le Vendredi 9 mai 2025
le Samedi 11 Décembre 2021 13:00 Politique

Usage du français : au Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs soulève la controverse

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Le premier ministre, Blaine Higgs. — Alexandre Boudreau – Acadie Nouvelle
Le premier ministre, Blaine Higgs.
Alexandre Boudreau – Acadie Nouvelle
ACADIE NOUVELLE (Nouveau-Brunswick) – Le premier ministre a essuyé de nombreuses critiques cette semaine pour avoir laissé entendre que le chef de l’opposition, Roger Melanson, passe de l’anglais au français pendant la période de questions de façon stratégique pour tenter de «changer le discours».
Usage du français : au Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs soulève la controverse
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Blaine Higgs a adressé ce commentaire pendant la période de questions de jeudi 9 décembre, lors d’une confrontation au sujet de la gestion de la pandémie par le gouvernement.

Le premier ministre a été vertement critiqué par des députés francophones et des organismes acadiens pour ses propos.

«Il change de langue et tente de changer le discours (change the narrative)», a-t-il reproché au chef de l’opposition.

Blaine Higgs affirme toutefois qu’il n’a rien à se reprocher et que ses commentaires n’avaient rien à voir avec la langue parlée à l’Assemblée législative.

En essayant de clarifier ses propos auprès des journalistes, le premier ministre a dit qu’il reprochait plutôt au chef de l’opposition de vouloir changer le ton de ses questions et d’éviter les sujets sensibles.

La tactique de changer de structure, de langue, de ton, de changer le sens des questions, c’était pour changer de sujet, parce que je dirais qu’il n’était pas content que la discussion porte sur son départ [du comité sur la COVID-19].

— Blaine Higgs, premier ministre du Nouveau-Brunswick

Roger Melanson et le chef du Parti vert, David Coon, ont quitté ce comité — dont les discussions sont confidentielles — en guise de protestation contre la décision du gouvernement d’utiliser l’état d’urgence pour forcer le retour au travail des grévistes du système de santé pendant la grève du SCFP en novembre.

Après cette intervention du premier ministre en chambre, Roger Melanson a posé une autre question sur une motion de son parti demandant une évaluation indépendante de la gestion de la pandémie par le gouvernement (cette motion a été rejetée plus tard ce jour-là).

M. Melanson a entamé sa question — toujours en anglais — sur un ton plus solennel en parlant des difficultés vécues par la population pendant la pandémie.

Le premier ministre a alors laissé entendre que Roger Melanson voulait éviter le sujet de son départ du comité.

«Monsieur le président, ce n’est pas surprenant que le chef de l’opposition change de sujet. La seule chose qu’il n’a pas faite, et qui aurait été fidèle à son habitude, serait de poser sa prochaine question en français, parce qu’habituellement, quand il change de ton, il change de langue et essaie de changer le discours», a-t-il assuré.

Il s’est aussitôt attiré des railleries de députés de l’opposition.

Consultez le site du journal Acadie Nouvelle

Les foudres de l’opposition

Roger Melanson a réagi en chambre, puis en mêlée de presse, en affirmant qu’il a le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix en tant que député : «Son commentaire que j’essaie d’utiliser ma langue maternelle, le français, pour changer le message est inquiétant. Je suis capable de parler les deux langues, et si [d’autres personnes] n’en sont pas capables, il y a évidemment la traduction sur le plancher de l’Assemblée législative, qu’il utilise.»

Le premier ministre, qui est unilingue anglophone, doit écouter la traduction simultanée lorsque d’autres députés s’expriment en français. Mais Roger Melanson assure qu’il n’utilise «pas du tout» l’atout d’être bilingue de façon stratégique pendant la période de questions.

Nous parlons le français parce que c’est notre droit, et c’est notre langue maternelle. Il a créé un enjeu, sincèrement, qui n’était pas nécessaire.

— Roger Melanson, chef de l’opposition officielle

Le député de Kent-Nord, Kevin Arseneau.

Alexandre Boudreau – Acadie Nouvelle

Kevin Arseneau, député vert de Kent-Nord, n’a pas ménagé ses critiques à l’encontre du premier ministre. Il a affirmé qu’il a montré «ses vraies couleurs» en «attaquant» le chef libéral par intérim de la sorte.

«Le premier ministre nous dit toujours que la traduction suffit. Je pense qu’il vient de se mettre le pied dans la bouche ; la traduction ne suffit pas. Je ne m’exprime pas de la même façon en français qu’en anglais, et je n’ai pas à le faire. Je peux utiliser ces langues-là comme je veux, tout comme je peux (…) utiliser mes compétences quand je veux comme je veux. Le fait que le premier ministre nous fasse la morale, c’est encore une fois inacceptable», reproche-t-il.

Il rappelle que le premier ministre est chargé de l’application de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

«Que ce commentaire vienne de cette personne-là est extrêmement inquiétant», ajoute-t-il.

«Alors que le fait de pouvoir s’exprimer dans la langue officielle de son choix représente un droit fondamental essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie, la SANB ne peut faire autrement que de voir ces commentaires disgracieux comme une atteinte directe, non seulement au respect et à la dignité de M. Melanson, mais de la population acadienne et francophone de la province entière», déplore Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB).

La SANB en a profité pour demander aux élus francophones et bilingues de l’Assemblée, de toute formation politique, de s’exprimer uniquement en français jusqu’à la fin de la session législative.

«J’ai de la difficulté à croire que nous en sommes réellement rendus là, mais à titre de président de la SANB, je dénonce dans les termes les plus forts possibles les propos de M. Higgs», mentionne M. Doucet, dans un communiqué.

Comment se peut-il que le premier ministre de la seule province officiellement bilingue ose insinuer que le fait que M. Melanson s’exprime dans sa langue maternelle, une langue officielle du gouvernement au sein de l’Assemblée législative, relève d’une tactique discursive malhonnête?

— Alexandre Cédric Doucet, président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick

Blaine Higgs persiste et signe

Le premier ministre a tenté de justifier ses propos devant les journalistes, tout en affirmant ne pas comprendre les réactions suscitées par ses commentaires. Il n’a pas l’intention de s’excuser.

«La langue utilisée n’a pas d’importance. C’est une tactique qu’il [Roger Melanson] utilise pour changer le rythme des discussions et adopter une approche différente. Cela fait partie de sa façon de faire, d’alterner d’une langue à une autre […], de se calmer subitement, de changer de sujet s’il n’est pas content des réponses que je lui donne», se justifie-t-il.

Le premier ministre a reconnu qu’il change lui aussi de ton et de sujet pendant la période de questions.

«[Roger Melanson] a la capacité de le faire dans les deux langues, et moi non», note-t-il.

Il a répété à plusieurs reprises que la langue employée par les députés de l’opposition n’a aucune importance, sans expliquer clairement pourquoi il a lui-même soulevé la question de l’usage de la langue française lors de sa réponse en chambre.

L’Acadie Nouvelle a tenté d’obtenir des réactions à cette controverse de la part des deux ministres d’origine acadienne du gouvernement, Daniel Allain et Glen Savoie, mais ceux-ci n’ont pas répondu à la demande d’entrevue.