À quelques semaines de la fin de la session parlementaire, le porte-parole du Bloc québécois en matière de Patrimoine, Martin Champoux, doute que le Comité, dont il est membre, complète ses activités prévues.

«Un comité, c’est fait pour travailler, c’est fait pour avancer des travaux parlementaires, des projets de loi, des études», dit Martin Champoux.
Il est particulièrement inquiet qu’ils ne terminent pas l’étude sur la pratique sécuritaire du sport au Canada, entamée en 2022.
«Le rapport sur le sport sécuritaire, on passe notre temps à le repousser dans l’agenda […]. Il y a d’autres études qu’on aurait dû faire au mois de mars et qu’on ne fera probablement pas parce qu’encore une fois, on s’attarde ou on débat de manière infinie sur des sous-amendements ou sur des questions qu’on pourrait très bien régler en une minute.»
Le comité étudie actuellement le projet de loi C-316, sur le Programme de contestation judiciaire. Mais de longs conflits sur d’autres sujets, tels que l’extrême droite et l’antisémitisme, ont utilisé le temps accordé à son étude.
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Un manque de professionnalisme
On semble être incapable de mener à bien des travaux de façon professionnelle et responsable et respectueuse
La situation n’est pas exclusive à ce comité, reconnait-il, et le retard peut survenir lorsqu’un projet de loi est soumis à plusieurs modifications.
«Mais là, ce qu’on remarque au Comité du patrimoine, c’est des digressions carrément, des façons de ne pas travailler sur les études ou sur les projets de loi en cours.» Il cite des motions et des débats qui n’ont «aucun rapport avec le projet de loi» étudié ni avec l’actualité du jour.
«C’est souvent simplement des motions plus idéologiques, par exemple, pour faire des déclarations politiques fortes, des prises de position. Mais pendant ce temps-là, il y a un projet de loi qui est à l’horaire et qui doit être retourné à la Chambre des communes qui n’aboutit pas.»
Longues interventions qu’il juge non nécessaires, questions posées à répétition, interminables débats sur les décisions procédurales de la présidence et obstruction parlementaire; Martin Champoux observe plusieurs «manœuvres politiques» qui retardent les travaux.
«J’ai l’impression qu’il y a certains membres de ce comité-là qui ne prennent pas au sérieux le travail qu’on a à faire. […] Peut-être que j’étais naïf de croire que [ces gens] arrivaient avec la volonté de faire avancer les choses, mais clairement j’ai l’impression que ce n’est pas le cas de tout le monde.»
«C’est sérieux ce qu’on fait, insiste le député. Il faut arrêter de voir ça pour faire des clips pour les médias sociaux, on est supposé travailler.»
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Geneviève Tellier voit une frontière entre jeu politique et manque de professionnalisme.
Le «fameux clip»
En comité, «les députés ont l’occasion d’écouter des gens […] et d’arriver avec des solutions pour régler des problèmes», explique Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et chroniqueuse pour Francopresse.
Mais, selon elle, deux éléments peuvent limiter ce travail : la ligne de parti et les caméras.
Les députés sont souvent contraints par les directives de leur leadeur parlementaire qui dictent parfois ce qu’ils doivent dire, explique-t-elle. Ils sont aussi tentés par la présence de caméras.
Selon Geneviève Tellier, en général, les travaux de comités devraient se faire «loin des caméras». «Ça sert à quoi de se lancer dans des attaques partisanes si finalement il n’y a personne qui les entend?», questionne-t-elle.
«Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il doit y avoir la recherche du fameux clip.»
Contactés pour une entrevue, des députés conservateurs et libéraux, ainsi que la néodémocrate Niki Ashton, qui siègent au Comité permanent du patrimoine canadien, n’ont pas répondu à nos demandes.
À la suite d’échanges houleux entre députés conservateurs et libéraux, cette dernière avait pourtant exprimé son mécontentement lors d’une réunion : «Ce comité est vraiment quelque chose.»
L’obstruction
Geneviève Tellier rappelle qu’il est normal que le jeu politique soit présent, mais il devrait y avoir des limites.
Pour tracer la frontière entre ligne partisane et manque de professionnalisme, elle suggère le critère de l’acharnement : «C’est-à-dire la répétition. Ça me fait penser à toutes les tactiques de filibustering [obstruction parlementaire], quand on essaye de retarder l’adoption d’une loi.»
À un moment donné, ça devient contreproductif, poursuit-elle. On fait perdre le temps en répétant tout le temps le même message et là, ça n’avance pas.

Selon Taleeb Noormohammed, les conservateurs empêchent de faire avancer les travaux du comité.
Questionné sur la situation en mêlée de presse le 22 mai, le député libéral Taleeb Noormohamed, membre du comité, a accusé les conservateurs de faire de l’obstruction : «Nous avons du travail important à faire dans ce comité. On voit des conservateurs qui tentent de bloquer tout ce qui arrive. Ça devient incroyablement frustrant.»
Il a dit toutefois garder espoir que les travaux sur le sport sécuritaire avanceront. «Il y a des victimes à travers le pays qui méritent de voir ce rapport, a-t-il dit. Et je ne comprends pas pourquoi les conservateurs, qui disent se soucier de la sécurité des Canadiens, tentent de bloquer ce rapport, c’est inacceptable.»
«Plus important encore, je crois que c’est irrespectueux par rapport au travail que nous faisons pour les Canadiens», a-t-il ajouté.
Lors de réunions de comité, les libéraux ont aussi été accusés (notamment par les conservateurs) de retarder les travaux.
L’argent des contribuables
«Il y a une place pour les jeux politiques, une place pour le travail sérieux. Je pense que présentement on n’est pas en train de démontrer aux citoyens québécois et canadiens que leur argent est dépensé intelligemment et que leurs taxes et impôts sont utilisés de façon productive», regrette Martin Champoux.
«Plusieurs ressources sont mises à contribution pour l’organisation de comité, rappelle-t-il. Ça va de la préparation de la salle avant que le comité arrive jusqu’au démontage et tout ce qu’il y a entre les deux. Il y a le personnel des députés aussi, on a des équipes qui travaillent avec nous pour la préparation des comités.»
Les dépenses du Comité permanent du patrimoine canadien s’élevaient à 42 491 dollars pour la période du 1er avril au 31 décembre 2023. Pour l’étude du projet de loi C-316, un budget de 19 200 dollars a été adopté.