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le Dimanche 11 mai 2025 6:30 Politique

Le financement des arts et de la culture demeure incertain à Ottawa

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Le Musée des beaux-arts du Canada voit son financement fédéral diminuer de 700 000 dollars entre 2024 et 2025.  — Photo : Jeangagnon - Wikimedia Commons
Le Musée des beaux-arts du Canada voit son financement fédéral diminuer de 700 000 dollars entre 2024 et 2025.
Photo : Jeangagnon - Wikimedia Commons
FRANCOPRESSE – Dans ses dernières prévisions budgétaires, le gouvernement fédéral prévoyait serrer la vis aux arts, à la culture et à l’apprentissage de l’histoire au Canada. Maintenant qu’un nouveau gouvernement se met en place et que l’identité canadienne est sous les feux des projecteurs, une révision pourrait avoir lieu.
Le financement des arts et de la culture demeure incertain à Ottawa
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Le Conseil des arts du Canada, la Société du Centre national des arts (CNA), le Musée des beaux-arts du Canada, le Musée canadien de l’histoire, entre autres, sont censés voir leurs dépenses diminuer au cours des prochaines années.

Patrimoine canadien, le ministère responsable, projette une baisse générale des financements accordés à ces entités. Deux raisons principales sont identifiées par le ministère dans une réponse par courriel : la fin des fonds d’urgence et temporaires liés à la pandémie de COVID-19 et le resserrement du budget général annoncé en 2023.

Le programme Cadre du marché culturel, qui doit favoriser «la création de contenu culturel canadien diversifié prisé ici et à l’étranger et l’accès à ce contenu», par exemple, devrait voir son financement coupé de moitié entre 2019 et 2027.

Des projections revues à la baisse

Pour l’enveloppe Créativité, arts et culture, Ottawa projette une diminution des dépenses de 100 millions de dollars entre 2019 et 2027. Le Fonds du livre du Canada, le Fonds de la musique du Canada et le Fonds des médias du Canada figurent parmi les programmes financés par cette enveloppe.

Yves Bergeron attend de voir le prochain budget fédéral. Il rappelle que les musées ont historiquement participé aux efforts diplomatiques du Canada. 

Photo : UQAM – cycles supérieurs en muséologie

Pour l’Apprentissage de l’histoire canadienne, le gouvernement estime que les dépenses vont diminuer jusqu’à environ 4,3 millions de dollars en 2026-2027. Le montant était de 9,2 millions en 2019-2020. Il s’agit d’une remise au niveau de financement régulier après des années de fonds supplémentaires, explique Patrimoine canadien dans un courriel.

Ottawa prévoit aussi une baisse des dépenses pour l’Office national du film (ONF) : une prévision de dépenses de 66,8 millions de dollars en 2026-2027. Depuis 2019, l’ONF présente des dépenses réelles plus basses que ses autorisations. 

Ces données sont publiées sur le site web du gouvernement du Canada.

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En temps de guerre

La réduction du financement a cependant été commandée à une époque différente. Avant que le président des États-Unis parle de tarifs douaniers et d’un 51e État.

«On pousse tellement l’identité canadienne récemment», remarque le professeur et expert en politiques culturelles de l’Université Saint-Paul, Christopher Gunther. «Je n’ai aucun doute que les musées vont pousser [dans] ce sens, si ce n’est pas déjà fait. […] Nos musées publics et institutions culturelles font la promotion et renforcent l’unicité canadienne.»

C’est ce qui, dans le cadre du contexte actuel avec les États-Unis, porte le professeur et expert en muséologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Yves Bergeron, à croire qu’Ottawa va revoir ses dépenses.

Je répète aux directeurs et directrices de musées : «Oui, c’est vrai, ça va mal, mais attendez. On va voir quelle position vont adopter les différents paliers de gouvernement.» Les gouvernements ont besoin des musées. C’est une institution qui rapporte beaucoup aux plans économique et social.

— Yves Bergeron

«Là, on est dans une guerre commerciale, économique, et qui touche la souveraineté, rappelle-t-il. Dans toutes les périodes de conflits, crises économiques, je peux le démontrer depuis la Deuxième Guerre mondiale et même avant dans les années 1930, les gouvernements investissent en culture.»

Car les musées jouent un rôle politique et diplomatique, explique le chercheur. Historiquement, lors de moments comme la Seconde Guerre mondiale, les musées «se rangent toujours du côté du gouvernement».

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«Ça ne couvre pas l’inflation»

Dans sa plateforme électorale, le Parti libéral du Canada (PLC) de Mark Carney s’est engagé à augmenter le financement du Conseil des arts du Canada, du Fonds des médias du Canada, de l’ONF et de Téléfilm Canada.

Le Parti libéral du Canada n’avait pas répondu à nos questions au moment de publier.

Les prévisions actuelles de Patrimoine canadien projettent environ 37 millions de dollars de plus pour le Conseil des arts entre 2019 et 2025. «À mon avis, ça ne couvre pas l’inflation», estime Yves Bergeron.

Le Conseil n’a pas répondu à nos questions sur la suffisance des fonds, mais une porte-parole souligne par courriel les résultats d’un sondage mené par le Conseil en 2024 : «La majorité des répondants ont indiqué vivre une instabilité financière depuis deux ans […] Les répondants s’entendaient pour dire qu’il fallait du financement public supplémentaire pour aider le secteur à se transformer, à s’adapter et à s’inscrire dans la durée.»

La directrice générale, Stratégie et communication du CNA, Annabelle Cloutier, rappelle en entrevue que le CNA a un devoir de neutralité en tant que société d’État.

Ce sera intéressant de voir, une fois qu’un ministre sera nommé et que le cabinet sera formé, quels seront les engagements. On demeure en attente un peu comme tout le monde.

— Annabelle Cloutier

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Pandémie : la plaie est toujours ouverte

Pour les musées nationaux, dit Yves Bergeron, «il faudra surveiller de près le nouveau budget du gouvernement libéral». Il doute que les augmentations prévues à cette date soient suffisantes.

Non seulement à cause de l’inflation, mais aussi parce que «les musées n’ont pas tout à fait retrouvé le niveau de fréquentation de 2019 avant la pandémie. Ça veut dire moins de visiteurs, moins de revenus autonomes».

«Ça fait un bout que les musées [de façon générale] ne reçoivent pas un financement gouvernemental adéquat», déplore Christopher Gunther. 

Photo : École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère

Le Musée de l’histoire a refusé nos demandes d’entrevues, car il attend de voir ce que fera le nouveau gouvernement fédéral. Le Musée des beaux-arts nous a redirigés vers Patrimoine canadien, après avoir précisé par courriel qu’il complète le financement fédéral par ses propres moyens.

Dans son rapport annuel 2023-2024, ce musée écrit : «Les niveaux de financement posent des difficultés pour nos programmes publics, nos recherches, nos collections et notre capacité à préserver la collection nationale.»

«Nous avons besoin de financement supplémentaire pour les nouvelles exigences, comme la numérisation et les programmes virtuels, les programmes autochtones, le rayonnement national et l’accessibilité. L’inflation entraine une hausse des couts et une réduction de notre pouvoir d’achat (les crédits parlementaires ne sont pas indexés) et les ajustements salariaux visant à attirer et maintenir en poste le personnel ne sont financés que partiellement», lit-on encore.

Les crédits parlementaires constituaient 71 % du budget total en 2023-2024.

Les musées ne dépendent pas uniquement du financement fédéral, rappelle Christopher Gunther. Celui-ci estime tout de même que les financements publics devront être revus, «surtout si l’on regarde notre volonté de développer nos industries culturelles et nos musées».

Il y a une différence entre se tenir la tête au-dessus de l’eau et développer, dit-il. «Je me demande ce que ça pourrait vouloir signifier pour les futurs plans de diversifier [les projets] ou d’inclure de nouveaux services.»

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Marianne Dépelteau

Journaliste

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