«Avez-vous entendu parler de dauphins et cygnes qui ont fait leur apparition dans les canaux de Venise au mois de mars?» Ça doit être vrai, puisqu’il y a des photos et des vidéos sur Twitter, avec un texte expliquant leur retour grâce à la diminution de la pollution des eaux de Venise…
Il s’agit cependant d’une «vraie fausse» histoire, dont a choisi de se servir l’organisme Le français pour l’avenir pour présenter son concours annuel de rédaction, ayant pour thème cette année : «En quoi les fausses nouvelles ont-elles modifié ton rapport avec les informations médiatiques?»
Environ 500 jeunes du secondaire de partout au pays participeront à ce concours ; près d’une centaine recevront une bourse d’un établissement d’enseignement postsecondaire partenaire au pays.

Conscientiser les futurs adultes
Le thème des fausses nouvelles est on ne peut plus d’actualité.
«On veut conscientiser les jeunes davantage à ce problème-là», explique Victoria Gaudry, agente des programmes à Français pour l’avenir. «Surtout qu’ils vont devenir de jeunes adultes, donc on voudrait qu’ils réfléchissent plus à ce sujet-là cette année.»

Le phénomène des fausses nouvelles n’est pas nouveau, loin de là. Mais en cette année de pandémie mondiale et d’élections présidentielles aux États-Unis, des chercheurs comme Marie-Ève Carignan, professeure de communication à l’Université de Sherbrooke, constatent qu’il prend une ampleur tout autre.
Le contexte est très, très propice [aux fausses nouvelles], c’est très inquiétant.
«Durant les dernières élections américaines et même aux dernières élections fédérales canadiennes, on a vu que de fausses nouvelles ont été diffusées dans le but d’influencer le débat politique, d’influencer les intentions de vote. Alors de voir que ça, ça va se mélanger avec en plus de fausses informations sur la pandémie, c’est inquiétant parce que ça peut avoir des répercussions politiques, sociales et de santé publique», indique la professeure.
Marie-Ève Carignan craint aussi que la montée du phénomène parallèle des théories du complot entraine une augmentation d’actes de violence politique.
«Ça explique entre autres pourquoi, en ce moment particulier, il y a beaucoup de grands joueurs du Web comme Facebook et YouTube qui ont sévi depuis deux semaines, qui ont fermé plein de comptes et de pages parce qu’ils voulaient justement essayer de contrôler l’impact que ce genre de thèses complotistes pouvaient avoir sur les résultats des élections, sur la pandémie et, éventuellement, sur la montée de la violence.»

Les fausses nouvelles ont la cote
Qu’en est-il de l’adhésion de la population aux fausses nouvelles? Une équipe de l’Université de Sherbrooke a mené une enquête internationale sur l’adhésion des gens aux fausses nouvelles et aux théories du complot.
En juin dernier, les chercheurs ont soumis différents énoncés au sujet de la COVID-19 à des participants de plusieurs pays, par exemple : «Le virus est uniquement transmis par temps froid», «le virus se transmet par les piqures de moustique» ou encore «la pulvérisation d’alcool ou de chlore sur tout le corps tue le virus».
Les chercheurs ont combiné les réponses à ces énoncés pour créer un «indice de fausses nouvelles».
En comparaison aux autres pays, le Canada ne s’en tire pas trop mal alors que 11,5 % adhèrent à cet «indice fausses nouvelles». En Angleterre, ce taux est de 26 %, aux États-Unis, 27 %, et aux Philippines, 37,6 % pour les mêmes énoncés.
Marie-Ève Carignan, cochercheuse pour cette étude, trouve que le taux canadien est inquiétant même s’il est relativement bas.
Un nombre important de répondants canadiens ont dit croire que la COVID-19 infecte principalement les personnes de plus de 55 ans, alors qu’en réalité, elle touche davantage les 50 ans et moins.
Les réseaux sociaux, véhicule de rêve pour les fausses nouvelles
Les réseaux sociaux ont évidemment changé la donne pour les fausses nouvelles. Le phénomène reçoit aussi un coup de pouce quand des leadeurs dénigrent des médias réputés.
Gilbert McLaughlin, chercheur postdoctoral au Centre on Hate, Bias and Extremism d’Ottawa, rappelle que le phénomène existe depuis très longtemps.
«Avant, les médias traditionnels étaient les “gatekeepers” de l’information, souligne-t-il. Quand c’est rendu qu’un chef d’État comme Donald Trump traite les médias de “fake news”, ça contribue à délégitimer la manière qu’on peut trier l’information. Parce que là, si le New York Times est de la “fake news”, puis l’autre c’est de la “fake news”, tout s’équivaut.»

Fausses nouvelles et théories du complot, liaisons dangereuses
Difficile d’aborder le sujet des fausses nouvelles sans effleurer celui des théories du complot. Les unes amènent souvent aux autres, mais il y a cependant une grande différence entre les deux :
La conspiration, on cherche moins à manipuler les gens pour les tromper qu’à les manipuler pour les convaincre. C’est toujours dans l’idée qu’ils [les conspirationnistes] ont la vérité et qu’il faut que les gens se réveillent. Tandis que quand on regarde le phénomène des fausses nouvelles, il y a une industrie de ça, pour faire de l’argent! Eux, c’est de tromper le lecteur, le désinformer. L’intention n’est vraiment pas la même.
La chercheuse Marie-Ève Carignan le confirme : les fausses nouvelles, c’est aussi du gros business.
Elle prend pour exemple ce qui s’est passé lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 : «On a vu entre autres qu’une bonne partie [des fausses nouvelles] venait de la Macédoine. C’étaient des gens qui recevaient de l’argent à chaque fois qu’il y avait des clics sur les nouvelles qu’ils produisaient», explique la professeure.
«Donc, ils travaillaient pour des sites Internet qui voulaient juste faire de l’argent avec les revenus publicitaires. Ils publiaient vraiment n’importe quoi pour faire de l’argent. Ça n’avait aucun lien avec une idéologie politique ou une volonté d’influencer le débat politique.»
Parfois, fausses nouvelles et théories du complot se rencontrent et cet arrimage risque d’entrainer des effets très néfastes chez certains. Selon la chercheuse Carignan, ce qui se passe depuis le début de la pandémie est révélateur.
«Les gens cherchaient des réponses à leurs questions. Avec l’incertitude et le manque de réponses, liés au fait que c’est un nouveau virus, il manque des données scientifiques.»
Bien des gens sont allés sur les réseaux sociaux pour chercher des renseignements, et c’est là où ils étaient confrontés à la fois à de fausses informations et à des théories du complot. Étant soumis aux deux, les gens se mettaient à croire à certaines formes de désinformation qui étaient à la fois juste des fausses nouvelles et à la fois des thèses complotistes.
Malgré les nombreux efforts mis en place pour contre l’un comme l’autre, force est de constater que les deux phénomènes ne sont pas à la veille de disparaitre. C’est l’une des raisons pour lesquelles Le français pour l’avenir a choisi d’amener les jeunes à une réflexion sur ce thème de cette année :
«C’est un grand sujet lié à la pandémie. Ça existait avant, mais on a vu le potentiel de danger de croire à certaines nouvelles sans en vérifier l’exactitude», conclut Victoria Gaudry.