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le Samedi 4 mars 2023 6:30 Chroniques et éditoriaux

Les motivations économiques des immigrants irréguliers

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Agents de la GRC bout du chemin Roxham à Saint-Bernard de Lacolle au Québec.  — Photo : Wikimedia Commons, CC SA 3.0
Agents de la GRC bout du chemin Roxham à Saint-Bernard de Lacolle au Québec.
Photo : Wikimedia Commons, CC SA 3.0
FRANCOPRESSE – Le Canada prend conscience depuis quelques semaines de la crise migratoire que vit le Québec depuis plus d’un an. Le chemin Roxham fait les manchettes. Près 40 000 immigrants irréguliers sont entrés au pays par ce passage en 2022. Si les motivations politiques qui poussent les immigrants irréguliers à quitter leur pays et à venir au Canada sont aussi nombreuses que variées, il ne faut pas négliger les dynamiques économiques à l’œuvre derrière ce phénomène.
Les motivations économiques des immigrants irréguliers
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Le Canada, longtemps isolé par sa géographie, est rattrapé par le phénomène des migrations de masse qu’on observe en Europe et aux États-Unis depuis plusieurs années. Le nombre de demandeurs d’asile a quadruplé au Canada depuis 2016. Il y a eu près de 100 000 demandes d’asile déposées au pays en 2022.

Le profil des demandeurs d’asile a aussi beaucoup changé ces dernières années. Avant 2017, la plupart des demandes d’asile étaient effectuées dans le cadre des programmes réguliers du gouvernement qui permettent l’entrée d’un peu plus de 20 000 réfugiés par année. Ces réfugiés sont parrainés par le gouvernement fédéral, des organismes privés ou des familles.

Mais l’arrivée massive de réfugiés à la frontière terrestre en dehors des canaux réguliers d’immigration met à rude épreuve les capacités de tous les paliers de gouvernement à leur fournir des ressources et des services adéquats.

Maintenant que cette dynamique est enclenchée, il est peu probable qu’elle cesse d’elle-même, d’autant que ces migrants ont de bonnes raisons de vouloir fuir leur pays et de s’établir au Canada.

Les inégalités, moteurs des migrations

Les 50 % les plus pauvres de la population mondiale possèdent 2 % de la richesse globale. Le 1 % le plus riche possède à lui seul 38 % de la richesse globale. C’est un écart énorme… abyssal! Des études montrent que la migration internationale est étroitement associée à des possibilités d’évolution positive sur le plan économique.

En incluant les personnes déplacées par les guerres et les conflits, il y a plus de 100 millions de migrants dans le monde, et la plupart cherchent à atteindre les pays occidentaux quand ils le peuvent.

En 2022, les demandeurs d’asile arrivés au Canada par les voies irrégulières viennent majoritairement du Mexique, d’Haïti, de la Colombie, du Venezuela, de la Turquie et du Nigéria.

Ces pays ont tous la particularité de présenter des inégalités de revenus extrêmes.

C’est pourquoi, même parmi les pays les plus riches de ce groupe – le Mexique, la Colombie ou la Turquie, par exemple –, on retrouve des populations marginalisées politiquement et économiquement qui vivent dans la pauvreté. On pense ici aux travailleurs non qualifiés mexicains, aux afrodescendants colombiens ou aux Kurdes de Turquie.

La situation économique est encore pire dans les autres pays qui forment le peloton de tête des nationalités des migrants irréguliers au Canada en 2022.

Haïti est un des pays les plus pauvres de la planète. Le Venezuela est dirigé par un gouvernement autoritaire et cleptocrate qui a appauvri sa population. Le Nigéria, aux prises avec une inflation galopante et un boum de sa population, compte des dizaines de millions de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté.

Contrairement à la croyance populaire, ces inégalités de revenus extrêmes et la pauvreté ne sont pas un fait naturel et immuable.Les inégalités de revenu et de richesse se sont accrues presque partout depuis les années 1980 à la suite d’une série de programmes de dérèglementation et de libéralisation qui ont pris des formes différentes selon les pays.

Les pays riches ne parviendront pas à réduire les migrations des personnes les plus vulnérables sans transformer radicalement le cadre financier international qui freine le développement des pays les plus pauvres.

Il existe pourtant des solutions même si elles ne sont pas simples : on pense ici à la taxation des profits des multinationales, l’encadrement des paradis fiscaux ou le financement de l’éducation.

Un marché de l’emploi prêt à accueillir les migrants

L’autre côté de la médaille, c’est que les migrants sont encouragés à venir au Canada parce qu’ils trouvent des emplois chez nous. Le taux de chômage est à un plancher record : 3,9 % au Québec et 5 % à l’échelle du Canada.

Partout les employeurs cherchent de la main-d’œuvre, en particulier dans le secteur manufacturier, de l’agriculture ou des services. Bref, des emplois au bas de l’échelle que les travailleurs immigrants non qualifiés occupent, avec ou sans permis de travail.

En théorie, les personnes qui demandent le statut de réfugié se voient remettre un permis de travail le temps que leur demande d’asile soit étudiée par le gouvernement.

Mais le nombre record de personnes qui déposent une telle demande en ce moment fait dérailler le système. Les demandeurs doivent attendre plusieurs mois, voire plus d’un an, avant de recevoir un permis de travail. Cette situation a notamment pour conséquence de les pousser à travailler au noir dans des conditions souvent dangereuses.

À partir du moment où la route migratoire existe et où les conditions économiques sont propices à l’international comme chez nous, il serait illusoire de penser que le nombre d’immigrants irréguliers qui se présentent à la frontière canadienne diminuera.

La solution à long terme au phénomène des migrations de masse, au Canada comme ailleurs, passe par une amélioration des conditions de vie des personnes les plus pauvres à l’échelle du globe.

Notice biographique

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.

David Dagenais

Chroniqueur