le Lundi 28 juillet 2025
le Lundi 28 juillet 2025 6:30 Sciences et environnement

Agriculture et climat : une relation compliquée

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Traditionnellement, les agriculteurs labourent leurs champs. Mais pour faciliter le stockage du carbone dans le sol et lutter contre les changements climatiques, les scientifiques recommandent de travailler la terre le moins possible. — Photo : Richard Bell – Unsplash
Traditionnellement, les agriculteurs labourent leurs champs. Mais pour faciliter le stockage du carbone dans le sol et lutter contre les changements climatiques, les scientifiques recommandent de travailler la terre le moins possible.
Photo : Richard Bell – Unsplash
FRANCOPRESSE – L’agriculture représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Il y a des solutions et des programmes d’aide pour réduire les rejets polluants. Toutefois, le changement des pratiques n’est pas toujours une priorité des agriculteurs.
Agriculture et climat : une relation compliquée
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«Je réfléchis toujours à comment réduire mes émissions polluantes et à préserver la santé de mes sols», raconte le propriétaire de la ferme Les racines Légère à Caraquet au Nouveau-Brunswick, Alexis Légère.

«Je suis capable de bien vivre. Je génère des marges de profit probablement meilleures qu’un agriculteur conventionnel, car mes couts initiaux d’investissement, d’achat d’équipement sont plus faibles», affirme le maraicher Alexis Légère, au Nouveau-Brunswick. 

Photo : Courtoisie

Depuis quatre ans, l’Acadien possède un demi-acre de champ en modèle bio-intensif. Autrement dit, il cultive en rotation une trentaine de variétés de légumes qu’il vend en circuit court.

Sur son lopin de terre, l’ancien militant écologiste ne met ni engrais de synthèse ni pesticides dérivés du pétrole. Il privilégie du compost «organique et local». Mis à part son camion de livraison, il n’utilise aucune machinerie à essence.

«J’ai réalisé que l’agriculture était l’un des secteurs les plus polluants de la planète et j’ai pris des actions concrètes pour changer les choses et faire le plus durablement possible», partage le trentenaire, qui dit parvenir à dégager 60 000 dollars de revenus par an.

Selon le gouvernement, l’agriculture est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada – exclusion faite du transport agricole et de la production d’engrais. Elle dégage principalement du dioxyde de carbone (CO2), du méthane et de l’oxyde nitreux.

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«Modifier un grand nombre de nos pratiques agricoles»

Les rejets d’oxyde nitreux, «en augmentation», sont attribuables à l’utilisation d’engrais azotés «pour fertiliser le canola dans les Prairies et le maïs en Ontario et au Québec», explique le directeur du Centre pour la gestion durable des sols de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, David Burton.

«En augmentant la matière organique dans le sol pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, on améliore également la capacité du sol à retenir l’eau, ce qui lui confère une résistance à la sècheresse», détaille David Burton de l’Université Dalhousie. 

Photo : Courtoisie

Sous-produit de la digestion des animaux, le méthane est, lui, libéré dans l’air par les flatulences et les rots des ruminants et le stockage à long terme du fumier.

Selon David Burton, l’Alberta est la province qui arrive en tête des émissions de ce gaz au pouvoir réchauffant bien plus élevé que le CO2, puisqu’elle est l’une des plus grandes régions d’élevage de bétail au pays.

Le Canada s’est fixé comme objectif de réduire de 30 % ses rejets d’oxyde nitreux et de méthane d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2020.

«C’est tout à fait faisable, mais pour y parvenir, nous devrons modifier un grand nombre de nos pratiques agricoles, nous concentrer sur l’efficacité de la production plutôt que sur son ampleur», avance David Burton.

Il existe de nombreuses pistes prometteuses si l’on veut accélérer la décarbonation du secteur. Le chercheur basé en Alberta d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, Roland Kroebel, évoque par exemple le semis direct plutôt que le labour conventionnel, l’utilisation plus efficace des engrais azotés selon la règle de la bonne source, la bonne dose, au bon moment et au bon endroit.

«Mais dans le contexte agricole actuel au Canada, je ne pense pas que l’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui puisse se passer d’engrais», précise Roland Kroebel.

Plus de lin pour les vaches

Un avis que partage le vice-président de l’Union des cultivateurs franco-ontariens, Michel Dignard : «Grâce à l’amélioration des machineries et aux nouvelles technologies GPS plus précises, on a réduit la quantité d’engrais et d’herbicides qu’on utilise, mais c’est impossible de tout enlever.»

Dans le domaine de la production animale, le professeur associé à la Faculté de Sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, à Québec, Stéphane Godbout, conseille de modifier le régime alimentaire du bétail.

Une étude européenne de 2016 avait montré que remplacer l’ensilage de maïs ou le soja dans l’alimentation des vaches par des grains de lin cuit, riches en oméga 3, de la luzerne ou encore du foin permet de réduire leurs émissions de méthane et d’augmenter leur production de lait.

Stéphane Godbout recommande également une meilleure gestion du fumier, avec un entreposage couvert à température plus basse, un temps de stockage moins long, etc.

Plusieurs programmes, à l’image du Fonds fédéral d’action à la ferme pour le climat, aident financièrement les exploitants à mettre en œuvre ces meilleures pratiques.

Depuis 2021 et la création de 14 Laboratoires vivants, producteurs et scientifiques élaboreront et testent également conjointement des pratiques innovantes visant à réduire les émissions de GES.

«Ce sont des outils très efficaces pour convaincre les agriculteurs, car ils voient ces pratiques mises en œuvre par leurs confrères et fonctionner sur le terrain», salue Stéphane Godbout.

Petites fermes ou grandes fermes

Les grandes exploitations agricoles émettent-elles plus de GES que les petites? Pour Roland Kroebel d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, «il n’y a pas de relation directe entre la taille d’une ferme et ses émissions.»

«Vous pouvez trouver des petites exploitations qui sont absolument efficaces et d’autres qui ne le sont pas du tout», estime le chercheur.

«Plusieurs petites fermes qui émettent un peu relâcheront plus qu’une grande qui a adopté de bonnes pratiques pour réduire les gaz à effet de serre», renchérit Stéphane Godbout de l’Université Laval.

En revanche, David Burton de l’Université Dalhousie croit que «les grandes exploitations ne sont pas les meilleures, car elles sont très dépendantes des engrais et des herbicides et consomment beaucoup de carburant.»

«Je pense que les petites exploitations pensent plus à la santé de leur sol, à réduire les intrants et à utiliser des ressources comme le fumier animal et le compost», poursuit-il.

«Le modèle des grandes fermes est une anomalie mondiale, la majorité de la planète est nourrie par de petites fermes», appuie le maraicher Alexis Légère.

Réduire les rejets polluants, «une priorité pour la relève»

David Burton estime que la réduction des émissions de GES ne constitue pas «la première des priorités» des fermiers : «Ils s’inquiètent davantage de la sècheresse dans les Prairies, de leur situation financière.»

«Avant, on avait tendance à mettre l’engrais de bonne heure en une seule fois au printemps sur tout le champ. Aujourd’hui, avec l’aide de la technologie, on a le souci d’en mettre moins», assure l’agriculteur franco-ontarien, Michel Dignard. 

Photo : Courtoisie

«Nous n’avons pas réussi à leur faire comprendre qu’en diminuant leurs émissions, ils maintiendront leurs rendements, augmenteront leur rentabilité et deviendront moins sensibles aux aléas climatiques», regrette-t-il.

Michel Dignard considère pour sa part que les agriculteurs «essaient le plus possible de réduire leurs émissions, mais à des couts raisonnables», afin de maintenir leur exploitation à flot, dans un contexte de «compétition à l’international avec des marges de profit toujours plus petites».

«Réduire les rejets polluants est une priorité pour la relève, surtout pour la nouvelle génération d’agriculteurs qui n’hérite pas de la ferme et des pratiques des parents», renchérit Alexis Légère.

«La vieille génération y pense aussi, mais c’est moins accessible. La transition leur couterait trop cher. Ils seraient obligés de s’endetter, surtout s’ils produisent sur de grandes surfaces», ajoute celui qui est aussi président jeunesse de l’Union nationale des fermiers du Nouveau-Brunswick.

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Amortisseur climatique

Se contenter de montrer du doigt le secteur agricole serait en outre trop facile : il n’est pas seulement un secteur émetteur, il est aussi l’une des solutions pour stocker massivement du carbone et lutter contre le changement climatique.

«En nourrissant les sols avec de la matière organique, le carbone se retrouve dans le sol plutôt que dans l’atmosphère, explique David Burton. Mais cela suppose que l’on perturbe la terre le moins possible.»

En dehors des standards de l’agriculture conventionnelle, Alexis Légère prône ainsi des cultures sans labour, «qui augmentent la matière organique souterraine, reconstruient la vie des sols et réduisent l’érosion».

Pour Roland Kroebel d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, «la communauté agricole est beaucoup plus sensibilisée qu’auparavant» à la nécessité de réduire les GES. 

Photo : Courtoisie

Sur sa ferme, l’Acadien ne laisse presque jamais sa terre à nu : «Elle est toujours couverte avec des cultures qui lui permettent de rester en place, malgré les intempéries, et qui fixent l’azote et la matière organique.»

En Ontario, Michel Dignard assure que beaucoup de paysans travaillent désormais leur sol à minima et recourent «aux plantes de couverture durant l’automne pour capturer le carbone».

Qu’elle soit une source ou un puits de carbone, l’agriculture canadienne est déjà victime des changements climatiques. Les sècheresses, les inondations et les tempêtes ont des impacts sur les rendements agricoles et les pratiques des professionnels.

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Marine Ernoult

Journaliste

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