Entre les années 1950 et 1990, sur fond de Guerre froide, le gouvernement du Canada a mené des enquêtes, harcelé et licencié des membres de la communauté 2ELGBTQI+ au sein des Forces armées canadiennes, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de la fonction publique fédérale.
Plus de 9000 personnes ont été exclues et au moins 30 000 ont été fichées en raison de leur orientation sexuelle.
Désignée aujourd’hui sous le nom de «purge LGBT», cette politique a mis fin à des milliers de carrières et brisé de nombreuses vies. L’ouverture d’une exposition sur ces évènements au Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg, au Manitoba, est l’occasion pour l’équipe derrière le documentaire La purge LGBT : la sombre histoire, sorti en 2023, de remettre cette histoire de l’avant.
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Avec ce documentaire, Orlando Arriagada espère éveiller les consciences.
Des excuses officielles en 2017
Interrogatoires humiliants, confessions forcées, chantage : le gouvernement a mené une véritable «chasse aux sorcières» pour débusquer ces hommes et ces femmes jugés «immoraux» et représentant un «danger pour la sécurité nationale».
Pour les services secrets, «tous les gais sont des espions et tous les espions sont des gais», rapporte l’avocat Douglas Elliott dans le documentaire La purge LGBT : la sombre histoire.
En 2016, des survivants et survivantes intentent un recours collectif contre le gouvernement fédéral qui mène, en 2018, à une entente historique prévoyant des indemnités totalisant 145 millions de dollars.
En novembre 2017, le premier ministre, Justin Trudeau, présente des excuses officielles à la Chambre des communes, au nom du gouvernement canadien, pour ces actions et politiques discriminatoires systémiques.
Une histoire méconnue
«Je pense que c’est important que ces histoires-là soient vues», souligne le réalisateur du documentaire, Orlando Arriagada, qui espère que le film trouvera un écho au sein de la population.
À ses yeux, le propos du documentaire est d’autant plus important aujourd’hui, «quand on entend ce qui arrive chez nos voisins, les États-Unis, qui ont un recul dans les droits qu’on a acquis, et surtout pour les nouvelles générations.»
«Ça me fait peur, parce que je pense que la société a avancé et maintenant on est à la porte peut-être de reculer.»

Steven Deschamps est directeur des Vétérans arc-en-ciel du Canada, un organisme à but non lucratif qui soutient les vétérans touchés par la purge LGBT.
Et le réalisateur de poursuivre : «On a une obligation de garder la mémoire des évènements comme ça. Il faut qu’ils ne soient pas oubliés, qu’ils ne soient pas mis de côté et qu’on soit conscient des répercussions qu’ils ont dans la société et chez les individus qui ont été cassés, qui ont été mis de côté, dont la carrière a été finie, dont la vie était finie. C’est important d’en parler pour ne pas que l’histoire se répète.»
Car, précisément, l’épisode de la purge LGBT reste largement méconnu au Canada. «Quand on rencontrait des gens à qui on racontait l’histoire, ils étaient surpris parce que c’est le Canada, un des pays les plus démocratiques au monde», y compris au sein de l’équipe de tournage, confie-t-il.
Le film donne notamment la parole à d’anciens et anciennes membres des Forces armées canadiennes : Lucie Laperle, Martine Roy et Steven Deschamps. «En parlant de nos histoires, nous devenons plus forts», déclare ce dernier devant la caméra.
Congédié au début des années 1980, dévasté, le francophone pense d’abord à s’enlever la vie en se jetant d’un pont surplombant le canal Rideau, à Ottawa. Il se battra ensuite pour réintégrer l’Aviation royale canadienne, en 1992. Le lieutenant-colonel à la retraite vit actuellement à Victoria, en Colombie-Britannique.
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«Une épiphanie»
Lorsque, en novembre 2017, le premier ministre, Justin Trudeau, a présenté des excuses pour les discriminations perpétrées ou tolérées par le gouvernement fédéral à l’encontre des personnes 2ELGBTQI+, «c’était comme une épiphanie», raconte Steven Deschamps.

Douglas Elliott est l’avocat principal qui a mené le recours collectif des survivants et survivantes de la purge LGBT contre le gouvernement du Canada.
«Nous autres qui avons été impliqués dans cette purge qui était sous l’ordre de la loi, des secrets officiels, on ne pouvait parler à personne de ce qui nous était arrivé. Pour des décennies, une quarantaine d’années, on était silencieux. Alors quand le premier ministre a fait ses excuses et que le recours collectif a été fait, on était libéré de finalement pouvoir parler de notre histoire.»
Il se donne alors comme mission de parler de son histoire «tant qu’il pouvait». «Pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas facile parce que ce sont des dizaines d’années de trauma qui nous a été affecté», témoigne-t-il.
Le vétéran a également publié un livre en juillet 2024, My Purge Story : A First Hand Account from a Gay Purge Survivor [en anglais seulement], pour s’assurer que les évènements de la purge soient «inscrits dans l’histoire pour le futur».
Démocratie en péril
«L’histoire commence maintenant à sortir et le peuple canadien veut savoir qu’est-ce que c’était cette époque de la purge», commente Steven Deschamps.
«C’est important d’avoir la chance d’interroger nos politiciens et de comprendre que les politiques que nos gouvernements et les personnes qui sont censées nous représenter ne sont pas nécessairement dans les intérêts des Canadiens et Canadiennes.»
«Les politiciens dans les plus hautes positions dans notre gouvernement, durant cet épisode de la purge, cachaient aux citoyens ce qui arrivait. […] Quand nos gouvernements commencent à faire une politique qu’ils ne veulent pas que les citoyens connaissent, on a des problèmes dans une démocratie», alerte le retraité.
Un documentaire et des expositions
La purge LGBT : la sombre histoire, est disponible sur la plateforme ICI TOU.TV.
L’exposition Amours cachés : La purge LGBT au Canada, au Musée Canadien pour les droits de la personne à Winnipeg, documente aussi cet épisode et rend hommage aux personnes qui en ont été victimes. «L’exposition va être donnée à d’autres musées à travers le Canada», indique Steven Deschamps, lieutenant-colonel à la retraite.
Une exposition mobile, actuellement installée dans une bibliothèque de Victoria, en Colombie-Britannique, devrait également sillonner les routes canadiennes.
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