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le Dimanche 27 novembre 2022 6:30 Société

La tire Sainte-Catherine : un périple d’Alexandrie à Ville-Marie

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  PHOTO : THOM GONZALEZ-PEXELS MONTAGE : FRANCOPRESSE
PHOTO : THOM GONZALEZ-PEXELS MONTAGE : FRANCOPRESSE
FRANCOPRESSE – Tous les 25 novembre, dans certaines écoles francophones du Canada, une vieille tradition se poursuit : faire de la tire Sainte-Catherine. Une tradition qui remonte au premier siècle de la Nouvelle-France. Et si on pense à la journée où cette pratique se déroule, soit la fête de la Sainte-Catherine, il faut remonter encore plus loin, en France du XVIe ou du XVe siècle.
La tire Sainte-Catherine : un périple d’Alexandrie à Ville-Marie
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Mais pour aller au fin fond des choses, soit l’histoire de cette sainte Catherine, il faut regarder encore plus loin dans le rétroviseur. Je parle du tournant des années 300, c’est-à-dire un coup d’œil de plus de 17 siècles en arrière!

Sainte Catherine a inspiré l’une des dévotions les plus grandes en Europe, autant dans l’Église catholique qu’orthodoxe. Dès le XIIIe siècle, elle figure au 25 novembre dans tous les calendriers des saints des églises catholiques et orthodoxes.

Elle est aussi une des trois voix que dit entendre Jeanne d’Arc – sainte elle aussi –lui donnant l’ordre de faire couronner le Dauphin afin de délivrer la France de la présence anglaise, lors de la guerre de Cent Ans.

Pourtant…

Catherine d’Alexandrie avec à ses pieds Maximin II Daïa, futur empereur romain qui voulait l’épouser.

Photo : Wikimedia Commons, Maestro de Altura, vers 1475, Musée des Beaux-Arts de Valence, Share Alike 4.0 International

Une fausse sainte Catherine?

Oui pourtant, en 1969, le pape Paul VI procède à une réforme de son calendrier général romain et retire plus de 40 saints, dont Catherine d’Alexandrie, car «on ne pouvait établir avec certitude les fondements historiques de leur culte».

Cependant, Catherine et les autres saints bannis du calendrier avaient conservé le «statut» de saint. Ils étaient toujours inscrits dans le recueil des noms des martyrs – le Martyrologe romain –, et des messes pouvaient être célébrées en leur honneur. Sauf qu’il n’y avait plus de journées qui leur étaient consacrées, un peu comme s’ils étaient devenus des saints de seconde classe.

Or, Catherine n’est pas passée aux oubliettes pour autant. En 2002, elle est restaurée au calendrier des saints, mais en tant que mémorial facultatif, c’est-à-dire que les catholiques peuvent la célébrer, mais n’y sont pas tenus. La désignation au mémorial facultatif est le rang le plus bas pour un jour saint.

Tout ça pour en arriver à dire que Catherine d’Alexandrie, devenue sainte Catherine, n’a en fait probablement jamais existé.

Mais sa légende est fascinante.

La fantasmagorique Catherine d’Alexandrie

Catherine serait née en 294 à Alexandrie, en Égypte, dans une famille noble. Selon la tradition, elle est très instruite, tellement qu’on la place au niveau des grands philosophes du moment.

Convertie au christianisme dans sa jeunesse, elle en convainc plusieurs d’adopter sa foi. Le gouverneur romain de l’Égypte de l’époque, Maximin II Daïa, futur empereur, tente en vain de la ramener au paganisme. Puis, il lui propose d’intégrer son palais en second rang après son épouse.

Catherine refuse. Une fois. Deux fois (peut-être même trois). Maximin la fait décapiter. Des anges apportent sa dépouille pour l’ensevelir au mont Sinaï, là où Moïse avait reçu les Tables de la Loi.

Quelques siècles plus tard, des moines découvrent le corps intact d’une jeune femme, qu’on associe à Catherine.

Les Croisades vont faire connaitre sa légende en Europe, particulièrement en France où un moine du monastère du mont Sinaï y apporte des reliques de la soi-disant Catherine d’Alexandrie.

Deux «Catherinettes» bien coiffées à Paris, en 1909.

Photo : Wikimedia Commons, 1909, Bibliothèque nationale de France, domaine public

Au fil du temps, sainte Catherine devient la protectrice – entre autres – des jeunes filles. Au XVe et XVIe siècle, les femmes célibataires de 25 à 35 ans honorent la mémoire de la sainte en coiffant de fleurs sa statue dans les églises. L’expression «coiffer sainte Catherine» qui en a découlé signifiait pour une jeune femme qu’elle était encore célibataire à 25 ans.

Plus tard, les femmes célibataires – ou les «vieilles filles» comme elles étaient souvent appelées autrefois – en sont venues, le 25 novembre, à se coiffer elles-mêmes d’un bonnet ou d’un chapeau multicolore et parfois extravagant. Elles ont été baptisées les «catherinettes».

La Sainte-Catherine, le speed-dating de l’époque

La tradition de «coiffer sainte Catherine» ne s’est pas transmise au Canada, mais le 25 novembre, des fêtes ou des danses étaient organisées pour les jeunes femmes non mariées. Celles qui avaient 25 ans ou plus étaient coiffées d’un bonnet pour que les prétendants puissent mieux les identifier. On pourrait presque parler de speed dating!

Cette coutume est disparue au cours du XXe siècle, les gens se mariant de plus en plus tard et le célibat des femmes perdant peu à peu son côté stigmatisé.

Au XVIIe siècle, on demanda à Vincent Conrart, premier secrétaire de l’Académie française, de définir le concept de «vieille fille». Il répondit en vers :

Au-dessus de vingt ans, la fille, en priant Dieu,
Dit : «Donnez-moi, Seigneur, un mari de bon lieu!
Qu’il soit doux, opulent, libéral, agréable!»
À vingt-cinq ans : «Seigneur, un qui soit supportable,
Ou qui, parmi le monde, au moins puisse passer!»
Enfin, quand, par les ans elle se voit presser,
Qu’elle se voit vieillir, qu’elle approche du trente :
«Un tel qui te plaira Seigneur, je m’en contente»
.

Tout ce grand détour nous ramène à la fameuse tire Sainte-Catherine. Pour ce faire, plongeons au milieu du XVIIe siècle, au cœur de la Nouvelle-France.

Marguerite Bourgeoys nait dans une famille française aisée. Entrée dans la Congrégation de Notre-Dame en France, elle entend parler de la Nouvelle-France par la directrice de son ordre, mère Louise de Chomedey de Sainte-Marie, sœur de Paul de Chomedey de Maisonneuve, gouverneur de Ville-Marie, la future Montréal.

Marguerite Bourgeoys aurait utilisé la tire pour inciter les enfants à venir à l’école.

Photo : Wikimedia Commons, anonyme, 1853, domaine public

Marguerite Bourgeoys arrive à Ville-Marie en 1653, avec comme mission d’enseigner aux jeunes Français et Autochtones. Il lui faudra cinq ans pour ouvrir ses premières classes dans une étable, faute de mieux.

Afin d’attirer les enfants dans sa nouvelle école, la première de Ville-Marie, la missionnaire aurait inventé une friandise faite de sucre et de mélasse. Le tout était bouilli pour former une pâte qu’on devait alors «étirer» – d’où le nom de tire –, nouer en tresse et couper en morceaux qui devenaient très durs. La tire Sainte-Catherine était née.

«Inventé» est peut-être un peu «étiré» par les cheveux! La technique du «sucre tiré» se pratiquait déjà par des confiseurs européens. Marguerite l’a sans doute simplement adaptée aux ingrédients qu’elle avait en main.

Également fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, Marguerite Bourgeoys a été canonisée en 1982.

Et pour le nom de Sainte-Catherine? Selon la petite histoire, Marguerite Bourgeoys aurait accueilli ses premiers élèves avec sa tire le 25 novembre. La pratique s’est étendue dans d’autres écoles et s’est perpétuée jusqu’au XXe siècle, surtout dans les écoles francophones du Québec et de l’Ontario, mais aussi ailleurs au pays.

Il est intéressant de noter qu’il s’agit d’une coutume strictement canadienne-française ; elle n’a pas franchi la frontière linguistique anglophone.

Encore aujourd’hui, notamment en Ontario et au Yukon, on refuse de laisser mourir la tradition.

Fabrication de la tire Sainte-Catherine.

Photo : Archives L’Express

En fait, comme on peut le constater, la tire Sainte-Catherine n’a pas vraiment de lien direct avec le personnage de la sainte qui, de surcroit, est tout probablement fictif. Mais avouez que c’est une belle histoire à raconter!

Édition de 1985 de La cuisine raisonnée. Ouvrage publié initialement en 1919 par les Sœurs de la congrégation Notre-Dame.

Photo : Archives Martine Leroux

Recette de tire Sainte-Catherine

250 ml (1 t) de sucre blanc
250 ml (1 t) de cassonade
250 ml (1 t) de mélasse
125 ml (1/2 t) de sirop de maïs
125 ml (1/2 t) d’eau
1 c. à soupe de vinaigre
1 c. à thé de bicarbonate de soude
1 c. à soupe de beurre

Mettre dans une casserole à fond épais et à parois beurrées le sucre, la cassonade, la mélasse, le sirop de maïs, l’eau et le vinaigre.

Faire cuire jusqu’à 125℃ (boule dure dans l’eau froide)

Retirer du feu.

Ajouter le bicarbonate de soude bien tamisé et le beurre et travailler le mélange.

Verser dans une lèchefrite beurrée et procéder comme pour la tire à la mélasse.

Source : La cuisine raisonnée, c.n.d – fides, 1985.

Marc Poirier

Journaliste

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