Pour Alain Roy, «les archives et les bibliothèques sont un vecteur important de la vie culturelle des communautés».
Alain Roy, historien et codirecteur du collectif qui vient de faire paraitre Bibliothèques et archives dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire : enjeux et devenirs, décrit ce livre comme «exceptionnel» dans le monde éditorial, car il est le premier à mener une réflexion pancanadienne sur le rôle des centres d’archives et des bibliothèques dans la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).
Le lancement du livre a été l’occasion de tenir une table ronde sur le sujet qui a été animée par Alain Roy et à laquelle ont participé les collaborateurs à la rédaction de l’ouvrage et des spécialistes du domaine. Le cœur de la discussion a porté sur le concept de vitalité mémorielle, qui a nourri une grande partie de l’approche conceptuelle du livre d’après les panélistes.
En entrevue avec Francopresse, Alain Roy explique que si les études sur la vitalité des CLOSM s’attardent surtout à la compétence linguistique, l’aspect de la mémoire a été peu exploré jusqu’à présent.
«La langue ne peut exister sans la culture», et la mémoire est un élément crucial de la culture. Par conséquent, elle fait aussi partie de la vitalité linguistique des communautés, selon Alain Roy.
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Mélanie Lanouette a trouvé «tout à fait incompréhensible de constater la quasi-absence des mesures concernant l’enjeu des langues officielles au sein de bibliothèque».
Perpétuer la mémoire
Mélanie Lanouette, conseillère stratégique et adjointe de la conservatrice à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), trouve que l’ouvrage invite les communautés francophones en situation minoritaire à dépasser la simple préservation pour aller vers l’activation des archives.
Lors de la table ronde, elle a rappelé qu’«une communauté est vivante lorsqu’elle est capable de se souvenir, de se transmettre et de se reconnaitre dans le temps».
Le directeur général de la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA), Denis Perreaux, a expliqué que l’activation des traces du passé permettra de placer «la mémoire, le patrimoine et l’histoire au cœur de l’action culturelle de façon tangible. On n’est pas juste en train de faire de la nostalgie».
La conseillère stratégique de la BAnQ a souligné que préserver l’héritage documentaire, par exemple dans les bibliothèques, permet aux communautés en contexte minoritaire de subsister et de renforcer leur identité.
Souvent jugé «moins évident» et «parfois même sous-estimé», le rôle mémoriel des bibliothèques en milieu linguistique minoritaire retrouve toute sa place grâce à cet ouvrage, s’est-elle réjoui Mélanie Lanouette.
Pour elle, les bibliothèques ne sont pas que des lieux de prêts; ce sont des «espaces où se construisent des communautés», des endroits de socialisation et de formation. Ces lieux soutiennent l’affirmation identitaire des CLOSM, car ils rendent visibles des identités parfois «tenues à l’écart du récit dominant».
Denis Perreaux a quant à lui mis en évidence le pouvoir culturel de l’archivage et a noté que la conservation vient après la médiation, qui est la «partie clé» pour faire vivre les documents.
La médiation est le rôle d’intermédiaire que jouent les bibliothèques et les centres d’archives entre les collections et le public. Elle englobe les efforts de ces établissements pour mettre le public en relation avec les collections et l’aider à les déchiffrer et les contextualiser.
Sarah Shaughnessy est d’avis que la documentation est importante, car celle-ci légitime les réalités des communautés francophones en contexte minoritaire.
Le directeur général de la SHFA propose une approche de médiation culturelle où la collecte d’archives devient elle-même un acte de rencontre et de transmission. Comme le décrit Denis Perreaux, ce dernier nécessite que des personnes aillent «dans les cuisines des personnes pour collecter» entre autres les lettres, les photos, les archives, d’autres documents et des témoignages.
Sarah Shaughnessy, bibliothécaire pour les arts et les sciences au Campus Saint-Jean en Alberta, suggère que la collecte peut être faite par le biais de l’enseignement. À son avis, l’enseignement à partir des archives aidera certaines personnes qui ne les utilisent pas habituellement en leur donnant des outils pour les interpréter. Cette méthode, à ses yeux, aide le public à être moins intimidé par rapport aux archives.
Plus on parle des archives, plus elles gagnent en intérêt, car cela renforce l’idée que les documents qui s’y trouvent ont de la valeur, explique la bibliothécaire au Campus Saint-Jean.
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Denis Perreaux a averti que si les histoires et le vécu des communautés ne sont pas conservés, «les communautés disparaissent génération après génération».
La francophonie «mise de côté»?
Mélanie Lanouette déplore que les politiques de promotion des langues officielles ne tiennent pas compte du rôle des bibliothèques. Pour elle, cet aspect mériterait une attention accrue.
La conseillère stratégique de la BAnQ a trouvé «tout à fait incompréhensible de constater la quasi-absence de mesures concernant l’enjeu des langues officielles au sein de bibliothèques».
Face aux défis politiques, Alain Roy juge qu’il faut «amener la question des politiques des bibliothèques publiques au niveau des provinces et territoires» et que la prochaine Conférence des ministres de la Culture serait une bonne tribune pour le faire. Il explique que la question du patrimoine et des bibliothèques n’est pas toujours considérée comme étant une priorité.
Le codirecteur du livre a souligné que les politiques sont plus «néolibérales», axées sur l’efficacité et les données, et qu’elles évaluent les livres selon leur utilisation plutôt que leur importance culturelle. Par conséquent, il craint que les communautés marginalisées soient «mises de côté».
