le Jeudi 17 juillet 2025

Pensons à Doug Ford, en Ontario, qui avait créé une véritable onde de choc en abolissant le Commissariat aux services en français.

À Blaine Higgs, au Nouveau-Brunswick, qui n’a jamais caché son irritation envers le bilinguisme, allant même jusqu’à nommer un ministre ouvertement francophobe, alors que sa province est la seule à être officiellement bilingue au pays.

Ou encore à Jason Kenney, en Alberta, qui préfère économiser quelques millions de dollars, ce qui est une goutte d’eau dans le budget de la province, en imposant de sévères compressions budgétaires à l’Université de l’Alberta et donc au Campus St-Jean.

Face à ces exemples récents, on peut se demander s’il n’existe pas un lien entre les politiques linguistiques et les positions idéologiques des partis politiques.

Les droits linguistiques des minorités francophones et acadiennes seraient-ils moins bien protégés par les partis politiques de droite que par les autres partis, qu’ils soient de centre ou de gauche? Si oui, est-ce qu’un tel lien existe aussi sur la scène fédérale?

La question est légitime puisque la perspective d’un éventuel changement de gouvernement à Ottawa devient de plus en plus probable. Pierre Poilievre est maintenant bien en selle à la tête du Parti conservateur du Canada et de récents sondages montrent que sa popularité est en forte progression.

Par ailleurs, le congrès du Parti conservateur, tenu à Québec du 7 au 9 septembre, constitue l’une des rares occasions de mieux connaitre les intentions du chef conservateur ainsi que des membres du parti à l’égard de la francophonie.

Le discours de Pierre Poilievre

Ce qui a frappé de prime abord lors de ce congrès est la large place que Pierre Poilievre a faite au français lors de son long discours (près d’une heure), dont près de la moitié a été livrée en français.

Pierre Poilievre n’a pas hésité à aborder des thèmes chers à la francophonie, évoquant notamment son propre parcours comme fils adoptif de parents franco-albertains ainsi que l’histoire de sa conjointe, Anaïda, qui est arrivée à Montréal a un jeune âge et qui a appris rapidement le français, qu’elle maitrise impeccablement.

Le chef s’est aussi engagé à envoyer ses enfants à l’école française et n’a pas hésité à parler de la langue et de la culture québécoise allant même jusqu’à citer les paroles d’une chanson du groupe Mes Aïeux.

Mais outre les paroles, qu’en est-il des intentions?

Le discours du chef conservateur n’a présenté aucun engagement formel relatif à la protection des droits linguistiques des communautés francophones et acadiennes.

Il faut dire que très peu de promesses ont été dévoilées lors de ce congrès. Celles-ci viendront plus tard, lorsque la plateforme du parti sera présentée aux électeurs, probablement durant la prochaine campagne électorale.

Les résolutions adoptées par les membres

Par contre, les membres du parti ont pu s’exprimer sur de nombreuses résolutions. Deux sont particulièrement intéressantes pour la francophonie canadienne.

La première concerne Radio-Canada : les membres devaient se prononcer sur le financement de la société d’État. La résolution demandait que le gouvernement fédéral cesse complètement de financer CBC/Radio-Canada.

Les membres n’ont pas voulu discuter de cette proposition en séance plénière (seules des discussions ont eu lieu à huis clos) et, par conséquent, la résolution n’a pas été adoptée. On peut ainsi supposer que les membres acceptent le principe du financement public de la société d’État, à tout le moins, on peut le présumer, pour ses activités francophones.

La seconde résolution a trait à l’équilibre budgétaire : les membres ont adopté, à une très forte majorité (91 %), une résolution forçant le gouvernement fédéral à éliminer le déficit budgétaire et à rembourser la dette.

L’appui à cette résolution n’est pas en soi surprenant. La question du contrôle serré des finances publiques et de l’équilibre budgétaire ont toujours fait partie des priorités du Parti conservateur et plus généralement des partis de droite.

Mais cette résolution est importante, car elle résume bien à elle seule le principal défi auquel les communautés francophones et acadiennes sont continuellement confrontées.

Comment convaincre les gouvernements que les «dépenses» en francophonie sont cruciales pour la survie des communautés francophones et acadiennes?

Doug Ford, Blaine Higgs, Jason Kenney, pour ne nommer que ceux-ci, nous ont fait la démonstration que les impératifs pécuniaires l’emportent sur toute autre considération.

Si certaines de leurs décisions ont pu être renversées (l’Université de l’Ontario français ainsi que le Campus Saint-Jean ont finalement obtenu des fonds), c’est parce que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’a pas hésité à appuyer financièrement ces projets.

Mais on le sait, l’atteinte de l’équilibre budgétaire et le remboursement de la dette ne sont pas la priorité de notre premier ministre actuel. Cependant, ce le sera très certainement pour Pierre Poilievre et pour un grand nombre d’électeurs conservateurs.

Petite note sur l’usage du français au congrès

Pour terminer cette brève analyse du congrès conservateur. Bien qu’il se soit tenu à Québec, on doit déplorer le peu d’attention portée à l’usage du français.

Plusieurs militants du Québec ont même rappelé à l’ordre leur parti en séance plénière, en dénonçant plusieurs erreurs de traduction des résolutions présentées au congrès.

Pour ma part, j’ai eu bien de la difficulté à me faire servir en français et cela a commencé dès l’accueil au congrès. Le Parti conservateur va devoir faire mieux.

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Récemment, le gouvernement de la Saskatchewan a adopté une directive qui exige que les parents consentent à ce que leurs enfants changent leur nom ou leur genre dans leurs interactions avec l’école. Les parents peuvent également ne pas consentir à ce que leur enfant reçoive les cours d’éducation à la sexualité. Une politique semblable a aussi été adoptée au Nouveau-Brunswick et discutée en Ontario.

Des conséquences immédiates

Les jeunes qui ne sont pas certain·es de la manière dont leur famille réagirait à leur coming out ne peuvent donc pas chercher un premier contact avec une personne adulte à l’école à qui iels feraient confiance. À plus forte raison, les élèves qui craindraient les conséquences de ce coming out pour leur sécurité pourraient être dissuadé·es de s’afficher et de rechercher ce qui les rendra heureux·es.

Des études montrent que beaucoup d’adultes hésitent à partager leur identité sexuelle ou de genre, ou refusent carrément de le faire, et il demeure souvent difficile pour les jeunes de faire leur coming out. Plusieurs sont confronté·es à l’incertitude d’être accepté·e et à la réalité de la discrimination. Certains comportements et institutions cherchent à limiter leur capacité à être elleux-mêmes, voire à les «convertir» à une vie hétéronormatisée. Même avec le soutien de leur famille, plusieurs se cherchent une famille choisie.

À lire aussi : Le genre n’est pas à débattre

On sait enfin que la santé et la sécurité des jeunes personnes à la sexualité et au genre divers sont déjà en question : iels sont davantage victimes d’intimidation, de harcèlement et de violence et de ce fait, ont davantage de pensées suicidaires et de troubles de santé mentale.

Il n’est pas rare que de tels comportements existent également à la maison et que ces jeunes soient mis à la porte ou ne voient d’autre choix que de quitter le foyer familial, sans nécessairement avoir d’endroit où aller.

Il est donc essentiel pour les jeunes dans de telles situations de pouvoir être elleux-mêmes au moins dans certaines situations, dont à l’école, en attendant de pouvoir trouver davantage d’indépendance.

Critiques et ripostes

Ces attaques contre l’éducation à la sexualité ne sont pas nouvelles. En 2019, on déplorait déjà l’insuffisance de l’éducation sexuelle partout au pays, et notamment en Saskatchewan. Une bonne éducation, écrivait-on, «contribue au progrès vers l’égalité des genres, à de saines relations, à l’adoption de pratiques sexuelles plus sécuritaires ainsi qu’à la littératie médiatique». Elle contribue également à la santé et à une vie plus saine. Elle sauve des vies, et notamment pour les jeunes de la diversité de genre et sexuelle.

Ainsi, des critiques des nouvelles directives n’ont pas tardé à se faire entendre, de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) à l’Association des conseils d’établissement de la Saskatchewan, y compris par un groupe de parents. Ces critiques visent notamment la violation des droits et de la vie privée, ainsi que la mise en danger des enfants trans et non binaires. L’organisme saskatchewanais UR Pride et l’organisme pancanadien Égale ont rapidement riposté en amenant la question devant les tribunaux.

Quelles relations ces directives encouragent-elles?

Au-delà de l’insécurité que créent immédiatement ces directives, notons un premier problème dans le genre de relations familiales et scolaires qu’elles encouragent.

L’idée que les parents auraient des droits sur leurs enfants renvoie à une logique de contrôle. Les parents peuvent certes prendre des décisions là où d’autres adultes ne peuvent le faire. Mais cette capacité a ses limites. Et surtout, elle ne peut s’exercer contre l’enfant.

L’autonomie des enfants doit ici être respectée. L’identité et la modalité de genre (le fait d’être cisgenre, transgenre et/ou non binaire), tout comme la sexualité, ne peuvent pas être comprises entièrement en termes de choix. Le consentement n’est donc pas la bonne approche.

Un second problème relationnel tient à ce que la très grande majorité des parents n’ont pas de formation pour l’éducation à la sexualité – et que souvent, les enseignant·es en ont très peu. De là l’importance de la présence d’expert·es· dans l’éducation des enfants, ce qu’interdit largement la directive saskatchewanaise.

Le soutien avant tout

La participation des parents à l’éducation de leurs enfants est certes essentielle au succès et au bienêtre des enfants. Mais à vouloir contrôler et prendre des décisions dans des domaines qui ne relèvent pas à strictement parler du choix des enfants, l’on risque de nuire au bienêtre, à la santé mentale et physique des jeunes, ainsi qu’à nos relations avec eux.

Comme me le disait mon ami·e S.Y. Page, qui défend les droits de jeunes personnes trans et non-binaires depuis plusieurs années : si les parents veulent connaitre le nom, les pronoms et l’identité de genre de leurs enfants, ils devraient sans doute commencer par leur parler. Et, ajouterais-je, créer un environnement où de telles conversations peuvent avoir lieu.

Une étude dont les résultats ont été publiés en 2020 démontrait qu’«un soutien fort qui encourage l’expression de genre favorise le bienêtre des jeunes et fortifie la relation avec leurs parents». Le soutien est donc au centre d’une relation saine qui permettra de participer à la présence au monde et aux autres des jeunes. Il se mesure en partie par la capacité des parents et des autres adultes dans la vie des jeunes (et notamment des écoles) de répondre aux espoirs des enfants plutôt que de les pousser vers leurs propres attentes.

Même les parents les plus attentionnés ne peuvent répondre à tous les besoins de leurs enfants. En tant que parent, cette vérité me déchire. Mais si nous ne laissons pas nos enfants explorer elleux-mêmes le rapport au monde et aux autres, quelque chose leur manquera : la capacité de s’orienter, la confiance en soi, et avant tout l’amour de soi.

Pour en savoir davantage sur la terminologie liée à la diversité de genre et sexuelle :

https://jeunessejecoute.ca/information/2slgbtq-quest-ce-que-cela-signifie/

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).

Il y a quelques semaines, j’ai quitté mon emploi à la direction d’un organisme féministe. J’adorais ce travail qui me permettait de mettre mes compétences au service de la cause qui me tient le plus à cœur, et qui m’offrait la chance de pouvoir faire une réelle différence dans ma communauté.

Mais après trois ans de labeur, j’étais à bout, physiquement et mentalement. Épuisée face à l’ampleur de la tâche, face à l’indécence d’un système capitaliste patriarcal qui ne faiblit pas et face aux positions réactionnaires d’un gouvernement déconnecté de nos réalités.

Cet épuisement porte un nom : le burnout militant. Il fait référence à un état d’épuisement physique, émotionnel et psychologique qui peut toucher les personnes fortement engagées dans des causes sociales, politiques ou militantes en raison du stress chronique et de la pression associés à leur engagement.

Cet épuisement, je suis loin d’être la seule à l’avoir vécu.

Elles sont nombreuses, les personnes brillantes et compétentes, à avoir jeté l’éponge au fil des années. Je les ai vues quitter le navire les unes après les autres, à bout de souffle, pour des jobs plus reposantes ou de meilleures conditions de travail.

Selon un rapport de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, dans les deux tiers des organismes, la durée moyenne en poste est inférieure à trois ans. Ce chiffre est révélateur de la fragilité de nos organismes communautaires.

Les gouvernements se déresponsabilisent de leurs obligations de fournir des services essentiels à la population, mais refusent de rétribuer à leur juste valeur les organismes et les personnes qui assurent ce travail.

Lorsqu’on sait que 80 % des employé·es des organismes communautaires et de bienfaisance sont des femmes, on voit là l’injustice et les logiques patriciales qui permettent et maintiennent cette situation.

Le privé est politique

Les multiples oppressions que j’observe au quotidien forgent ma vision du monde. Elles affectent également ma santé mentale.

Oui, bien sûr, j’ai eu de la joie à militer aux côtés de personnes incroyables, passionnées et déterminées à faire changer les choses. Je suis fière de ce que nous avons accompli ensemble et je reconnais et célèbre nos victoires et nos avancées. Mais je ne peux passer sous silence la lassitude, le découragement, le désespoir qui accompagnent nos combats. Mes émotions sont inextricablement liées à mon engagement. La colère qui nourrit mon activisme est aussi celle qui me tient éveillée la nuit.

Et je ne peux que constater qu’autour de moi, tout le monde se noie.

L’anxiété, la dépression, les surmenages gangrènent nos lieux de travail et s’insinuent jusque dans nos maisons. Ces maux ne relèvent pas de l’intime, du personnel : ils sont le résultat d’un système profondément malsain et d’une stratégie visant à nous affaiblir.

«Le privé est politique» est une expression qui a été popularisée par les féministes dans les années 1970. Elle signifie que les problèmes qui affectent les individus au niveau personnel ont souvent des implications politiques et peuvent être influencés par des structures sociales et des systèmes de pouvoir en place.

Cette expression a souvent été utilisée pour souligner le fait que les problèmes tels que l’oppression de genre, les violences domestiques, les inégalités économiques et les discriminations raciales ne sont pas seulement des problèmes personnels : ils sont liés à des structures sociales et politiques plus larges.

Garder espoir

Prendre conscience du caractère systémique et collectif de nos malêtres m’a beaucoup aidée à remonter la pente.

Aujourd’hui, j’ai appris à retrouver la joie dans la douceur et la solidarité, aux côtés d’autres qui imaginent des futurs plus joyeux en refusant d’obéir. Aux côtés de celles et ceux qui tissent des réseaux d’entraide dans les marges et résistent dans chacun de leurs gestes, en cultivant des jardins ou en brandissant des pancartes.

Parce que les révolutions sont déjà là. Parce que perdre espoir, c’est accepter la victoire du patriarcat et du capitalisme. Parce que l’avenir appartient à celleux qui luttent.

Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Il faut noter son rôle exceptionnel dans la définition des droits linguistiques du public et des employés de l’appareil fédéral en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) de 1969 qui, il faut bien le dire, était plutôt faiblarde.

L’expression enquête de sa propre initiative fut interprétée comme une autorisation juridique d’aller au-devant des situations potentiellement contraires aux principes de la LLO. Les vérifications, larges et englobantes, menées de sa propre initiative, firent de lui un commissaire proactif, dynamique et promoteur des droits linguistiques.

Le principe de l’égalité des deux langues officielles fut aussi interprété avec ingéniosité : la langue de travail des employés du gouvernement fédéral et la participation des membres des deux communautés de langue officielle devenaient des obligations.

Ainsi, selon certains critères, le français devenait une langue de travail au même titre que l’anglais, de même que les unilingues francophones pourraient comme les anglophones unilingues travailler pour le gouvernement fédéral.

Sans ces interprétations ingénieuses, remarquables, le travail du commissaire aux langues officielles aurait porté sur une partie importante des cas d’injustice linguistique, relevés dans les plaintes, mais l’ampleur de son travail global aurait été si étriquée que l’action aurait été très lacunaire par rapport aux problèmes qui existaient dans le réseau des organismes et ministères du gouvernement du Canada.

Rappelons que l’iniquité en matière de participation francophone et de langue de travail dans l’appareil fédéral était criante. Il fallait du courage pour s’attaquer à ces volets des problèmes. Honneur au mérite.

À lire aussi : Décès de Keith Spicer : « La francophonie vient de perdre un ami »

[1] Breton, Yves, Drôle de vie que voilà! Pulsions – Récit historique et biographique, Vermillon, Ottawa, 2014

Depuis 1924, de l’eau a coulé sous les ponts, et pas seulement sous ceux de la Seine, dont on promet un nettoyage d’une telle ampleur, qu’il sera possible de s’y baigner en 2025.

Perçue par le pays organisateur comme l’occasion parfaite d’afficher sa puissance aux yeux du monde entier, la compétition semble, au fil des années, perdre de son lustre. Ses détracteurs ne se privent plus de pointer ses nombreuses contradictions avec les valeurs contemporaines.

Rappelons, pêlemêle, les couts faramineux des Jeux d’hiver de Sotchi (50 milliards de dollars américains), les violations des droits de l’homme à Rio de Janeiro ou encore les controverses écologiques pour les Jeux d’hiver en général.

Paris n’échappe pas à la règle. Un récent sondage Elabe pour le média français Les Échos a révélé que seuls 20 % des Français étaient enthousiastes à l’idée de recevoir les Jeux, 48 % faisaient preuve d’indifférence et 32 % ne cachaient pas leur scepticisme. Le taux de sceptiques monte même à 40 %, si l’on considère seulement la capitale française. On est loin de la ferveur populaire tant recherchée… Et les raisons sont multiples.

Fracasser les records des couts

La critique la plus récurrente concerne le montant de la facture. On parle désormais d’une somme de 8,7 milliards d’euros (12,8 milliards de dollars canadiens).

Lors de la candidature, le budget du comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris était estimé à 3,3 milliards d’euros. Il a grimpé à 4,38 milliards en décembre dernier pour finalement s’établir au double à un an de l’ouverture des Jeux.

Une réévaluation à la hausse classique pour ce genre d’évènements, surtout en période inflationniste, mais qui pèsera «assurément» sur le contribuable français, selon le président de la Cour des comptes. Un contribuable qui, on l’a vu, n’est guère enchanté par la compétition.

Ce cout ne peut toutefois pas être dissocié des retombées économiques attendues, qui englobent essentiellement le tourisme et le regain d’activité induit par l’évènement.

Donner une estimation est un exercice périlleux auquel les parlementaires de l’Assemblée nationale française se sont prêtés. Selon le rapport qu’ils ont présenté le 5 juillet dernier, ces retombées seraient comprises entre 5,3 et 10,7 milliards d’euros «pour le seul territoire d’Île-de-France», qui s’apparente à la région parisienne.

À titre de comparaison, une étude du gouvernement britannique un an après les Jeux de Londres en 2012 avait chiffré les retombées économiques indirectes à plus de 11 milliards d’euros.

Coup de marteau sur l’environnement

L’impact environnemental, lui, ne pourra pas être gommé par de simples lignes comptables.

Il y a deux ans, le président du Comité international olympique, Thomas Bach, avait affiché son enthousiasme «à l’idée que Paris 2024 organise des Jeux ayant une contribution positive pour le climat».

Alerte divulgâcheur : le bel objectif d’éliminer davantage d’émissions de gaz à effet de serre que celles produites par l’évènement a été balayé discrètement sous le tapis. Le bilan carbone prévisionnel des organisateurs de Paris 2024 s’élève à 1,58 millions de tonnes équivalent CO2.

Certes, sur papier, c’est deux fois moins que le bilan de Londres 2012 et de Rio 2016 (3,5 millions). Mais les données entourant ce chiffre ne sont pas publiques et certaines voix s’étonnent de la méthode de calcul.

Quoiqu’il en soit, à l’heure où les conséquences des changements climatiques se font ressentir jusque dans nos forêts canadiennes, le vieux modèle des Jeux parait bien obsolète. Surtout quand environ un tiers de ces 1,58 millions de tonnes équivalent CO2 sont liées aux déplacements des spectateurs, des athlètes et des officiels, selon l’organisation de Paris 2024.

Des solutions existent, comme réduire la taille de l’évènement ou en répartir l’organisation à plusieurs villes hôtes. Cette dernière proposition ne verra pas le jour de sitôt, puisque les Jeux d’été 2028 et 2032 ont déjà été attribués à Los Angeles et Brisbane.

Le temps de revoir les modèles

Enfin, que dire des droits sociaux bafoués, dans un pays qui se vante constamment de sa contribution historique aux droits de l’homme? Des itinérants «invités» à déserter les rues de Paris pendant les trois semaines de compétition? Des 3 000 étudiants qui devront laisser leur logement en juillet et en aout 2024 pour pouvoir accueillir les volontaires et partenaires de l’évènement? Des bouquinistes parisiens, âme culturelle des bords de la Seine, à qui on a demandé de retirer leurs boites de livres d’occasion, pour sécuriser une cérémonie d’ouverture dont les seuls billets restants se vendent à 2 700 € l’unité (près de 4 000 $)? Autant de mesures arbitraires à l’encontre de populations précaires, bien souvent contraintes de courber l’échine.

Malgré toutes ses contradictions, les Jeux restent les Jeux, un évènement chargé d’histoire, un moment unique dans la vie d’un amateur de sports, qui plus est quand ceux-ci se déroulent dans son pays.

Je ne souhaite en aucun cas qu’ils disparaissent ; seulement qu’ils évoluent. Ou retournent peut-être simplement à ce qu’ils étaient à l’origine : une compétition sportive qui n’a pas besoin d’être entourée d’autant de dorures pour briller dans le cœur des passionnés.

Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.

La cible d’un réchauffement climatique de 1,5 °C devait permettre d’éviter les pires conséquences du changement climatique. Proposée vers 2008, elle a pu faire l’unanimité au moment de l’Accord de Paris à la COP21 en 2015 – malgré le fait que la température globale avait déjà augmenté de 1,2 °C.

En 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) présentait un portrait des conséquences du réchauffement de 1,5 °C.

Avant tout, explique le GIEC dans son rapport, nous verrons une température moyenne plus élevée, et des périodes de chaleur ou de froid extrêmes plus intenses, ainsi que des périodes de plus fortes précipitations dans certaines régions et de sècheresses dans d’autres régions. Nous verrons également une élévation du niveau de la mer, donc l’érosion et l’engloutissement de plusieurs régions côtières.

L’organisme évoque également la transformation et la perte d’écosystèmes, l’extinction d’espèces, mais également l’endommagement et la perte d’infrastructures, ainsi que la fin de la pêche dans plusieurs régions.

Nous voyons déjà les effets du réchauffement climatique sur la Péninsule acadienne, dans le golfe du Saint-Laurent et dans les Prairies, ainsi qu’au sein des communautés autochtones, notamment sur leurs droits, où l’on cherche notamment à apprendre des savoirs traditionnels pour répondre à la crise.

Des effets qui iront en s’empirant

Par contraste, toujours selon le GIEC, un réchauffement de 2 °C amènerait les mêmes effets, mais à plus grande échelle : des extrêmes plus importants, 10 millions de gens de plus affectés par l’élévation du niveau des mers, davantage de régions côtières affectées, davantage d’espèces et d’écosystèmes détruits. Tout cela arriverait à 1,5 °C ou à 2 °C ; c’est une question de nombres et de gravité.

À lire aussi : Climat : «perdre du temps, c’est périr» (L’Aurore boréale)

Notons également les conséquences immédiates sur la santé partout dans le monde, étant donné les extrêmes chaleurs et les risques de transmission de maladies, sur la production de nourriture, mais aussi sur un très grand nombre de communautés et peuples, notamment les peuples autochtones. Les effets du colonialisme sur la santé, la difficulté d’accès à l’eau potable, le manque d’accès au logement et la pauvreté sont encore empirés par les changements climatiques.

La pauvreté et les préjudices devraient augmenter dans certaines populations à mesure que le réchauffement planétaire s’intensifie ; la limitation du réchauffement à 1,5 °C plutôt qu’à 2 °C pourrait, à l’horizon 2050, réduire de plusieurs centaines de millions le nombre de personnes exposées aux risques liés au climat et vulnérables à la pauvreté.

— Le GIEC dans son rapport de 2018

Les gaz déjà dans l’atmosphère ne risquent pas de faire augmenter la température davantage qu’ils ne l’ont déjà fait. Même si les changements sont probablement irréversibles, nous aurions donc pu atteindre la cible de 1,5 °C si nous avions mis en œuvre les recommandations du GIEC et d’autres groupes d’experts. Toutefois, cette cible serait déjà impossible à atteindre.

Et cette impossibilité amène la possibilité de basculements, à savoir des transformations abruptes du climat et des écosystèmes après l’atteinte de certaines températures, comme le dépérissement et la disparition de la forêt amazonienne ou du pergélisol par exemple, qui par ailleurs mèneraient à la libération des gaz à effet de serre qui y sont absorbés, et donc à une crise encore plus catastrophique.

Changer de voie?

Le problème est que nous continuons à produire du CO2. Le GIEC suggère quelques pistes pour diminuer la production de gaz à effet de serre : diminuer la demande en énergie généralement parlant (mais surtout celle qui produit ces gaz), diminuer la consommation de biens matériels et diminuer la consommation d’aliments qui demandent une grande production de ces gaz.

Or la baisse de la consommation pose deux problèmes qui peuvent sembler impossibles à régler. D’une part, certaines régions du monde sont déjà habituées à une surconsommation de biens. D’autre part, l’éradication de la pauvreté suppose un accès à davantage de biens de consommation et de production dans beaucoup de régions du monde.

Autrement dit, il sera difficile de demander à certaines populations de consommer moins, mais il sera éthiquement et pratiquement impossible de demander à d’autres populations de ne pas consommer plus qu’elles ne le font en ce moment.

Pour répondre à ces limites, le GIEC indique la nécessité d’une transition systémique, à la fois politique et économique, appuyée sur la coopération internationale. Cette transition irait de pair avec une transformation des comportements économiques, tant en termes de gestion de la production, que de décisions individuelles quant à la consommation et aux priorités gouvernementales.

Allant plus loin dans la même direction, les peuples autochtones parlent de transformations qui commencent avec une vision du monde où l’humanité est unie à la terre et a ainsi une responsabilité sacrée d’en prendre soin.

— Jérôme Melançon

Avant tout, les solutions commencent avec le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et des peuples affectés par le changement climatique – ce qui suppose que le leadeurship leur revienne dans la détermination et la mise en œuvre des solutions qui les affecteront davantage que les peuples les plus pollueurs.

Changer de direction

Ainsi, il s’agit non seulement de changer de vitesse ou de voie, mais aussi de s’orienter différemment pour emprunter une nouvelle direction.

Plusieurs parlent désormais de transition socioécologique, un processus par le bas qui affecterait non seulement les comportements, mais également les relations humaines et les relations à la terre. Une réponse à la catastrophe climatique passerait ainsi par une transformation sociale et économique.

D’autres parlent même de bifurcation, d’un changement soudain pour empêcher les effets les plus abrupts du changement climatique, puisqu’il ne resterait plus suffisamment de temps pour réussir une transition et que les effets de la catastrophe seront eux-mêmes soudains.

La décroissance est également une approche souvent proposée. Celle-ci consiste notamment à abandonner l’objectif de la croissance économique comme mesure du progrès, du succès et du bienêtre, pour penser le développement de manière humaine, sans la croissance.

Pour y arriver, on pense à une lutte pour la justice écologique, ou encore à un soulèvement qui consisterait en la création d’un mouvement social qui s’opposerait de manière réformiste ou radicale à la manière actuelle de gérer l’économie.

De telles luttes sont déjà engagées, et des alternatives sont déjà mises à l’essai dans certaines communautés – et la créativité est certainement de mise pour répondre à la crise en cours.

L’OIF : une institution en crise permanente

Créée en 1970 et regroupant aujourd’hui 88 États et gouvernements, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) peine à être cette organisation au service de la coopération multilatérale entre ses parties-membres. Il faut dire que les dés étaient pipés d’avance tant l’OIF a été conçue comme un instrument politique par la France afin de continuer à exercer un certain contrôle sur ses anciennes colonies.

Le Canada n’a jamais réussi à faire contrepoids à Paris dans l’organisation, tout simplement par manque d’intérêt de la part d’autorités fédérales beaucoup plus tournées vers le Commonwealth. Du point de vue institutionnel, il y a une règle non écrite qui veut que l’Administrateur soit canadien. Du coup, Paris se réserve de facto le droit de choisir le Secrétaire général de l’OIF.

Nous avons eu un exemple flagrant avec la nomination en 2018 de l’actuelle secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo. Il s’agissait d’un véritable camouflet pour la francophonie dans la mesure où le Rwanda avait adopté, 10 ans plus tôt, l’anglais comme langue d’enseignement et langue administrative au détriment du français. Mais la France, par ce geste inique, tentait une forme de repentance par rapport à son rôle dans les génocides au Rwanda.

Depuis qu’elle est en poste, Mme Mushikiwabo est régulièrement accusée de gérer l’organisation avec autoritarisme ; il faut dire qu’elle est allée à bonne école avec Paul Kagamé. Et, elle épuise les pauvres administrateurs canadiens qui ne tiennent pas longtemps. Après Catherine Cano et Geoffroi Montpetit, c’est Caroline St-Hilaire qui a pris ces fonctions en mars dernier. Les paris sont ouverts pour savoir combien de mois elle tiendra le coup.

L’OIF est une machine bureaucratique lourde qui sert plus à recaser des copains qui seront grassement payés, qu’à effectivement mettre en œuvre des projets collaboratifs pour le bienêtre des populations francophones de par le monde. 

— Aurélie Lacassagne

Le seul fait que le Qatar, dont le français ne fait pas partie des langues officielles, ait le statut de membre associé au sein de l’OIF démontre bien toute la vacuité de cette organisation.

Succession de coups d’État conséquents sur la francophonie

En l’espace de deux ans, des colonies françaises, dont la Guinée, le Mali, le Burkina Faso et tout dernièrement le Niger, ont connu des coups d’État qui ont mené à l’arrivée au pouvoir de militaires. Ironie du sort, l’OIF a été créée lors de la Conférence de Niamey, la capitale du Niger désormais aux mains d’un quarteron de généraux.

Si, bien sûr, une des causes de ces bouleversements politiques se trouve dans l’insécurité croissante des populations dans le contexte d’attaques djihadistes dans la région du Sahel, il y a au moins deux autres causes majeures.

La première est l’incapacité de la France de laisser ses anciennes colonies tranquilles et les nombreuses ingérences de Paris dans la vie politique de ces pays. C’est un fait. Le contexte mondial qui fait la part belle à la décolonisation réelle ne pouvait que contribuer au ras le bol généralisé des citoyens face aux politiques françaises d’un autre temps.

La deuxième est l’extraordinaire pouvoir de nuisance de la Russie, qui a bien compris qu’elle avait là une carte maitresse à jouer. Plus elle déstabilise ces pays, plus le flot de réfugiés vers l’Europe augmente. Cela contribue à la croissance des partis d’extrême droite dont la Russie est le grand argentier et la grande amie.

Pour ce faire, Moscou peut bien sûr compter sur ses sbires du groupe Wagner, mais aussi, et surtout, sur sa machine à propagande bien rodée véhiculant inepties et faussetés à tour de bras sur les réseaux sociaux et autres messageries. Et bien sûr, cela fonctionne. L’enfumage marche à fond, y compris parmi les personnes éduquées.

La France n’ayant absolument pas les moyens de ses ambitions, il est désormais acté que son influence sur le continent africain ne pourra que continuer à décliner. En soi, ce n’est pas grave.

En revanche, qui dit déclin de la France en Afrique dit également déclin de la langue française sur le continent. Le nouveau pouvoir au Mali a déjà par exemple fait adopter une nouvelle constitution qui relègue le français au statut de langue de travail et qui a, du même souffle, donné à 13 langues nationales le statut de langue officielle.

Étant donné les effets de contamination dans la région que l’on peut voir, il y a fort à parier que d’autres pays emboitent le pas.

L’avenir de la francophonie internationale s’annonce donc bien morose, et les contrecoups risquent de se faire sentir ici au Canada, et particulièrement au sein des communautés francophones en situation minoritaire.

Notice biographique 

Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des Facultés de sciences humaines et de philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.

«Abonnez-vous à notre infolettre!» Voilà le message que placardent les médias canadiens partout sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines. Leur objectif est de continuer à vous rejoindre quand les géants du Web auront retiré votre accès aux nouvelles canadiennes.

Meta a d’ailleurs parti le bal le 1er août en commençant à retirer les nouvelles canadiennes sur ses plateformes Facebook et Instagram. Un acte contre l’adoption de la Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, qui oblige les géants du Web à payer les médias canadiens pour les contenus qu’ils partagent. 

Google a aussi brandi la menace et a annoncé le retrait des nouvelles provenant de médias canadiens lorsque la loi entrera en vigueur, soit en décembre 2023. 

Le désaccord entre les géants du Web et le gouvernement canadien nous force, en tant que citoyen, à réfléchir à la transformation lente mais constante de nos habitudes de consommation de l’information au cours des dernières décennies. 

En une génération seulement, nous sommes devenus des consommateurs d’information passifs.

L’humain est une créature d’habitude

Nos habitudes de consommation de l’information ont changé de façon radicale. Quand j’étais plus jeune, le journal se lisait encore strictement sur papier et le téléjournal n’était qu’à la télévision. Puis est venue la révolution numérique qui a bouleversé nos habitudes.

Racontons l’histoire en accéléré : fin des années 1990, Internet arrive dans nos foyers, rapidement les premiers sites Web des médias apparaissent. En 2004, nous devenons amis sur Facebook et en 2010, tout le monde s’informe en ligne et sur les réseaux sociaux. C’est moderne, c’est révolutionnaire, c’est facile. Entre les photos du petit dernier de la voisine et le gâteau au chocolat du beau-frère, nous avons le sentiment d’avoir accès à des nouvelles. 

L’information venait à nous sans effort, nous nous sentions mieux informés. Mais tout cela a eu un effet pervers et nous sommes devenus un peu plus paresseux. 

Aujourd’hui, la plupart des journaux sont disponibles en ligne. Tristement, ils sont même de plus en plus nombreux à ne plus imprimer. Et pour ce qui est du téléjournal, nous pouvons le regarder au moment qui nous convient le mieux.

Champ libre aux fausses nouvelles?

Selon le plus récent Digital News report, 48 % des francophones de 35 ans et plus et 39 % des 18-34 ans ont utilisé Facebook au Canada pour s’informer dans la semaine précédant l’enquête. YouTube et Instagram figurent aussi parmi les sources importantes d’information chez les 18-34 ans.

Au fil des années, les médias ont investi temps et argent pour que leurs nouvelles soient mieux classées dans les recherches sur le Web et pour être plus visibles sur les réseaux sociaux.

Le retrait des nouvelles canadiennes sur Meta et Google ne se fera pas sans heurts. Les temps seront difficiles ; pour les médias certes, mais surtout pour les citoyens. 

Que verrons-nous à la place des nouvelles des médias canadiens sur Meta et sur Google? Des nouvelles américaines? Des commentaires provenant de soi-disant journalistes? Des fausses nouvelles, du moins, plus que d’habitude?

C’est inquiétant!

Les intentions du gouvernement étaient bonnes derrière l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne. Vouloir redonner des revenus publicitaires aux médias canadiens est une ambition louable. Mais la réalité à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est loin de rendre service à la presse et aux citoyens.

À moins que le fédéral ne réussisse à élaborer des règlements qui conviendront aux géants du Web, ce qui semble peu probable, la disparition des nouvelles canadiennes sur Meta et Google aura des répercussions importantes sur la société canadienne. Du moins, le temps que nous reprenions de saines habitudes d’information.

Nous avons tenu pour acquis, voire surestimé, le rôle du Web dans notre consommation de l’information. Maintenant que le risque de perdre ces sources est réel, il est temps que tout le monde prenne ses responsabilités. 

Le gouvernement doit faire sa part. Idéalement, trouver un terrain d’entente avec les géants du Web. Mais surtout, il devra donner davantage de moyens aux médias pour leur permettre d’améliorer la diffusion et la découvrabilité de leurs informations. 

Les médias, même si les temps risquent d’être difficiles, devront persévérer et faire ce qu’ils savent faire de mieux, informer.

Et nous, nous avons le devoir de ne plus être paresseux. Notre société mérite d’avoir des citoyens informés pour protéger sa démocratie.

De toute manière, Facebook n’a jamais été une bonne façon de s’informer.

Abonnez-vous donc à vos journaux !  

Cette question est légitime, car pour les propriétaires qui ont une hypothèque, l’incidence de ces hausses de taux est loin d’être négligeable. Par exemple, si le taux passe de 2,5 % à 7 % sur un prêt hypothécaire de 400 000 $, il faut prévoir environ 1 000 $ de plus par mois, seulement pour couvrir les nouveaux intérêts.

Pour la banque centrale, l’idée est aussi simple que l’outil du taux directeur. Quand le cout des intérêts augmente, vous payez plus cher pour financer l’achat de votre voiture ou de votre maison. Vous devez donc réduire vos dépenses ailleurs. Il y a moins d’activité économique. L’inflation baisse.

Cependant, si vous êtes propriétaire et que vous remboursez une hypothèque sur un logement acheté dans un marché en surchauffe, vous êtes en droit de vous questionner sur cette stratégie. Après tout, votre seule faute aura été de vouloir vous loger.

La Banque du Canada et les gouvernements possèdent d’autres leviers pour limiter l’inflation, mais il n’y a pas de solution miracle.

Agir sur l’offre plutôt que sur la demande

L’ajustement du taux directeur se fait sentir sur la demande, la capacité des gens à dépenser, mais les raisons pour lesquelles le Canada et la plupart des pays du monde ont connu une poussée d’inflation ont moins à voir avec la demande excédentaire qu’avec l’offre qui a été bouleversée par la pandémie et la guerre en Ukraine.

Cependant, il est difficile d’augmenter l’offre de produits à court terme ou de manière efficace. Si tout le monde est confiné à la maison et décide de se lancer dans des rénovations en même temps parce qu’il n’est plus possible de voyager ou d’aller au restaurant, les prix du bois vont monter parce que la demande excède l’offre.

Mais tous les biens ne sont pas ou ne devrait peut-être pas être affectés de la même manière par le libre marché.

Par exemple, le Canada a choisi un modèle de développement de l’habitation où le gouvernement intervient très peu dans le marché. Résultat, les ménages canadiens sont les plus endettés des pays du G7. La majorité de cet endettement provient de leurs dettes hypothécaires.

L’offre de logements est insuffisante au Canada depuis plusieurs années, ce qui est un facteur déterminant dans l’augmentation des prix de l’habitation aux quatre coins du pays.

D’autres pays ont choisi une voie différente. À Singapour par exemple, le logement abordable est un droit. Le gouvernement choisit d’y investir massivement. C’est un choix de société qui a un cout, mais qui comporte aussi de nombreux avantages, dont le fait que les ménages dépensent une part moins grande de leurs revenus pour se loger.

D’autres pays plus comparables au nôtre, comme la Suède ou la Finlande, déploient des stratégies de développement de l’habitation multiples pour tenter d’endiguer leur propre crise du logement.

Des initiatives semblables de la part des gouvernements au Canada ne règleraient pas le problème de l’inflation à court terme, mais elles pourraient aider à réduire l’inflation à long terme en s’attaquant au problème de l’abordabilité du logement tout en réduisant les inégalités.

Agir sur la demande autrement

Le gouvernement canadien laisse le soin à la Banque du Canada de juguler l’inflation en bonne partie parce que c’est une institution indépendante. Ses dirigeants peuvent prendre des décisions impopulaires ou qui se répercutent sur le portefeuille des ménages sans se soucier de devoir être réélus aux quatre ans.

Mais les gouvernements peuvent aider la banque dans sa mission de réduire la capacité de dépenser des ménages en ajustant la fiscalité.

Par exemple, ils pourraient temporairement augmenter certains impôts, de manière ciblée. Ils pourraient aussi éliminer certains crédits d’impôt. Ce serait certainement impopulaire, mais si l’objectif est de réduire la demande, pourquoi envoyer votre argent sous forme d’intérêt sur vos prêts à votre institution financière plutôt qu’aux gouvernements?

Une fois l’inflation affaiblie et stabilisée, les gouvernements pourraient utiliser la marge de manœuvre financière ainsi acquise pour s’attaquer à certains problèmes structuraux comme l’offre insuffisante de logements abordables ou pour lutter contre les changements climatiques qui plomberont la croissance à long terme de l’économie.

Faut-il conserver la cible des 2 % d’inflation?

En juin, l’inflation s’est établie à 2,8 % au pays. Mais la Banque du Canada pense que l’inflation se maintiendra au-delà de sa cible de 2 % parce qu’il y a beaucoup d’épargne dans le système financier et que l’économie est résiliente dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Pourquoi alors s’entêter à maintenir cet objectif de 2 % si l’outil de la banque centrale pour y parvenir, le taux directeur, a peu d’effet sur les causes sous-jacentes de l’inflation? Après tout, cet objectif n’a rien de scientifique. C’est plutôt une convention que les principales banques centrales occidentales ont adoptée dans les années 1990.

On sait qu’une inflation élevée et récurrente est nuisible à l’économie. Une hausse des prix de 10 %, 15 % ou 20 %, année après année, crée des attentes inflationnistes et risque d’entrainer une spirale inflationniste.

Mais 3 ou 4 % plutôt que 2 %? Rien n’indique que cela ait le même effet.

La Banque du Canada devrait-elle garder les taux d’intérêt élevés pendant plusieurs années pour abaisser le taux d’inflation de 3 % à 2 %, quitte à provoquer au passage des faillites personnelles par millier, des difficultés généralisées pour les ménages et une éventuelle récession?

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.

J’écris sous la fumée. Le soleil est rouge, distant. Il fait bruler les grandes forêts de l’autre côté des montagnes que les nêhiyawak (ou Cris des Plaines) appelaient assinwati.

Mes amis parlent des tornades qui ont dévasté une partie d’Ottawa et de celle qui a touché Mirabel, près de Montréal. Des voitures ont été englouties pendant des chutes de pluies torrentielles à Montréal, comme ça a été le cas ici à Regina il y a quelques semaines à peine.

Des membres de ma famille ont toujours du mal à reprendre leur souffle, plusieurs mois après avoir contracté la COVID. Les grandes entreprises continuent sur le souffle pris en 2020 à bénéficier des urgences et se vantent de profits en croissance.

À Winnipeg, on refuse de fouiller un dépotoir pour retrouver les corps de femmes autochtones dont la présence est probable. Je ne connais pas cette douleur de manière intime, mais je la devine.

Et je ne connais certainement pas la violence des inondations ou d’une chaleur jamais ressentie auparavant dans plusieurs parties du monde, les si nombreux contrecoups de la pandémie, ni les guerres dont tant de pays, classes dirigeantes ou autres grandes entreprises profitent, tandis que d’autres s’accrochent à la vie.

La poésie n’y règlera rien.

Arrêter l’attention

La poésie n’y règlera rien, sauf qu’il faut bien vivre – et que nous voulons une bonne vie. Nous devons bien trouver des moments de réconfort, de beauté et de joie.

La poète québécoise Louise Dupré s’est justement mise à la tâche au fil de la dernière décennie. Elle cherche à durer, à ne pas se laisser abattre. La poésie lui permet de s’exercer à la joie pour continuer à faire face au reste, comme elle écrit en se parlant peut-être à elle-même : «Tu t’inscris dans l’humanité qui résiste sans hurler.»

Elle re-suscite ce qui a déjà pu et dû être dit, re-donne ce qui lui est imposé. Elle se retrouve dans ces moments de retour :

le poème ressuscite

des paroles

assassinées

 

il dépose des œillets

sur le malheur

 

afin de le rendre

supportable

— Louise Dupré, Exercices de joie, Montréal, Éditions du Noroît, 2022

Dire ce qui n’a jamais pu être dit

La poésie ne règlera rien à la catastrophe, sauf que nul·le n’est capable de regarder tant de souffrance en face, ni de vivre dans une distraction sans fin.

Les maux présents nous touchent quotidiennement. Les mots nous manquent pour exprimer cette expérience, pour exprimer et vivre de manière plus consciente nos inquiétudes, nos solidarités.

Nous devons refaire la langue, le langage lui-même, chaque jour ; faire des phrases qui n’ont jamais été dites, dire des phrases toutes faites dans des moments inusités.

La poésie pousse cette nouvelle expression encore plus loin que la vie quotidienne.

Si je n’ai jamais pu vivre un moment comme celui-ci, assis sur un balcon en campagne au sein d’un bourdonnement d’abeilles pendant qu’à l’intérieur la télévision montre des gens dans des bunkers improvisés, ce que je peux en dire n’aura jamais pu être dit auparavant. J’y apporte mon propre vécu, ma propre manière d’aligner les mots.

On voit cette invention dans la poésie expérimentale, bien entendu, mais aussi dans la surprise que crée le mouvement du langage.

Le poète franco-ontarien Robert Dickson nous en donne de grands exemples, notamment en laissant couler la langue pour se rapprocher des moments de bonheur et de beauté, comme lors d’une baignade au lac où nous pouvons sortir de nous-mêmes et nous mêler aux éléments :

dans l’eau touche la peau se meut dans l’eau

caresse la peau fend l’eau accueille

la peau caresse l’eau entoure la peau

à l’aise dans l’eau et dans la peau

l’eau et la peau

— Robert Dickson, Humains paysages en temps de paix relative, Sudbury, Prise de parole, 2002

Quand le passé demeure vivant

La poésie ne règlera rien aux maux et désastres du présent, et pas plus à ceux du passé. Leurs contrecoups nous suivent, tant en diminuant notre capacité à trouver une place dans le monde que par le legs des générations passées.

Le poète et traducteur Dominique Bernier-Cormier n’est certes pas le premier à revenir sur ce grand dérangement que fut la Déportation des Acadien·nes. Mais il a su le faire entièrement à sa manière, en reprenant l’histoire de son ancêtre, Pierrot Cormier, qui s’est évadé du Fort Beauséjour en s’habillant en femme et en traversant une rivière à la nage.

Ces deux manières d’être soi-même pour échapper à la déportation deviennent des symboles que Bernier-Cormier reprend encore et encore, dans des poèmes bilingues et des poèmes en anglais, mais aussi dans des poèmes visuels qui dépassent l’image qu’on se fait d’un poème dans une langue.

En écrivant de manières aussi éclatées, il arrive à assumer le fait de vivre en deux langues, de porter la langue de sa famille tout en travaillant et écrivant dans une autre, par choix. Il décrit «Ma gorge glissée through an X-ray» et rappelle que :

Comme Celan I know

qu’only une lettre sépare word from épée,

 

and I wonder comment écrire

dans une langue soiled by darkness.

— Dominique Bernier-Cormier, Entre Rive and Shore, Fredericton, Icehouse Poetry/Goose Lane Editions, 2023

Il écrit, ou en fait traduit l’histoire originale, «dans une langue qui tresse ensemble // the different threads of myself». Et il le fait d’une manière à faire comprendre sa vie entre deux rives à ceux et celles qui se tiennent de chaque côté.

La violence demeure, la poésie aussi

Robert Dickson décrit bien le recours à la poésie que je tente de communiquer :

la poésie sa carte de droit de cité en poche

est assise sur la roche face à la violence

et face à la paix temporaire du paysage

— Robert Dickson, Humains paysages en temps de paix relative, Sudbury, Prise de parole, 2002

Son action n’est que temporaire, mais elle demeure citoyenne, elle a aussi ses droits. Et Dickson écrivait déjà à la page précédente : «j’extrais plus de poésie du lac de la roche / du souffle de l’amour que de la guerre» – la guerre revient toujours, mais la poésie aussi.

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).