Le Parti conservateur a non seulement laissé filer l’avance considérable qu’il détenait sur les libéraux avant le déclenchement des élections, mais surtout il ne se présente plus comme un parti national. Il est devenu – ou plus exactement est redevenu – un parti régional. Difficile alors de gagner une élection fédérale.
Pourtant, l’ancien premier ministre Stephen Harper avait bien essayé de repositionner son parti. À vrai dire, il est celui qui a le mieux réussi à le faire de tous les chefs conservateurs qui se sont succédé à la tête des partis de droite depuis Brian Mulroney.
Le grand fait d’armes de Stephen Harper aura été d’avoir réussi à unir les forces de la droite au pays et d’avoir pu présenter son parti comme un autre choix que le Parti libéral.
Loin de l’époque Harper
Le Parti conservateur de Stephen Harper était un parti qui savait qu’il fallait «parler» aux électeurs de partout au pays. Un parti qui voulait faire entendre les voix de l’ouest du pays à Ottawa; qui se présentait comme le parti de l’économie pour l’électorat de l’Ontario; qui appuyait les revendications décentralisatrices du Québec; qui venait en aide économiquement et socialement aux gens de l’Atlantique.
Le parti de Stephen Harper n’a pas été un parti qui s’était rapproché des libéraux, comme l’avait fait à l’époque Brian Mulroney. C’était un parti véritablement de droite, mais qui savait néanmoins faire preuve de souplesse.
Une stratégie qui avait donné des résultats.
Le succès de cette stratégie a été mis en évidence lors des élections générales de 2011. Le Parti conservateur avait alors finalement gagné la majorité des sièges à la Chambre des communes.
Il avait aussi remporté le vote populaire dans dix des treize provinces et territoires. Seuls Terre-Neuve-et-Labrador, le Québec et les Territoires-du-Nord-Ouest lui avaient échappé.
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Des propositions conservatrices trop peu souples
Cette fois-ci, le Parti conservateur n’a pas donné l’impression qu’il cherchait à rejoindre les électeurs et électrices des différentes régions du pays.
Oui, bien sûr, il a abordé des thèmes qui préoccupent une grande majorité de la population : le cout de la vie, la hausse de la criminalité, l’établissement des seuils d’immigration, la question de l’approvisionnement en énergie, les investissements dans les forces armées, sans oublier l’imposition des tarifs douaniers américains.
Mais les solutions offertes ont été des solutions très «conservatrices» : baisses d’impôt, abolition de la règlementation, durcissement des peines pour les coupables d’un acte criminel, imposition d’un corridor énergétique, etc. Ces propositions plaisent à une certaine base conservatrice, mais pas à la majorité de la population canadienne.
Elles sont aussi des solutions «mur à mur». Elles ne ciblent pas des problématiques locales.
Il ne suffit pas de promettre d’abolir le péage sur le Pont de la confédération entre l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick ou encore de s’engager à financer le remplacement du pont de la rivière Coquitlam en Colombie-Britannique.
Il faut offrir une stratégie d’avenir pour le développement économique et le bienêtre des collectivités, que ce soit celles de l’Atlantique, de la côte ouest ou d’ailleurs au pays.
Bref, la souplesse qui avait fait la force de Stephen Harper n’a pas été au rendez-vous.
Par conséquent, les conservateurs n’ont remporté le vote populaire que dans trois provinces et territoires (Manitoba, Saskatchewan, Alberta) aux dernières élections, même si un nombre record de personnes ont voté pour le Parti conservateur.
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Pourquoi la population canadienne n’élit-elle pas le Parti conservateur?
Mais ce qui est plus inquiétant pour les conservateurs, c’est que plusieurs parmi eux ne semblent pas comprendre pourquoi le public votant n’a pas voulu les appuyer. Certains même ne se gênent pas pour reprocher aux électeurs et électrices de ne pas avoir voté pour eux.
La récente sortie de Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, est très révélatrice à cet égard.
Elle met en garde le pays, disant pour l’essentiel qu’en continuant à ne pas élire un gouvernement fédéral conservateur, la population canadienne ne devrait pas se surprendre si de plus en plus de personnes en Alberta songeaient à appuyer l’indépendance de leur province.
Il s’agit ni plus ni moins d’une forme de chantage : «Voter pour nous, sinon…»
Jouer à l’autruche
Mais la première ministre Smith n’est pas la seule à refuser d’examiner les causes réelles de l’échec du Parti conservateur. Son chef, Pierre Poilievre, semble, lui aussi, ne pas voir la réelle source du problème.
Pas question pour lui de changer le message. Il estime plutôt que c’est la manière dont ce message a été transmis qui est à revoir. Il attribue donc sa défaite à un problème de communication.
Une telle attitude explique sans doute pourquoi il a jugé bon de se présenter dans une circonscription très conservatrice de l’Alberta pour retrouver un siège à la Chambre des communes.
Pourtant ce n’est pas en s’éloignant de l’Ontario qu’il va réussir à être plus à l’écoute des gens d’un peu partout au pays. En fait, il ne fait que renforcer l’idée que son parti est, tout compte fait, un parti régional.
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Les instances du Parti conservateur pourront-elles rectifier le tir?
Ici aussi, le doute est permis. Les députés conservateurs se sont octroyé le pouvoir de contester le leadeurship de Pierre Poilievre à n’importe quel moment d’ici la prochaine élection. Il s’agit de la même disposition qui avait été adoptée et utilisée rapidement contre Erin O’Toole après la défaite électorale de 2021.
Mais Erin O’Toole avait été renvoyé par son caucus parce qu’on avait estimé qu’il avait amené le Parti conservateur trop au centre.
La leçon à tirer est probablement que tant que Pierre Poilievre gardera son parti à droite, il pourra compter sur l’appui de son caucus. Mais ce n’est pas ça qui aidera à refaire l’image du Parti conservateur pour qu’il soit réellement perçu comme étant un parti national vers lequel l’électorat canadien a envie de se tourner.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.