Alors, qu’est-ce que du creton? Ou des cretons, c’est selon. Pour Le Robert, il s’agit d’un «pâté à base de viande de porc assaisonnée avec des oignons». Le Larousse? «Au Canada, charcuterie généralement constituée de viande de porc haché.»

C’est le moment idéal de l’année pour savourer du creton.
C’est assez réducteur comme définitions. Le creton, c’est bien plus que ça. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle creton qu’on peut se laisser insulter.
Pour une description plus poétique, on peut se tourner vers l’écrivain normand Jean de Fleury qui décrivait ainsi les «cretouns» dans son Essai sur le patois normand de La Hague paru en 1886 : «résidus de graisses, rapetissés, plissés, ratatinés, crétis par le feu». C’est beau.
Est-ce à dire que les «cretouns» serait l’ancêtre du creton canadien? Nom d’une Jehane Benoît! (Elle a une recette de cretons d’ailleurs.) Mystère. Mais on sait une chose : c’est bon.
On ne sait pas trop non plus quand ce mets a été créé; c’était surement dans quelque chaumière de l’ancien Canada, au Québec actuel. C’est chaud.
En fait, pas vraiment chaud, car le creton se mange généralement froid.
Les meilleurs plats sont des restants
Comme bien d’autres plats populaires, le creton est probablement le fruit de restants qu’on ne voulait pas perdre. Il se pourrait qu’à l’époque, après avoir tué le cochon à l’automne, l’auteur ou auteure de la recette ait décidé que de faire des cretons était une façon de conserver la viande pendant la saison froide.

Les cretons peuvent servir autant à satisfaire une petite fringale qu’à épater la galerie pour les grandes occasions.
Ou bien les cretons viendraient-ils des «bonnes sœurs» venues de France? En tout cas, on retrouve beaucoup de références à une recette des Ursulines de Québec à laquelle on attribue l’épithète «ancestrale». Hum, food for thought, comme aurait dit Shakespeare.
Loin de se cantonner au Québec, les cretons ont fait du chemin depuis leur arrivée ou leur création en Nouvelle-France. Un peu par osmose, ils se sont répandus ailleurs dans le Canada moderne, au gré des déplacements, de la parenté, de génération en génération.
Après des mille, voire des millions de tartinades sur des morceaux de pain grillé, le creton atteint la consécration au tournant du deuxième millénaire : il fait son entrée dans Le Petit Larousse en 2002, en même temps que bleuetier, débriefer (eh oui), feng shui, papy-boom (re-eh oui), canoë-kayak, snowboard (re-re) et zirable (mot poitevin implanté par les colons français en Acadie, puis par les Acadiens en Louisiane). Une bien grosse année.
Le Robert, de son côté, inclura «cretons» cinq ans plus tard, en 2007.
D’ici ou de France?
Tout cela est fort étonnant quand on constate que «cretons» a fait son apparition dans le Dictionnaire de l’Académie française dès sa 6e édition, en… 1835.

Plusieurs entreprises produisent des cretons commercialement qui sont vendus notamment dans les supermarchés.
Les Immortels font remonter l’origine du mot au moins au XIIe siècle. Selon eux, il s’agirait «probablement» d’un emprunt du moyen néerlandais kerte, qui signifie «entaille».
La courte définition de «creton» dans ce dictionnaire des dictionnaires est restée sensiblement la même depuis sa première entrée : «Résidu de la fonte du suif et de la graisse des animaux, dont on fait ordinairement des pains qui servent à nourrir les chiens de basse-cour et les chiens de chasse.»
Dans la 8e édition, on a ajouté au début «Morceau de graisse». Puis, dans la 9e édition, l’actuelle, il est précisé que la graisse vient du porc. Le truc sur les chiens de basse-cour et de chasse a disparu.
Fait intéressant, des liens externes sur l’usage du mot dans différentes régions en français et ailleurs ont été ajoutés dans la dernière édition.
On apprend ainsi qu’en Belgique, le mot est utilisé pour désigner de «minces tranches de lard grillé», de «petits morceaux de lard coupés en dés et frits, que l’on incorpore dans certains plats» ou encore des «résidus croustillants de la fonte de la panne de porc».
Le terme est aussi répandu dans plusieurs régions de France, surtout dans le Nord où il semble surgir en premier, comme dans la Somme, la Lorraine et les Ardennes.
«Répandu» n’est peut-être pas le bon mot, car il s’agit de régions près de la Belgique. Il serait plausible, puisque l’origine étymologique pointe vers les Pays-Bas, que le mot soit passé par la Belgique et le Nord de la France pour aboutir en Nouvelle-France. Finalement, on s’est passé le mot.
Mais assez d’analyse grammaticale. Passons à table.
De la table à la télé
Contrairement à nos amis européens qui n’en font que du résidu de gras ou de suif, ici le creton est à base de viande, précisément de porc haché. À cela s’ajoutent quelques ingrédients tout simples : oignons, cannelle, clou de girofle, persil séché et parfois sarriette.
Certaines variantes contiennent des miettes de pain, de l’ail, du bouillon de poulet ou de la gélatine (pas sûr…). Enfin, le célèbre Ricardo n’y va pas avec le dos de la fourchette en osant du gras de canard, du lait, du vin blanc, du piment de la Jamaïque, des flocons d’avoine. Alouette.

Premier monastère des Ursulines de Québec, en 1840. Le creton canadien y serait-il né?
Un petit truc de grand-mère : on peut ajouter une demi-tasse de beurre, à la fin de la cuisson, pour rendre le tout plus lisse.
Au début des années 1960, on parle de cretons en chanson, soit dans la très populaire chanson, Gros Jambon, de Réal Giguère :
Y’a personne qui savait de quel coin y venait
Mais, nous, on se doutait ben que c’était un Québécois
Parce qu’il sacrait tout le temps et mangeait ben des cretons
Pis y avait tout le poil frisé comme un mouton
Le creton entre véritablement dans l’imaginaire culturel québécois et franco-canadien grâce au savoureux personnage de Lison Dubé Paré (Josée Deschênes) dans la série La Petite Vie parce que son mari, Rénald (Marc Labrèche), l’appelait disons affectueusement Creton.
Il faut dire qu’un autre mets traditionnel québécois et franco-canadien avait une grande place dans l’émission : le pâté chinois. Mais ce sera pour un autre numéro du Rétroviseur…
Bon. Assez parler culture. Car, c’est bien connu, la culture, c’est comme du creton : moins on en a, plus on l’étale.