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le Jeudi 25 mai 2023 11:00 Société

Robertine Barry, dite Françoise, ou la courte vie intense d’une journaliste féministe avant l’heure

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  Graphisme : Chantal Lalonde
Graphisme : Chantal Lalonde
FRANCOPRESSE – Par où commencer? La question se pose vraiment pour parler du fascinant personnage qu’est Robertine Barry, qui figure parmi la liste restreinte de huit personnalités afin de remplacer Wilfrid Laurier sur les billets de 5 $. Au tournant du XXe siècle, cette fille d’immigré irlandais a brisé plus de plafonds de verre que ne pourrait le faire Bianca Castafiore dans la galerie des Glaces de Versailles un jour de grande forme.
Robertine Barry, dite Françoise, ou la courte vie intense d’une journaliste féministe avant l’heure
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Que ce soit comme journaliste, autrice, conférencière ou autre, Robertine Barry a défendu la condition féminine. 

Photo : Vers 1900, Wikimedia Commons, domaine public

Mais ce n’est pas avec sa voix que Robertine Barry ébranlera les colonnes du temple de la société patriarcale dans laquelle elle vivait, mais avec sa plume, sous le nom de Françoise.

Réputée être la première canadienne-française à gagner sa vie comme journaliste, cette célibataire libre-penseuse, vivant dans un monde conservateur sur lequel l’Église exerce encore une grande emprise, ira complètement à l’encontre de l’idéal féminin de l’époque, selon lequel elle aurait dû être une épouse et une mère dévouée.

Les mots, qui ont été l’épée par laquelle cette féministe avant l’heure a revendiqué une meilleure condition pour les femmes, ont été présents dès sa jeune enfance.

Robertine grandit dans une famille à l’aise. Née à L’Isle-Verte, au Québec, en 1863, elle était neuvième de treize enfants. Elle se plonge très jeune dans les œuvres de La Fontaine, puis de Hugo, de Lamartine et même des sœurs Brontë.

Après l’école primaire, Robertine ira parfaire son éducation classique au couvent Jésus-Marie à Trois-Pistoles, puis chez les Ursulines à Québec.

Le voile ou la plume?

Fondateur et directeur du journal La Patrie, Honoré Beaugrand donnera à Robertine Barry sa première chance comme journaliste.

Photo : 1894, Wikimedia Commons, domaine public

À son retour de Québec à Trois-Pistoles, où sa famille s’est installée, elle songe un moment à devenir religieuse comme sa sœur Évelyne.

Sur les conseils de son père, elle part à Halifax pour y enseigner la musique dans un couvent, question de voir si elle a la vocation. La réponse sera non.

Elle décide alors de tenter sa chance à l’écriture, et particulièrement au journalisme. Mais le risque est grand, car en son temps, très peu de femmes peuvent vivre de ce métier.

Elle sollicitera plusieurs éditeurs et essuiera plusieurs refus, jusqu’à ce qu’elle rencontre, en 1891, Honoré Beaugrand, directeur fondateur de La Patrie, l’un des grands journaux canadiens-français de l’époque.

Beaugrand est bien connu pour ses idées libérales radicales et anticléricales. Il embauche Robertine, mais surtout, il ne la confine pas aux pages féminines comme c’était la coutume à l’époque.

Robertine devient Françoise

Robertine Barry va alors déployer ses ailes. Elle prend le nom de plume de Françoise, en l’honneur de saint François de Sales. Dès ses débuts, elle revendique le droit des filles à l’instruction et s’en prend aux mentalités conservatrices.

Ella connaitra bientôt une certaine notoriété avec sa «Chronique du lundi» qu’Honoré Beaugrand publie en première page du journal.

Françoise s’en donne à cœur joie. Ses textes portent, entre autres, sur le droit de vote des femmes, le besoin d’interdire juridiquement le travail des enfants, la mise en place de refuges pour les femmes victimes de violence et l’éducation laïque.

Recueil de certains numéros de la «Chronique du lundi» de Françoise, parue dans le journal La Patrie.

Elle réclame même pour les femmes l’accès à l’université et le droit d’exercer les mêmes professions que les hommes. La décrire comme une avant-gardiste serait un euphémisme.

Ses prises de position vont à l’encontre de plusieurs personnalités en vue, dont Henri Bourassa, futur fondateur du journal québécois Le Devoir et antiféministe. Certains, par dérision, l’appellent d’ailleurs «Monsieur».

Écrite à la première personne, sous la forme d’une conversation, mélangeant digressions, anecdotes et humour, la «Chronique du lundi» sera publiée jusqu’en 1900. Françoise publiera à compte d’auteur un recueil regroupant ses chroniques du début de sa carrière.

Pendant ces années, elle écrira aussi pour d’autres journaux et magazines montréalais, comme Le Coin du feu, le Bulletin, le Franc Parler, la Femme et plusieurs autres.

Représentante du Canada à des expositions universelles

La réputation de Françoise ne fait que grandir. Avec une autre pionnière journaliste canadienne-française, Joséphine Dandurand (née Marchand), elle sera représentante des Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris en 1900.

Elle sera également déléguée aux expositions universelles de Saint-Louis au Missouri en 1904 et de Milan en 1906. Lors de ce dernier voyage, elle aura d’ailleurs une rencontre officielle avec le pape Pie X.

Le voyage à Paris mettra fin à sa collaboration avec le journal d’Honoré Beaugrand. De retour à Montréal, elle est atteinte de la fièvre typhoïde, mais rien n’arrête cette femme d’une énergie et d’une détermination hors du commun.

Une fois remise de sa maladie, elle fonde en 1902, avec ses propres économies, Le Journal de Françoise, qu’elle dirigera jusqu’en 1909 et qui restera son œuvre majeure. Plus de 500 collaborateurs signeront des textes dans cette publication, dont certains noms réputés tels qu’Émile Nelligan.

Une amitié intime

Puisqu’on en parle, ouvrons une petite parenthèse sur les liens entre l’auteur de Soir d’hiver et du Vaisseau d’or et Françoise.

Dès 1999, des murmures se font entendre voulant que le poète soit épris de la journaliste, de 16 ans son ainée. Françoise, qui est une amie de sa mère, accueille Nelligan à plusieurs reprises chez elle à Montréal. Il lui récite de ses poèmes et se confie en elle ; elle lui donne des conseils.

On ne sait pas jusqu’où ira cette relation, mais Nelligan évoquera Françoise dans plusieurs poèmes enflammés, dont Rêve d’artiste, dans lequel il la nomme «sa sœur d’amitié». Puis, une brouille s’installera entre les deux.

Robertine Barry, dite Françoise, s’engage aussi dans des regroupements féminins, dont en tant que vice-présidente du Canadian’s Women Press et présidente de l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises.

Premier conseil d’administration de Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, dont Robertine Barry (en bas, à droite) a été cofondatrice.

Photo : Wikimedia Commons, 1907

Elle fera partie en 1907 du premier conseil d’administration de la première association féministe canadienne-française, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste.

Elle participera aussi à la fondation d’un premier collège classique féminin qui deviendra le Collège Marguerite-Bourgeois.

Elle n’arrête pas d’écrire pour autant. Elle écrira notamment une pièce de théâtre, Méprise, en 1905. Le premier ministre canadien Wilfrid Laurier viendra à Montréal pour la voir.

Après la fermeture du Journal de Françoise, en 1909, la dépression la guette. Elle fait un dernier voyage à Paris et meurt quelques mois après son retour, le 7 janvier 1910. Elle avait 46 ans.

Elle aura été célibataire toute sa vie. Robertine Barry, dite Françoise, a beaucoup écrit sur la question pour souligner la liberté que le célibat lui apportait. Un jour, dans son journal personnel, elle a écrit : «Je ne suis pas de celles qui considèrent le mariage comme le but vers lequel doivent tendre les plus nobles efforts de toute une vie.»

Quelqu’un d’autre écrira, bien plus tard : la femme est l’avenir de l’homme.

Type: Récit

Récit: Cet article contient des informations, des opinions et des analyses, toutes basées sur des faits.

Moncton

Marc Poirier

Journaliste

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