«Cette élection survient à un moment crucial de l’histoire. La stabilité économique du Canada dépendra du fait que les Premières Nations soient des partenaires égaux dans la prise de décision», affirme la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Cindy Woodhouse Nepinak.
Elle parle de projets d’une valeur de 560 milliards de dollars qui devraient être lancés sur les terres traditionnelles autochtones au cours de la prochaine décennie.
Ces projets représentent la pierre angulaire de la future croissance économique du Canada. Les bénéfices potentiels se chiffrent en milliers de milliards de dollars. Mais rien n’avancera sans le soutien des Premières Nations.
Pour faire valoir ses préoccupations, l’APN a publié, mardi 1er avril, un document, intitulé Prospérité pour tous : Priorités des Premières Nations pour l’élection fédérale de 2025.
Ce rapport de 30 pages, envoyé à tous les partis, décrit les mesures attendues du prochain gouvernement en ce qui concerne la réconciliation économique, le commerce et la mobilité frontalière entre le Canada et les États-Unis, le bienêtre des enfants, des familles et des générations futures, les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
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Besoins pour une stratégie d’entrepreneuriat autochtone

Tabatha Bull du Conseil canadien pour le commerce autochtone craint que cette élection fédérale «retarde l’élan» dans certains dossiers liés à l’économie autochtone.
Hausse du cout de la vie, manque de logements abordables, détérioration des soins de santé : les Autochtones partagent également les mêmes inquiétudes que le reste de la population canadienne, assure Cindy Woodhouse Nepinak.
La présidente et directrice générale du Conseil canadien pour le commerce autochtone, Tabatha Bull, réclame pour sa part une augmentation et une pérennisation des financements publics alloués au «développement et à l’innovation» des entreprises autochtones.
La responsable veut aussi faciliter leur accès aux marchés publics fédéraux. En 2021, Ottawa s’était engagé à attribuer un minimum de 5 % de la valeur totale des contrats publics à des compagnies possédées par des membres des Premières Nations, des Métis ou des Inuits.
«Les entreprises autochtones ont dépensé beaucoup de temps et d’énergie en déposant des offres, mais elles n’ont que très peu réussi», regrette Tabatha Bull.
Elle dénonce par ailleurs le manque d’infrastructures, qui «bloque le potentiel de l’économie autochtone».
Il faut absolument développer l’accès à l’Internet à haute vitesse dans les communautés rurales et éloignées.
À ses yeux, l’économie autochtone doit infuser l’ensemble des chapitres des plateformes électorales. Elle ne doit pas seulement être reléguée dans une section dédiée aux Autochtones.
Elle plaide ainsi en faveur d’une stratégie d’entrepreneuriat autochtone à cheval sur plusieurs ministères, afin d’éviter la «logique de silo» et le renvoi systématique des dirigeants d’entreprise vers Services aux Autochtones Canada.
Craintes de compressions budgétaires
En pleine guerre commerciale avec les États-Unis, les Autochtones veulent également être associés aux négociations.

Les Premières Nations doivent être des partenaires à part entière, car nous ne pouvons pas lutter contre le colonialisme des États-Unis en renforçant le colonialisme au Canada
«Il faut aider les entreprises autochtones à trouver de nouveaux marchés d’exportation, en leur garantissant un accès à des missions de vente et aux réseaux mondiaux d’entreprises autochtones», poursuit Tabatha Bull.
Pour elle, la période d’élection actuelle constitue en soi un facteur d’instabilité, parce que l’adoption de mesures économiques est mise sur la glace : «Nous craignons qu’en cas de changement de gouvernement, il nous faille à nouveau expliquer pourquoi l’économie autochtone est importante.»
Au-delà de l’économie, sujet central de ce scrutin, des organismes craignent que le financement d’initiatives autochtones liées à la vérité et à la réconciliation soit abandonné ou réduit.

Stephanie Scott du Centre national pour la vérité et la réconciliation constate une tendance inquiétante à la diminution du soutien et des financements fédéraux.
Dans une réponse écrite, la directrice générale du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), Stephanie Scott, lance un message clair : «Nous attendons de tous les partis qu’ils fassent preuve d’un engagement concret et durable en faveur de notre travail.»
«Sans un financement adéquat, des initiatives cruciales risquent d’être abandonnées, ça freinera notre cheminement collectif vers la guérison et la réconciliation», ajoute-t-elle.
Stephanie Scott regrette à cet égard que la réconciliation soit encore trop traitée comme une «question périphérique», alors que le CNVR reçoit de plus en plus de demandes de la part des survivants et survivantes et de leurs familles pour obtenir des documents.
«Nous avons besoin de propositions politiques détaillées qui s’attaquent aux séquelles des pensionnats et du colonialisme, pas seulement de vagues promesses», écrit-elle.
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Changer le discours énergétique
Le directeur général d’Indigenous Clean Energy, James Jenkins, aimerait, lui, que les partis fédéraux parlent moins d’oléoducs et plus d’énergie propre. Selon l’organisme à but non lucratif, les Autochtones détiennent, en totalité ou en copropriété, près de 20 % des infrastructures de production d’électricité canadiennes.
«L’éolien, le solaire, les biocarburants sont de plus en plus abordables et contribuent à l’indépendance économique de toutes nos communautés au pays. Nous avons encore du travail à faire pour nous assurer qu’il s’agit d’une priorité visible.»

James Jenkins de l’Indigenous Clean Energy insiste sur le besoin d’investir dans les énergies propres, qui «génèrent de la richesse» dans des communautés autochtones.
Le responsable demande notamment la clarification des règles d’application du crédit d’impôt à l’investissement dans les énergies propres pour les entités non imposables, comme les sociétés appartenant aux Premières Nations.
Plus largement, Indigenous Clean Energy souhaite que les nombreux programmes de subventions fédéraux restent en place. «[Ils] ont permis aux communautés de planifier leur avenir énergétique et de faire preuve de beaucoup plus de leadeurship», relève James Jenkins.
À Winnipeg, au Manitoba, Cindy Woodhouse Nepinak encourage toutes les Premières Nations à «dialoguer» avec les candidats locaux afin de faire entendre leur voix d’ici le 28 avril.
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