le Lundi 13 octobre 2025
le Samedi 11 octobre 2025 6:30 Sciences et environnement

Vivre sans voiture en milieu rural : est-ce possible au Canada?

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Près de 20 % de la population canadienne vit au sein de collectivités rurales, éloignées, autochtones, côtières ou du Nord, selon Innovation, Sciences et Développement économique Canada.  — Photo : Marius Matuschzik – Unsplash
Près de 20 % de la population canadienne vit au sein de collectivités rurales, éloignées, autochtones, côtières ou du Nord, selon Innovation, Sciences et Développement économique Canada.
Photo : Marius Matuschzik – Unsplash

FRANCOPRESSE – En milieu rural au Canada, vivre sans voiture relève souvent de l’impossible. Faute de transport collectif, des communautés se retrouvent isolées. Quelques initiatives locales offrent des solutions, mais les options restent rares et varient grandement d’une région à l’autre, alors que la demande est bien réelle.

Vivre sans voiture en milieu rural : est-ce possible au Canada?
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«J’ai une voiture depuis toujours. En campagne, on n’a pas vraiment le choix», lâche Marianne Vancaemelbeke. Elle habite à environ 5 km du centre d’Alfred, une localité ontarienne située à quelque 80 km à l’est d’Ottawa.

«Si un jour je deviens incapable de conduire une voiture, on est obligé de déménager soit dans le village, à côté de la pharmacie puis du magasin général, ou aller en ville, ce que je ne voudrais vraiment pas faire.»

— Marianne Vancaemelbeke

À l’époque où elle était directrice de l’Union culturelle des Franco-Ontariennes, certains candidats ne pouvaient pas accepter d’emploi au sein de l’organisme, faute de moyen de transport.

«S’il y avait eu un autobus plus fréquent entre Ottawa et Alfred, puis entre les villages, ça aurait aidé beaucoup pour la mobilité des employés», dit-elle.

Solutions sur mesure

«On assume qu’en milieu rural, tout le monde a sa voiture et qu’il peut se déplacer autant qu’il veut. Mais les réalités économiques font qu’il y a plein de gens qui n’ont pas de voiture ou qui n’ont pas de l’argent pour mettre de l’essence dans la leur. Et donc ils souhaiteraient avoir d’autres options de mobilité pour se déplacer», observe Jérôme Laviolette, chercheur postdoctoral à l’Université McGill en planification des transports.

«Il y a aussi généralement beaucoup moins d’investissements et de recherche qui se font sur la mobilité en milieu rural, parce que les universités ne sont pas en milieu rural. Les chercheurs vont souvent regarder ce qui se fait dans leur propre ville, sans nécessairement aller voir comment on pourrait améliorer la mobilité en ruralité», remarque Jérôme Laviolette. 

Photo : Courtoisie

«Généralement, dans des petites villes, le transport collectif va bien fonctionner quand on a un centre urbain un peu plus gros, puis on va tenter d’organiser du transport intermunicipalités», ajoute-t-il.

La Colombie-Britannique propose son propre service d’autobus via une société d’État, BC Transit, à l’échelle de toute la province, en dehors de la région de Vancouver. Un modèle de réseau à suivre selon le chercheur, car il permet de subventionner les lignes moins utilisées par celles qui le sont plus.

Mais d’après lui, ce type d’option s’adresse avant tout aux personnes extrêmement convaincues ou à celles qui n’ont pas nécessairement les ressources financières pour posséder une voiture : «C’est un service minimum.» Il note par exemple que souvent, les horaires se limitent aux heures de pointe.

Les gens qui le font, ils le font rarement par choix. Parce que si t’as le choix, tu vas l’avoir la voiture.

— Jérôme Laviolette

À lire ailleurs : Pourquoi se déplacer vers le Québec sans voiture reste un véritable casse-tête? (Acadie Nouvelle)

«On s’entraide»

Agathe Breton-Plouffe est agente de liaison communautaire pour l’Association francophone de Red Lake, dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Dans ce village où l’activité minière est importante, «il y a beaucoup de va-et-vient», remarque-t-elle.

Les nouveaux arrivants et les nouvelles arrivantes qui viennent s’y installer sont souvent déstabilisés. Ces personnes arrivent «dans un milieu éloigné, au bout de l’autoroute 105, au milieu du bois», sans posséder une voiture.

«C’est quand même isolant quand t’essaies de t’intégrer dans la communauté pis tu peux pas participer à plein de choses à cause que t’es pris et que tu peux pas te déplacer», déplore Agathe Breton-Plouffe. 

Photo : Courtoisie

L’année dernière, certaines ne pouvaient pas se rendre à Thunder Bay pour passer des tests de reconnaissance d’acquis nécessaires pour enseigner en français en Ontario. C’est précisément cette situation enclavée qui fait que la communauté francophone est tissée serrée et s’entraide, raconte-t-elle, notamment pour les déplacements.

Car ici, point d’autobus, de train ou même de service Uber : «Ça prend deux heures conduire jusqu’à l’autoroute 17, qui se rend jusqu’à Winnipeg ou Thunder Bay.» Deux villes qui se situent respectivement à plus de 5 h et 6 h de route de Red Lake.

Il y a certes un service de taxi, mais il n’est pas «100 % fiable», est souvent surchargé et est cher, précise-t-elle.

La municipalité de Red Lake vient de présenter les résultats d’une étude de faisabilité pour mettre sur pied un projet de transport en commun adapté à la réalité et aux besoins de la communauté. Elle a notamment rapporté des initiatives à l’œuvre dans d’autres communautés rurales ontariennes, comme à Wawa, située à la pointe nord-est du lac Supérieur.

Pour lutter contre une pénurie de chauffeurs d’autobus, cette localité a conclu un arrangement avec le conducteur de l’autobus scolaire, qui, une fois son service terminé, prenait le volant de l’autobus communautaire.

«Il y avait juste certaines heures qui étaient disponibles, mais au moins, ça donnait l’option aux résidents pour aller à des rendez-vous médicaux par exemple», raconte Agathe Breton-Plouffe.

À Red Lake, les navettes qui transportent le personnel à la mine pourraient peut-être faire de même, suggère-t-elle.

À lire : Le défi de vieillir en français chez soi

Autopartage en contexte rural : l’exemple de Communauto

Présente dans plusieurs villes canadiennes, la plateforme Communauto offre un service d’autopartage permettant aux usagers de réserver et d’utiliser des voitures en libre-service pour de courtes ou longues périodes.

Elle est depuis peu présente dans les localités québécoises de Chelsea et La Pêche, en périphérie de Gatineau, au nord d’Ottawa. Huit véhicules hybrides rechargeables y sont actuellement stationnés et leur nombre devrait à terme passer à 16.

Porté par le Conseil régional de l’environnement et du développement durable de l’Outaouais (CREDDO), cette initiative, lancée en septembre 2024, vise à réduire la dépendance à l’automobile individuelle, les émissions de gaz à effet de serre et les besoins en stationnement dans les nouveaux logements résidentiels.

«L’idée n’est pas de remplacer la première voiture, mais la deuxième», explique Benoit Delage, le directeur général du CREDDO. Et aussi de réduire les couts liés au stationnement, pour les utilisateurs, mais aussi les municipalités.

Isolement et santé mentale

Car la demande est bien là, assure Agathe Breton-Plouffe. Personnes âgées, jeunes, nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes, travailleurs et travailleuses : «Ça touche tout le monde.»

Le manque d’options de transport nuit particulièrement aux communautés autochtones, racisées et à faible revenu dans les zones rurales, rappelle l’Association canadienne du droit de l’environnement.

Koonis Joyal a grandi dans une communauté autochtone en Saskatchewan. Chez lui, le covoiturage s’organise surtout par le bouche-à-oreille : «Quelqu’un que tu connais, tu peux juste demander : “Tu vas-tu en ville ou veux-tu aller en ville?”»

Il parle carrément de «question de santé mentale» : «Quand on passe beaucoup de temps dans des espaces ruraux, on s’isole. Quand on s’isole, on augmente nos chances de maladies mentales. Ça peut devenir lourd.»

Quand j’ai vécu autour de plusieurs personnes isolées, je me considère chanceux d’avoir eu un char pour aller rejoindre du monde plus heureux socialement. Même si c’était seulement pour un petit montant de temps, ça valait la peine de faire une heure de route pour pas virer fou.

— Koonis Joyal

Volonté politique

Le transport demeure principalement une compétence provinciale. «Il faut que les provinces se dotent de stratégies, de plans de mobilité, hors des grands centres urbains, pour être capables d’avoir des initiatives cohérentes à travers l’ensemble de chaque province», plaide Jérôme Laviolette.

Les municipalités ou régions peuvent aussi mettre en place des programmes de subventions pour l’achat d’un vélo à assistance électrique.

Au fédéral, un fonds de Logement, Infrastructures et Collectivités Canada vise à améliorer les services de transports en commun en milieu rural.

Grâce à ce programme, plusieurs collectivités du Manitoba ont par exemple fait l’acquisition de minifourgonnettes électriques et hybrides accessibles, ont installé des bornes et des plateformes de recharge ou encore ont modernisé des garages municipaux.

Ce fonds connait un grand succès. Le ministère fait d’ailleurs état d’un «nombre croissant de demandeurs».

Question d’habitude… et de choix

Les municipalités peuvent aussi encourager les gens qui ont une auto à se déplacer à pied ou à vélo. Mais encore faut-il rendre l’expérience attractive.

«Marcher sur des trottoirs minuscules tout tassés où il n’y a pas d’arbres, où il n’y a pas d’ombre, où on est sur le bord d’une route passante à 70 kilomètres à l’heure, il n’y a personne qui aime ça», relève Jérôme Laviolette.

Et, c’est bien connu, l’être humain change difficilement ses habitudes. Ce n’est pas parce que les municipalités mettent en place de nouveaux modes de transport que la population va les adopter d’emblée.

«Même si on veut mettre en place des alternatives à l’automobile, comment est-ce qu’on arrive non seulement à ce que les gens soient informés et après ça qu’ils considèrent ça dans leur choix pour se déplacer?», interroge le spécialiste.

À lire : Ruralité et politique : des programmes conçus pour les villes?

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Données de parution:

Montréal

Camille Langlade

Cheffe de pupitre

Adresse électronique: