«Les balados sont comme des galeries audios de nos accents, de nos dialectes, c’est une façon d’archiver nos français», estime la coréalisatrice du balado fransaskois DéCLIC, Sylvie Walker.

La chercheuse Laurence Arrighi constate que les producteurs de balados acadiens tiennent un discours d’ouverture à l’égard d’une Acadie plurielle et diverse, mais n’invitent pas souvent de nouveaux arrivants dans leurs épisodes.
DéCLIC, diffusé depuis juillet 2023 sur Spotify, Apple et Google, est destiné avant tout aux jeunes élèves fransaskois. Il décortique en 11 épisodes et autant d’entrevues le concept de construction langagière, identitaire et culturelle.
Trois ans plus tôt, en 2020, le Conseil culturel fransaskois approchait l’enseignante et musicienne Sylvie Walker avec l’idée de créer une ressource pédagogique que les enseignants peuvent utiliser dans leur curriculum.
«On a une vraie réflexion sur la réalité du français. Notre but, c’est de montrer que l’on n’a pas besoin d’avoir un français parfait, de hiérarchiser la langue, explique-t-elle. Il n’y a pas de personne plus francophone qu’une autre. On est en train de devenir une grande soupe de francophonies.»
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Mise en valeur «des traits linguistiques locaux»
DéCLIC est loin d’être le seul balado franco-canadien. En Acadie, la sociolinguiste à l’Université de Moncton, Laurence Arrighi, en dénombre «au moins une vingtaine». Ça Reste Dans la Cave, Yousque t’es rendu?, ou encore Talk Acadie, la liste est longue.

Réal Thibault a lancé son balado Talk Acadie en 2021. Il interroge des personnalités de l’Acadie et explore divers enjeux politiques et sociolinguistiques.
«Il y a eu un gros boum pendant la pandémie de COVID-19, rapporte-t-elle. En contexte linguistique minoritaire, les balados indépendants, faits par monsieur et madame tout le monde, renouvèlent et viennent grossir l’espace médiatique francophone.»
Selon la chercheuse, les producteurs de ces contenus audios sont souvent des hommes éduqués entre 30 et 40 ans, qui veulent «prendre le temps et donner la parole aux gens de leur communauté.»
Certains explicitent leur politique linguistique, d’autres non, mais tous aspirent à créer des «espaces sans jugement», selon les mots de Laurence Arrighi.
«La langue n’est pas forcément au centre de leurs préoccupations, ils ont néanmoins une esthétique commune, ils mettent en valeur la richesse des traits linguistiques locaux», analyse-t-elle.
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«Côté irrévérencieux, vecteur d’innovation»
«C’est naturel, tu n’as pas besoin de blueprint pour que les personnes se sentent confortables dans leur variété de français», appuie le créateur de Talk Acadie, Réal Thibault, qui travaille par ailleurs dans le secteur forestier.

Pour Joël Beddows, l’absence d’intermédiaire entre les consommateurs et les producteurs de contenus constituent «la clé du succès» de la baladodiffusion.
L’Acadien de Clare, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, a lancé son balado, anciennement L’Acadjonne, en juillet 2021 sur YouTube. Il en est aujourd’hui à son 64e épisode.
Depuis quatre ans, il interroge des artistes, des historiens, avec l’envie de mieux «faire rayonner la culture acadienne et améliorer la couverture des enjeux de la francophonie.»
Pour le professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa, Joël Beddows, la baladodiffusion présente un «grand intérêt» dans la francophonie en situation minoritaire où le «rapport à l’écrit est toujours problématique».
«L’importance accordée aux formes orales est hors norme en francophonie minoritaire. Ça constitue des territoires extraordinaires à explorer avec moins de normes et de contraintes», observe-t-il.
À ses yeux, les balados s’inscrivent dans cette tendance-là : «Ils peuvent avoir un côté underground irrévérencieux, hors des sentiers battus, vecteur d’innovation. Les jeunes jouent sans complexe avec la langue, la déconstruisent.»
«Les gens se reconnaissent et s’entendent»
Le metteur en scène évoque notamment le balado franco-ontarien De quoi tu parles de?, qui a pris fin en novembre 2024. Pendant deux ans, le musicien Marc-Antoine Joly et l’animateur Nicholas Monette ont mené plus de 200 entrevues sur un ton particulièrement décontracté.
Ils ont mis en avant un français oral populaire, croquant, résistant à la norme linguistique hégémonique. Quand j’entends ça, je me dis que la langue va bien, je n’ai pas peur.
Qu’ils soient producteurs de contenus ou simples auditeurs, tous estiment que les balados aident à lutter contre l’insécurité linguistique.
«Les gens se reconnaissent et s’entendent dans la couleur, la diversité des expressions, loin du français standard», considère Sylvie Walker.
«Se faire connaitre, c’est le gros problème»
Quelles que soient leurs vertus, les balados franco-canadiens sont encore à la recherche de notoriété.
«Se faire connaitre, c’est le gros problème», reconnait Réal Thibault, qui parle d’une centaine d’écoutes en moyenne pour chaque épisode de Talk Acadie.

«C’est indispensable pour les élèves d’avoir une ressource pédagogique créée spécifiquement pour eux, qui reflète le monde culturel et artistique des Prairies», insiste Sylvie Walker, qui a coréalisé le balado DéCLIC avec la chanteuse Anique Granger.
Afin d’attirer plus de monde, le Néoécossais a récemment décidé de créer des vidéos sur TikTok. «L’enjeu de la découvrabilité reste entier, on a du mal à connaitre l’audience. Certains balados ne rencontrent pas forcément leur public et s’essoufflent», confirme Laurence Arrighi.
Joël Beddows estime pour sa part qu’il est encore «trop tôt pour savoir» si le phénomène va durer et prendre de l’ampleur. «On verra d’ici dix ans si le balado devient l’alternative à la lecture traditionnelle, dit-il. Beaucoup d’enseignants le proposent aujourd’hui comme outil pédagogique, peut-être qu’il va se transmettre et prendre racine dans la conscience collective des jeunes.»
En Saskatchewan, Sylvie Walker offre ainsi, depuis trois ans, des ateliers sur la baladodiffusion aux élèves fransaskois de 7e à la 12 e année. Elle est également en discussion avec le Conseil culturel fransaskois pour réaliser une deuxième saison de DéCLIC, «mais avec un ou une autre animateur cette fois.»
À l’autre bout du pays, à Clare, Réal Thibault compte bien continuer : «C’est parfois difficile, mais tant que c’est le fun pour moi, je trouverai des façons de faire.»