Les sapins de Noël naturels piquent la vedette… mais sont-ils plus écologiques? «Il n’y a pas une réponse claire, il faut vraiment analyser toutes les étapes et le cycle de la vie du sapin», amorce Laurence Bolduc, spécialiste en communication et engagement à la Fondation David Suzuki.
Certains sapins vendus dans la ferme familiale d’Yvon Brabant ont fait des bourgeons. Photo : Courtoisie
«Un sapin artificiel peut être réutilisé plusieurs fois, mais il n’est pas recyclable», rappelle la professeure au département des Sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi, Myriam Ertz.
Pour que son impact environnemental soit réduit, «cela nécessite quand même de l’utiliser pendant un certain temps – entre 5 et 20 ans, selon différents rapports – et, évidemment, ça dépend beaucoup des composantes qui entrent dans sa production», nuance la chercheuse.
L’empreinte carbone des sapins artificiels reste trois fois plus importante que celle des sapins naturels, rapporte la Fondation David Suzuki. Ils génèrent d’importantes émissions de gaz à effet de serre lors de leur production et la plupart sont importés.
Mais si le sapin naturel semble prendre l’avantage, la partie n’est pas encore gagnée.
Une industrie bien implantée au Canada
La demande de sapins de Noël naturels a explosé durant la pandémie et continue d’augmenter chaque année, observe la directrice générale de Christmas Tree Farmers of Ontario, Shirley Brennan.
L’industrie des arbres de Noël au Canada représente près de 163 millions de dollars par année. Un chiffre qui pourrait légèrement baisser cette année en raison de la perte de certaines commandes destinées aux États-Unis, précise la responsable.
Le secteur se divise en deux volets : «Au Québec et dans les Maritimes, il s’agit principalement d’une industrie de gros. Ce sont les arbres que vous voyez abattus et qui sont exportés vers d’autres pays.»
En Ontario et en Colombie-Britannique, c’est plutôt «une exploitation de type “you cut”, où les gens viennent à la ferme et abattent eux-mêmes leur arbre».
Du sapin biologique au sapin en pot
«On parle beaucoup du naturel versus l’artificiel, mais ce ne sont pas les seules options possibles. Même parmi les sapins naturels, il y a des sous-catégories», indique Myriam Ertz.
Il faut savoir que la plupart des sapins qu’on vend, par exemple sur les stationnements, ce sont des arbres qui vont être traités avec des composantes chimiques pour donner une petite couleur vert foncé, bleutée, alors qu’un sapin biologique n’est pas traité.
Les méthodes de production varient également d’un champ à l’autre. «Si c’est une monoculture, ça peut fragiliser les sols, ça réduit la biodiversité. Il peut aussi y avoir des pesticides, etc. Versus un endroit où il va y avoir d’autres plantations avec les sapins», relève de son côté Laurence Bolduc.
Quant au sapin en pot, il faut le prendre avec des pincettes, prévient la spécialiste. Contrairement au sapin coupé, celui en pot reste vivant : ses racines lui permettent de continuer à pousser. Mais il nécessite un entretien rigoureux pour survivre après la replantation.
«C’est un peu comme si vous prenez des poissons et que vous les mettez dans un bassin. Il y en a peut-être certains qui vont survivre, mais d’autres non, parce qu’on le coupe quand même de son environnement naturel», illustre Myriam Ertz.
Une industrie de plus en plus verte?
«Quand les sapins poussent, ça capture le CO2, donc ça, c’est aussi positif», note Laurence Bolduc.
Selon Shirley Brennan, le succès des sapins naturels s’explique en partie par le fait que «la jeune génération recherche des produits naturels et que les nouveaux arrivants au Canada veulent adopter cette tradition».
Shirley Brennan est formelle : à ses yeux, l’industrie est déjà écologique, car elle propose un «produit 100 % biodégradable» et elle veut le devenir davantage.
«Ce sont les petites choses qui ont le plus grand impact» en matière de lutte au changement climatique. Elle cite l’utilisation de filets biodégradables autour des arbres, le fait d’acheter des fournitures en plus grandes quantités ou de ne pas utiliser de plastiques jetables.
«Beaucoup d’arboriculteurs ne disposent pas de systèmes d’irrigation, ils arrosent leurs arbres à la main. Nous travaillons également beaucoup sur la restauration des terres et la gestion responsable des cours d’eau pour lutter contre l’érosion des sols.»
Le transport – l’un des facteurs les plus polluants – pèse aussi dans la balance. «Si ton sapin naturel a parcouru je ne sais pas combien de kilomètres pour venir, tu n’es plus dans un choix écologique», souligne Laurence Bolduc. La meilleure option reste alors la production locale.
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«Il y a beaucoup de fermiers qui se retournent vers les procédés de nos parents et grands-parents : ne pas retourner la terre trop haut, diminuer les engrais chimiques le plus possible, planter des barrières contre le vent avec des lignes d’arbres, ce qui réduit l’érosion», décrit Yvon Brabant.
Les producteurs face aux changements climatiques
Cela fait 23 ans qu’Yvon Brabant est propriétaire de la ferme de Sapin de Noël Brabant, à Casselman, en Ontario. Il utilise des méthodes naturelles pour entretenir ses arbres, comme étendre du compost sur ses champs pour les protéger du soleil ou disposer de la cendre autour pour les enrichir.
La production d’un sapin de 2,5 mètres nécessite 14 ans de travail entre l’ensemencement et la coupe, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Yvon Brabant dispose d’environ 10 champs en croissance. Il s’attendait à en avoir sept à huit en production; actuellement, il n’en a que quatre.
«À cause des changements climatiques, ça a été retardé d’au moins deux ans, sinon trois.» Les épisodes de sècheresse lui ont fait perdre de 250 à 300 arbres. «Ils étaient verts puis en trois mois ils sont tombés jaunes, puis rouges. Puis là, ils ont tous perdu leurs aiguilles très rapidement.»
À 80 $ l’arbre, le manque à gagner se fait vite ressentir. «J’ai probablement une perte de 20 à 30 % de revenus.»
À cause de la composition de son terrain, plein de ravins, il ne peut pas utiliser de gros équipements. Il a donc dû s’adapter : faire creuser un puits de surface, installer une pompe et, comme sa ferme n’a pas d’électricité, mettre en place un système de batteries alimenté par panneaux solaires. Il devra sans doute aussi investir dans un canon à eau.
«C’est toute une activité que je ne m’attendais pas à devoir faire. Je pensais pouvoir juste me concentrer à tailler, planter et vendre des arbres, puis couper le gazon, mettons; mais c’est beaucoup plus que ça», raconte le septuagénaire.
Quelle alternative?
Depuis plusieurs années, d’autres joueurs se taillent une place sur le marché, comme les sapins en bois ou en feutre. «Pour les enfants, c’est particulièrement amusant. Ça permet en fait de coller et de décoller les décorations», fait remarquer Myriam Ertz.
Un sapin fait de livres.
Mais le sapin traditionnel a encore de beaux jours devant lui. Ces options émergentes restent «marginales», estime la chercheuse. «Ça a augmenté légèrement, on dit que c’est “en vogue”, mais ça ne s’est clairement pas généralisé.»
Elle souligne toutefois que les utilisateurs aiment avoir le choix. «Les gens sont souvent en mode exploration test : une année, ça va être naturel, l’année d’après on va tenter le bois, etc.»
D’autres options Do it yourself existent, comme créer un sapin avec des livres ou décorer une plante.
Et après les Fêtes?
Les sapins naturels peuvent être amenés dans des centres de collecte ou directement déposés dans des bacs à déchets, selon ce que proposent les municipalités.
Ils peuvent servir de compost, être transformés en paillis ou encore servir à la confection d’huiles essentielles. «Tu peux aussi le mettre dans ta cour, ça fait comme un refuge naturel pour les oiseaux», énumère Laurence Bolduc.
«On peut être tenté de le bruler dans son foyer domestique. On le déconseille quand même parce qu’il y a un risque d’incendie assez important, d’encrassement de la cheminée aussi et d’émissions polluantes», prévient Myriam Ertz.
