
Virginie Cobigo est professeure agrégée en psychologie à l’Université d’Ottawa et directrice de l’Open collaboration pour l’accessibilité cognitive.
En 2018, environ 1 enfant sur 66 entre 5 et 17 ans avait reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme au Canada, un trouble neurodéveloppemental qui affecte la communication, les interactions sociales et les comportements. Parmi ces jeunes, il y a quatre fois plus de garçons (1/42) que de filles (1/165).
Virginie Cobigo, professeure agrégée en psychologie à l’Université d’Ottawa et directrice de l’Open collaboration pour l’accessibilité cognitive, explique que, «puisqu’on a une description de symptômes qui a été développée en regardant plus de garçons que de filles, [elle] correspond plus au profil des garçons. Donc, il se pourrait qu’on diagnostique moins [de troubles du spectre de l’autisme chez] les filles [à cause de cela].»
Elle ajoute toutefois qu’«on sait aussi que l’autisme a des causes génétiques et qu’il se pourrait que les filles soient moins touchées».
«C’est dans l’expression des symptômes qu’on voit la différence, mais il n’y a pas un autisme de fille et un autisme de garçon», tient-elle à souligner.
Elle précise que les filles autistes tendent à être plus anxieuses et dépressives, alors que les garçons sont hyperactifs et «dérangeants» pour l’entourage, ce qui pousse souvent les familles à aller chercher un diagnostic.
«Il semble que les filles autistes ont tendance à être plus soucieuses des autres, de ce que ressent l’autre, de leur image envers les autres, remarque la professeure. Elles ressentent plus de gêne et de honte que les garçons autistes.»
Se fondre dans le décor

Fatoumata Bah est étudiante à l’École des sciences de l’information à l’Université d’Ottawa et spécialiste en accessibilité principale chez Open collaboration pour l’accessibilité cognitive.
Fatoumata Bah est étudiante à l’École des sciences de l’information à l’Université d’Ottawa et spécialiste principale en accessibilité chez Open collaboration pour l’accessibilité cognitive. Elle-même autiste, elle atteste que «les filles s’efforcent plus souvent de masquer leurs symptômes et leurs traits autistes. Quand elles voient un professionnel de la santé, [celui-ci] va moins détecter les symptômes […] Parfois, la personne ne sait même pas qu’elle les cache. C’est comme un mécanisme de survie sociale».
«Les diagnostics surviennent généralement lorsque les femmes autistes commencent à avoir des problèmes dans leur fonctionnement. Si tout se passe bien, l’autisme peut passer inaperçu pendant des années», ajoute-t-elle.
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Masquer ses symptômes veut dire adopter des comportements considérés comme neurotypiques pour cacher ses traits neuroatypiques. Il peut s’agir de se forcer pour maintenir le contact visuel, de sourire quand les autres sourient, de rire quand les autres rient, de répéter des conversations à l’avance, d’éviter de «gigoter», de cacher ses intérêts personnels, etc.
Source : Fatoumata Bah
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L’expression et la perception sociale des symptômes jouent pour beaucoup dans les différences entre les deux sexes.
Comme le fait valoir l’étudiante, «il y a cet aspect d’attentes sociales. Par exemple, une fille calme, organisée, qui suit les règles [ce qui est courant chez les filles autistes], son comportement est vu comme normal et accepté. Il est même célébré dans la société, tandis que si un garçon joue dans son coin tout seul, c’est moins accepté.»
Les personnes autistes ont souvent une obsession, ce qui peut motiver la recherche d’un diagnostic. Fatoumata Bah raconte qu’elle en a toujours eu une pour les encyclopédies, ce qui est assez bien vu par la société.
Par contre, elle dit que si un garçon autiste se trouve à être obsédé par les aspirateurs par exemple, son comportement soulèvera surement des questions dans son entourage.
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Au-delà du diagnostic
Des études montrent que les filles et femmes autistes peuvent développer des troubles connexes – comme de l’anxiété, la dépression, des troubles alimentaires, des anomalies menstruelles et d’autres ennuis de santé – qui viennent cacher l’autisme.
Les troubles de santé physique peuvent, par exemple, être attribuables au fait que certaines femmes autistes ont de la difficulté à s’occuper de l’hygiène personnelle.
Selon une étude suédoise de 2016, les femmes autistes sont 13 fois plus susceptibles de se suicider que les femmes de la population générale. Une prédisposition accrue à l’anxiété et à la dépression mène à une intensification des troubles du comportement, ce qui augmente l’isolement et, par voie de conséquence, le risque de suicide.
«Ce qui est très probable, c’est que les femmes autistes apprennent très jeunes à cacher leurs symptômes et donc une partie d’elles-mêmes. Elles ne se sentent pas bien dans leur peau parce qu’elles ne sont pas elles-mêmes. Évidemment, quand on ne se sent pas bien dans sa peau, on peut développer des problèmes de type dépression/anxiété», avance Virginie Cobigo.
«Les occasions ne sont pas les mêmes dans la société, poursuit-elle. Donc, on s’inquiète pour son avenir, on est plus victimes d’intimidation à l’école. Il y a toutes sortes d’expositions à des stresseurs qui sont probablement plus fréquents que dans la population générale.»
Une étude française de 2022 rapporte que 90 % des femmes autistes auraient subi de la violence sexuelle, contre 30 % des femmes de la population générale.
Fatoumata Bah est d’avis que «les femmes autistes vont souvent accepter plus de choses. C’est aussi lié aux pressions sociales selon lesquelles une femme doit être soumise, doit accepter tout ce qu’elle se fait dire. La combinaison de tout ça fait que, quand elles sont dans une situation avec un partenaire violent, elles vont plus souvent accepter ces conditions que les femmes non autistes».
Elle explique que «le cerveau autiste pense de manière très littérale et peut parfois avoir du mal à lire les situations sociales. Si une femme autiste est dans une situation où les intentions de la personne ne sont pas explicites, c’est beaucoup plus difficile pour elle de se sortir de cette situation rapidement avant qu’il ne soit trop tard».
Une double barrière pour les francophones

Mélanie Laurin est superviseure des services en français à l’organisme Autisme Ontario.
«Il n’y a déjà pas beaucoup de services [pour les personnes autistes] et ceux qu’il y a sont en anglais. Si tu es francophone, il n’y a vraiment pas grand-chose», déplore Fatoumata Bah.
Des organismes tentent toutefois de pallier ce manque de services. La superviseure des services en français à Autisme Ontario, Mélanie Laurin, assure que, dans son organisme, «tout ce qui est offert en anglais, l’est aussi en français. Le seul département non bilingue est celui des services pour les adultes. Cependant, s’il y a des questions ou des ressources à chercher, je suis la personne contact.»
Elle reconnait cependant que «les services francophones ne sont pas faciles à trouver, et on a souvent des appels de gens qui cherchent des psychiatres ou des psychologues en français. C’est difficile de trouver des médecins de famille en français».
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Une carte des services offerts au Canada pour les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle permet de trouver programmes et des services liés à l’autisme et/ou à la déficience intellectuelle à proximité. Cette carte recense à peine plus de 300 services en français à l’extérieur du Québec contre plus de 2500 en anglais.
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Virginie Cobigo signale qu’«il n’y a pas assez de formation des médecins, des psychiatres, des psychologues, des ergothérapeutes, des orthophonistes […] Il y a un manque de formation par rapport au diagnostic, par rapport à l’impact sur la vie des personnes et un manque énorme de ressources et de services pour cette population, filles comme garçons».
Selon elle, il arrive souvent que les personnes autistes ne sachent pas qu’elles peuvent obtenir des accommodements, comme des services particuliers à l’école.
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Autisme, TDAH, endométriose ne sont que des exemples du retard en matière de santé des femmes au Canada. Un rapport de 2020 sur la santé des femmes dans le monde place le Canada en 43e position sur 114 pays.
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Fatoumata Bah rapporte qu’il y a encore du travail à faire : «La société n’est juste pas accessible physiquement, cognitivement. Il n’y a pas de services et l’accès aux services en santé mentale est vraiment un privilège. Je pense que tout ça fait aussi que les femmes sont diagnostiquées plus tard.»
Elle est d’avis qu’il faut des changements systémiques et «des politiques en place pour que l’accessibilité ne soit pas une option, que ce soit vraiment une obligation».