Le 19 juin, le gouvernement de l’Ontario a annoncé la création du Centre de planification de services de santé en français (CPSSF), dans le but d’améliorer l’accès aux soins pour les francophones. L’ouverture du Centre est prévue pour le 1er septembre 2025.
Les six entités actuelles chargées de rapporter les besoins des différentes régions de la province seront dissoutes le 31 aout 2025.
Fruit d’une réflexion amorcée il y a quelques années, les entités n’ont pourtant appris la nouvelle que le jour même de l’annonce, en même temps que le grand public. Seules les directions en avaient été informées 90 minutes plus tôt.
Explications
Il existe six entités de planification des services de santé en français en Ontario. Leur mandat est de documenter les besoins en santé de la communauté francophone et de fournir des avis à Santé Ontario et au ministère ontarien de la Santé afin d’augmenter l’offre de services en français, explique le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets.
Le gouvernement ontarien mettra fin au financement des entités actuelles et centralisera les fonds au sein du CPSSF.
Deux des entités, le RSSFE et le RMEFNO, reçoivent aussi du financement de Santé Canada. Elles continueront à recevoir ces fonds fédéraux et d’exister, mais «comme organismes réduits», explique M. Désilets.
«Bien qu’une réévaluation du mandat des Entités était attendue depuis quelques années, l’annonce d’une structure complète déjà établie et qui n’a pas inclus les Réseaux dans la planification était une surprise», écrivent dans un communiqué conjoint le Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario (RSSFE) et le Réseau du mieux-être francophone du Nord de l’Ontario (RMEFNO).
Il y a beaucoup d’«incertitude» en ce moment, reconnait le directeur général du RSSFE, Normand Glaude, en entrevue avec Francopresse. Plusieurs décisions doivent être prises, notamment en ce qui concerne le transfert d’employés, et ce, «à la hâte au courant de l’été […] l’été étant un temps de vacances».
Aucune consultation des entités depuis 2023
Le Centre a été créé en collaboration avec l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) et l’Hôpital Montfort. Le directeur général de l’AFO, Peter Hominuk, et le président-directeur général de l’établissement, Dominic Giroux, ont tenu une assemblée citoyenne sur la question le 23 juin.

Dominic Giroux (à gauche) et Peter Hominuk (à droite) ont affirmé travailler «un peu comme des directeurs généraux» du nouveau centre pour le moment.
Ils ont notamment vanté la tenue de plus de 40 réunions avec le gouvernement ontarien, chacune rassemblant plus d’une quinzaine de personnes autour de la table – mais jamais les six entités.
On est surpris de comment le tout s’est déroulé, qu’on n’était pas là dans les discussions.
Normand Glaude estime que des consultations auraient «peut être permis de préparer un plan de transition meilleur et une collaboration plus étoffée dès le départ».
Par courriel, l’AFO indique que les consultations ont été menées «à la discrétion du gouvernement». Aussi par courriel, le ministère de la Santé a indiqué avoir consulté les entités, sans détailler que cet exercice date d’il y a plus de deux ans.
L’AFO assure avoir porté la voix et les propositions des entités. Elle rappelle en outre que le concept d’une structure provinciale (comme le Centre) avec une présence régionale avait été proposé par les entités elles-mêmes et avait été retenue dans des mémoires déposés par l’AFO en 2023.
Diane Quintas reconnait que l’idée venait des réseaux et est prête à travailler avec le nouveau centre. Ultimement, les réseaux sont heureux de la décision, malgré le manque de détails.
Néanmoins, «les réseaux auraient dû être consultés», appuie le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets.
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Des employés dans le brouillard
Le RSSFE et le RMEFNO ne seront pas entièrement dissouts. La partie financée par le fédéral sera maintenue. Mais il existe un risque qu’ils soient «sérieusement affaiblis», a reconnu le président de l’AFO, Fabien Hébert, lors de l’assemblée du 23 juin.

Diane Quintas dit devoir prendre des décisions dans les deux prochains mois sans que tout soit encore «connu».
Un plan de transition est censé se dessiner d’ici le 31 aout. Mais pour Diane Quintas et Normand Glaude, rien n’est encore clair. Ils ne savent pas à quoi ressembleront leurs réseaux, ni comment ceux-ci collaboreront avec le nouveau centre, ni comment ils diviseront leurs effectifs.
Les employés permanents des quatre autres entités seront transférés vers le nouveau centre et demeureront répartis un peu partout dans la province; aucune mise à pied n’est prévue, assure le gouvernement ontarien.
C’est plus compliqué pour les Réseaux de santé de l’Est et du Nord. Ceux-ci ont un double mandat : entité de planification (financée par l’Ontario) et membre de la SSF (financée par le fédéral).
Le personnel du mandat entité doit être transféré vers le nouveau centre, et les autres resteront au réseau sous le volet financé par Santé Canada.
Sauf que «tous mes employés portent les deux chapeaux», rappelle Diane Quintas. Comme dans l’Est, le personnel du Réseau du Nord n’est pas clairement réparti entre les deux mandats.
Ce sera donc à la directrice générale de décider comment les employés se divisent. «Je me fie sur le fait qu’on nous a dit qu’aucun employé perdrait son emploi, alors je vais les tenir à ça.»
«Ça fait partie un petit peu des préoccupations, du manque de temps de prendre des décisions», se désole Mme Quintas. Elle et Normand Glaude affirment ne pas disposer de plus d’information que le public.
Diane Quintas rapporte un «mélange d’émotions» au sein de ses employés. «Il y a évidemment un sentiment de perte de l’équipe. La grande majorité de mes employés sont avec moi au réseau depuis 8 à 10 à 15 ans.» Même son de cloche chez Normand Glaude.

Les employés travaillent depuis un bon bout de temps au réseau, étaient attachés à l’équipe. Maintenant, la question qui se pose c’est la direction et le type d’environnement de travail dans ce nouveau centre-là. Et je ne peux pas bien les réconforter parce que je ne connais pas du tout la nouvelle structure organisationnelle.
«Le Centre est actuellement en train de finaliser les détails liés à la transition du personnel», écrit le ministère ontarien de la Santé.
Représentation régionale
«J’espère qu’il va rester des gens un peu partout en Ontario. Parce que cette nouvelle entité qui va desservir toute la province, on espère qu’elle va comprendre les réalités régionales», s’inquiète une ancienne employée du RMEFNO, Elsa St-Onge.

«On passe d’une structure où il y a certainement une représentation régionale par les systèmes de santé, à une structure où cette représentation-là devra passer par leur structure d’équipe, leur structure de gouvernance : ce sont toutes des choses qu’on attend de voir», dit Antoine Désilets.
«Même dans le Nord, il y a des divergences entre communautés, souligne-t-elle. Ça prend vraiment des gens sur le terrain.»
Antoine Désilets de la SSF abonde dans le même sens : «Thunder Bay et Toronto, c’est deux régions différentes. Ça va demander pour le Centre de s’assurer d’avoir le pouls des différentes régions du pays.»
Il se dit rassuré par la composition du conseil d’administration actuel, qui comporte déjà des visages d’un peu partout en Ontario. Il faut aussi rappeler que les employés des réseaux actuels demeureront dans leurs régions.
«Il faut donner la chance aux coureurs, c’est-à-dire qu’il faut faire confiance que cette structure-là va amener des changements concrets pour les francophones, estime Antoine Désilets. Mais tout ça reste à démontrer.»
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