Michelle Rempel Garner, députée conservatrice de Calgary Nose Hill, a déclaré le 13 aout que son parti déposera un projet de loi pour éviter que la justice prenne en compte le statut d’immigration d’une personne non canadienne. Pour cela, le Parti conservateur souhaite modifier le Code criminel.
«Notre projet de loi ajoutera […] l’article 718.202 au Code criminel qui stipulera expressément que tout juge ne doit pas tenir compte, lorsqu’il prononce une peine, de l’incidence potentielle de celle-ci sur le statut d’immigration d’un délinquant non citoyen condamné ou sur celui des membres de sa famille.»
Un communiqué d’annonce du projet de loi affirme que «depuis 2013, un arrêt de la Cour suprême permet aux juges de tenir compte du statut d’immigration au moment de déterminer la peine à infliger».
Dans son annonce, le parti cite également deux exemples de causes pour agression sexuelle commise par deux personnes n’ayant pas la citoyenneté canadienne.
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Un jugement complet plus en nuances
Dans l’une de ces deux affaires, un résident permanent a tenté d’acheter des services sexuels d’une adolescente de 15 ans.
Le tribunal lui a accordé la liberté conditionnelle avec trois mois d’assignation à domicile. La Couronne requérait de son côté 90 jours de détention.
Dans leur communiqué, le Parti conservateur omet de préciser que la jeune fille avec laquelle le résident permanent échangeait par messagerie avant la rencontre était en fait un policier qui agissait dans le cadre d’une mission menée en 2023 par la police ontarienne pour repérer et arrêter des pédocriminels.
Si le statut d’immigration de ce résident permanent est pris en compte en partie dans la décision du tribunal, plusieurs faits atténuants – comme un casier judiciaire vierge et l’absence de comportement criminel notoire – ainsi que quelques «incohérences» soulevées par le juge dans la mission policière – comme le fait que l’annonce mise en ligne indiquait que la jeune fille avait 18 ans – «rédui[sent] ainsi davantage la responsabilité morale» du contrevenant, lit-on dans le jugement.
Une évaluation psychologique a déterminé que ce dernier «présente un faible risque de récidive et ne montre aucun signe d’intérêts sexuels déviants ou de comportement antisocial. Il a fait preuve d’un repentir sincère et a pris des mesures proactives en vue de sa réinsertion, notamment en suivant 12 séances de thérapie».
Il aurait insisté sur le fait qu’il n’avait jamais eu l’intention de rechercher des personnes mineures et qu’il était davantage motivé par des besoins émotionnels et sexuels insatisfaits que par des intentions déviantes.
«Cependant, je note qu’une fois qu’il a été informé que l’escorte avait 15 ans, les SMS ont révélé qu’il lui avait dit : “Si nous nous entendons bien, je te verrai assez souvent.” Cela suggère un intérêt continu pour les filles mineures», écrit le juge.
Pas une protection absolue
Le professeur de droit de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté à l’Université d’Ottawa, Yves Le Bouthillier, rappelle qu’en tant que résident permanent, le mis en cause peut toujours faire l’objet d’un renvoi en cas d’acte criminel grave et que les personnes condamnées peuvent toujours avoir des répercussions sur leur demande de citoyenneté.
Cette personne n’aurait probablement pas été condamnée à une peine plus lourde si elle avait été canadienne, confirme-t-il. De plus, la décision de la Cour suprême précisait que la peine doit rester proportionnelle à la gravité des faits.
Le Parti conservateur laisse aussi entendre que le coupable a été libéré sous condition, ce qui n’entravera pas sa demande de citoyenneté, mais que s’il avait été condamné plus lourdement, il n’aurait pas eu la citoyenneté.
Or, selon la Loi sur la citoyenneté, même en cas de condamnation d’une peine de moins de six mois (la Couronne demandait trois mois), il aurait toujours pu faire une demande de citoyenneté. Ce processus aurait seulement été retardé de quatre ans.
En somme, la personne aurait dans tous les cas pu faire sa demande de citoyenneté.
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«Crimes graves»
«La grande majorité des immigrants et des résidents temporaires du Canada respectent la loi. Mais il va de soi qu’il faut expulser les non-citoyens reconnus coupables de crimes graves», conclut le Parti conservateur par communiqué.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés recense déjà l’interdiction de territoire pour grande criminalité, pour des faits passibles de six mois d’emprisonnement au moins et être déclaré coupable d’une peine de prison d’au moins 10 ans (article 36 1)b) et c)).
«Si quelqu’un est déclaré coupable et écope d’un emprisonnement de six mois, mais que la peine maximale est d’au moins dix ans, il pourrait être déporté quand même», explique le professeur Le Bouthillier.
Une politique d’origine conservatrice sous Harper
Sous le gouvernement Harper surtout, le gouvernement conservateur a pris toutes sortes de mesures pour réduire les recours disponibles aux personnes soit étrangères ou résidents permanents qui font l’objet de mesures de renvoi.
À ce titre, le gouvernement Harper a modifié en 2013 la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Comme exemple, citons l’arrêt Pham de la Cour suprême. Cette décision remonte aussi à 2013, juste avant la modification de la loi par le gouvernement conservateur. À l’époque, il fallait au moins deux ans d’emprisonnement pour faire l’objet d’un renvoi sous qualification de «grande criminalité», mais le gouvernement a ramené cette période à six mois (article 24).
Les conservateurs ont aussi rendu plus difficile l’obtention de la citoyenneté canadienne avec «toutes sortes de conditions, comme le test de connaissance du Canada, qu’ils imposaient à une palette d’âge plus large», cite Yves Le Bouthillier.
Contactée par Francopresse, l’équipe de communication du Parti conservateur n’a pas répondu aux demandes de précisions sur le projet de loi à venir.
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