En ce mercredi 20 septembre 2023, au parc du Centenaire, à Moncton, au Nouveau-Brunswick, la tension monte.
Des groupes d’extrême droite et des groupes d’intégristes religieux, autant chrétiens que musulmans, rassemblés sous la bannière «1 Million March 4 Children», ont encerclé les personnes moins nombreuses issues des communautés 2ELGBTQIA+ et leurs alliés et alliées qui contremanifestaient.
Un enfant est encouragé à les invectiver tandis que des drapeaux trans sont arrachés et déchirés. La violence, tant symbolique que physique, est insoutenable, et plusieurs personnes quittent la manifestation en état de choc.
Il ne s’agit pas d’un acte isolé ou d’un «dérapage».
Partout au pays, la scène se reproduit et on assiste au même schéma, avec des enfants placés en première ligne des affrontements et des communautés culturelles minoritaires instrumentalisées par une droite conservatrice avide d’étendre son pouvoir.
Un véritable bouleversement pour de nombreuses personnes venues contremanifester, peu préparées à se défendre contre un tel déferlement de haine de la part de personnes marginalisées elles aussi. Mais également la preuve, si besoin en était, du niveau de préparation et des efforts fournis sur le plan de l’organisation et de la coordination par l’extrême droite pour parvenir à ses fins.
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Polarisation des débats
Voici plusieurs années que l’on observe, un peu partout dans le monde, une augmentation des attaques contre les personnes 2ELGBTQIA+ et une recrudescence des mouvements contre les droits de ces personnes.
Citons par exemple les manifestations contre les lectures de contes aux enfants par des dragqueens ou les pétitions lancées contre des livres jeunesse sur la sexualité jugés trop explicites.
Citons également les récentes politiques adoptées en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick obligeant le personnel éducatif à informer les parents lorsque leur enfant demande à être identifié par un autre prénom ou pronom. Ces politiques ont donné lieu aux manifestations transphobes du 20 septembre.
Ce phénomène s’explique notamment par la montée des organismes et des partis d’extrême droite et par la radicalisation d’une portion de la droite traditionnelle. Ces groupes récupèrent les enjeux 2ELGBTQIA+ afin d’attirer des membres en diffusant des discours simplistes de haine et de division.
Le «wokisme» et les «idéologies de gauche» sont pointés par ces groupes comme autant d’épouvantails visant à canaliser la peur et l’ignorance d’une partie de la population qui se sent abandonnée par le système – souvent les mêmes personnes qui ont participé au Convoi de la liberté, mais pas seulement – et qui peut se sentir attaquée par les mouvements progressistes et par ce qui est perçu comme «la gauche intellectuelle», tels que les médias et l’université, qui ne les représentent pas.
Ces groupes extrémistes ont pour stratégie d’entretenir les préjugés présents dans les segments de la population qu’ils cherchent à séduire et de simplifier à outrance certains enjeux sur lesquels ils polarisent les débats afin de justifier la création d’un environnement qui encourage l’intolérance envers les minorités.
«Le contre-mouvement fonctionne comme une porte d’entrée vers l’extrémisme et comme un moyen pour celui-ci de croitre et de gagner en puissance», explique le Conseil des femmes du Nouveau-Brunswick dans un rapport plus que pertinent.
Dans le cas de la politique 713 au Nouveau-Brunswick, par exemple, il ne s’agit absolument pas de protéger les jeunes, mais bien d’une tentative désespérée de la part d’un premier ministre critiqué de toutes parts de se maintenir au pouvoir.
Le temps d’agir
Rappelons que 1 personne sur 300 de 15 ans et plus au Canada est transgenre ou non binaire et que les jeunes 2ELGBTQIA+ risquent davantage de souffrir de problèmes de santé mentale, d’entretenir des idées suicidaires et de faire des tentatives de suicide que les autres.
Porter atteinte à leur autonomie et à leurs droits, au moyen de politiques scolaires restrictives notamment, les expose à de nombreux dangers.
Des jeunes trans et non binaires pourraient, si leur identité de genre est révélée contre leur gré, être victimes de violence de la part des adultes qui les entourent.
Des jeunes pourraient renoncer à affirmer leur genre par peur de représailles, ce qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur leur santé mentale, sur leur image corporelle et leur anxiété, entre autres.
Plus que jamais, il nous faut aujourd’hui faire preuve de vigilance. Ce ne sont pas des évènements isolés, mais bien le symbole d’un mal plus profond qui gangrène nos sociétés. À l’image de ce qui se passe aux États-Unis, nous risquons d’aller vers des violences de plus en plus graves et des reculs de plus en plus importants de nos droits si nous n’y prenons pas garde.
Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Lors de son discours prononcé à l’occasion de la visite du président Volodymyr Zelensky à la Chambre des communes le 22 septembre, le premier ministre Trudeau a réitéré avec force la volonté de son gouvernement de soutenir l’Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra».
Le premier ministre a même mentionné au passage que l’aide militaire du Canada à l’Ukraine avait maintenant atteint 9 milliards de dollars depuis le début du conflit en 2022.
Tout au long de son discours, M. Trudeau s’en est pris directement au président Vladimir Poutine, le traitant notamment de «despote», soulignant «ses délires impériaux» et l’accusant de gouverner «par la tromperie, la violence et la répression».
M. Trudeau a raison sur le fond, mais ce qui étonne dans son discours est la position maintenant entièrement assumée du Canada : le pays prend ouvertement parti dans un conflit armé se déroulant loin du territoire canadien. Le Canada appuie sans réserve l’Ukraine dans son combat face à son agresseur russe.
Ce changement est notable, car jusqu’à tout récemment le Canada faisait preuve de prudence dans les conflits impliquant d’autres pays.
Étant un très petit joueur sur la scène internationale, il ne peut tout simplement pas s’engager dans une aventure militaire qu’il sait qu’il ne peut pas gagner à lui seul.
Rappelons que les dépenses militaires du Canada sont infimes. En 2022, elles se chiffraient à 28 milliards de dollars US, soit 2,3 % des dépenses militaires de l’ensemble des pays membres de l’OTAN.
Un défenseur de la paix dans le monde?
Pendant longtemps, le Canada a élaboré sa politique étrangère en se faisant le gardien de la paix dans le monde. En écoutant le premier ministre Trudeau récemment, on peine à trouver des traces de cette stratégie.
Pourtant, à une certaine époque, le maintien de la paix faisait la fierté des Canadiens. On appuyait les missions de paix de l’ONU et on célébrait la contribution du premier ministre Pearson à la création des Casques bleus, cette force internationale onusienne chargée de veiller au maintien de la paix en zone de conflit.
Depuis les années 1990, cependant, la participation du Canada aux opérations de maintien de la paix a chuté considérablement. Alors que près de 4000 Canadiens contribuaient aux missions de paix de l’ONU en 1993, on en recensait seulement 58 en 2021.
On ne considère plus le Canada comme un médiateur influent sur la scène internationale. Si son opposition à la guerre en Irak en 2003 pouvait encore passer pour un refus de s’engager directement dans un conflit armé, son appui à la guerre au Kosovo et surtout à la guerre en Afghanistan marque un tournant.
Dans ces deux cas, toutefois, la stratégie canadienne consistait essentiellement à suivre l’exemple de ses alliés et tout particulièrement celui de son principal partenaire et protecteur, les États-Unis.
Ce qui est différent dans le cas de l’Ukraine, c’est que le Canada prend l’initiative.
Alors que plusieurs pays favorables à la cause ukrainienne hésitent quant à la marche à suivre, le Canada est on ne peut plus clair : il faut appuyer sans réserve l’Ukraine et combattre ce «despote» qu’est Vladimir Poutine.
Le problème de cette stratégie c’est que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Nous ne possédons pas suffisamment de ressources militaires pour affronter un géant comme la Russie.
En fait, nous n’avons jamais eu de telles ressources. Pour cette raison, nous avons toujours privilégié le rôle de médiateur dans les conflits armés.
En changeant radicalement de stratégie, le premier ministre Trudeau ne nous entraine-t-il pas sur une voie dangereuse, semée d’incertitudes?
Et les autres conflits?
Outre le pari risqué que représente l’appui à l’Ukraine, on peut aussi se demander si les ressources consacrées à ce conflit n’auraient pas pu être mieux utilisées ailleurs.
Cette question semble prendre tout son sens lorsque l’on observe la situation actuelle à Haïti. Ce pays est plongé dans une crise sans précédent. Les institutions de l’État haïtien ont presque complètement disparu. Ce sont les gangs de rue qui contrôlent maintenant le pays avec une violence d’une rare intensité.
Le Canada aurait très certainement de bonnes raisons de participer activement au rétablissement de la sécurité à Haïti. Pourtant, il ne propose que de timides initiatives, souvent maladroites et surtout sans réelles retombées positives pour les Haïtiens jusqu’à maintenant.
Il serait très certainement légitime pour le Canada d’envoyer une force d’intervention de rétablissement de la paix à Haïti.
On pourrait aussi présenter des arguments similaires pour d’autres conflits armés actuels. Pensons au Mali, au Congo, par exemple. Ce serait certainement moins risqué que la présence canadienne en Ukraine, laquelle est susceptible de provoquer une réaction de la Russie à tout moment.
De plus, ces interventions seraient à la mesure de nos moyens. Nous avons les ressources et l’expertise pour les mener. Enfin, elles nous permettraient de retrouver une certaine légitimité sur la scène internationale, qui nous a toujours été utile par le passé.
Il fut une époque où quand le Canada prenait la parole sur les tribunes internationales, on l’écoutait. Ceci semble être de moins en moins le cas de nos jours. Le premier ministre Trudeau devrait y réfléchir.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
J’ai longtemps perçu la course à pied comme le sport le plus ingrat qui soit. Je ne voyais pas l’intérêt de courir sans but. Je pensais qu’il me fallait un ballon, une raquette ou un vélo pour m’amuser. Et puis le confinement est arrivé.
La seule pratique sportive extérieure autorisée en France, où j’habitais à l’époque, était la course à pied. Alors, comme beaucoup de monde, j’ai pris mes baskets pour vagabonder dans les rues désertes.
Au début, je courais lentement, ce qui ne m’empêchait pas de souffrir. Courir 30 minutes sans m’arrêter était un calvaire ; plusieurs muscles jusqu’alors délaissés me rappelaient douloureusement qu’ils existaient.
Et puis j’y ai pris gout. J’ai aimé courir par -20 °C cet hiver. J’ai aimé faire des répétitions intenses, à devoir finir par marcher en fin de séance.
Anthropologie
Plus que tout, j’ai aimé mes longues séances du samedi matin, où j’ai couru parfois plus de deux heures trente, un balado dans les oreilles. À tel point que, lors des belles journées d’été, j’avais envie de courir deux fois par jour (sans forcément le faire, il faut savoir ménager sa monture).
Pendant mes longues heures à fouler le goudron, j’ai eu le temps de me poser cette question : comment suis-je passé d’une phase de détestation d’un sport – qui est d’ailleurs parfois vu comme une punition dans les cours d’éducation physique à l’école – à une phase d’amour fou en si peu de temps?
Il y a des raisons personnelles évidemment (gout de la performance, pratique extérieure), mais pas seulement. Je me suis beaucoup informé sur les secrets de cette discipline.
Un bon point de départ est sans doute l’approche anthropologique du livre Born to Run de Christopher McDougall qui rappelle, avec l’exemple du peuple mexicain des Tarahumara, que l’Homme est fait pour courir.
Nous sommes des bipèdes, plus lents que beaucoup d’autres animaux, mais beaucoup plus endurants. Pour capturer nos proies, on se devait de les épuiser en les chassant longtemps.
Dans nos sociétés modernes, où la nourriture nous est livrée sur le pas de la porte, cette endurance remarquable tend à être profondément enfouie. Mais l’évolution est lente et nos capacités biomécaniques sont toujours bien présentes, et la pratique régulière permet de la faire ressurgir.
Endorphines
D’un point de vue biologique, une donnée explique beaucoup de choses dans l’amour de la course à pied : la sensation de bienêtre à la fin de sa sortie. L’explication est simple. Quand on court, le système nerveux central libère des endorphines, les hormones du plaisir. C’est pour cette raison que le coureur a envie de retourner courir, pour sa propre satisfaction.
Un sentiment de satisfaction qui est renforcé par notre progression.
Avec un entrainement un minimum régulier et bien équilibré, quand on est débutant, on progresse vite. On court plus rapidement, plus longtemps, en se fatiguant moins.
Aujourd’hui, on peut partager nos exploits sur le réseau social Strava, où nos amis nous encouragent en envoyant des «kudos» et où l’on peut se comparer aux autres – ce qui s’accompagne nécessairement d’inconvénients.
Espérance de vie
Et que dire des bienfaits sur notre santé, pas toujours visibles au premier abord, mais bien réels? La liste est longue : renforcement du cœur, perte de poids, prévention des risques de diabète, de cholestérol ou encore d’hypertension…
C’est bien simple, une étude montre que courir, même de façon modérée, augmente de façon conséquente notre espérance de vie.
De plus, contrairement à la croyance très répandue qui veut que courir s’avère néfaste pour les genoux, la pratique de la course serait plutôt bénéfique en cas d’arthrose du genou, comme l’explique Blaise Dubois, physiothérapeute et fondateur de la Clinique du coureur.
Il y a aussi des répercussions bénéfiques indirectes. Quand on se fixe un objectif ambitieux, que l’on passe de nombreuses heures hebdomadaires à s’entrainer, on ne veut pas voir tous ses efforts gâchés par une hygiène de vie douteuse.
Ainsi, en me préparant pour le marathon, j’ai appris à mieux manger et à dormir davantage, deux piliers indispensables pour progresser. Car pour que le corps se renforce, s’entrainer c’est bien, mais bien récupérer l’est tout autant.
C’est simple, depuis que je me suis mis sérieusement à courir, je me sens beaucoup mieux, et ce, je tiens à le préciser, sans avoir la sensation de me priver de quoi que ce soit.
Reste le cas des personnes qui, pour une raison X ou Y, souvent liée à une pathologie, ne peuvent pas courir. Et bien la bonne nouvelle c’est que tous les bénéfices énoncés plus haut ne sont pas exclusifs à la course à pied. D’autres sports d’endurance, comme le vélo ou la natation par exemple, sont excellents pour la santé. Qu’attendez-vous pour vous y mettre?
Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.
* Les segments de ce texte produits avec l’assistance d’un robot conversationnel sont clairement identifiés.
Fonction d’autocorrection de notre téléphone cellulaire, application de traduction automatique d’un texte en ligne, assistant virtuel personnel comme Alexa prêt à nous faire jouer notre chanson préférée. Nous utilisons tous l’intelligence artificielle (IA) dans notre quotidien, parfois même sans le savoir.
L’IA est utile, elle améliore notre efficacité. Elle semble aussi nous rendre plus «intelligents» en nous permettant d’accéder à des connaissances et des méthodes de travail qui étaient réservées jusqu’alors à des experts. Il suffit d’une recherche rapide pour comprendre que le métier de journaliste est l’un des plus menacés par l’arrivée de l’IA, plus précisément, l’IA générative.
L’IA dite «traditionnelle» permet d’automatiser des tâches ou d’exécuter des opérations comme la traduction ou des calculs complexes. L’IA générative, comme son nom l’indique, génère des contenus à partir de gigantesques bases de données. Elle a la capacité de créer notamment de l’audio, des images, des vidéos et des textes de toutes sortes, dont des articles journalistiques. Ses capacités sont immenses.
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Distinguer le vrai du faux
Heureusement, les médias dignes de confiance sont plutôt prudents dans l’intégration de l’IA générative dans leur salle de rédaction.
À titre d’exemple, le Los Angeles Times utilise depuis quelques années le robot Quakebot pour rédiger des articles dans les minutes suivant un tremblement de terre. Le texte est ensuite soumis à un secrétaire de rédaction – en chair et en os –, qui jugera si l’article mérite d’être publié. Dans l’affirmative, par souci de transparence, le journal y ajoutera une mention précisant qu’il a été généré par une intelligence artificielle.
Malheureusement, de «prétendus médias» utilisent l’IA générative pour produire des articles d’apparence journalistique. Ces textes comportent une fausse signature et sont publiés sans vérification des faits.
Certains médias ont même l’audace de publier un «guide de déontologie» et une «politique d’information» sans déclarer qu’aucun être humain n’assure la validité des données derrière la machine. L’audience n’y voit que du feu.
Et pourquoi des médias agissent-ils ainsi? Simplement pour empocher des revenus publicitaires.
Ces producteurs malveillants de contenus réussissent à se faufiler dans les moteurs de recherche, sur les réseaux sociaux et participent activement à la mésinformation et à la désinformation.
En plus du contenu écrit, il ne faut pas oublier que des systèmes d’IA générative réussissent à produire de l’hypertrucage [deepfake], c’est-à-dire une création ou une altération numérique de contenu visuel, audio ou vidéo usurpant l’identité d’une personne.
En février dernier, le premier ministre du Canada a d’ailleurs fait l’objet d’un hypertrucage dans une fausse entrevue avec l’animateur américain Joe Rogan.
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Occasion à saisir avec prudence
L’intelligence artificielle offre une tonne d’outils qui facilitent la vie des journalistes. Que ce soit des outils de transcription d’entrevues, de traduction de documents, de compilation de statistiques et j’en passe. Somme toute, des outils qui permettent de gagner du temps et d’automatiser les tâches peu stimulantes.
Mais l’IA ne peut pas remplacer, du moins encore, la sensibilité du journaliste. Elle ne permet pas d’interpréter un silence dans une entrevue ou encore d’aller chercher l’émotion chez un interlocuteur. Elle ne parvient pas non plus à s’adapter à une audience cible et ne tient pas compte du contexte culturel comme le font nos journaux locaux par exemple.
Par curiosité, j’ai demandé au robot conversationnel Chat GPT (consultez la conversation complète) de déterminer les risques de l’utilisation de l’IA générative en journalisme. Il est arrivé à la liste suivante :
Une liste plutôt juste.
En fait, le robot conversationnel a repris essentiellement les mêmes points soulevés dans les divers documents publiés sur la question qui se trouvent assurément dans sa base de données.
Chat GPT y va aussi d’une sage mise en garde puisée dans ses multiples sources : «Il est important de noter que les risques associés à l’IA générative dépendent de la manière dont elle est utilisée et règlementée.» Entendons-nous que nous y avions pensé nous aussi.
Le temps est venu pour les médias de mettre la guerre des clics de côté et de travailler avec les élus et les citoyens pour baliser l’utilisation de l’IA en information. Une action qui s’inscrit dans la lutte à la désinformation, qui met à risque plus que jamais nos démocraties.
En aout dernier, des associations et des grands médias de partout dans le monde, ont signé une lettre ouverte réclamant une intervention des États afin de règlementer l’usage de l’IA. Même si les signataires se déclarent en faveur de l’utilisation de l’IA, ils réclament de «protéger le contenu qui alimente les applications d’IA et maintenir la confiance du public dans les médias qui promeuvent les faits et alimentent nos démocraties».
Se sensibiliser pour mieux s’informer
Que nous le voulions ou non, nous sommes tous ensembles dans cette aventure devant l’intelligence artificielle. D’une part, les gouvernements ont la responsabilité de légiférer, pour assurer une utilisation à bon escient de l’IA, notamment en information.
D’autre part, les médias professionnels, déjà confrontés à cette réalité, doivent s’imposer des balises d’utilisation des nouvelles technologies et mettre à jour leur politique d’information et leurs lignes directrices en matière de transparence, d’éthique et de déontologie pour maintenir le lien de confiance avec leur audience. Un média se doit d’être transparent dans tous les aspects de son travail.
En tant que consommateurs d’information, votre jugement importe.
Dans un monde où l’information nous parvient par algorithmes, par processus de référencement et par popularité de l’émetteur, vous êtes l’ultime rempart contre la désinformation.
Pour ce faire, il faut se sensibiliser au travail journalistique et il faut faire de la sensibilisation. Une bonne compréhension citoyenne du journalisme et des médias solidifiera nos démocraties.
Pour s’attaquer à la crise du logement, le gouvernement fédéral propose d’éliminer la TPS sur la construction des nouveaux logements locatifs. Pour contrer l’inflation alimentaire, les libéraux ont convoqué lundi à Ottawa les patrons des cinq grands épiciers du pays pour tenter de les convaincre de geler leurs prix.
Étant donné le contexte, ces solutions semblent malheureusement relever davantage de la réaction politique que d’une stratégie économique bien réfléchie.
Le gouvernement Trudeau est sous pression. Il dégringole dans les sondages au profit des conservateurs de Pierre Poilievre, qui font depuis des mois du cout de la vie leur cheval de bataille. Le gouvernement a donc commencé la session parlementaire à l’offensive. En proposant ces mesures, il a coupé court aux critiques de ses adversaires politiques.
Un plan pour le logement
La réaction des entrepreneurs en construction est unanime : le remboursement de TPS qui réduira leurs couts de 3,5 % aura un effet bénéfique sur le prix des nouveaux logements locatifs. C’est certainement possible étant donné la concurrence dans le secteur.
Cette mesure devrait aider les promoteurs à devenir admissibles à un financement et à construire davantage d’unités locatives. Ce type de logements est très recherché, mais peu attrayant pour les promoteurs dans le contexte de l’augmentation des couts de construction. Le gouvernement vise la bonne cible avec cette subvention.
Malheureusement, le déficit de logements à combler est immense. Depuis le début de la pandémie, les couts moyens de l’habitation au Canada ont augmenté de 55 % sous l’effet combiné de la hausse du prix des matériaux, de la main-d’œuvre et du financement.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) évaluait encore il y a quelques jours qu’il faudrait construire 3,5 millions de logements au Canada d’ici 2030 afin de rétablir l’abordabilité.
Au rythme actuel des choses, ce ne sont que 1,5 million de logements qui devraient s’ajouter au parc immobilier canadien d’ici 2030… ce qui laisse une pénurie de 2 millions de logements qui, à elle seule, devrait garantir le maintien de prix élevés.
Le remboursement de TPS annoncé par les libéraux aura donc l’avantage de réduire les prix à la source et d’augmenter l’offre dès qu’elle sera entérinée dans un projet de loi dans les prochaines semaines.
Cependant, les besoins sont tellement grands et la bulle de l’immobilier canadien tellement gonflée qu’on voit mal comment le gouvernement réussira à instaurer de nouvelles mesures suffisamment structurantes pour avoir une incidence significative sur la crise du logement d’ici les prochaines élections en 2025 ou 2026.
Difficile de stabiliser les prix à l’épicerie
Le deuxième grand effort du gouvernement pour lutter contre l’inflation réside dans la rencontre de lundi entre le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne et les patrons des cinq grands groupes d’épiciers au Canada, soit Loblaws, Metro, Empire (Sobeys, IGA), Costco et Walmart.
Le gouvernement avait pour objectif de tenter de convaincre ces géants de limiter l’augmentation des prix.
Disons-le d’emblée, cette rencontre relevait d’un exercice de relation publique.
Le ministre Champagne a demandé aux épiciers de lui soumettre un plan d’action d’ici trois semaines. Tout le monde a parlé d’une rencontre productive, mais il serait extrêmement improbable que les épiciers parviennent à avoir un effet sur l’inflation alimentaire.
On a beaucoup parlé des profits des épiciers depuis la pandémie à cause de l’inflation élevée du prix des aliments depuis 2021.
Il est vrai que les profits, notamment de Loblaws, ont beaucoup augmenté durant cette période, mais la marge de profits nette des épiciers reste très faible par rapport aux autres secteurs économiques. Elle oscille normalement autour de 2 % et est montée à 3 % au cours des dernières années.
Cela veut dire que pour chaque tranche de 100 $ dépensés pour exploiter leurs magasins, les grands épiciers font 2 à 3 $ de profit. Ce sont des entreprises très profitables à cause de leur volume considérable de ventes, et non pas en raison de leur cupidité particulière.
Pourtant, vous n’avez pas la berlue. L’inflation alimentaire est un phénomène réel et bien documenté.
Les prix des denrées à l’épicerie ont connu une augmentation de 6,9 % par rapport à l’année dernière, une croissance des prix encore supérieure à l’inflation globale, qui s’est établie à 4 % en rythme annuel en aout.
Cette croissance élevée et persistante du prix des aliments est attribuable à un ensemble de facteurs, comme la hausse du prix du pétrole, des engrais, de la main-d’œuvre et du transport qui se répercute sur chaque étape de la production et de la transformation des aliments.
L’inflation alimentaire est loin de toucher seulement le Canada. Il suffit de se comparer pour se consoler. L’inflation du prix des aliments entre l’été 2022 et 2023 a atteint 54 % en Turquie, 66 % en Égypte et 117 % en Argentine.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des dynamiques particulières à l’économie canadienne sur lesquelles le gouvernement peut chercher à agir. Cela veut plutôt dire qu’il est peu probable que des menaces de contrôle des prix à l’épicerie aient l’effet escompté. Dans ce dossier-ci, le gouvernement se trompe de cible.
Il faudra attendre les prochaines annonces du gouvernement avant de juger, mais la spontanéité et le ton populiste du dévoilement de la rencontre avec les épiciers nous laissent penser qu’il s’agit davantage d’improvisation que d’un plan économique cohérent.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.
Le G20 qui se déroulait en Inde et s’est achevé le 10 septembre a permis de mesurer l’ampleur de la crise que connait le système de gouvernance mondial.
C’est d’ailleurs en substance ce qu’a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres en parlant de famille «dysfonctionnelle».
Le sommet du G20 : autopsie d’un échec
Le G20 rassemble les 19 économies principales de la planète auxquelles s’ajoute l’Union européenne. Il représente ainsi quelque 85 % de l’économie mondiale.
L’optimisme n’était pas le maitre mot à New Delhi tant les tensions sur la scène internationale sont nombreuses. Et la Déclaration finale commune, accouchée dans la douleur, illustre bien l’impasse dans le dialogue à laquelle font face les grandes puissances.
La seule chose positive qui doit être soulignée est le fait que l’Union africaine aura désormais un siège dans ce forum des grands. Il était temps!
La guerre menée par la Russie en Ukraine est notamment le principal point d’achoppement.
D’un côté, les pays du Sud s’inquiètent avant tout du prix et de l’acheminement des céréales, et moins de la violation de l’intégrité territoriale, eux qui ont servi de paillassons aux puissances coloniales pendant si longtemps.
D’un autre côté, les pays occidentaux souhaitent que le monde se range du côté du droit international et condamne la Russie, ce que ni la plupart des pays du Sud ni la Chine ne sont disposés à faire.
Un air de guerre froide, mais des indéterminés
Il semble désormais acté que nous soyons passés dans un nouveau système international.
Les échecs des États-Unis en Afghanistan et en Irak, couronnés par la présidence Trump, nous ont fait sortir d’un système international unipolaire où les États-Unis dominaient.
Mais tout bon théoricien des relations internationales vous dira qu’un monde unipolaire n’est viable qu’à court terme, car par définition, il est sans équilibre des puissances.
Par ailleurs, la morgue des Américains a fait en sorte qu’ils ne se sont pas préoccupés de la montée en puissance de la Chine (notamment du développement du mégaprojet des nouvelles routes de la soie) ni du sentiment d’humiliation ressenti par la Russie.
Les Européens, quant à eux, étaient bien trop contents de se reposer encore sur Washington pour assurer leur défense et leur sécurité et ils se sont donc contentés de retourner à leurs démons fascisants du passé tout en créant une machine eurocratique infernale qui a dilué toute possibilité de parachever un projet politique européen concret.
Conséquence, nous sommes revenus aux prémices d’une nouvelle guerre froide.
Enfin je dis nouvelle, mais elle partage en fait beaucoup de points communs avec celle du 20e siècle : l’Occident contre la Russie. Des États africains courtisés par Moscou, et cela marche comme sur des roulettes, le travail de propagande des usines à trolls russes aidant.
Et surtout, il est plus difficile pour les Occidentaux de fomenter des coups d’État pour faire plier des dictateurs, c’est plutôt l’inverse qui se passe. Et enfin une Chine qui se pose en troisième voie, en chantre du non-alignement.
Il y a cependant une différence de taille.
Si la Chine avait somme toute refusé de clairement choisir un camp dans les années de la Guerre froide, c’était pour des raisons idéologiques, mais aussi parce qu’elle se préoccupait de développer son économie et sa société, de faire sortir le pays du Moyen-Âge.
Mission accomplie au-delà de toute espérance.
Elle choisit aujourd’hui d’incarner une troisième voie pour mieux se positionner sur l’échiquier des relations internationales et pour forcer Washington comme Moscou à la reconnaitre comme une égale.
Vers un monde tripolaire
Ses velléités de statut de superpuissance, la Chine ne s’en cache pas. C’est son objectif ultime et tous les efforts du régime sont dirigés vers l’atteinte de cet objectif.
Les deux seuls éléments qui lui manquent vraiment sont la puissance technologique et la puissance financière.
Mais la Chine rattrape vite son retard technologique. Quant aux finances, la Chine détient près d’un huitième de la dette américaine et liquide cet actif à la vitesse grand V et diversifie ses risques, ce qui est une bonne chose.
Par ailleurs, un yuan faible est important pour que la Chine puisse continuer à être une puissance exportatrice de premier plan.
Les prochaines années nous confirmerons ou non si la Chine est bel et bien ce colosse aux pieds d’argile ou si effectivement elle est en mesure de s’imposer dans le grand jeu.
En tout état de cause, il y a d’autres candidats au statut de superpuissance, aux premiers rangs desquels figure l’Inde. Premier pays au monde par sa démographie, l’Inde est également devenue la cinquième puissance économique mondiale cette année, dépassant… le Royaume-Uni. Beau pied de nez à l’histoire!
Contrairement à la Chine qui ne parvient pas à contrer le ralentissement économique, l’Inde affiche des taux de croissance qui font l’envie de tous. Le régime de Narendra Modi, peu ragoutant, demeure sans commune comparaison avec le régime dictatorial de Beijing.
Modi peut compter sur une bonne partie des Indiens pour l’aider à atteindre ses objectifs de grandeur. Il n’y avait qu’à voir comment tous les dirigeants réunis pour le G20 à New Delhi courtisaient le président indien pour comprendre l’importance croissante que prend le pays dans le jeu diplomatique, géopolitique et économique mondial.
Bizarrement, les chefs d’État et de gouvernement occidentaux ont oublié que l’Inde non plus n’est pas partie au régime de sanctions contre Moscou. Ou quand les Occidentaux travaillent très fort pour créer un adversaire à leur taille…
Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des Facultés de sciences humaines et de philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.
Pensons à Doug Ford, en Ontario, qui avait créé une véritable onde de choc en abolissant le Commissariat aux services en français.
À Blaine Higgs, au Nouveau-Brunswick, qui n’a jamais caché son irritation envers le bilinguisme, allant même jusqu’à nommer un ministre ouvertement francophobe, alors que sa province est la seule à être officiellement bilingue au pays.
Ou encore à Jason Kenney, en Alberta, qui préfère économiser quelques millions de dollars, ce qui est une goutte d’eau dans le budget de la province, en imposant de sévères compressions budgétaires à l’Université de l’Alberta et donc au Campus St-Jean.
Face à ces exemples récents, on peut se demander s’il n’existe pas un lien entre les politiques linguistiques et les positions idéologiques des partis politiques.
Les droits linguistiques des minorités francophones et acadiennes seraient-ils moins bien protégés par les partis politiques de droite que par les autres partis, qu’ils soient de centre ou de gauche? Si oui, est-ce qu’un tel lien existe aussi sur la scène fédérale?
La question est légitime puisque la perspective d’un éventuel changement de gouvernement à Ottawa devient de plus en plus probable. Pierre Poilievre est maintenant bien en selle à la tête du Parti conservateur du Canada et de récents sondages montrent que sa popularité est en forte progression.
Par ailleurs, le congrès du Parti conservateur, tenu à Québec du 7 au 9 septembre, constitue l’une des rares occasions de mieux connaitre les intentions du chef conservateur ainsi que des membres du parti à l’égard de la francophonie.
Le discours de Pierre Poilievre
Ce qui a frappé de prime abord lors de ce congrès est la large place que Pierre Poilievre a faite au français lors de son long discours (près d’une heure), dont près de la moitié a été livrée en français.
Pierre Poilievre n’a pas hésité à aborder des thèmes chers à la francophonie, évoquant notamment son propre parcours comme fils adoptif de parents franco-albertains ainsi que l’histoire de sa conjointe, Anaïda, qui est arrivée à Montréal a un jeune âge et qui a appris rapidement le français, qu’elle maitrise impeccablement.
Le chef s’est aussi engagé à envoyer ses enfants à l’école française et n’a pas hésité à parler de la langue et de la culture québécoise allant même jusqu’à citer les paroles d’une chanson du groupe Mes Aïeux.
Mais outre les paroles, qu’en est-il des intentions?
Le discours du chef conservateur n’a présenté aucun engagement formel relatif à la protection des droits linguistiques des communautés francophones et acadiennes.
Il faut dire que très peu de promesses ont été dévoilées lors de ce congrès. Celles-ci viendront plus tard, lorsque la plateforme du parti sera présentée aux électeurs, probablement durant la prochaine campagne électorale.
Les résolutions adoptées par les membres
Par contre, les membres du parti ont pu s’exprimer sur de nombreuses résolutions. Deux sont particulièrement intéressantes pour la francophonie canadienne.
La première concerne Radio-Canada : les membres devaient se prononcer sur le financement de la société d’État. La résolution demandait que le gouvernement fédéral cesse complètement de financer CBC/Radio-Canada.
Les membres n’ont pas voulu discuter de cette proposition en séance plénière (seules des discussions ont eu lieu à huis clos) et, par conséquent, la résolution n’a pas été adoptée. On peut ainsi supposer que les membres acceptent le principe du financement public de la société d’État, à tout le moins, on peut le présumer, pour ses activités francophones.
La seconde résolution a trait à l’équilibre budgétaire : les membres ont adopté, à une très forte majorité (91 %), une résolution forçant le gouvernement fédéral à éliminer le déficit budgétaire et à rembourser la dette.
L’appui à cette résolution n’est pas en soi surprenant. La question du contrôle serré des finances publiques et de l’équilibre budgétaire ont toujours fait partie des priorités du Parti conservateur et plus généralement des partis de droite.
Mais cette résolution est importante, car elle résume bien à elle seule le principal défi auquel les communautés francophones et acadiennes sont continuellement confrontées.
Comment convaincre les gouvernements que les «dépenses» en francophonie sont cruciales pour la survie des communautés francophones et acadiennes?
Doug Ford, Blaine Higgs, Jason Kenney, pour ne nommer que ceux-ci, nous ont fait la démonstration que les impératifs pécuniaires l’emportent sur toute autre considération.
Si certaines de leurs décisions ont pu être renversées (l’Université de l’Ontario français ainsi que le Campus Saint-Jean ont finalement obtenu des fonds), c’est parce que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’a pas hésité à appuyer financièrement ces projets.
Mais on le sait, l’atteinte de l’équilibre budgétaire et le remboursement de la dette ne sont pas la priorité de notre premier ministre actuel. Cependant, ce le sera très certainement pour Pierre Poilievre et pour un grand nombre d’électeurs conservateurs.
Petite note sur l’usage du français au congrès
Pour terminer cette brève analyse du congrès conservateur. Bien qu’il se soit tenu à Québec, on doit déplorer le peu d’attention portée à l’usage du français.
Plusieurs militants du Québec ont même rappelé à l’ordre leur parti en séance plénière, en dénonçant plusieurs erreurs de traduction des résolutions présentées au congrès.
Pour ma part, j’ai eu bien de la difficulté à me faire servir en français et cela a commencé dès l’accueil au congrès. Le Parti conservateur va devoir faire mieux.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
Récemment, le gouvernement de la Saskatchewan a adopté une directive qui exige que les parents consentent à ce que leurs enfants changent leur nom ou leur genre dans leurs interactions avec l’école. Les parents peuvent également ne pas consentir à ce que leur enfant reçoive les cours d’éducation à la sexualité. Une politique semblable a aussi été adoptée au Nouveau-Brunswick et discutée en Ontario.
Des conséquences immédiates
Les jeunes qui ne sont pas certain·es de la manière dont leur famille réagirait à leur coming out ne peuvent donc pas chercher un premier contact avec une personne adulte à l’école à qui iels feraient confiance. À plus forte raison, les élèves qui craindraient les conséquences de ce coming out pour leur sécurité pourraient être dissuadé·es de s’afficher et de rechercher ce qui les rendra heureux·es.
Des études montrent que beaucoup d’adultes hésitent à partager leur identité sexuelle ou de genre, ou refusent carrément de le faire, et il demeure souvent difficile pour les jeunes de faire leur coming out. Plusieurs sont confronté·es à l’incertitude d’être accepté·e et à la réalité de la discrimination. Certains comportements et institutions cherchent à limiter leur capacité à être elleux-mêmes, voire à les «convertir» à une vie hétéronormatisée. Même avec le soutien de leur famille, plusieurs se cherchent une famille choisie.
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On sait enfin que la santé et la sécurité des jeunes personnes à la sexualité et au genre divers sont déjà en question : iels sont davantage victimes d’intimidation, de harcèlement et de violence et de ce fait, ont davantage de pensées suicidaires et de troubles de santé mentale.
Il n’est pas rare que de tels comportements existent également à la maison et que ces jeunes soient mis à la porte ou ne voient d’autre choix que de quitter le foyer familial, sans nécessairement avoir d’endroit où aller.
Il est donc essentiel pour les jeunes dans de telles situations de pouvoir être elleux-mêmes au moins dans certaines situations, dont à l’école, en attendant de pouvoir trouver davantage d’indépendance.
Critiques et ripostes
Ces attaques contre l’éducation à la sexualité ne sont pas nouvelles. En 2019, on déplorait déjà l’insuffisance de l’éducation sexuelle partout au pays, et notamment en Saskatchewan. Une bonne éducation, écrivait-on, «contribue au progrès vers l’égalité des genres, à de saines relations, à l’adoption de pratiques sexuelles plus sécuritaires ainsi qu’à la littératie médiatique». Elle contribue également à la santé et à une vie plus saine. Elle sauve des vies, et notamment pour les jeunes de la diversité de genre et sexuelle.
Ainsi, des critiques des nouvelles directives n’ont pas tardé à se faire entendre, de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) à l’Association des conseils d’établissement de la Saskatchewan, y compris par un groupe de parents. Ces critiques visent notamment la violation des droits et de la vie privée, ainsi que la mise en danger des enfants trans et non binaires. L’organisme saskatchewanais UR Pride et l’organisme pancanadien Égale ont rapidement riposté en amenant la question devant les tribunaux.
Quelles relations ces directives encouragent-elles?
Au-delà de l’insécurité que créent immédiatement ces directives, notons un premier problème dans le genre de relations familiales et scolaires qu’elles encouragent.
L’idée que les parents auraient des droits sur leurs enfants renvoie à une logique de contrôle. Les parents peuvent certes prendre des décisions là où d’autres adultes ne peuvent le faire. Mais cette capacité a ses limites. Et surtout, elle ne peut s’exercer contre l’enfant.
L’autonomie des enfants doit ici être respectée. L’identité et la modalité de genre (le fait d’être cisgenre, transgenre et/ou non binaire), tout comme la sexualité, ne peuvent pas être comprises entièrement en termes de choix. Le consentement n’est donc pas la bonne approche.
Un second problème relationnel tient à ce que la très grande majorité des parents n’ont pas de formation pour l’éducation à la sexualité – et que souvent, les enseignant·es en ont très peu. De là l’importance de la présence d’expert·es· dans l’éducation des enfants, ce qu’interdit largement la directive saskatchewanaise.
Le soutien avant tout
La participation des parents à l’éducation de leurs enfants est certes essentielle au succès et au bienêtre des enfants. Mais à vouloir contrôler et prendre des décisions dans des domaines qui ne relèvent pas à strictement parler du choix des enfants, l’on risque de nuire au bienêtre, à la santé mentale et physique des jeunes, ainsi qu’à nos relations avec eux.
Comme me le disait mon ami·e S.Y. Page, qui défend les droits de jeunes personnes trans et non-binaires depuis plusieurs années : si les parents veulent connaitre le nom, les pronoms et l’identité de genre de leurs enfants, ils devraient sans doute commencer par leur parler. Et, ajouterais-je, créer un environnement où de telles conversations peuvent avoir lieu.
Une étude dont les résultats ont été publiés en 2020 démontrait qu’«un soutien fort qui encourage l’expression de genre favorise le bienêtre des jeunes et fortifie la relation avec leurs parents». Le soutien est donc au centre d’une relation saine qui permettra de participer à la présence au monde et aux autres des jeunes. Il se mesure en partie par la capacité des parents et des autres adultes dans la vie des jeunes (et notamment des écoles) de répondre aux espoirs des enfants plutôt que de les pousser vers leurs propres attentes.
Même les parents les plus attentionnés ne peuvent répondre à tous les besoins de leurs enfants. En tant que parent, cette vérité me déchire. Mais si nous ne laissons pas nos enfants explorer elleux-mêmes le rapport au monde et aux autres, quelque chose leur manquera : la capacité de s’orienter, la confiance en soi, et avant tout l’amour de soi.
Pour en savoir davantage sur la terminologie liée à la diversité de genre et sexuelle :
https://jeunessejecoute.ca/information/2slgbtq-quest-ce-que-cela-signifie/
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).
Il y a quelques semaines, j’ai quitté mon emploi à la direction d’un organisme féministe. J’adorais ce travail qui me permettait de mettre mes compétences au service de la cause qui me tient le plus à cœur, et qui m’offrait la chance de pouvoir faire une réelle différence dans ma communauté.
Mais après trois ans de labeur, j’étais à bout, physiquement et mentalement. Épuisée face à l’ampleur de la tâche, face à l’indécence d’un système capitaliste patriarcal qui ne faiblit pas et face aux positions réactionnaires d’un gouvernement déconnecté de nos réalités.
Cet épuisement porte un nom : le burnout militant. Il fait référence à un état d’épuisement physique, émotionnel et psychologique qui peut toucher les personnes fortement engagées dans des causes sociales, politiques ou militantes en raison du stress chronique et de la pression associés à leur engagement.
Cet épuisement, je suis loin d’être la seule à l’avoir vécu.
Elles sont nombreuses, les personnes brillantes et compétentes, à avoir jeté l’éponge au fil des années. Je les ai vues quitter le navire les unes après les autres, à bout de souffle, pour des jobs plus reposantes ou de meilleures conditions de travail.
Selon un rapport de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, dans les deux tiers des organismes, la durée moyenne en poste est inférieure à trois ans. Ce chiffre est révélateur de la fragilité de nos organismes communautaires.
Les gouvernements se déresponsabilisent de leurs obligations de fournir des services essentiels à la population, mais refusent de rétribuer à leur juste valeur les organismes et les personnes qui assurent ce travail.
Lorsqu’on sait que 80 % des employé·es des organismes communautaires et de bienfaisance sont des femmes, on voit là l’injustice et les logiques patriciales qui permettent et maintiennent cette situation.
Le privé est politique
Les multiples oppressions que j’observe au quotidien forgent ma vision du monde. Elles affectent également ma santé mentale.
Oui, bien sûr, j’ai eu de la joie à militer aux côtés de personnes incroyables, passionnées et déterminées à faire changer les choses. Je suis fière de ce que nous avons accompli ensemble et je reconnais et célèbre nos victoires et nos avancées. Mais je ne peux passer sous silence la lassitude, le découragement, le désespoir qui accompagnent nos combats. Mes émotions sont inextricablement liées à mon engagement. La colère qui nourrit mon activisme est aussi celle qui me tient éveillée la nuit.
Et je ne peux que constater qu’autour de moi, tout le monde se noie.
L’anxiété, la dépression, les surmenages gangrènent nos lieux de travail et s’insinuent jusque dans nos maisons. Ces maux ne relèvent pas de l’intime, du personnel : ils sont le résultat d’un système profondément malsain et d’une stratégie visant à nous affaiblir.
«Le privé est politique» est une expression qui a été popularisée par les féministes dans les années 1970. Elle signifie que les problèmes qui affectent les individus au niveau personnel ont souvent des implications politiques et peuvent être influencés par des structures sociales et des systèmes de pouvoir en place.
Cette expression a souvent été utilisée pour souligner le fait que les problèmes tels que l’oppression de genre, les violences domestiques, les inégalités économiques et les discriminations raciales ne sont pas seulement des problèmes personnels : ils sont liés à des structures sociales et politiques plus larges.
Garder espoir
Prendre conscience du caractère systémique et collectif de nos malêtres m’a beaucoup aidée à remonter la pente.
Aujourd’hui, j’ai appris à retrouver la joie dans la douceur et la solidarité, aux côtés d’autres qui imaginent des futurs plus joyeux en refusant d’obéir. Aux côtés de celles et ceux qui tissent des réseaux d’entraide dans les marges et résistent dans chacun de leurs gestes, en cultivant des jardins ou en brandissant des pancartes.
Parce que les révolutions sont déjà là. Parce que perdre espoir, c’est accepter la victoire du patriarcat et du capitalisme. Parce que l’avenir appartient à celleux qui luttent.
Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Il faut noter son rôle exceptionnel dans la définition des droits linguistiques du public et des employés de l’appareil fédéral en vertu de la Loi sur les langues officielles (LLO) de 1969 qui, il faut bien le dire, était plutôt faiblarde.
L’expression enquête de sa propre initiative fut interprétée comme une autorisation juridique d’aller au-devant des situations potentiellement contraires aux principes de la LLO. Les vérifications, larges et englobantes, menées de sa propre initiative, firent de lui un commissaire proactif, dynamique et promoteur des droits linguistiques.
Le principe de l’égalité des deux langues officielles fut aussi interprété avec ingéniosité : la langue de travail des employés du gouvernement fédéral et la participation des membres des deux communautés de langue officielle devenaient des obligations.
Ainsi, selon certains critères, le français devenait une langue de travail au même titre que l’anglais, de même que les unilingues francophones pourraient comme les anglophones unilingues travailler pour le gouvernement fédéral.
Sans ces interprétations ingénieuses, remarquables, le travail du commissaire aux langues officielles aurait porté sur une partie importante des cas d’injustice linguistique, relevés dans les plaintes, mais l’ampleur de son travail global aurait été si étriquée que l’action aurait été très lacunaire par rapport aux problèmes qui existaient dans le réseau des organismes et ministères du gouvernement du Canada.
Rappelons que l’iniquité en matière de participation francophone et de langue de travail dans l’appareil fédéral était criante. Il fallait du courage pour s’attaquer à ces volets des problèmes. Honneur au mérite.
À lire aussi : Décès de Keith Spicer : « La francophonie vient de perdre un ami »
[1] Breton, Yves, Drôle de vie que voilà! Pulsions – Récit historique et biographique, Vermillon, Ottawa, 2014