le Dimanche 1 juin 2025
le Mercredi 9 avril 2025 6:30 Chroniques et éditoriaux

Les promesses électorales : combien tout cela va-t-il couter?

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À la recherche du cadre financier des partis politiques à mi-chemin dans la campagne électorale de 2025. — Photo : Jakub Żerdzicki – Unsplash
À la recherche du cadre financier des partis politiques à mi-chemin dans la campagne électorale de 2025.
Photo : Jakub Żerdzicki – Unsplash
CHRONIQUE – La présente campagne électorale est exceptionnelle à plus d’un titre. Les prédictions actuelles des sondages vont à l’encontre de celles d’il y a à peine quelques mois. Une partie des sujets sont dictés par ce qui se passe aux États-Unis. Les divers partis politiques semblent faire des promesses aveuglément.
Les promesses électorales : combien tout cela va-t-il couter?
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Le Parti libéral du Canada, qui se dirigeait tout droit vers une cuisante défaite, a fait une remontée spectaculaire dans les intentions de vote en un temps record. Ce retournement de situation s’explique par un ensemble de facteurs : un nouveau chef, un nouvel enjeu de campagne et des leadeurs d’autres partis qui sous-performent.

Un autre élément exceptionnel dans cette campagne électorale est la prodigalité manifestée par tous les partis. Le message que l’on entend depuis le premier jour de la campagne est le suivant : le Canada fait face à une crise existentielle qui ne pourra se résoudre que si on dépense. Que si on dépense beaucoup, devrait-on préciser.

Combien? C’est peut-être la question à 100 milliards de dollars…

Car on n’a aucune idée du cout de l’ensemble des promesses faites jusqu’à maintenant par chacun des partis.

— Geneviève Tellier

Certes, certaines estimations ont été présentées. Mais c’est plus l’exception que la règle.

Par exemple, les libéraux promettent de créer un programme d’aide à l’industrie automobile qui sera doté d’une enveloppe de 2 milliards de dollars.

Les conservateurs s’engagent à mettre en place un programme de prêts pour les entreprises frappées par les tarifs douaniers américains d’une valeur de 3 milliards de dollars.

Les néodémocrates proposent d’offrir des subventions et des prêts à faibles taux d’intérêt pour encourager la rénovation énergétique résidentielle à hauteur de 1,8 milliard de dollars par année pendant 10 ans.

Sur les 41 engagements faits par les trois principaux partis qui ont été recensés par le Toronto Star à ce jour, il y en a seulement 9 pour lesquels les partis ont jugé bon de fournir eux-mêmes une estimation de couts : 5 par le Parti libéral, 2 par le Parti conservateur et 2 par le Nouveau Parti démocratique.

Pourtant, les promesses faites jusqu’à présent vont couter cher : réductions d’impôt, programmes d’aide aux entreprises, projets d’infrastructure, etc. On parle de dizaines de milliards de dollars pour chacun des partis.

Sans compter la perte de revenus qui risque de se produire si une récession se produit. Ce qui semble de plus en plus probable.

À lire : Feuilleton d’élection fédérale : les premières promesses

Les chefs des trois plus grands partis font beaucoup de promesses sans préciser le cout de celles-ci. 

Photos : Inès Lombardo et Marianne Dépelteau – Francopresse

Une élection différente

Ce peu d’informations tranche avec les élections passées.

En 2021, chacun des trois principaux partis avait présenté une plateforme chiffrée détaillée. Le cout de toutes les promesses était présenté.

Ainsi, on savait que la valeur totale des promesses libérales s’élevait en moyenne à 16 milliards de dollars par année pour les cinq prochaines années, celle des conservateurs à 10 milliards et celles des néodémocrates à 43 milliards.

La même chose s’était produite à l’élection de 2019. Tous les partis avaient présenté une plateforme présentant l’ensemble de leurs promesses accompagnées d’un cadre financier détaillé.

À vrai dire, il semblait désormais acquis que le dévoilement de cadres financiers était devenu incontournable en campagne électorale.

Il y a de bonnes raisons pour cela. En chiffrant chacune de leurs promesses, les partis politiques peuvent ainsi convaincre les électeurs qu’ils ont un plan réfléchi et réaliste. Ils montrent aussi qu’ils ont bien fait leurs devoirs et qu’ils acceptent de se soumettre à la critique. On pourra examiner, commenter, critiquer leurs propositions.

Bref, les partis qui présentent un cadre financier font preuve à la fois de sérieux et de transparence.

À lire : Élection fédérale : le retour de l’homme fort (chronique)

De nouvelles règles depuis 2017

Les parlementaires ont même voulu aider les partis politiques à entreprendre cet exercice en leur offrant des ressources supplémentaires.

En 2017, la Loi sur le Parlement a été modifiée afin de permettre au directeur parlementaire du budget d’évaluer les promesses électorales. Tout parti qui le voulait pouvait lui demander d’entreprendre une évaluation indépendante du cout financier de ses promesses.

Chaque parti était libre de choisir quelles promesses il voulait soumettre à l’analyse du directeur parlementaire du budget et quelles promesses chiffrées il voulait rendre publiques.

L’élection générale de 2019 a été la première à se tenir avec ces nouvelles dispositions. Ce fut un succès. Le directeur parlementaire avait publié sur son site Web le cout de 115 promesses électorales.

En 2021, le nombre de promesses évaluées par le directeur parlementaire avait été plus faible, soit 72. Il faut dire que l’élection avait été déclenchée deux ans avant la date prévue par la loi. Les partis politiques n’ont peut-être pas pu se préparer adéquatement pour élaborer un ensemble de propositions.

Cette fois-ci, en 2025, la situation est complètement différente. Aucune estimation n’a encore été publiée par le directeur parlementaire du budget. C’est comme s’il n’existait plus.

Par ailleurs, seul le Bloc québécois a présenté une plateforme jusqu’à maintenant. Nous sommes pourtant dans la troisième semaine de campagne. Il commence à se faire tard.

Y aura-t-il des plateformes chiffrées?

En fait, il ne serait même pas surprenant que les autres partis dévoilent leur plateforme et leur cadre financier pendant la dernière semaine de campagne seulement, soit après les débats des chefs. Certains partis pourraient même décider tout simplement de ne pas présenter de cadre financier.

Est-ce un point de vue trop cynique? Peut-être pas, puisque c’est exactement ce qui s’est produit il y a quelques semaines en Ontario lors de l’élection provinciale.

Les partis ontariens ont promis des milliards de dollars supplémentaires en raison de la crise commerciale qui se dessinait avec les Américains, mais n’ont pas jugé nécessaire de fournir des données financières détaillées (à l’exception du Parti vert).

Le déficit mystère

Le directeur parlementaire du budget a quand même profité de la campagne électorale pour mettre à jour les perspectives financières du gouvernement fédéral. Il estime que le déficit pourrait atteindre entre 42 et 47 milliards de dollars cette année, sans tenir compte du cout des promesses électorales.

En incluant ces dernières, nous dirigeons-nous plutôt vers un déficit de 60 milliards? 80 milliards? 100 milliards?

Ces chiffres ne sont pas si farfelus. Rappelons que le déficit avait été de 140 milliards de dollars en 2021 en raison d’une autre crise : celle de la COVID-19.

C’est peut-être celle-là, la question à 100 milliards de dollars…

À lire : Économie : un déficit de 62 milliards et silence sur les langues officielles

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.