
Elena Lucrezia Cornaro Piscopia est passée à l’histoire en devenant la toute première femme à obtenir un doctorat, en 1678.
On raconte qu’en entrant dans la cathédrale, Elena Lucrezia Cornaro Piscopia – c’était son nom – était intimidée et tremblante. Interrogée par ses examinateurs, elle étale son grand savoir avec aplomb, ce qui convainc ses juges. Ceux-ci lui accordent un titre qu’aucune femme au monde n’avait obtenu jusqu’alors, soit celui de docteure.
Un mot sur l’Université de Padoue, où a étudié cette pionnière, il s’agit d’un centre d’enseignement qui jouit d’une grande réputation. Situé dans l’une des plus vieilles villes d’Europe, fondée en 1222, l’établissement a accueilli notamment Copernic comme étudiant et plus tard Galilée comme professeur pendant 18 ans. Il y a pire comme réputation!
Mais revenons à Elena Cornaro. Elle provient d’une famille noble et puissante de Venise, ville voisine de Padoue qui la supplantera auprès des touristes.
La jeune femme est douée d’une intelligence et d’une érudition supérieures. Elle parle sept langues en plus de maitriser le clavecin, la harpe et le violon.
Pour elle, le doctorat en philosophie est un compromis ; elle aurait dû être diplômée en théologie, mais le cardinal de l’endroit s’y était opposé. Il faudra attendre 300 ans avant que l’établissement accorde un doctorat à une autre femme.
Elena meurt à 38 ans, peut-être de la tuberculose, dans l’indifférence totale.
Même aujourd’hui, malgré son exploit historique, il n’y a qu’une seule statue de la jeune vénitienne en Italie, soit au pied d’un escalier mal éclairé de l’Université de Padoue.
Une autre femme, Juliana Morell, pourrait prétendre au titre de première docteure au monde. Cette Espagnole aurait obtenu en 1608 un doctorat en droit de l’Université d’Avignon, en France, mais des doutes persistent à ce sujet.
Réflexion sur l’éducation des femmes à la Renaissance
Ces deux femmes sont de rares exceptions dans un monde universitaire d’hommes.
Pourtant, au siècle précédent, le théologien et philosophe espagnol Jean Louis Vivès (Juan Luis Vives) publie le premier traité portant exclusivement sur l’éducation des femmes, intitulé De institutione foeminae chritianae (ça se traduit tout seul).
Il proposait qu’on place la femme à égalité avec les hommes, intellectuellement, mais sans pour autant qu’elles sortent du «cadre normatif socialement acceptable dans l’Europe de la Renaissance». La quadrature du cercle quoi!

Jean Louis Vivès a écrit l’un des premiers traités sur l’éducation des femmes, en 1523.
Vivès avait dédié son ouvrage à la princesse anglaise Marie Tudor, dont il avait été le précepteur, quelques années auparavant. Il avait dû quitter l’Angleterre après un léger différend avec le père de celle-ci, le roi Henri VIII. Une peccadille : Vivès s’était simplement opposé au divorce du souverain anglais avec Catherine d’Aragon, une compatriote du philosophe et la mère de Marie. Les gens s’emportent pour des riens!
Un mot (ou plutôt 84) sur Catherine d’Aragon? Ses parents étaient aisés : Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, appelés les «Rois Catholiques» (même si Isabelle était une reine, mais bon).
Femme brillante, Catherine parle sept langues. Avant de marier Henri VIII, elle avait épousé le frère de celui-ci, Arthur. Depuis son Espagne, Catherine correspondait avec son promis, Arthur, en latin. Lorsqu’ils se rencontrent, 10 jours avant leur mariage, ils constatent avec étonnement qu’ils ne peuvent se comprendre quand ils se parlent, leur prononciation du latin étant trop différente. Bref, c’était à en perdre son latin!
Plus de femmes éduquées au Canada
Faisons un grand bond de quelques centaines d’années dans le temps. En décembre 2022, les talibans, à nouveau maitres de l’Afghanistan depuis aout 2021, interdisent sans surprise l’accès des femmes aux universités ainsi qu’aux écoles secondaires, dans une volonté de les exclure systématiquement de la vie publique.
Taliban est un mot pachto, une langue parlée en Afghanistan et au Pakistan. Il est le pluriel du mot arabe taleb (ou talib), et, ironie de l’Histoire, signifie… étudiant. En fait, les talibans sont des étudiants coraniques devenus combattants islamiques. Ils ont dirigé l’Afghanistan de 1996 à 2006, et depuis 2021.
Pendant que l’Afghanistan fait un pas en arrière et que bien des filles dans le monde encore aujourd’hui n’ont pas la chance de pouvoir aller à l’école même primaire, les femmes, heureusement, ne cessent de prendre la place qui leur revient sur les bancs des établissements d’éducation supérieure.
La plus sure façon de faire stagner un peuple est d’éduquer les hommes et de négliger les femmes. Éduquer un homme, vous éduquez simplement un individu. Si vous éduquez une femme, vous éduquez une nation entière.
Au Canada, les femmes ont même plus de scolarité que les hommes. En 2021, 68 % des femmes avaient un niveau de scolarité plus élevé que le secondaire, contre 56 % pour les hommes.
C’est cependant une évolution qui s’est effectuée sur une longue période.
Le Canada franchit le premier pas dans la scolarisation universitaire des femmes en 1862 : l’Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick, est la première à admettre les femmes.
Cette même institution marquera aussi l’histoire en 1875 en accordant un baccalauréat en sciences et en littérature anglaise à Grace Lockhart. Cette Néobrunswickoise, originaire de Saint-Jean, devient ainsi la première femme à recevoir un diplôme universitaire, non seulement au Canada, mais dans l’ensemble de l’Empire britannique de l’époque.

Grace Lockhart, première bachelière au Canada et dans l’Empire britannique – 1875.
En 1904, Marie Sirois obtient un certificat en littérature à l’Université Laval de Québec. Ce sera la première femme à recevoir un titre d’une université de langue française au Canada. Mais pas facile d’être pionnière : les autorités de l’institution ne l’invitent pas à la collation des grades. L’université lui enverra son diplôme par la poste…
Malgré les immenses progrès en la matière, il y a encore du chemin à faire, notamment au sein des postes de professorat. En 2019, au Canada, moins de deux professeures sur trois (63 %) avaient un poste permanent, contre 3 sur 4 (75 %) pour leurs homologues masculins. Toujours en 2019, près de 60 % du corps professoral des universités canadiennes était composé d’hommes.
S’il est vrai que ce que femme veut, Dieu le veut, Dieu prend un peu son temps.