En 1867, trois colonies – le Canada-Uni (aussi appelé Province du Canada, réunissant en partie le Québec et l’Ontario d’aujourd’hui), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse – s’entendent pour créer le Canada moderne auquel se grefferont ultérieurement les six autres provinces et les trois territoires qui forment aujourd’hui le Canada.
Le texte juridique encadrant ce nouveau pays, soit l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), servira de constitution à la nouvelle fédération canadienne. Adopté en 1867, ce document de loi fait du Canada un «dominion» ou une «puissance».

Jamie Cameron, professeure de droit constitutionnel à l’Université York
«Lorsque la Constitution de 1867 a été élaborée, il n’y avait pas de règle d’amendement, souligne la professeure de l’École de droit Osgoode de l’Université York à Toronto, Jamie Cameron. Le texte n’indiquait même pas que ce serait le gouvernement britannique qui aurait ce pouvoir», ajoute la constitutionnaliste. Londres s’arrogera pourtant cette prérogative, qu’il exercera de manière exclusive pendant des décennies.
L’AANB décrit également le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces. Les questions liées, par exemple, à la défense nationale, au commerce, à la navigation et à la monnaie sont jugées de compétence fédérale. Plus largement, l’article 91 stipule que le Parlement fédéral peut «légiférer, pour la paix et l’ordre au Canada ainsi que pour son bon gouvernement». Toutes les responsabilités qui ne sont pas attribuées aux provinces sont du ressort du fédéral. C’est ce qui s’appelle le pouvoir résiduel.
Par le Statut de Westminster adopté en 1931, Londres accorde au Canada et aux autres dominions britanniques, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, une souveraineté législative complète.
Il manque cependant au Canada un élément important pour atteindre sa pleine autonomie. «Parce qu’il n’avait pas ses propres règles d’amendements constitutionnels, le Canada devait continuer de s’adresser au Parlement du Royaume-Uni, explique la professeure Cameron. Les provinces et le gouvernement fédéral se sont alors mis au travail afin de s’entendre sur une formule d’amendement.»
La route sera longue, car ils n’y parviendront qu’une cinquantaine d’années plus tard, ce qui mènera à l’adoption d’une nouvelle constitution, complètement canadienne, en 1982.
Avec le Statut de Westminster, Londres ne peut plus amender l’AANB sans que le Canada en fasse la demande. En 1949, le premier ministre Louis St-Laurent demande que le Parlement canadien puisse amender les sections de la Constitution qui touchent uniquement les pouvoirs fédéraux. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Louis St-Laurent et William Lyon Mackenzie King en 1950.
Louis St-Laurent s’est engagé pendant la campagne électorale de 1949 à convoquer les provinces afin de régler la question constitutionnelle. Les onze premiers ministres se sont rencontrés à deux reprises en 1950 sans arriver à s’entendre sur l’une des quelques formules d’amendement proposées.
Dix ans s’écouleront avant de nouvelles discussions constitutionnelles. En juillet 1960, le premier ministre du Canada, John Diefenbaker, convoque une conférence des procureurs généraux. L’exercice fait aussi chou blanc.
À la fin de 1961, le fédéral revient à la charge avec une formule d’amendement complexe – baptisée formule Fulton puis Fulton-Favreau – qui sera rejetée par le Québec et la Saskatchewan.
Les négociations reprennent en septembre 1964, Lester B. Pearson ayant succédé à John Diefenbaker l’année précédente. Cette fois-ci, les gouvernements fédéral et provinciaux annoncent qu’ils ont convenu unanimement de procéder au rapatriement de la Constitution. L’affaire semble être dans le sac!
Mais l’entente est loin de faire l’unanimité au Québec; le premier ministre Jean Lesage tentera de la défendre, avec l’assentiment de son ministre René Lévesque. Pour finir, il cèdera toutefois à l’opposition et retirera son appui.

Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta
Une autre ronde de négociations s’amorce en 1968 avec de nouveaux joueurs : Daniel Johnson, premier ministre du Québec, et Pierre Elliott Trudeau, ministre fédéral de la Justice. Ce dernier propose d’enchâsser une charte des droits dans la Constitution.
Ces nouvelles négociations se tiennent alors que la Commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme vient de remettre son premier rapport, qui fait état d’un important fossé entre les francophones et les anglophones du pays. L’égalité linguistique du français et de l’anglais fait partie des discussions constitutionnelles.
«On s’était rendu compte qu’il y avait des tensions très très fortes entre ce qu’on appelait à l’époque les Canadiens anglais et les Canadiens français, souligne Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Il y avait énormément de réflexions sur comment transformer le pays pour qu’il reflète davantage sa dualité linguistique».
Une charte qui est loin de faire l’unanimité

Lester B. Pearson, premier ministre du Canada de 1963 à 1968.
En février 1968, le premier ministre canadien Lester B. Pearson convoque une conférence constitutionnelle, qui portera peu de fruits. Le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta s’opposent au projet de charte des droits fondamentaux proposé par Pierre Elliott Trudeau, y voyant une intrusion dans les compétences provinciales. Les pourparlers se poursuivent tout de même lors de rencontres en 1969, en 1970 et en 1971.
Le premier ministre Trudeau propose alors une Charte des droits plus étoffée, incluant des droits linguistiques pour les francophones, certains étant garantis dans certaines provinces et d’autres pas.
À l’ultime rencontre de juin 1971 à Victoria, les premiers ministres s’étaient tous déjà entendus sur une nouvelle formule d’amendement un peu différente de celles qui avaient circulé jusque-là. Or, le premier ministre québécois, Robert Bourassa, élu l’année précédente, exige que plusieurs questions importantes soient réglées avant le rapatriement de la Constitution et non après. Le Québec ne trouvera cependant pas d’alliés dans ses revendications et cette ronde, entamée quelques années auparavant, échouera elle aussi.

Pierre Elliott Trudeau et des délégués fédéraux lors de la conférence des premiers ministres de 1981.
Le spectre d’un rapatriement unilatéral
Les discussions constitutionnelles ne reprennent qu’après la réélection de Pierre Elliott Trudeau – cette fois à la tête d’un gouvernement majoritaire – en 1974. Mais la donne politique et économique a changé et les revendications provinciales aussi.
Étant donné la conjoncture, Trudeau comprend qu’il ne pourra jamais obtenir l’accord des provinces et il évoque la possibilité de rapatrier la constitution unilatéralement pour s’entendre par la suite sur la formule d’amendements et d’autres points importants, tel le partage des pouvoirs. Réunies en octobre 1976, les provinces s’opposent vivement aux intentions du premier ministre.
Le mois suivant, l’élection du Parti québécois au Québec bouscule fortement le paysage politique.
Trudeau ne lâche pas prise et revient à la charge avec une formule d’amendement quasi identique à celle de la ronde de négociations de Victoria. Son gouvernement dépose un projet de loi aux Communes en juin 1978 pour engager une réforme substantielle du Sénat. La plupart des provinces s’opposent à cette proposition, sauf l’Ontario et le Nouveau-Brunswick qui deviendront des alliés de Trudeau jusqu’à la fin.
Les évènements se bousculent. Trudeau perd le pouvoir en mai 1979 aux mains des conservateurs de Joe Clark, mais le reprend neuf mois plus tard. En 1980, les Québécois rejettent par référendum l’option souverainiste. Pendant la campagne référendaire, Trudeau prendra ce désormais célèbre engagement envers les Québécois devant 10 000 personnes au Centre Paul-Sauvé à Montréal :
«Nous avons tous dit que ce NON sera interprété comme un mandat pour changer la Constitution, pour renouveler le fédéralisme. Nous mettons notre tête en jeu, nous, députés québécois, parce que nous le disons aux Québécois de voter NON, et nous vous disons à vous des autres provinces que nous n’accepterons pas ensuite que ce NON soit interprété par vous comme une indication que tout va bien puis que tout peut rester comme c’était auparavant. Nous voulons du changement, nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du changement.»

Le premier ministre du Québec, René Lévesque, et le premier ministre de la Saskatchewan, Allan Blakeney, lors de la conférence des premiers ministre
Trudeau reprend ensuite le bâton du pèlerin et propose une nouvelle mouture constitutionnelle. Une conférence des premiers ministres a lieu en septembre 1980 sous le spectre d’un rapatriement unilatéral de la Constitution advenant l’échec d’un accord avec les provinces. La grande majorité des provinces refuse l’accord et s’oppose notamment à une charte des droits qui donnerait aux juges le pouvoir d’interpréter leurs lois. Encore une fois, c’est l’impasse.
En avril 1981, les huit provinces – dont le Québec – qui s’opposent depuis un moment aux propositions de Trudeau s’entendent sur un rapatriement et une formule d’amendement. Pour la première fois, elles acceptent que les révisions soient apportées après le rapatriement. Mais Trudeau et ses deux alliés provinciaux rejettent leur proposition.
En septembre, la Cour suprême répond à plusieurs requêtes des provinces sur la démarche fédérale. La Cour déclare que le rapatriement unilatéral est légal, mais que, pour être constitutionnel, il doit obtenir l’appui d’un nombre substantiel de provinces.
La situation politique se complique pour Trudeau qui perd des appuis. Finalement, il convoque en novembre 1981 une conférence dite de la dernière chance et c’est celle qui aboutira à un compromis historique.
Le deuxième texte sur le rapatriement de la Constitution paraitra le dimanche 8 mai.