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le Vendredi 17 avril 2020 11:20 Sciences et environnement

Pourquoi les chiffres sur la COVID-19 sont à prendre avec réserve

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Le Dr Claude Flamand, de l’Institut Pasteur. — Courtoisie Claude Flamand
Le Dr Claude Flamand, de l’Institut Pasteur.
Courtoisie Claude Flamand
LA LIBERTÉ (Manitoba) – Le nouveau coronavirus qui se propage à travers le monde est le même pour tous. Pourtant de nombreux médias annoncent que le virus impacte certains pays plus que d’autres, allant même jusqu’à établir des classements entre pays ou entre provinces. Pourquoi le nombre de cas et le taux de létalité (le nombre de décès sur le nombre d’infections) varieraient autant d’un pays à l’autre s’il s’agit du même virus? Est-il juste d’établir des comparaisons entre pays, entre provinces dans ce contexte de pandémie? Le point avec Claude Flamand, docteur en épidémiologie et santé publique à l’Institut Pasteur.
Pourquoi les chiffres sur la COVID-19 sont à prendre avec réserve
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Le Dr Claude Flamand conseille d’entrée de jeu de rester prudent sur la comparaison du nombre de cas de COVID-19 et du taux de létalité associé dans les différents pays. À eux seuls, ces deux indicateurs ne sont pas suffisants pour avoir une idée claire de l’impact de l’épidémie.

En l’absence de tests sérologiques (prise de sang), la meilleure façon de connaitre le nombre réel de personnes infectées serait de tester tous les individus à plusieurs reprises pour rechercher le virus. Ce qui en soi n’est pas réalisable.

— Dr Claude Flamand

«Une autre option pour avoir des chiffres fiables consiste à mener des études sérologiques (prise de sang) auprès d’un groupe d’individus représentatif de la population entière. Ça permet d’estimer la proportion de la population ayant été en contact avec le virus.»

Mais en attendant que des tests sérologiques performants soient disponibles, on s’appuie sur ce que l’on a, c’est-à-dire sur le nombre de cas confirmés (1).

Et même quand on s’intéresse aux décès, on ne peut faire une comparaison raisonnable qu’en prenant en compte la surmortalité liée à la COVID-19. Cela ne peut se faire qu’en prenant en considération la distribution de l’âge dans les populations des pays touchés.

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Des stratégies de surveillance évolutives 

Les comparaisons du nombre de cas confirmés dans les différents pays posent problème.

En effet, les stratégies de surveillance et de dépistage varient fortement d’un pays à l’autre, et en fonction de l’avancée de l’épidémie.

Le Dr Flamand explique que «dans les premières phases d’une épidémie, c’est-à-dire avant l’installation d’une transmission communautaire, on cherche souvent à détecter les cas de la façon la plus exhaustive possible.»

Le but étant de prévenir l’apparition de cas secondaires, et ainsi de retarder au maximum la diffusion de la maladie. Mais si la situation évolue et que la diffusion du virus se généralise, la détection exhaustive des cas ne peut plus être garantie. Les modalités initiales de dépistage sont alors ajustées pour suivre au mieux la dynamique de l’épidémie.

— Dr Claude Flamand

Le Dr Claude Flamand précise que «on passe alors d’une surveillance individuelle à une surveillance de population. À ces fins, une des stratégies mises sur pied dans de nombreux pays s’appuie sur ce que l’on appelle les réseaux de médecins sentinelles.»

Ces réseaux de médecins sentinelles sont en fait un groupe de médecins échantillon, répartis sur l’ensemble du pays, sur lequel les épidémiologistes s’appuient pour suivre l’évolution de l’épidémie.

Le Dr Claude Flamand explique que «ces médecins signalent ce que l’on appelle les cas suspects» (2).

«On ne sait donc pas encore, à ce moment-là, s’ils sont atteints de COVID-19, d’une grippe saisonnière ou d’une autre maladie respiratoire. Mais cela permet d’avoir déjà une idée de l’impact du phénomène dans la population en général. Un certain nombre de cas suspects, souffrant d’une forme aigüe d’infection respiratoire, est ensuite testé.»

«Parmi eux, le nombre de cas positifs de COVID-19 est déterminé, et on peut alors suivre l’évolution hebdomadaire de la proportion du nombre de cas confirmés pour estimer l’impact de l’épidémie.»

Ces estimations représentent un enjeu majeur, car elles permettront, en étant rapportées au nombre de décès survenus chez des patients de COVID-19, d’évaluer la gravité réelle de la maladie. Malgré tout, quelle que soit la stratégie mise en place dans les pays touchés, il est clair que les chiffres rapportés par les différents pays varient fortement selon la prise en charge faite de la COVID-19 et des moyens de dépistage disponibles dans les zones touchées.

— Dr Claude Flamand

Éviter les conclusions hâtives

«Dans certains pays, comme la Chine, dans la région de Wuhan ou l’Italie, les autorités de santé se sont retrouvées très rapidement dans une situation de crise sanitaire marquée par des hôpitaux débordés et des difficultés de maintenir une bonne qualité de soins», enchaîne le Dr Claude Flamand. 

«Dans cette situation, le dépistage s’est limité aux cas les plus préoccupants, avec un taux de létalité s’élevant jusqu’à 4 % dans certains cas.»

«D’autres pays, comme la Corée du Sud ou l’Allemagne, ont appliqué une politique de dépistage très large dans la population, ce qui a permis de détecter des infections peu symptomatiques, voire totalement asymptomatiques. Dans ces pays, les taux de létalité sont bien plus faibles, compris entre 0,5 % et 1 %.»

«En fin d’épidémie, quand on connaitra le nombre de personnes touchées, y compris celles qui n’auront pas obtenu une confirmation pour la COVID-19, le taux de létalité calculé risque encore de diminuer.»

«Ce qu’il faut comprendre, c’est que le nombre de cas confirmés ne permet pas à lui seul d’informer sur l’ampleur du phénomène épidémique, car il ne représente que la partie émergée de l’iceberg.»

En considérant les cas suspects estimés lors de la phase de surveillance en population, on arrive à voir une partie plus importante de l’iceberg. Mais le véritable iceberg, on ne pourra le voir en entier que plus tard, avec des tests sérologiques qui permettront de déterminer la proportion de la population qui a été en contact avec le virus.

— Dr Claude Flamand

Lui-même est d’ailleurs en train de mener une étude dans plusieurs pays du réseau international des Instituts Pasteur, visant à mieux comprendre l’étendue de la transmission de la COVID-19 dans des foyers qui comptent des cas confirmés.

L’épidémiologiste explique : «Par cette recherche, on devrait pouvoir estimer la proportion de formes asymptomatiques et estimer plus précisément l’ampleur de l’épidémie. Notre but, c’est de voir la partie submergée de l’iceberg.»

(1) Le nombre de cas confirmés est le nombre de personnes testées positivement pour la COVID-19.

(2) Le nombre de cas suspects est le nombre total de personnes qui présentent des signes cliniques comme la fièvre ou la toux, mais qui ne sont pas encore confirmés positifs pour la COVID-19.