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le Vendredi 4 mars 2022 7:26 Publireportages

Présentiel, virtuel : quand le temps transforme les traditions

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Affiche des RVF — Photo : RVF
Affiche des RVF
Photo : RVF
PUBLIREPORTAGE – ll est possible de découvrir une foule de traditions en ligne, même d’apprendre des techniques artisanales grâce à YouTube. Mais, malgré la multitude de tutoriels sur Internet, rien ne vaut les échanges humains, estiment les ethnologues Élise Bégin, John Bodner et Jean-Pierre Pichette.
Présentiel, virtuel : quand le temps transforme les traditions
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Dans les milieux minoritaires, l’omniprésence des médias de masse américains fait parfois craindre la disparition de traditions bien à nous. Après tout, selon l’ethnologue John Bodner, Big Foot a avalé tous les autres monstres des forêts.

Avec deux concours ayant pour thème les traditions, un concours d’orthographe, des balados, un calendrier communautaire qui présentera des activités comme le brassage de bière artisanale, des sports d’hiver, des contes et de la musique, et une vitrine sur les documentaires de l’Office national du film (ONF), les Rendez-vous de la Francophonie mettent la table pour que les traditions se transmettent – en présentiel comme en virtuel.

Les portes-parole des Rendez-vous de la Francophonie 2022, Elisapie Isaac et Neev discutent des traditions et des RVF autour du feu.
Vidéo : RVF

La transmission change 

Le geste de transmission d’un savoir-faire peut se produire au moyen d’un tutoriel en ligne, mais il a plus souvent lieu intuitivement entre des personnes, estime l’ethnologue Jean-Pierre Pichette, longtemps associé à l’Université de Sudbury, en Ontario, et à l’Université Sainte-Anne, à la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse.

Mathieu et Michel Laforge ont dansé sur leurs bas lors de la noce de leur frère André, à Val Caron, dans la région de Sudbury.
Vidéo : Denis Laforge

«Ce sont des traditions tellement présentes qu’on ne pense pas les transmettre; elles se transmettent toutes seules. Comme des maladies», dit-il en riant.

L’ethnologue Jean-Pierre Pichette lors d’un atelier tenu en 2014.

Photo : Courtoisie Jean-Pierre Pichette

Il a notamment étudié la danse de l’ainé célibataire, observée en Ontario français, en Acadie et à quelques endroits aux États-Unis. Il y a même consacré un livre, paru aux Presses de l’Université Laval en 2019.

Cette tradition veut que les frères et sœurs ainés dansent sur leurs chaussettes le jour du mariage de leur cadet ou cadette s’ils sont encore célibataires.

D’abord punitive, cette coutume, aussi appelée la danse sur les bas, s’est transformée en geste comique. Certains ont même commencé à en élargir la pratique au-delà de l’idée originale.

«Les traditions populaires évoluent toujours», justifie l’ethnologue John Bodner de l’Université Memorial de Corner Brook, à Terre-Neuve. Elles sont interprétées et réinterprétées.

«La façon de conter il y a 150 ans n’est peut-être pas celle que tu veux employer maintenant ou celle d’importance pour la communauté aujourd’hui», explique-t-il.

La danse sur les bas.
De g. à d. : Christian Cloutier (Photo : Rémi Dumais), un mariage chez les Grzela de Timmins en 1999  (Photo : courtoisie Jean-Pierre Pichette), Candace Fortin Cook d’Elliot Lake (Photo : Courtoisie), Christian et Yannick Cloutier (Photo : Rémi Dumais)

Les traditions s’adaptent 

John Bodner soulève l’exemple des pêcheurs qui, ensemble, passaient des heures à réparer leurs filets de pêche. Ils en profitaient pour raconter des contes.

John Bodner est ethnologue au campus Grenfell de l’Université Memorial, à Corner Brook, Terre-Neuve.

Photo : Courtoisie

«Il leur fallait passer le temps. Quand les pêcheries changent, quand ce contexte change, les histoires changent. Elles raccourcissent, parce qu’on ne passe pas autant de temps avec les autres.» Et qu’on passe beaucoup de temps devant les écrans, ajoute John Bodner.

D’ailleurs, depuis Gutenberg, le support change aussi, relève l’Ontarien établi à Terre-Neuve. Les traditions sont soumises à d’autres modes de transmission que l’oralité.

Internet s’inscrit dans cette mouvance, croit l’ethnologue, et ce médium évolue encore rapidement. Alors qu’il reposait autrefois sur le texte, il devient incarné, avec la vidéo.

«La vidéo parle beaucoup», observe Élise Bégin, qui a parcouru le Canada en 2017 pour produire une série de 150 capsules vidéos sur le patrimoine au Canada français. «Elle donne des informations sur l’accent, le langage, le cadre dans lequel les gens travaillent, le geste. […] La vidéo donne beaucoup plus d’informations qu’un livre.»

John Bodner abonde dans le même sens : «Je pense au pouvoir des tutoriels de YouTube. Par le passé, il fallait obtenir l’aide de quelqu’un. Maintenant, on peut juste aller sur YouTube.»

RVF Ethnologie Tournage entrevue Donat Lacroix – Shippagan (NB)_Cr. Élise Bégin.JPG : À Shippagan (N.-B.), l’ethnologue Élise Bégin a rencontré Donat Lacroix, chanteur et ambassadeur de l’Acadie.

Photo : Élise Bégin

Par exemple, Élise Bégin aime l’artisanat. YouTube lui a souvent offert un premier contact avec certains savoir-faire, comme la confection de boucles d’oreilles perlage traditionnel.. «Ça me permet d’avoir au moins la technique. Il va manquer un tas d’informations sur la tradition, la signification des couleurs, mais c’est très accessible.»

Élise Bégin a appris à faire des boucles d’oreilles en perles à partir de YouTube, mais elle n’a pas pu profiter des précieux conseils d’une grand-mère qui aurait pu lui transmettre la tradition en personne.

Photo : Courtoisie Élise Bégin

Les vidéos en ligne qui traitent de patrimoine sont généralement très courtes, a noté cette ancienne du Laboratoire d’enquête ethnologique et multimédia de l’Université Laval. Ces enregistrements livrent juste assez d’informations pour attirer l’attention sur certaines traditions.

«Je ne sais pas à quel point on transmet du patrimoine, mais ça ouvre une porte», pense Élise Bégin.

Or, les courtes vidéos n’enthousiasment pas Jean-Pierre Pichette  justement parce qu’elles restent superficielles. Il juge que la culture nécessite de creuser jusqu’aux racines.

C’est d’ailleurs pour aller plus en profondeur qu’Élise Bégin préfère le documentaire, souvent en format de 45 minutes, aux courtes vidéos en ligne. En plus, Internet rend le documentaire beaucoup plus accessible : Netflix, YouTube, site ou appli de l’ONF, «[i]l y a plein de plateformes télé gratuites où on peut avoir accès au documentaire», a-t-elle constaté.

Mais encore, Jean-Pierre Pichette rappelle que la production ne fait qu’effleurer la surface du vaste catalogue du patrimoine. Combien de sujets n’ont pas été documentés en vidéo?

La danse de l’ainé est encore pratiquée. Le Franco-Ontarien Pierre Riopel a dansé deux fois sur ses bas, lorsque ses cadets se sont mariés.

Photo : Pierre Riopel

D’humain à humain

L’ancien directeur du Département de folklore et d’ethnologie de l’Université de Sudbury revient sur la coutume de danser sur ses bas au mariage de son jeune frère ou sa jeune sœur. Selon lui, même si elle est bien connue en Ontario français, elle n’aurait pas fait l’objet de documentaires.

«Voyez-vous : on ne parle pas de ça [en ligne], c’est acquis, souligne-t-il. Ce sont des traditions qu’on se transmet sans le vouloir. On veut, à une noce, maintenir la tradition. Ça s’arrête là, la noce est passée, c’est fini. La tradition se transmet sans qu’on le sache, parfois», explique-t-il.

Les trois ethnologues conviennent que le contact a beaucoup plus de pouvoir que la vidéo. Que ce soit pour exécuter la danse des bas, cuisiner un plat ou créer des boucles d’oreilles, «quand on aide quelqu’un à faire quelque chose, on crée et on aide à renforcer les liens sociaux», indique à son tour John Bodner.

«Ce que j’aime dans mon travail, c’est d’apprendre des gens, d’échanger, confie Élise Bégin. Tant que ce lien-là existe, il y a des traditions qui perdurent, qui se transmettent, qui se modifient aussi.»

— Élise Bégin, ethnologue

L’ethnologue québécoise a d’ailleurs un coup de cœur pour le tourisme expérientiel, qui connait un grand essor. Pour elle, il n’y a rien comme prendre part à un festival, assister à un spectacle de musique trad ou folk, cueillir des huitres les pieds dans l’eau, aller pêcher son propre homard, faire du verre soufflé, visiter des villages d’antan comme ceux de Caraquet (Nouveau-Brunswick) et de Pubnico (Nouvelle-Écosse) où voir des guides costumés montrer les savoir-faire.

«De vivre ces choses-là, de vivre un peu le quotidien, c’est la réelle expérience.»

La 24e édition des Rendez-vous de la Francophonie se poursuit jusqu’au 31 mars. Pour consulter la programmation dans votre région, visitez le rvf.ca

Contenu commandité par les Rendez-vous de la Francophonie

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