Non, non – les deux solitudes persistent. Ces «vieux griefs qui ne semblent jamais mourir» sont un grind, une corvée quotidienne. Surtout si vous parlez français à l’extérieur des frontières du Québec, ou si vous ne parlez pas français à l’intérieur des frontières du Québec.
Le projet de loi 96, la nouvelle loi linguistique au Québec, limite l’utilisation de l’anglais dans les tribunaux, les soins de santé et d’autres services publics.
Les voix dissidentes soutiennent qu’il s’agit d’un «véritable test de la réconciliation» dénonçant cette imposition d’une seconde langue coloniale à des nations autochtones souveraines.
Il y a également la question des réfugiés, qui arrivent avec de profonds traumatismes de pays comme l’Afghanistan et l’Ukraine, et à qui l’on donne six mois pour apprendre le français.
Parallèlement à la loi 21 du Québec, qui crée «une seconde classe de citoyenneté» pour les femmes musulmanes en particulier, le projet de loi 96 consacre les iniquités.
La langue, semble-t-il, n’est qu’une des nombreuses solitudes du plumage colonial du Canada.
Parler français : un geste politique

Isabelle Bourgeault-Tassé est une écrivaine franco-ontarienne qui a vécu dans les communautés francophones de Sudbury, d’Ottawa et de Toronto.
Historiquement, les lois linguistiques au Canada ont été dévastatrices et, bien sûr, ont ciblé ceux d’entre nous qui ne parlent pas anglais.
Je comprends cela intimement. Je suis la descendante de grands-parents qui se sont opposés et pliés au Règlement 17 en Ontario, une loi qui visait à éradiquer le français par l’éducation au tournant du XXe siècle.
D’où je viens, parler français est un geste politique. Un geste de résistance. Un geste qui dit : nous sommes, nous serons.
La francophonie des quatre coins du Canada
Ce qui se perd souvent dans les discussions sur le droit linguistique en général, c’est que la francophonie canadienne n’est pas seulement québécoise.
De Saint-Boniface au Manitoba, en passant par Sudbury en Ontario, jusqu’à Grand-Pré en Nouvelle-Écosse, nos collectivités débordent au-delà de ce que beaucoup imaginent être le Canada français.
Nous avons nos propres cultures locales, riches de notre propre poésie et chanson. Nos propres accents régionaux et parler créatifs. Nos propres histoires et préoccupations politiques qui reflètent les réalités de ce que c’est que d’être francophone à l’extérieur du Québec.
Avec des racines au Canada français jusqu’en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Caraïbes et ailleurs, la francophonie canadienne est également de plus en plus multiraciale, multiculturelle et multiconfessionnelle.
Nous partageons une histoire et des liens familiaux avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Bon nombre d’entre nous sommes engagés dans l’important et humble travail de vérité et de réconciliation avec «toutes nos relations», dont nous devons célébrer et honorer le parcours personnel vers la réappropriation linguistique.
Les francophones, en particulier ceux d’entre nous qui se considèrent comme peuple fondateur, doivent porter un regard franc sur la façon dont nous participons aux systèmes d’oppression et de colonialisme au Canada, dont nous les perpétuons et en tirons profit.
La réconciliation en particulier doit être défendue. Le racisme, la discrimination fondée sur le sexe et l’islamophobie, éliminés. L’érosion des droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne, contestée.
Une langue à protéger hors Québec
En tant que peuple fondateur, nous avons beaucoup de travail à faire. La loi 96 déshonore notre héritage, les profonds bouleversements que nous — francophones — avons subis au cours des siècles de l’histoire coloniale du Canada : nos ancêtres déportés, nos fermes brulées, nos héros pendus, nos enfants forcés à apprendre an anglais, nos aspirations gardées dans les cœurs par des générations d’aïeux et d’aïeules.
Le français devrait-il être protégé au Canada? Oui.
Mais considérons aussi la pluralité bourgeonnante des francophones au Canada – et comment, par la nature même de nos expériences de plus en plus diversifiées, nous pouvons briser les solitudes.
Cela mérite certainement la protection du Canada.