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le Vendredi 10 juillet 2020 14:33 Société

À l’Île-du-Prince-Édouard, des résidents saisonniers ciblés à tort

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Les contrôles à l’arrivée du pont de la Confédération sont draconiens. Les résidents saisonniers doivent notamment démontrer qu’ils pourront s’auto-isoler deux semaines sans problème. — Laurent Rigaux
Les contrôles à l’arrivée du pont de la Confédération sont draconiens. Les résidents saisonniers doivent notamment démontrer qu’ils pourront s’auto-isoler deux semaines sans problème.
Laurent Rigaux
FRANCOPRESSE – «De la xénophobie à l’Île-du-Prince-Édouard!» Un titre un peu trompeur qui a défrayé la manchette dans les grands quotidiens au début juillet, à la suite d’une série d’incidents entre des Insulaires et des résidents saisonniers. Depuis que ces derniers sont autorisés à venir dans la province, la crainte des Prince-Édouardiens face à la pandémie s’est exacerbée ; certains aimeraient couper les ponts avec le continent. Pourtant, les nouveaux cas recensés ces derniers temps n’ont rien à voir avec les estivaux ou l’ouverture de la bulle atlantique.
À l’Île-du-Prince-Édouard, des résidents saisonniers ciblés à tort
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«Il me semble que les médias ont répété les mêmes situations malheureuses isolées, estime Marie Brien, une résidente saisonnière de l’Î.-P.-É. originaire de l’Ontario. La peur initiale, basée surtout sur les commentaires négatifs en ligne, s’est en grande partie dissipée.» Quelques semaines plus tôt, elle s’inquiétait elle aussi des comportements parfois virulents de certains face à des non-Insulaires.

L’annonce, le 20 mai, de l’ouverture des frontières de l’Î.-P.-É. a eu l’effet d’une étincelle. De nombreux Insulaires ont manifesté leur incompréhension face à une décision qu’ils jugeaient trop rapide. Certains sont restés calmes, d’autres ont été plus agressifs, allant jusqu’à lancer une pétition virulente contre les autorités, dont la médecin-hygiéniste en chef de la province, la Dre Heather Morrison.

Avec l’autorisation de Jordan Bujold

Penser avant d’agir

Des incidents ont éclaté, dont celui, largement commenté, de l’étudiante à l’Université de l’Î.-P.-É. Jordan Bujold, qui a vu sa voiture vandalisée. La jeune femme, originaire du Nouveau-Brunswick, a relayé sa mésaventure sur Facebook le 20 juin.

Dans sa publication, qui a été partagée plus de 1300 fois, elle souligne qu’elle est témoin de l’impact de la peur sur les gens depuis le début de la pandémie. «Je ne peux pas croire que je dois dire ceci, mais BONJOUR VOUS AVEZ OUBLIÉ L’UNIVERSITÉ ET LES COLLÈGES. Les étudiants restent sur l’ile en été pour poursuivre leurs études ou travailler.»

Elle rappelle qu’il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les voitures sont immatriculées dans d’autres provinces.

S’il vous plait, pensez-y avant d’endommager des véhicules en raison de la colère, la peur ou la rancune.

— Jordan Bujold, étudiante victime de vandalisme

Ces évènements, après neuf semaines de crise et des résultats sanitaires enviables, ont fait réagir le premier ministre Dennis King dès le 22 mai : «Je comprends que les gens soient inquiets, je le suis aussi, mais nous ne devons pas être paralysés».

Le premier ministre estimait que certains commentaires contre Heather Morrison avaient «dépassé les limites». Des internautes s’opposaient de manière virulente à l’ouverture partielle de la frontière alors que les visites aux ainés et les réunions familiales étaient interdites.

La médecin-hygiéniste en chef elle-même avait craqué pendant son briefing en demandant aux Insulaires d’être «patients» et «gentils».

Laurent Rigaux

L’opposition accusée «d’agiter les peurs»

L’opposition politique a surfé sur ces peurs en les relayant à l’Assemblée législative. Dès le premier jour de la session printanière, le 26 mai, le leadeur des verts, Peter Bevan-Baker, demandait à Dennis King de revenir sur une décision «incompréhensible».

«Chaque fois qu’on permet à un nouveau groupe de venir, on accroit le risque. Nous n’avons pas vu de preuves que c’est une décision sure», déclarait Peter Bevan-Baker à la presse.

Pourtant, toutes les précautions ont été prises par les autorités qui ont mis en place un processus strict pour l’arrivée des résidents estivaux. Itinéraire, date d’arrivée, preuve de résidence, accord pour s’isoler deux semaines, soutien sur place pour l’épicerie ; les résidents saisonniers doivent montrer patte blanche avant d’entreprendre leur voyage.

Et surtout, un maximum de 500 personnes par semaine est fixé pour permettre d’effectuer des contrôles de l’auto-isolement.

Laurent Rigaux

Les nouveaux cas ne sont pas des saisonniers

Le 3 juillet, jour de l’ouverture de la bulle atlantique, le premier ministre Dennis King était présent dans la matinée pour accueillir les voyageurs à la sortie du pont de la Confédération. Des sacs de pommes de terre, renfermant en réalité un échantillon de produits locaux made in PEI, étaient distribués aux automobilistes.

L’Ile, récemment épinglée pour des incidents contre des voyageurs d’autres provinces, tient à montrer qu’elle est toujours aussi accueillante.

Les demandes d’accès des estivaux ont été examinées un peu plus vite que prévu, ce qui n’a pas manqué de provoquer de nouveaux remous sur les réseaux sociaux et en Chambre.

Le leadeur de l’opposition officielle a profité de la brèche pour réattaquer le gouvernement sur sa communication, lui demandant «comment il comptait regagner la confiance des Insulaires». Dennis King a mal pris ces critiques, accusant Peter Bevan-Baker d’«agiter les peurs» et de jouer un jeu politique avec une rhétorique «incendiaire».

Laurent Rigaux

Les saisonniers restent prudents

De nombreux résidents saisonniers craignent encore la réaction de certains Insulaires quand ils seront sortis de l’auto-isolement et circuleront à l’Ile avec une plaque d’immatriculation ontarienne ou québécoise, notamment. «Plusieurs d’entre nous avons demandé et reçu une lettre de la santé publique confirmant nos quarantaines complétées. Ainsi, si on se fait apostropher, on peut montrer cette lettre», explique Marie Brien, prudente.

Contactée, Jordan Bujold se félicite que son message attire l’attention face à une situation qui pourrait empirer au fur et à mesure que l’Ile s’ouvre au reste du pays :

Je m’inquiète pour mes camarades de classe, d’autant plus que la plupart d’entre nous sont financièrement désavantagés en ce moment, et donc le vandalisme est un énorme facteur de stress.

— Jordan Bujold, étudiante victime de vandalisme

L’étudiante au Collège vétérinaire de l’Atlantique souhaite cependant passer à autre chose, notant qu’être discriminée à cause d’une plaque d’immatriculation est moins grave que de l’être «en raison de la couleur de sa peau».

«Toutes nos connaissances nous ont souhaité la bienvenue», ajoute Linda Gallant, venue de Saskatchewan à son chalet en région Évangéline. La résidente précise toutefois qu’elle a «des plaques d’immatriculation de l’Ile» ce qui, selon elle, lui évite de potentiels problèmes.

Surtout, la Fransaskoise note que les nouveaux cas signalés depuis quelques jours à l’Î.-P.-É. sont tous des Insulaires : «Au moins, on ne va pas nous blâmer pour cela!»