Deux enseignants de la région de Fort Smith, aux Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), ont lancé ce cri du cœur lors d’une audience publique organisée dans le cadre de la révision de la Loi sur les langues officielles des T.N.-O.
Je suis Crie et, dans ma culture, personne n’est au-dessus de personne. Nous sommes tous égaux à la table de discussion. Ce n’est pas ce que je vois en ce moment dans cette loi. Ce que je vois à la table, c’est l’anglais et le français. Moi, je n’y suis pas. C’est un document très occidental qui doit être décolonisé.
Quatre intervenants ont répondu à l’invitation lancée à l’ensemble des résidents du territoire deux semaines avant l’évènement.
À la voix de Mme Balls s’est ajoutée celle de Paul Boucher, locuteur chipewyan. Batiste Foisy, résident des T.N.-O., et Linda Bussey, directrice générale de la Fédération franco-ténoise (FFT), ont également présenté leurs recommandations au comité.
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Des langues invisibles
Témoin de première ligne de l’essoufflement de la langue chipewyan, Paul Boucher, enseignant au secondaire, déplore que les langues autochtones officielles des T.N.-O. soient à peine visibles dans le quotidien des jeunes.
Dans les bureaux gouvernementaux de Fort Smith, l’affichage dans les langues autochtones est optionnel. Ce n’est pas une bonne chose. En tant qu’enseignant, je veux pouvoir faire visiter ces bureaux à mes jeunes pour qu’ils y voient leur langue.
Selon lui, en mettant ainsi les langues autochtones au second plan, le gouvernement laisse croire aux jeunes qu’elles ne sont plus importantes.
«Je veux que les jeunes, mes enfants et mes élèves, sachent que le gouvernement les appuie dans l’apprentissage de leur langue», insiste-t-il.
En ce moment, quand j’appelle différents services gouvernementaux pour des questions entourant la COVID-19, poursuit-il, tout ce que j’entends, c’est le français et l’anglais. Nous n’avons aucune option pour le cri, le chipewyan, le tli cho ou encore le gwich’in.
Activement engagé dans la transmission de la langue parlée dans la région ténoise du Slave Sud, Paul Boucher déplore également que la Loi sur les langues officielles ne laisse que peu de flexibilité aux membres des collectivités qui souhaitent en faire la promotion.
«Nous sommes créatifs. Nous trouvons différentes manières de faire la promotion de nos langues et de notre culture dans nos écoles et d’élever nos standards afin que nos enfants apprennent ces langues. Parfois, ce sont les lois qui nous en empêchent», affirme-t-il.
Infractions quotidiennes à la Loi
Comme l’a rappelé Jessica Balls, l’article 5 de la Loi stipule que les 11 langues officielles des T.N.-O. «ont […] un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions gouvernementales».
«Ce n’est pas ce que je comprends de cette Loi lorsqu’on ne m’offre que deux options au téléphone», poursuit-elle.
Elle trouve qu’il est «frustrant, comme mère et comme enseignante, d’insister sur l’enseignement des langues autochtones alors que les jeunes ne les voient et ne les entendent nulle part. Les étudiants me disent “Pourquoi j’apprends cela? Personne ne le parle”».
Présent en tant que de citoyen, Batiste Foisy a été journaliste pendant plus de 15 ans dans le Nord, notamment à titre de chef de l’information pour Médias ténois.
Selon lui, le gouvernement territorial se trouverait «tous les jours en infraction à la Loi sur les langues officielles des T.N.-O., et ce, plusieurs fois par jour».
La loi existe sous différentes formes depuis bientôt 40 ans, et le mépris institutionnel de la loi demeure, je dois dire, systémique.
La Loi sur les langues officielles des T.N.-O. prévoit, pour les neuf langues autochtones du territoire, des droits distincts de ceux prévus pour le français et l’anglais.
Essentiellement, la Loi suggère que les services gouvernementaux en langues autochtones ne sont nécessaires que dans certaines régions désignées.
«En ce moment, chaque fois qu’un [locuteur d’une langue officielle minoritaire] interagit avec son gouvernement, si on se fie aux règles, on peut affirmer que la Loi est transgressée», indique Batiste Foisy.
Il rappelle notamment les enjeux rapportés à l’hôpital d’Inuvik, où des patients, accueillis par la formule «bonjour, hi», ne pouvaient être ni accueillis ni servis en gwich’in ou en inuvialuktun.
Au-delà du «bonjour, hi»
La directrice générale de la FFT, Linda Bussey, a présenté un aperçu des recommandations incluses au mémoire que son organisme compte soumettre au comité chargé de la révision de la Loi.
Elle a assuré que la communauté francophone aura l’occasion de consulter le document et d’y réagir avant son dépôt.
La FFT recommande notamment d’«imposer des obligations à l’État, de rendre les institutions publiques imputables et de développer une politique forte sur la protection des communautés linguistiques».
«Ces obligations peuvent prendre la forme de normes de service minimales, de critères d’embauche prioritaire à compétence égale, d’identification de postes bilingues, de contenu et d’offre linguistique dans les programmes et services», a indiqué la directrice.
Les secteurs à privilégier aux yeux de la FFT sont l’éducation, la justice et la santé.
Nous devons aller au-delà du “hello, bonjour ».
Mme Bussey souligne avoir elle-même été responsable des services de traduction à l’Hôpital territorial Stanton de Yellowknife.
«Les délais qui s’imposent aux locuteurs des langues minoritaires pour l’obtention de services sont préjudiciables. C’est spécialement le cas dans le secteur de la santé, où des vies sont en jeu», a-t-elle fait valoir.
À l’heure actuelle, les infractions à la Loi peuvent être rapportées au Bureau du commissaire aux langues des TNO, qui dispose essentiellement de pouvoir de recommandations auprès de l’Assemblée législative territoriale.
La FFT recommande d’accorder à la personne en poste «les pouvoirs de contraindre les témoins, de contraindre la production de documents, et de rendre des ordonnances contraignantes», et ce, au même titre que peut le faire le Commissaire de l’accès à l’information et le Commissaire à la protection de la vie privée.
Le comité chargé de la révision de la Loi a entamé les consultations publiques à Inuvik, le 7 juin 2021. Une tournée qui devait se déplacer dans six collectivités au courant de l’été a dû être reportée en raison d’une importante éclosion de COVID-19.
Des nouvelles seront annoncées au cours des prochains mois, selon le président du comité, Rylund Johnson.