En campagne électorale, tous les moyens sont bons pour amadouer les électeurs. L’élection fédérale du printemps n’a pas fait exception.
Prenez en exemple Mark Carney. Le candidat libéral est un partisan des Oilers d’Edmonton. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché d’enfiler un chandail des Canadiens de Montréal lors d’un rassemblement politique à Laval, au Québec, le 22 avril. Inutile de dire qu’arborer les couleurs du Tricolore ne peut pas faire de mal en terre québécoise.
Ingénieuse, son équipe de campagne avait aussi fait la promotion de son champion quelques jours plus tôt en copiant une affiche à l’effigie de la recrue des Canadiens, Ivan Demidov (avec le slogan : «Là pour les Canadiens»), et en la placardant devant le Centre Bell, à Montréal.
Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a lui aussi revêtu la tenue mythique du CH (sigle de l’équipe des Canadiens), même si, en regard de son positionnement politique, cette appropriation est moins contestable.
Ces moments insolites prêtent à sourire. Mais ils soulèvent un problème : ce sont à peu près les seuls moments où les sports se sont immiscés dans la campagne électorale.
Et ça, ça fait moins rire.
Les chandails oui, les promesses non
En tant que journaliste, j’ai suivi de près la campagne. Une seule proposition m’a semblé suffisamment publicisée pour arriver aux oreilles de la majorité des électeurs et électrices : celle de Mark Carney de rendre l’entrée des parcs nationaux gratuite, une mesure qui entrera en vigueur le vendredi 20 juin.
Dans son blogue «Sport for Social Impact», David Thibodeau a rigoureusement épluché les plateformes des partis et a dressé la liste de leurs propositions en termes de sport, de loisirs, d’activité physique et d’environnements actifs. Jetez-y un coup d’œil, je vous promets que ce ne sera pas long.
De cette liste réduite à peau de chagrin, il en tire notamment cette conclusion : «La plupart des partis n’ont même pas mentionné l’activité physique dans leur programme».
Les propos de la journaliste de CBS Sport, Karissa Donkin, confirment cet état des lieux. «Aucun parti ne m’a répondu lorsque je leur ai demandé ce qu’ils comptaient faire pour le sport. Mais il y a beaucoup d’enjeux.»
Des enjeux de santé publique d’ailleurs. Il est étonnant de voir qu’en 2025, avec toutes les études scientifiques et les recommandations claires de l’Organisation mondiale de la santé, la pratique sportive ne fait pas davantage partie des politiques de santé publique.
Pour le sport professionnel, nada. Pourtant, à la fin des Jeux olympiques de Paris, le PDG et secrétaire général du Comité olympique canadien (COC), David Shoemaker, avait tiré la sonnette d’alarme, considérant que les athlètes ne pourraient pas développer tout leur potentiel sans fonds supplémentaires de la part d’Ottawa.
Cela fait 20 ans que les sommes allouées aux fédérations sportives n’ont pas augmenté, malgré la hausse du cout de la vie. C’est pourquoi le COC demande 144 millions de dollars supplémentaires.
Le Canada va-t-il être capable de former les Summer McIntosh, Sidney Crosby ou Shai Gilgeous-Alexander de demain?
Et maintenant?
Après une campagne si avare en promesses sportives, l’absence d’un ministre dédié au sport dans le cabinet de Mark Carney n’est pas étonnante.
Le portefeuille est confié au secrétaire d’État Adam van Koeverden – ancien médaillé d’or olympique en kayak –, qui est rattaché à Steven Guilbeault, ministre de l’Identité et de la Culture canadiennes et ministre responsable des Langues officielles. Pas simple de s’y retrouver.
Au moins, le gouvernement fédéral avait lancé, en décembre 2023, la Commission sur l’avenir du sport au Canada, qui a pour objectif de rendre le système sportif canadien plus sécuritaire. Cette vaste consultation n’a pas été oubliée.
En mars dernier, Steven Guilbeault a annoncé que la mission de consultation serait prolongée jusqu’au 31 mars 2026.
Veiller à ce que le système sportif canadien offre un cadre bienveillant et sécuritaire est essentiel. Mais est-ce suffisant pour encourager la pratique et former les champions de demain? On peut en douter.
Rappelons aussi que le Canada s’apprête à coorganiser, dans exactement un an, l’évènement sportif majeur de l’année 2026 : la Coupe du monde de soccer, et cela passe relativement inaperçu.
Le gros problème du sport dans les sphères politiques – et c’est aussi valable pour la culture par exemple –, c’est qu’il y a toujours un sujet plus urgent. Donald Trump, guerre commerciale, crise du logement, immigration, feux de forêt… Il y aura toujours quelque chose de prioritaire – et à juste titre.
Mais pourquoi ne pas penser le sport comme une piste de solution à certains défis qu’affronte le Canada?
On l’a vu récemment avec les attaques portées par Donald Trump contre le Canada : la Confrontation des 4 nations a servi d’exutoire à la population canadienne et la victoire de notre équipe nous a rendus plus fiers que jamais.
«Je pense qu’au moment où notre souveraineté est remise en cause, on peut regarder le sport comme quelque chose qui nous rassemble et nous rappelle ce que nous sommes», a très justement déclaré la journaliste Karissa Donkin.
Le monde politique et ses dirigeants savent se servir du sport quand ils en ont besoin. Il est maintenant temps que la politique serve le sport.
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