La Voix acadienne : En quoi l’intégration économique des nouveaux arrivants, notamment ceux issus des minorités visibles, est-elle problématique en Acadie?
Leyla Sall : Obtenir un travail stable et qualifié en français représente un défi, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, qui restent difficiles d’accès.
Il y a encore trop de discrimination. Les Acadiens ont dû se battre de haute lutte pour contrôler leur système d’éducation en français, et ils ne sont pas toujours prêts à l’ouvrir à de nouveaux arrivants.
Très souvent, les immigrants sont obligés de se tourner vers des emplois saisonniers ou précaires dans des domaines qui connaissent une forte pénurie de main-d’œuvre : les foyers de soins pour personnes âgées, les centres d’appels ou encore l’hôtellerie-restauration.
Les organismes de la francophonie en milieu minoritaire parlent beaucoup d’objectifs chiffrés de nouveaux arrivants hors Québec, mais avant d’évoquer des pourcentages, il faut s’assurer qu’ils soient bien intégrés sur le marché du travail. Autrement, ils ne s’intègrent pas socialement et culturellement, et partent rapidement au Québec, voire dans des milieux anglophones.
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Quels dispositifs mettre en place pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants?
La sensibilisation des communautés acadiennes au racisme et à la discrimination est un premier pas, mais ça reste insuffisant. On a besoin de mesures concrètes pour que les immigrants, notamment ceux issus de minorités visibles, aient accès à des emplois de qualité en français.
Pour moi, la clé, c’est la discrimination positive avec un système de quota. Autrement dit, réserver un certain pourcentage de postes qualifiés à des personnes d’origine étrangère. Il y a encore du chemin à parcourir ; cette mesure suscite de l’indifférence, voire de l’hostilité parmi les organismes de la francophonie minoritaire.
L’Acadie pense-t-elle être une communauté d’accueil?
Dans leur tête, les Acadiens se définissent comme une communauté d’accueil. Ils militent pour plus d’immigration avec l’idée qu’un plus grand nombre de locuteurs francophones assurera la vitalité de leur communauté.
En l’absence d’une intégration réussie, plus de nouveaux arrivants ne signifient pourtant pas un élargissement de la communauté francophone acadienne.
De plus en plus de minorités visibles, notamment d’origine africaine, se constituent en associations, car elles estiment que leurs besoins et leurs intérêts ne sont pas bien pris en compte et défendus par les organismes qui représentent les Acadiens. Il y a les groupes des communautés d’immigrants d’un côté, des Acadiens de l’autre.
Selon moi, cette situation nuit à la cohésion sociale. S’il n’y a pas de mélange au sein de la francophonie minoritaire, le risque que les nouveaux arrivants se tournent vers le milieu anglophone et soient assimilés est plus grand.
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Vous dressez un constat assez sévère de la situation. Est-ce qu’à vos yeux les politiques d’immigration francophone sont un échec en Acadie?
Symboliquement, c’est un succès. L’Acadie est devenue une communauté d’accueil, le discours est progressiste, inclusif : tout le monde est bienvenu, peu importe son origine et sa couleur de peau.
Cependant, quand on s’intéresse aux résultats concrets des politiques d’immigration, les problèmes d’intégration et de rétention demeurent. Nous perdons beaucoup trop d’immigrants au profit d’autres provinces.
Il faut organiser des états généraux sur l’immigration. Les différentes communautés doivent s’assoir autour d’une table pour avoir des discussions franches sur le sujet.