Sénateurs et ministres lui ont répété que le projet de loi C-13 sur les langues officielles n’était «pas le bon véhicule» pour reconnaitre les droits liés aux langues autochtones au Canada. Le sénateur francophone du Nouveau-Brunswick, René Cormier, défendait en comité le 12 juin dernier que la Loi sur les langues autochtones «permettrait de faire un travail pour approfondir la question».
«Il ne faut pas me renvoyer à la Loi sur les langues autochtones, qui n’a pas les mêmes poignées juridiques que la Loi sur les langues officielles. Je le dis avec beaucoup d’amour», déclare Michèle Audette.
«C’était la seule rencontre avec le Comité permanent des langues officielles du Sénat sur les langues autochtones», note la sénatrice, évoquant ce même 12 juin.
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Responsabiliser le fédéral
Michèle Audette avait tenté, sans succès, de faire reconnaitre dans C-13 la conformité et l’application de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment son article 13, afin que les Autochtones puissent conserver leurs droits et langues.

La sénatrice innue et québécoise Michèle Audette a tenté de faire reconnaitre les langues autochtones au sein de la Loi sur les langues officielles.
Selon elle, la mention de la Charte de la langue française dans la Loi sur les langues officielles est «légitime». «Mais pourquoi ça marche pour le Québec et pas pour moi?» questionne-t-elle.
La sénatrice précise qu’elle ne demande pas que tous les services soient en innu-aimun. «La question est plutôt : comment va-t-on responsabiliser un gouvernement fédéral qui finance des entités fédérales, mais qui ferme les yeux sur langue française? Des Nations qui ont le français comme deuxième langue n’ont aucun service au Commissariat des langues autochtones!»
En comité, elle déplorait également le fait que Patrimoine canadien «refuse de traduire les communiqués de presse dans les langues autochtones» et que le commissaire aux langues autochtones rejette la responsabilité sur le Commissariat aux langues officielles.
Pressée par la crainte que le projet de loi C-13 ne meure au feuilleton comme le projet de loi C-32 en cas de prorogation ou d’élections, Michèle Audette déplore ne pas avoir pu exposer son point de vue comme elle l’entendait en comité, quelques jours avant l’adoption de la Loi sur les langues officielles.
Créer des «vases communicants»
Avec du recul, la sénatrice estime que le fédéral a «manqué le bateau», puisqu’il ne crée pas de «vases communicants» entre les entités qu’il finance, comme le commissaire aux langues autochtones et le Commissariat aux langues officielles.

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a garanti que sa Loi n’était pas la bonne place pour évoquer la question des langues autochtones.
Selon elle, l’étude aurait notamment été plus profonde si la Chambre des Communes avait porté attention à l’enjeu des langues autochtones.
«J’ai toujours senti la ministre Ginette Petitpas Taylor de bonne foi, mais elle a un agenda politique. Moi, je voulais savoir si C-13 passait le test de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et le respect des droits autochtones. Je trouvais que non.»
«Nous nous sommes assurés que le projet de loi C-13 n’était pas un obstacle à la promotion des langues autochtones. Mais je reconnais qu’on a encore beaucoup de travail à faire», lançait la ministre des Langues officielles, peu après l’obtention de la sanction royale, le 19 juin dernier.
Mais ce n’est pas assez pour Michèle Audette, pour qui la mise à l’écart d’experts autochtones en langues ou en droit lors de l’étude en comité à la Chambre des Communes surtout, a achevé de révéler le manque de responsabilité du gouvernement sur la question des langues autochtones.
Un «déchirement»
Lors de son plaidoyer en comité sénatorial, la sénatrice a tout de même senti un «déchirement» de ses collègues allochtones en comité sénatorial : «Ils me comprenaient, et je les comprenais aussi. Si j’étais eux, j’aurais peut-être agi de la même manière [l’adoption de C-13, NDLR].»
À la fin, je leur ai donné du foin d’odeur [car] ce projet de loi a été très émotif pour eux et pour moi. J’ai perdu ma langue innue à cause des langues officielles.
Le foin d’odeur est considéré comme une plante sacrée pour les peuples autochtones d’Amérique du Nord. En donner est «une offrande», explique la sénatrice Audette. «Il y en a pour qui c’est une poignée de main ou un câlin.»
Depuis que la Loi sur les langues officielles a été modernisée en juin dernier, c’est le projet de loi S-13, porté par le sénateur Marc Gold, qui devient un outil législatif important pour les langues autochtones.
Actuellement en deuxième lecture au Sénat, le projet de loi prévoit que les lois fédérales maintiennent les droits des peuples autochtones tels que reconnus dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Michèle Audette assure que pour les Canadiens, un tel projet de loi s’inscrirait dans la continuité du «changement» et de la «relève» qu’elle observe chez les allochtones par rapport aux Autochtones. Et pas uniquement sur le terrain des langues.
«Les gens tentent de faire leurs recherches universitaires différemment et se demandent comment être un meilleur juge. C’est pour ça que je me dis qu’il faut que le changement soit aussi dans les lois, dans le curriculum, mais aussi chez le journaliste ou l’entrepreneur.»