le Lundi 12 mai 2025
le Lundi 12 mai 2025 6:30 Sciences et environnement

Santé en français : un droit encore à réclamer et des calculs à repenser

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La discordance linguistique survient lorsqu’un patient ou une patiente n’est pas la même que celle du professionnel de la santé consulté.  — Photo : DC Studio sur Freepik
La discordance linguistique survient lorsqu’un patient ou une patiente n’est pas la même que celle du professionnel de la santé consulté.
Photo : DC Studio sur Freepik
FRANCOPRESSE – L’accès équitable aux soins de santé en français demeure un combat quotidien pour de nombreux francophones en milieu minoritaire. Deux études présentées au 92ᵉ Congrès de l’Acfas révèlent à la fois les effets invisibles de la discordance linguistique et les limites des outils actuels pour mesurer l’accès aux soins.
Santé en français : un droit encore à réclamer et des calculs à repenser
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Au Nouveau-Brunswick, province officiellement bilingue, les patientes et patients francophones font encore face à d’importants obstacles linguistiques dans le système de santé, en dépit des obligations légales.

Une étude exploratoire sur la discordance linguistique a mis ces obstacles en lumière. Elle a été présentée le mardi 6 mai lors d’un colloque tenu dans le cadre du 92ᵉ Congrès de l’Acfas.

«Les patients se sentent souvent coupables de demander un service en français, même lorsqu’ils connaissent leurs droits», ont affirmé les autrices de l’étude, Shayna-Eve Hébert et Isabelle Violette, chercheuses à l’Université de Moncton.

Reposant sur 12 entrevues qualitatives, menées entre juin et novembre 2024 avec des francophones atteints de maladies chroniques, cette recherche met l’accent sur l’expérience vécue, les émotions et les stratégies de contournement déployées par les patients pour accéder à des soins dans leur langue.

L’étude révèle que la discordance linguistique – c’est-à-dire un décalage entre la langue du patient et celle utilisée par le professionnel de la santé – entraine des effets concrets, mais souvent invisibles.

«Cette discordance ne se limite pas à la langue parlée : elle inclut aussi un vocabulaire trop technique ou un accent difficilement compréhensible, notamment dans les échanges avec certains spécialistes», précise Shayna-Eve Hébert, doctorante en sociolinguistique.

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Le 92ᵉ Congrès de l’Acfas en bref

Le congrès annuel de l’Acfas est le plus grand rassemblement scientifique multidisciplinaire de la francophonie. Il a eu lieu cette année à Montréal du 6 au 10 mai 2025. Il y a eu plus de 240 colloques scientifiques et conférences en ligne et en présentiel ainsi que des activités spéciales, grand public et de vulgarisation scientifique.

Impact sur la santé

«Au-delà des difficultés de communication, la discordance linguistique provoque des effets émotifs, identitaires, mais aussi physiques», relève pour sa part Isabelle Violette, professeure de sociolinguistique au campus de Moncton.

Selon Isabelle Violette (en noir), le manque d’information claire dans leur langue maternelle compromet la capacité des patients à prendre des décisions éclairées. 

Photo : Courtoisie

Les chercheuses rapportent des témoignages de patients évoquant de l’anxiété accrue ou une hausse de la pression artérielle.

«Plus on progresse dans le système de santé – notamment vers les soins spécialisés –, plus il faut faire des concessions linguistiques. Dans ces services, il n’y a souvent plus d’option pour recevoir des soins en français», résume Isabelle Violette.

Selon elle, le fardeau repose en grande partie sur les épaules des patients francophones, qui doivent s’adapter à un système «anglo-dominant», marqué par une distribution inégale du bilinguisme, surtout dans les régions rurales ou éloignées.

«Cette discordance n’est pas qu’un obstacle pratique : elle s’inscrit dans une dynamique plus large de minorisation linguistique, où les patients francophones doivent constamment s’ajuster, parfois au détriment de leur santé», a souligné Mme Violette.

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Réaffirmer l’offre active

Les chercheuses insistent sur l’importance de renforcer l’offre active, un principe qui veut que les services en français soient proposés de manière proactive, sans que les patients aient à les réclamer. «Cela permettrait de recentrer la responsabilité sur le système de santé, plutôt que sur les individus eux-mêmes», insiste Shayna-Eve Hébert.

Le colloque sur l’offre des services de santé dans les langues minoritaires du 92e congrès de l’Acfas a mis en lumière les défis et avancées liés à l’accès aux soins dans la langue du patient. 

Photo : Courtoisie

Parmi les recommandations avancées figurent l’affichage de la langue de préférence sur les bracelets hospitaliers, la création d’un répertoire linguistique du personnel et un meilleur jumelage linguistique entre soignant et patient.

Pour améliorer la collecte de données sur la réalité linguistique des soins, les chercheuses proposent également la mise en place d’une base de données administrative contenant des variables linguistiques et l’instauration d’un journal de bord tenu par les patients, afin de mieux documenter leur parcours linguistique dans le système de santé.

Mesurer autrement l’accès aux soins linguistiques

Une autre étude, présentée au même colloque par Patrick Timony de l’Université Laurentienne de Sudbury en Ontario, propose de repenser la façon dont est mesuré l’accès aux soins de santé dans la langue du patient.

En ce sens, Patrick Timony critique les approches traditionnelles qui utilisent les ratios de médecins francophones par nombre de francophones et qui, selon lui, surestiment l’accès réel des francophones aux soins en français.

«Les francophones ne sont pas les seuls à consulter les médecins francophones. Il faut tenir compte de la concurrence linguistique intergroupe pour évaluer l’accès réel», explique-t-il.

Se basant sur les données du recensement de 2021 ainsi que sur celles de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, l’étude prend cette province comme exemple.

La nouvelle approche présentée par Patrick Timony a révélé qu’il y a, en Ontario, 0.09 médecin francophone par 1000 habitants. 

Photo : Courtoisie

Ainsi l’approche suggérée propose des ratios ajustés et des probabilités d’accès réelles. Selon ses calculs, les anglophones sont assurés à 100 % d’être servis dans leur langue tandis que les francophones, eux, n’ont que 11,4 % de chances d’être jumelés à un médecin francophone.

«En d’autres mots, un anglophone a 8,8 fois plus de chances d’être servi dans sa langue qu’un francophone», souligne Patrick Timony.

Le chercheur note que paradoxalement, dans les régions à forte densité francophone, l’accès s’améliore, même si le nombre absolu de médecins francophones diminue, note le chercheur.

«Cela s’explique par une réduction de la concurrence linguistique : dans un environnement plus homogène, les soins en français sont plus facilement accessibles», relève ce doctorant en santé dans les milieux ruraux et du Nord à Université Laurentienne.

«Ces résultats remettent en cause l’idée que les francophones sont suffisamment desservis dans certaines régions. Le sentiment de sécurité linguistique ne suit pas toujours la concentration démographique», conclut le chercheur.

Il appelle à repenser les outils de planification en santé et à développer une cartographie linguistique fine des médecins et des communautés pour améliorer le jumelage linguistique patient-prestataire.

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.