inscrivant dans une perspective révolutionnaire, Clara Zetkin revendique, entre autres, le droit de vote des femmes et la fin des discriminations au travail.
La date du 8 mars n’est pas encore choisie, mais l’objectif est défini : mobiliser les femmes du monde entier lors d’une même journée afin de faire valoir leurs droits. La proposition est approuvée à l’unanimité par les déléguées des 17 pays présents.
Quelques années plus tard, à la suite de la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, en Russie, la date du 8 mars est finalement retenue.
Il faudra néanmoins encore attendre plusieurs décennies pour que la tradition prenne de l’ampleur.
Au Canada, l’évènement s’inscrit durablement dans les calendriers féministes à partir des années 1960, ce qui correspond à l’avènement du mouvement de libération des femmes.
Cette journée devient dès lors un moment collectif de réflexion et d’action pour les organismes de défense des droits des femmes – et non une nouvelle occasion de vendre rouges à lèvres, soins du visage et chandails à prix réduit, n’en déplaise à certains!
Une grève mondiale des femmes
Renouant avec les origines ouvrières du mouvement, de nombreux organismes appellent depuis plusieurs années les femmes du monde entier à la grève générale en cette date hautement symbolique.
Ainsi, le 8 mars 2018, inspirées par un mouvement similaire mené en Islande en 1975, des millions d’Espagnoles cessent de travailler. Elles sont bientôt suivies par des Argentines, des Suissesses, des Françaises, des Grecques, des Mexicaines… Partout dans le monde des rassemblements, parfois accompagnés d’arrêts de travail, mobilisent les femmes.
Leur mot d’ordre? «Si nous nous arrêtons, le monde s’arrête.»
Rien n’est plus vrai : les femmes constituent les deux tiers de la main-d’œuvre du secteur public, du secteur communautaire et des soins et services aux personnes.
Elles font tourner les restaurants, les commerces, les hôpitaux et les écoles, tout en assumant la majorité des tâches familiales et en s’occupant des enfants, des personnes âgées et des malades. Qu’elles arrêtent de travailler – qu’il s’agisse d’emplois rémunérés ou non –, et c’est l’ensemble de la société qui s’écroule.
Pourtant, les femmes continuent de subir au quotidien les violences sexistes et sexuelles, en plus des violences économiques que sont les bas salaires, les temps partiels contraints et les mauvaises conditions de travail, d’autant plus si elles sont racisées, porteuses d’un handicap ou immigrantes.
Elles endurent les inégalités structurelles et systémiques existantes causées par le patriarcat, le classisme, le racisme et le colonialisme, tant dans leur vie privée que dans la sphère publique.
Elles payent également le prix fort des crises sanitaire, économique et sociale : selon le rapport de 2022 du Forum économique mondial sur les inégalités femmes-hommes, les écarts ne cessent de se creuser en raison des perturbations causées par la pandémie et la faiblesse de la reprise, portant maintenant à 132 ans le temps nécessaire pour atteindre la parité dans le monde au rythme des efforts actuels.
Construire des solidarités
Ne serait-il pas temps de nous mettre en grève, nous aussi?
Le 8 mars, pour un jour seulement, refusons d’accomplir nos tâches domestiques, de nous occuper de nos familles et de nous rendre au travail.
Utilisons la grève pour bloquer cette société qui nous exploite. Pour refuser un monde qui exacerbe les inégalités et attise les discours haineux.
Construisons des alliances et des solidarités par-delà les frontières.
Réapproprions-nous les espaces publics et les discours.
Plutôt que des fleurs, offrons-nous du temps pour rêver ensemble à un avenir libéré de toute violence.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.
Le Canada, longtemps isolé par sa géographie, est rattrapé par le phénomène des migrations de masse qu’on observe en Europe et aux États-Unis depuis plusieurs années. Le nombre de demandeurs d’asile a quadruplé au Canada depuis 2016. Il y a eu près de 100 000 demandes d’asile déposées au pays en 2022.
Le profil des demandeurs d’asile a aussi beaucoup changé ces dernières années. Avant 2017, la plupart des demandes d’asile étaient effectuées dans le cadre des programmes réguliers du gouvernement qui permettent l’entrée d’un peu plus de 20 000 réfugiés par année. Ces réfugiés sont parrainés par le gouvernement fédéral, des organismes privés ou des familles.
Mais l’arrivée massive de réfugiés à la frontière terrestre en dehors des canaux réguliers d’immigration met à rude épreuve les capacités de tous les paliers de gouvernement à leur fournir des ressources et des services adéquats.
Maintenant que cette dynamique est enclenchée, il est peu probable qu’elle cesse d’elle-même, d’autant que ces migrants ont de bonnes raisons de vouloir fuir leur pays et de s’établir au Canada.
Les inégalités, moteurs des migrations
Les 50 % les plus pauvres de la population mondiale possèdent 2 % de la richesse globale. Le 1 % le plus riche possède à lui seul 38 % de la richesse globale. C’est un écart énorme… abyssal! Des études montrent que la migration internationale est étroitement associée à des possibilités d’évolution positive sur le plan économique.
En incluant les personnes déplacées par les guerres et les conflits, il y a plus de 100 millions de migrants dans le monde, et la plupart cherchent à atteindre les pays occidentaux quand ils le peuvent.
En 2022, les demandeurs d’asile arrivés au Canada par les voies irrégulières viennent majoritairement du Mexique, d’Haïti, de la Colombie, du Venezuela, de la Turquie et du Nigéria.
Ces pays ont tous la particularité de présenter des inégalités de revenus extrêmes.
C’est pourquoi, même parmi les pays les plus riches de ce groupe – le Mexique, la Colombie ou la Turquie, par exemple –, on retrouve des populations marginalisées politiquement et économiquement qui vivent dans la pauvreté. On pense ici aux travailleurs non qualifiés mexicains, aux afrodescendants colombiens ou aux Kurdes de Turquie.
La situation économique est encore pire dans les autres pays qui forment le peloton de tête des nationalités des migrants irréguliers au Canada en 2022.
Haïti est un des pays les plus pauvres de la planète. Le Venezuela est dirigé par un gouvernement autoritaire et cleptocrate qui a appauvri sa population. Le Nigéria, aux prises avec une inflation galopante et un boum de sa population, compte des dizaines de millions de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté.
Contrairement à la croyance populaire, ces inégalités de revenus extrêmes et la pauvreté ne sont pas un fait naturel et immuable.Les inégalités de revenu et de richesse se sont accrues presque partout depuis les années 1980 à la suite d’une série de programmes de dérèglementation et de libéralisation qui ont pris des formes différentes selon les pays.
Les pays riches ne parviendront pas à réduire les migrations des personnes les plus vulnérables sans transformer radicalement le cadre financier international qui freine le développement des pays les plus pauvres.
Il existe pourtant des solutions même si elles ne sont pas simples : on pense ici à la taxation des profits des multinationales, l’encadrement des paradis fiscaux ou le financement de l’éducation.
Un marché de l’emploi prêt à accueillir les migrants
L’autre côté de la médaille, c’est que les migrants sont encouragés à venir au Canada parce qu’ils trouvent des emplois chez nous. Le taux de chômage est à un plancher record : 3,9 % au Québec et 5 % à l’échelle du Canada.
Partout les employeurs cherchent de la main-d’œuvre, en particulier dans le secteur manufacturier, de l’agriculture ou des services. Bref, des emplois au bas de l’échelle que les travailleurs immigrants non qualifiés occupent, avec ou sans permis de travail.
En théorie, les personnes qui demandent le statut de réfugié se voient remettre un permis de travail le temps que leur demande d’asile soit étudiée par le gouvernement.
Mais le nombre record de personnes qui déposent une telle demande en ce moment fait dérailler le système. Les demandeurs doivent attendre plusieurs mois, voire plus d’un an, avant de recevoir un permis de travail. Cette situation a notamment pour conséquence de les pousser à travailler au noir dans des conditions souvent dangereuses.
À partir du moment où la route migratoire existe et où les conditions économiques sont propices à l’international comme chez nous, il serait illusoire de penser que le nombre d’immigrants irréguliers qui se présentent à la frontière canadienne diminuera.
La solution à long terme au phénomène des migrations de masse, au Canada comme ailleurs, passe par une amélioration des conditions de vie des personnes les plus pauvres à l’échelle du globe.
Notice biographique
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.
Le projet de loi C-13 parrainé par la ministre libérale fédérale Ginette Petitpas-Taylor, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, comporte plusieurs avancées significatives pour les francophones de l’extérieur du Québec. L’aboutissement de cette réforme, entamée en 2018, est attendu avec impatience depuis plusieurs années.
Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à des scènes rarissimes lors desquelles des députés libéraux montréalais, notamment Marc Garneau, Emmanuella Lambropoulos et Anthony Housefather, ont remis en question publiquement le projet de loi, issu de leur gouvernement, au nom de la protection de la minorité anglophone du Québec.
Ces élus en ont particulièrement contre la reconnaissance au sein d’une loi fédérale de la Charte de la langue française du Québec qui fait du français la seule langue officielle de cette province.
À noter qu’il ne s’agit pas de la seule référence à une législation provinciale dans le projet de loi C-13. Ce dernier reconnait également l’égalité de statut entre les communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick.
Désinformation et exagération
Les trois députés dissidents n’hésitent d’ailleurs pas à faire dans la désinformation et l’exagération dans leur tentative de torpiller C-13.
Dans un texte publié sur son site Web le 16 février, Marc Garneau justifie ses positions en citant, entre autres, une proposition d’amendement du Bloc Québécois voulant qu’en cas de conflit entre la loi fédérale et la Charte québécoise de la langue française, cette dernière prévale.
Or, le 7 février, le président du Comité des langues officielles a jugé cette proposition d’amendement irrecevable au motif qu’elle dépassait la portée du projet de loi.
Pour sa part, Emmanuella Lambropoulos a fait référence à une grand-mère de sa circonscription qui n’aurait pas été en mesure d’être servie en anglais par un médecin bilingue de Montréal. Cette histoire ne tient pas la route, car la législation québécoise stipule clairement qu’il est possible de recevoir des services de santé dans la langue de son choix.
Pas une surprise
Ces députés dissidents ont pourtant fait campagne en 2021 sous la bannière d’un parti qui reconnaissait le statut asymétrique du français et de l’anglais au Canada.
Le discours du trône de 2020 souligne la situation particulière du français au Canada et «la responsabilité [du gouvernement] de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec». Ce passage a d’ailleurs été repris dans la plateforme électorale du Parti libéral l’année suivante.
De plus, la première mouture de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-32, contenait aussi une mention à la Charte de la langue française du Québec. Il est mort au feuilleton au moment du déclenchement des élections générales de 2021.
Alors, pourquoi cette campagne de dénigrement du projet de loi C-13? Les personnes qui ont fait le choix de se présenter dans l’équipe libérale fédérale l’ont fait en connaissance de cause. Si elles n’étaient pas à l’aise avec le contenu de la plateforme électorale et les engagements de leur parti, elles auraient pu laisser leur place à quelqu’un d’autre.
Union ou désunion?
Après plusieurs jours mouvementés mettant en lumière des divisions dans les rangs libéraux, le mot d’ordre semblait être le retour à l’unité.
Après une réunion du caucus provincial le 8 février, le lieutenant du gouvernement fédéral pour le Québec, Pablo Rodriguez, a affirmé que l’ensemble des membres s’en allaient désormais «dans la même direction», c’est-à-dire vers l’adoption du projet de loi C-13.
Toutefois, quelques jours après cette déclaration, le ministre Marc Miller a indiqué qu’il ne savait pas s’il voterait en faveur du projet, faisant fi du principe de solidarité ministérielle.
Ce principe veut que les membres du cabinet, une fois au courant d’une politique du gouvernement, doivent la défendre ou, à tout du moins, ne pas la remettre en cause, et bien entendu, voter en faveur de celle-ci. La solution pour un ministre qui souhaite aller à l’encontre de son gouvernement est la démission.
À la suite des déclarations ambigües de son ministre Miller, Justin Trudeau a d’ailleurs confirmé que le vote sur le projet C-13 ne dérogera pas à ce principe, et que tous les ministres devront voter en faveur.
Le simple fait que le premier ministre ait eu à rappeler aux membres de son cabinet qu’ils doivent appuyer un projet de loi gouvernemental est symbolique de la division interne chez les libéraux.
Un besoin de leadeurship de la part des élus francophones
Au cours des dernières semaines, des députés montréalais du « West Island » ont recentré les discussions autour du projet de loi C-13 en fonction de leurs préoccupations.
Pendant ce temps, les réalités des communautés francophones de l’extérieur du Québec sont reléguées au second plan. Ce sont pourtant ces communautés qui, depuis cinq ans, travaillent de pair avec le gouvernement pour en arriver à ce projet de réforme ambitieux.
Il est temps d’envoyer un message d’unité au sujet du projet de loi C-13. Il y a quelques semaines, sur Twitter, le député franco-ontarien Francis Drouin a dénoncé, à juste titre, «le show de boucane» de ses collègues.
Pour sa part, le député libéral acadien Serge Cormier, en entretien avec l’Acadie Nouvelle, a dénoncé les «petits jeux politiques» et l’obstruction de la part des députés de tous les partis, y compris du sien.
Toutefois, d’autres élus, comme la Franco-ontarienne et présidente du Conseil du Trésor Mona Fortier, sont plus hésitants dans leur appui. Interpelée par une journaliste de Francopresse sur le sujet au début février, la ministre Fortier n’a pas clairement appuyé le projet de loi de sa collègue aux Langues officielles.
Le caucus libéral compte près d’une quinzaine de députés francophones de l’extérieur du Québec. Plusieurs occupent des postes influents, tels les ministres Dominic LeBlanc du Nouveau-Brunswick, Dan Vandal du Manitoba et Randy Boissonnault de l’Alberta.
Qui plus est, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est l’ancienne titulaire du dossier des langues officielles.
Tous ces élus devraient se rallier publiquement et sans équivoque autour de leur collègue Ginette Petitpas-Taylor et de sa réforme pour envoyer un message d’unité et rappeler l’importance de C-13 pour l’avenir des communautés francophones d’un bout à l’autre du pays.
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.
Le pape François est décédé le 21 avril. Cette chronique a été publié lors de sa visite au Canada en 2022. Vous pouvez également lire les attentes de Albertains pour sa visite à l’époque : Entre impatience et incertitude, la visite du pape François est attendue
Je me garderai bien, moi qui ne suis ni Autochtone ni catholique, d’évaluer la portée ou la justesse des excuses du pape François. L’ancien président de la Commission de vérité et réconciliation, Murray Sinclair, a montré qu’elles ne correspondent pas à ce que demandait l’appel à l’action 58.
En écoutant ces excuses, je ne peux toutefois m’empêcher de remarquer la distance qui les sépare des faits avérés.
Les discours qu’il a prononcés au Canada se rapprochent davantage des regrets exprimés par Benoît XVI en 2009 ainsi que «son chagrin pour l’angoisse provoquée par la conduite déplorable de certains membres de l’Église ». Ces deux papes, aux antipodes du continuum politique et moral, présentent une même vision faussée du rôle de l’Église dans les pensionnats autochtones.
Si les excuses du pape François manquent leur cible, c’est avant tout parce qu’elles participent au déni de la responsabilité de l’Église non seulement pour les abus infligés aux enfants dans les pensionnats, mais aussi pour son rôle dans le colonialisme.
L’usage de la voix passive ou d’une formulation ambigüe permet au pape de ne pas nommer de coupables : les enfants « ont subi » des abus, «ont été éloignés» de leur famille, les langues et cultures autochtones «ont été dénigrées et supprimées».
Le pape a aussi argüé que «de nombreux chrétiens» ont soutenu la mentalité colonisatrice au Canada. Dans les excuses présentées à Québec, il a aussi pris ses distances des institutions catholiques locales impliquées dans le système des pensionnats.
Le pape a aussi jeté le blâme pour le colonialisme et surtout pour la destruction culturelle sur les politiques et projets du gouvernement canadien, ainsi que sur une vague «mentalité colonisatrice».
Un colonialisme chrétien
Rappelons que la création des premiers pensionnats autochtones est attribuable aux missionnaires catholiques. La francisation des peuples autochtones en Nouvelle-France a été menée en grande partie par le clergé catholique.
La francisation ne s’entend pas exclusivement de l’enseignement de la langue française, mais bien de l’inculcation des mœurs et des coutumes, jusqu’à l’habillement, des Français – ainsi que de la religion catholique.
Des missions seront créées dans les postes de traite des fourrures, puis dès les années 1850, des écoles pour enfants autochtones s’y ajouteront afin d’éloigner les enfants des modes de vie autochtones.
En 1870, les Oblats avaient déjà fondé 14 écoles dans l’Ouest canadien, la plupart pour les enfants autochtones.
Lorsqu’en 1883 le gouvernement canadien crée le système de pensionnats autochtones, il s’appuie sur les réseaux d’écoles et pensionnats qui existent déjà et qui avaient été mis sur pied non seulement par l’Église catholique, mais également par les Églises anglicane, méthodiste, presbytérienne et unie.
Toutes les Églises rivalisent alors pour obtenir le droit de créer de nouvelles écoles et surtout un financement pour le faire. Loin de se joindre au projet colonial du gouvernement du Canada, les Églises l’ont rendu possible et en ont offert les bases.
Il faut ainsi voir les projets de conversion et d’assimilation comme interdépendants et convergents, selon l’historienne du catholicisme Rosa Bruno-Jofré : «L’Église visait la conversion à la nouvelle religion et le salut d’un enfant autodiscipliné, tandis que l’État cherchait l’assimilation et un sujet autochtone gouvernable.» [trad.] Les deux idéaux convergeaient dans les efforts de colonisation.
Un colonialisme canadien-français
Par opposition aux autres religions chrétiennes, l’Église catholique travaillait pour que l’Ouest canadien soit français et, bien entendu, catholique. Elle poursuivait ce que l’historien Robert Painchaud appelait en 1987 «Un rêve français dans le peuplement de la Prairie».
Au moins jusqu’en 1915, elle n’a cessé d’élaborer des stratégies pour attirer davantage de catholiques francophones qui pourraient établir des communautés stables dans l’Ouest, mais aussi assurer leur vitalité.
Ces endroits – comme la vallée de la rivière Qu’Appelle, Gravelbourg, Prince Albert, Batoche, Saint-Albert ou Saint-Paul – continuent aujourd’hui de former le cœur des communautés francophones de l’Ouest.
On peut certes voir ces efforts de peuplement catholique comme une façon de résister à la colonisation anglophone et protestante – mais aussi comme une manière de détourner le projet colonial canadien aux fins de l’Église.
Il reste néanmoins à approfondir l’histoire du soutien des communautés catholiques canadiennes-françaises aux ordres religieux qui géraient les pensionnats – ces membres de l’Église dont parle le pape dans ses excuses, qu’ils fassent partie du clergé ou ne soient que des fidèles.
À lire aussi : Les évêques «manquent de capacités» pour la réconciliation
On sait déjà que les défenseurs des droits linguistiques et religieux des Canadiens français œuvraient aussi au sein des pensionnats. Pensons au père Lacombe et à monseigneur Grandin, ou encore à messeigneurs Provencher, Taché et Langevin qui ont établi tant de pensionnats et qui continuent de faire figure de héros pour les francophones.
Pensons également aux Oblats qui soutenaient les efforts de militance et d’autoorganisation des communautés francophones, notamment en Alberta. Le travail, dirigé par les évêques, pour établir des colons, allait de pair avec toutes les attaques contre les peuples autochtones déplorées par le pape François.
La reconnaissance des torts de l’Église va au-delà d’une transformation de sa culture : elle exige une réparation, comme l’explique la directrice de la Société du soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Cindy Blackstock. La responsabilité appartient tant à l’Église qu’aux fidèles qui la soutiennent aujourd’hui.