Lors de son discours prononcé à l’occasion de la visite du président Volodymyr Zelensky à la Chambre des communes le 22 septembre, le premier ministre Trudeau a réitéré avec force la volonté de son gouvernement de soutenir l’Ukraine «aussi longtemps qu’il le faudra».
Le premier ministre a même mentionné au passage que l’aide militaire du Canada à l’Ukraine avait maintenant atteint 9 milliards de dollars depuis le début du conflit en 2022.
Tout au long de son discours, M. Trudeau s’en est pris directement au président Vladimir Poutine, le traitant notamment de «despote», soulignant «ses délires impériaux» et l’accusant de gouverner «par la tromperie, la violence et la répression».
M. Trudeau a raison sur le fond, mais ce qui étonne dans son discours est la position maintenant entièrement assumée du Canada : le pays prend ouvertement parti dans un conflit armé se déroulant loin du territoire canadien. Le Canada appuie sans réserve l’Ukraine dans son combat face à son agresseur russe.
Ce changement est notable, car jusqu’à tout récemment le Canada faisait preuve de prudence dans les conflits impliquant d’autres pays.
Étant un très petit joueur sur la scène internationale, il ne peut tout simplement pas s’engager dans une aventure militaire qu’il sait qu’il ne peut pas gagner à lui seul.
Rappelons que les dépenses militaires du Canada sont infimes. En 2022, elles se chiffraient à 28 milliards de dollars US, soit 2,3 % des dépenses militaires de l’ensemble des pays membres de l’OTAN.
Un défenseur de la paix dans le monde?
Pendant longtemps, le Canada a élaboré sa politique étrangère en se faisant le gardien de la paix dans le monde. En écoutant le premier ministre Trudeau récemment, on peine à trouver des traces de cette stratégie.
Pourtant, à une certaine époque, le maintien de la paix faisait la fierté des Canadiens. On appuyait les missions de paix de l’ONU et on célébrait la contribution du premier ministre Pearson à la création des Casques bleus, cette force internationale onusienne chargée de veiller au maintien de la paix en zone de conflit.
Depuis les années 1990, cependant, la participation du Canada aux opérations de maintien de la paix a chuté considérablement. Alors que près de 4000 Canadiens contribuaient aux missions de paix de l’ONU en 1993, on en recensait seulement 58 en 2021.
On ne considère plus le Canada comme un médiateur influent sur la scène internationale. Si son opposition à la guerre en Irak en 2003 pouvait encore passer pour un refus de s’engager directement dans un conflit armé, son appui à la guerre au Kosovo et surtout à la guerre en Afghanistan marque un tournant.
Dans ces deux cas, toutefois, la stratégie canadienne consistait essentiellement à suivre l’exemple de ses alliés et tout particulièrement celui de son principal partenaire et protecteur, les États-Unis.
Ce qui est différent dans le cas de l’Ukraine, c’est que le Canada prend l’initiative.
Alors que plusieurs pays favorables à la cause ukrainienne hésitent quant à la marche à suivre, le Canada est on ne peut plus clair : il faut appuyer sans réserve l’Ukraine et combattre ce «despote» qu’est Vladimir Poutine.
Le problème de cette stratégie c’est que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Nous ne possédons pas suffisamment de ressources militaires pour affronter un géant comme la Russie.
En fait, nous n’avons jamais eu de telles ressources. Pour cette raison, nous avons toujours privilégié le rôle de médiateur dans les conflits armés.
En changeant radicalement de stratégie, le premier ministre Trudeau ne nous entraine-t-il pas sur une voie dangereuse, semée d’incertitudes?
Et les autres conflits?
Outre le pari risqué que représente l’appui à l’Ukraine, on peut aussi se demander si les ressources consacrées à ce conflit n’auraient pas pu être mieux utilisées ailleurs.
Cette question semble prendre tout son sens lorsque l’on observe la situation actuelle à Haïti. Ce pays est plongé dans une crise sans précédent. Les institutions de l’État haïtien ont presque complètement disparu. Ce sont les gangs de rue qui contrôlent maintenant le pays avec une violence d’une rare intensité.
Le Canada aurait très certainement de bonnes raisons de participer activement au rétablissement de la sécurité à Haïti. Pourtant, il ne propose que de timides initiatives, souvent maladroites et surtout sans réelles retombées positives pour les Haïtiens jusqu’à maintenant.
Il serait très certainement légitime pour le Canada d’envoyer une force d’intervention de rétablissement de la paix à Haïti.
On pourrait aussi présenter des arguments similaires pour d’autres conflits armés actuels. Pensons au Mali, au Congo, par exemple. Ce serait certainement moins risqué que la présence canadienne en Ukraine, laquelle est susceptible de provoquer une réaction de la Russie à tout moment.
De plus, ces interventions seraient à la mesure de nos moyens. Nous avons les ressources et l’expertise pour les mener. Enfin, elles nous permettraient de retrouver une certaine légitimité sur la scène internationale, qui nous a toujours été utile par le passé.
Il fut une époque où quand le Canada prenait la parole sur les tribunes internationales, on l’écoutait. Ceci semble être de moins en moins le cas de nos jours. Le premier ministre Trudeau devrait y réfléchir.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.