«Pour certaines personnes, cela peut être un moment de fête, pour d’autres, cela peut représenter un vide», lâche Pierre Soucy, président de Carrefour 50+ Colombie-Britannique.
L’accès à la technologie peut aussi réduire la sensation d’isolement, remarque Pierre Soucy.
Selon lui, plusieurs variables viennent influencer le vécu des personnes ainées lors des Fêtes, à commencer par le fait de vivre seul ou seule, sans partenaire. «Les gens qui n’ont pas d’enfants ou de petits-enfants se sentent un peu plus isolés, du moins pas inclus», ajoute-t-il.
«Les gens sont partis; on a perdu des membres de notre famille ou des amis. Avec le temps des Fêtes, on pense toujours au passé», témoigne de son côté la directrice générale de la Fédération des ainé.e.s et retraité.e.s francophones de l’Ontario (FARFO), Kim Morris.
La présidente de la Fédération des aîné.e.s francophones du Canada (FAAFC), Johanne Dumas, rappelle quant à elle que «l’isolement et l’ennui, ce n’est pas exclusif au temps des Fêtes».
«Je pense que dans la période des Fêtes, comme n’importe quel groupe d’âge, si on n’est pas en famille ou entre amis, il n’y a pas de doute que pour plusieurs, c’est très difficile.»
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Des souvenirs et des racines
«Le plus on vieillit, le plus on a un désir de retrouver nos racines», remarque Pierre Soucy. Se trouver loin – géographiquement ou émotionnellement – de son lieu d’origine peut créer un manque.
Qui dit racine, dit culture et dit langue : «C’est vraiment très profond.» Même si lui-même ne recherche pas nécessairement à célébrer les Fêtes uniquement avec des francophones, Pierre Soucy admet qu’il ressent un besoin d’entendre des chansons de Noël en français.
Il évoque aussi la messe de Minuit en famille. Autant de déclencheurs de souvenirs involontaires, véritables Madeleines de Proust, dont on aimerait retrouver le gout pendant les célébrations de fin d’année.
Kim Morris rappelle que dans certains foyers de soins de longue durée majoritairement anglophones, il est difficile, voire impossible, de célébrer les Fêtes en français.
«C’est une période qui est nostalgique et le plus on vieillit, le plus on est nostalgique, note-t-il. On a de beaux souvenirs et on s’en rappelle. C’est inévitable, parce qu’on est saturé par les médias de toutes sortes d’images.»
«Quand tu regardes tout autour, c’est la belle musique et puis les films; c’est toujours la magie de la vie. On dirait que ça fait en sorte que c’est encore pire, parce qu’on voit la magie, mais on ne la ressent plus», renchérit Kim Morris.
«C’est un couteau à double tranchant : ça fait mal parce qu’on sait qu’on ne peut jamais revivre ces souvenirs-là.»
Sans oublier le stress financier. Avec des cadeaux de plus en plus dispendieux, les budgets serrés de certaines personnes âgées ne suivent pas, relève-t-elle.
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À la ville comme à la campagne
Claude Blaquière est président sortant de l’Association des Francophones de l’âge d’or de l’Île-du-Prince-Édouard (FAOÎPÉ). Dans la province, «la majorité des gens vivent en milieu rural. Il y a moins de services que dans les grandes villes comme à Charlottetown».
Sur l’Île-du-Prince-Édouard, l’association des ainés et ainées propose aussi des activités pour intégrer les nouvelles personnes arrivantes âgées et briser leur isolement, explique Claude Blaquière.
L’organisme essaie de sensibiliser au mieux la population grâce à son infolettre et ses différents partenariats avec d’autres organismes locaux. «On envoie des communiqués disant : “Soyez attentifs et si vous avez des préoccupations, vous pouvez toujours communiquer avec tel et tel numéro.”»
Au-delà d’informer, les FAOÎPÉ proposent différents programmes et services en français pour briser l’isolement et favoriser l’intégration des personnes ainées à la communauté. L’association présente aussi des activités pour intégrer les nouvelles personnes arrivantes âgées.
«Quand on vit dans une grande ville, on est plus anonyme. Le sens communautaire est peut-être un peu perdu», signale pour sa part Pierre Soucy.
Minorité au pluriel
Les membres de la communauté 2SLGBTQIA+ peuvent également se sentir plus vulnérables pendant les Fêtes. «Dans certains cas, la sortie du placard a des conséquences vraiment tragiques par rapport à la famille», signale Pierre Soucy.
Le fait d’être francophone contribue aussi à isoler les personnes âgées, notamment dans des résidences ou foyers de soins de longue durée majoritairement anglophones. «Les chansons, la culture, les tourtières : tout ce qui est culturel n’existe peu ou pas dans ces lieux», observe Kim Morris.
Celles et ceux qui ont une mobilité réduite rencontrent également des difficultés, «parce qu’ils n’ont pas un accès aussi facile aux endroits où on célèbre», souligne Pierre Soucy. «Alors ils dépendent très souvent sur d’autres personnes d’avoir la gentillesse de les accompagner.»
«Plusieurs personnes ainées ne peuvent plus conduire le soir», ajoute Kim Morris.
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Repas et visites à domicile
«Il y a de plus en plus d’initiatives qui sont mises de l’avant pour aider les ainés pendant le temps des Fêtes», rassure Johanne Dumas.
Johanne Dumas souligne que les personnes ainées francophones ne ressentent pas de l’ennui et de l’isolement uniquement pendant les Fêtes.
La FARFO organise des concerts, des diners, des soupers ou des paniers de Noël livrés à domicile partout en Ontario. L’organisme propose aussi des activités et des ateliers en ligne. «Nous avons eu plus de 500 participants et participantes par mois, c’est incroyable», se réjouit Kim Morris. Des visites amicales et des appels téléphoniques sont aussi au programme.
Dans la région Évangéline, à l’Île-du-Prince-Édouard, 124 personnes sont venues pour un diner organisé par l’Association des Francophones de l’âge d’or de l’Île-du-Prince-Édouard. «C’était un repas très peu dispendieux et ça les amenait dans l’atmosphère de Noël», raconte son président sortant, Claude Blaquière.
Carrefour 50+ Colombie-Britannique offre pour sa part plusieurs activités sur son site Internet. «Certaines organisations locales organisent aussi des soupers de Noël et nous on peut aider en leur fournissant un peu de financement», explique Pierre Soucy.
Car le nerf de la guerre reste souvent l’argent. «S’il n’y a pas assez de sous pour embaucher des gens ou former des bénévoles, ça devient un grand défi», soulève Johanne Dumas.
«Il n’y a pas de solution miracle»
«C’est peut-être le temps de revisiter nos traditions et de s’entourer de gens, que ce soit des parents ou des amis ou des voisins; de faire de nouveaux souvenirs», suggère Kim Morris.
Johanne Dumas souhaite que tout le monde trouve une façon de rejoindre les ainés, «non seulement de leur famille, mais aussi de leur milieu, de leur quartier, puis d’essayer le plus possible de créer des activités où on pourra créer une petite douceur dans le cœur de chacun et chacune».
Il n’y a pas de solution miracle. La solution c’est vraiment qu’on devienne tous des personnes qui portent un peu plus attention justement aux besoins des autres autour de nous.
Pour Pierre Soucy, il est essentiel de travailler avec les associations locales pour identifier les personnes isolées ou en détresse mentale. Il suggère par exemple de parrainer un ou une ainée avec des jeunes, pour leur rendre visite ou leur passer un appel. S’inspirer des bons coups des autres organismes francophones partout au pays est aussi important.
«On pourrait être plus organisé, mettre en place une chaine téléphonique avec des bénévoles ou des livraisons de repas de Noël. On pourrait faire plus de promotions de l’importance de l’inclusion pendant cette période, et pas seulement pour les personnes qui sont seules ou de 50 ans et plus, mais pour toutes celles qui sont en minorité.» Il cite celles pour qui Noël ne fait pas partie de leur culture ou de leurs traditions.
Pierre Soucy tient également à lancer un appel : que chacun et chacune pense aux personnes de sa communauté et trouve des façons de les inclure pendant le temps des Fêtes, pour qu’elles se sentent moins seules. «C’est quelque chose que l’on a peut-être tendance à oublier.»
