La Compagnie de la Baie d’Hudson doit son existence en bonne partie à deux aventuriers français : Médard Chouart Des Groseillers et Pierre-Esprit Radisson.

Radisson et Des Groseillers discutant avec des Autochtones à un poste de traite du Nord-Ouest en 1662.
En 1658 ou 1659, les deux hommes partent pour les Grands Lacs et reviennent à Québec avec une petite fortune en peaux de castor. Mais les autorités confisquent les fourrures, car la traite des pelleteries dans cette région a été interdite.
Déçus que leur projet de commerce de fourrures avec la France ait échoué et incapables de convaincre les autorités françaises d’exploiter le territoire des Grands Lacs, Des Groseillers et Radisson se rendent à Londres. Le prince Rupert, cousin de Charles II, s’intéresse à leurs démarches. Il arrive à convaincre le roi et des marchands anglais.
Ainsi nait, le 2 mai 1670, la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il s’agit de la plus ancienne société commerciale constituée par actions du monde anglo-saxon. Même si elle a pour motivation première le commerce des fourrures, Londres espère pouvoir ainsi trouver le Passage du Nord-Ouest entre les iles arctiques.
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La Charte
La Charte signée par Charles II pour établir la Compagnie de la Baie d’Hudson accorde à cette société – de façon évidemment unilatérale, sans égard aux populations autochtones – la mainmise sur un territoire de 1,5 million de kilomètres carrés, du Labrador aux montagnes Rocheuses.

L’étendue de la Terre de Rupert octroyée à la Compagnie de la Baie d’Hudson le 2 mai 1670.
Le roi donne à ce vaste territoire le nom de «Terre de Rupert», du nom de son cousin le prince, qu’il nomme gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Des Groseillers et Radisson, malgré leur rôle crucial dans la fondation de la Compagnie, la délaissent quelques années plus tard, après des conflits avec les dirigeants.
Après un bref retour du côté français, Des Groseillers retourne en Nouvelle-France finir ses jours, alors que Radisson réintègre la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il se retirera ensuite à Westminster, près de Londres, où il écrira le récit de ses aventures, avant de mourir en 1710.
Un essor fulgurant
La Compagnie de la Baie d’Hudson devient une entreprise au fonctionnement parfaitement huilé. Elle a une bureaucratie centralisée à Londres. Ses actionnaires élisent un gouverneur et un comité pour gérer les opérations, mener les enchères de fourrures, embaucher les hommes et organiser le transport des marchandises.

Le prince Rupert du Rhin, duc de Cumberland, a été nommé premier gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson par son cousin, le roi Charles II. Le territoire gouverné et exploité par la Compagnie a été nommé en son honneur.
Chaque poste de traite établi par la Compagnie a son superviseur. Les traiteurs de la Compagnie s’enfoncent de plus en plus dans le continent, de la Californie à l’Alaska, et établissent des colonies un peu partout.
Les actionnaires de l’entreprise deviennent très riches. De 1738 à 1748, la valeur totale des importations de fourrure atteint plus de 270 000 livres, l’équivalant de 31 millions de livres sterling. Selon certains calculs de l’historien David Chan Smith, plus d’un million de peaux de castor ont été importées en Europe entre 1730 et 1750.
En 1783, des Écossais immigrés à Montréal fondent la Compagnie du Nord-Ouest pour faire concurrence à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Les deux sociétés fusionnent en 1821.
De nouveau seule en laisse, la Compagnie de la Baie d’Hudson exercera son emprise, au milieu du XIXe siècle, sur environ huit-millions de kilomètres carrés. Elle étendra ses ailes dans les Territoires du Nord-Ouest, qui comprenaient alors certaines parties de l’Ouest canadien d’aujourd’hui. Avec la fusion, le nom «Terre de Rupert» inclura aussi les Territoires du Nord-Ouest.
Autochtones et employés bafoués
Jusqu’au XXe siècle, la Compagnie de la Baie d’Hudson exploite près de 100 comptoirs de traite dans les régions autochtones. Mais les relations sont souvent difficiles.
On reprochera à la Compagnie de la Baie d’Hudson de fixer des prix trop bas pour les fourrures et trop élevés pour les marchandises offertes en échange, ce qui contribue à maintenir les trappeurs autochtones dans un état d’endettement chronique.
Et c’est sans compter les ravages de la petite vérole contre laquelle les Autochtones n’ont pas d’immunité naturelle.

Le bastion de Nanaimo, en Colombie-Britannique, a été construit dans les années 1850 par deux Canadiens français, Jean-Baptiste Fortier et Léon Labine, pour le compte de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
La Compagnie de la Baie d’Hudson ne traite pas mieux ses employés, surtout ceux qui prennent des femmes autochtones comme compagne ou épouse. Plusieurs de ces employés sont des Canadiens français.
La Compagnie de la Baie d’Hudson fermera davantage les yeux après que les gestionnaires locaux feront de même.
Des enfants issus de ces unions s’établiront sur les rives de la rivière Rouge, où naitra une communauté métisse. La Compagnie de la Baie d’Hudson prendra plus tard le contrôle de cette colonie, qui sera à l’origine de la création du Manitoba.
Peu après la Confédération, la Compagnie cherche à céder ses territoires et elle reçoit des offres alléchantes des États-Unis. Pour contrecarrer l’éventualité qu’une partie de la Terre de Rupert soit cédée aux États-Unis, le gouvernement britannique intervient et acquiert ce vaste territoire, moyennant 300 000 livres (soit 1,5 million de dollars de l’époque), en 1870.
Entre 1934 et 1958, la Compagnie déplace de force une cinquantaine d’Inuits dans un poste abandonné, loin de leurs terres d’origine, pour qu’ils aillent faire la chasse à son profit. Le poste de traite fermera deux ans plus tard.
Plusieurs Inuits seront déplacés à maintes reprises. En février 2025, le gouvernement fédéral a présenté des excuses officielles auprès de la communauté inuite et a annoncé une injection de 270 millions de dollars pour protéger la région nordique de Qikiqtani.
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Situation actuelle
La Compagnie de la Baie d’Hudson mettra beaucoup d’efforts pour s’adapter au monde de la consommation du XXe siècle.
En 1979, la famille de Roy Herbert Thompson a acheté la Compagnie de la Baie d’Hudson. Afin de tenter de redresser les finances de la société, les propriétaires vendront les magasins du Nord canadien et les intérêts dans le gaz et le pétrole.

L’iconique magasin La Baie de Montréal est l’un des cinq que l’entreprise tente de sauver des mains des créanciers.
L’entreprise se retirera définitivement du commerce des fourrures en 1991. En 2006, elle sera vendue à des intérêts américains.
Un long déclin s’ensuivra jusqu’à ce que la Compagnie de la Baie d’Hudson soit acculée au pied du mur et demande au tribunal, début mars 2025, une protection contre ses créanciers. Ses dettes s’élèvent aujourd’hui à environ un milliard de dollars.
Vers la fin de mars, elle a commencé à liquider ses quelque 96 magasins, dont 80 sous l’enseigne La Baie. Le tribunal lui a cependant accordé un peu de temps pour tenter de sauver un magasin Saks Fifth Avenue et cinq magasins La Baie, soit trois dans la région de Montréal et deux dans celle de Toronto.
La disparition complète de la Compagnie de la Baie d’Hudson, 355 ans après sa fondation, ne tient qu’à un fil.