«La francophonie canadienne est diverse et plurielle. Il y a encore du chemin à faire pour avoir une inclusion de tout le monde dans notre communauté. […] Ce n’est pas la première fois qu’on parle d’une thématique comme celle-ci, mais c’est une discussion qui doit toujours se [poursuivre]», souligne la directrice générale de l’Alliance des femmes la francophonie canadienne (AFFC), Soukaina Boutiyeb.
«Ce congrès a permis d’avoir un espace, de pouvoir réfléchir toutes et tous ensemble à ce sujet dans un espace sécuritaire. […] Tout au long de la semaine, on a reçu des participants qui sont au-delà du réseau restreint de l’AFFC, donc il y a une curiosité [par rapport à ce sujet-là]», remarque-t-elle.

Avec un total d’environ 80 inscriptions, l’organisme évalue avoir atteint davantage de participants cette année, une hausse notamment attribuable au format virtuel de l’évènement.
La directrice générale ne ferme pas la porte à reproduire un tel format dans le futur, mais nuance toutefois : «En tant que communautés francophones minoritaires, le virtuel ne remplacera jamais nos moments de rassemblement. On est isolés, donc il y a toujours un besoin […] Les gens demandent qu’aussitôt que ce sera sécuritaire, de pouvoir se rassembler et avoir ces moments de concertation physique.»
Racisme systémique et colonialisme
La conférence Racisme systémique et femmes autochtones : Le Canada interpelé a été l’occasion pour la professeure Nathalie Kermoal de jeter un éclairage sur le vécu des femmes autochtones au Canada.
«Malgré les avancées constitutionnelles et judiciaires au cours du 20e et du 21e siècle, les Autochtones font toujours face à des comportements racistes et de discrimination. Au-delà du racisme lié aux agissements d’individus, les Autochtones dénoncent régulièrement le racisme systémique existant au Canada. La récente tragédie de la mort de Joyce Echaquan [en] est une terrible illustration», a mis de l’avant la conférencière, professeure titulaire, vice-doyenne et directrice du Ruperstland Centre for Métis Research (RCMR) à la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta.

Dans le cas de Joyce Echaquan, il est évident que [ce racisme systémique], elle l’a vécu au sein du système de santé. Mais je dirais qu’on le retrouve dans tous les domaines de la société canadienne : juridique, carcéral, la police, etc.»
D’après la professeure, la première étape pour y remédier serait de «comprendre le colonialisme comme une structure […] Le colonialisme, ce n’est pas quelque chose qui a disparu et c’est quelque chose qui a eu un impact sur plusieurs siècles».
«Les gouvernements vont mettre en place des politiques, mais aussi des institutions pour contrôler la vie des Autochtones pour tenter de les assimiler», indique Nathalie Kermoal en citant notamment les pensionnats de 1870 à 1996, la Loi sur les Indiens de 1876 et les hôpitaux autochtones du 20e siècle.
Des structures qui, d’après elle, «servent à déshumaniser ces personnes, à les réduire à un stéréotype qui les situe au-dessous de l’humain et, par conséquent, les rend plus facile à écarter».
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S’informer, s’éduquer et reconnaitre
Le point clé, pour la professeure Kermoal, est donc de reconnaitre que «les effets de la colonisation n’appartiennent pas au passé [mais] sont encore très présents dans la structure même de la société canadienne».
À partir de quoi, la directrice du RCMR suggère de «s’engager dans la décolonisation» grâce à la «sécurisation culturelle». Le terme, développé dans les années 1980 en Nouvelle-Zélande, dans le contexte de soins infirmiers destinés aux Maoris, réfère à des pratiques respectueuses et valorisant l’identité culturelle des individus.

Elle invite ainsi le public à s’informer, s’éduquer et reconnaitre les impacts de la colonisation et des préjugés. «Et aussi que l’on reconnaisse nos propres privilèges, parce que nous avons tiré profit de la colonisation.»
«Il faut avoir une réflexion interne pour essayer de reconnaitre où on se situe en tant qu’individu et s’interroger sur nos motivations : pourquoi veut-on devenir allié? Est-ce que c’est l’égo qui parle, est-ce parce que c’est un sujet à la mode, ou est-ce qu’on est motivé par la justice sociale? […] [Dans ce dernier cas], il est évident qu’on va aller jusqu’au bout du parcours pour essayer de […] soutenir les Autochtones dans leur projet d’autodétermination.»
«Il faut aussi apprendre à écouter. Pour pouvoir avancer, il faut écouter les Autochtones», ajoute Nathalie Kermoal.
C’est d’ailleurs ce même parcours qu’elle prescrit aux politiciens qui s’abstiennent d’utiliser le terme «racisme systémique» : «Je pense qu’ils ont peut-être besoin de suivre des cours, de s’informer […] et de comprendre que le colonialisme est une structure qui a un impact sur la longue durée. Tant qu’on ne fera pas ce qu’il faut pour transformer les choses, pour assurer cette sécurisation culturelle, je pense qu’on aura de la difficulté à changer la société canadienne.»
«Mais ça prend tout le monde : autant les politiciens que les individus», souligne la professeure.

Les dossiers chauds à l’AFFC
Pour l’année 2021, l’AFFC se concentrera sur quelques dossiers, à commencer par «le renforcement des capacités de nos organisations membres […] qui vivent avec beaucoup de difficultés, des fois en termes de financement. On essaye de les appuyer», indique la directrice générale de l’organisme, Soukaina Boutiyeb.
L’organisme coordonnera également une étude au sujet des services qui sont offerts aux femmes immigrantes francophones vivant en situation minoritaire. «On pense que ça va être une première au Canada», ajoute la directrice, qui indique espérer des résultats pour la fin 2021.
De plus, l’AFFC publiera sous peu un livre blanc «pour parler des priorités des personnes aidantes francophones et acadiennes au pays», un sujet qui a revêtu une importance particulière depuis le début de la pandémie.
Enfin, le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles est «prioritaire» pour l’AFFC, qui a publié un communiqué de presse le 19 février dernier à la suite du dépôt d’un document de réforme par la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly.
«Ce qui est très important, c’est de s’assurer d’intégrer l’Analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) dans l’implantation de cette Loi. […] C’est un outil que le Canada a signé depuis 1995 pour l’utiliser dans tous les programmes et politiques qu’il établit, mais malheureusement il y a encore du travail à faire là-dedans», rappelle Soukaina Boutiyeb.
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D’après la définition donnée par le juge à la retraite Jacques Viens dans son rapport sur la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès : «La discrimination systémique a pour caractéristique d’être largement répandue, voire institutionnalisée dans les pratiques, les politiques et les cultures ayant cours dans une société. La discrimination systémique peut entraver le parcours d’un individu tout au long de sa vie et même avoir des effets négatifs sur plusieurs générations».
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