Troubles physiques résultant d’agressions sexuelles, «douleurs physiques de longue durée», difficultés liées à la reproduction et aux menstruations : «Les problèmes spécifiques aux femmes sont invisibles», déclare une vétérane nommée Christine Wood dans un rapport d’étude du Comité permanent des anciens combattants.
«Il existe un énorme manque de connaissances sur la manière de soutenir les femmes, tant en matière de performance que de médecine et de soins de santé», appuie la chercheuse Chris Edwards, qui étudie les considérations sexospécifiques relatives à la performance et aux blessures chez les militaires et intervenants d’urgence, en entrevue avec Francopresse.
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«Du travail se fait»
Malgré les lacunes qui persistent en santé féminine, Chris Edwards, qui a témoigné devant le Comité, remarque une évolution au sein des Forces armées canadiennes (FAC).

«L’“unisexe” est un mythe créé par la maitrise des couts, explique Rebecca Patterson. Dans le contexte militaire, si l’équipement te fait mal, tu es plus à risque d’être blessée.»
«Depuis le comité en fait, il y a eu une poussée d’efforts, observe-t-elle. Les [FAC] ont récemment fait leur premier entrainement avec un avatar féminin.» Avant cette année, les soins de santé étaient seulement pratiqués sur l’avatar d’un corps masculin.
«Si quelqu’un n’a pas été formé à retirer un soutien-gorge pour vérifier des blessures à la poitrine… dans ces moments [de haut stress], c’est la mémoire musculaire qui prend contrôle, explique Chris Edwards. Il faut donc répéter et répéter lors des entrainements. Comme ça, quand ça arrive pour de vrai, on le fait sans même y penser.»
Un autre exemple concerne les changements corporels liés à la périménopause et à la ménopause, pour lesquels il existe désormais des «guides très clairs». «C’est très important que nous regardions le sexe biologique quand on considère la santé», dit-elle.
«Du travail se fait», reconnait de son côté la vétérane et sénatrice Rebecca Patterson, notamment au niveau de l’accès aux culottes et produits menstruels. «Des appareils urinaires pour permettre aux femmes d’uriner debout lorsqu’elles sont sur le terrain ont aussi fait leur apparition dans les dernières années», ajoute-t-elle.
Des défis persistants
Le comité parlementaire a rapporté les témoignages de vétéranes ayant subi une ablation des seins afin de pouvoir porter l’uniforme militaire, conçu pour un corps typiquement masculin, confortablement.
La directrice de la branche «Santé des femmes et de la diversité» des FAC, Helen Wright, confie en entrevue avec Francopresse qu’elle et les collègues qu’elle a consultés n’avaient jamais entendu parler d’ablation des seins avant le rapport du comité.

Helen Wright estime que l’équité permet de considérer les spécificités des femmes. C’est le principe qui guide la branche qu’elle dirige, «Santé des femmes et de la diversité», au sein des FAC.
Selon elle, la décision d’effectuer cette modification corporelle résulte d’une réflexion plus «large» et «compliquée» qu’un uniforme mal adapté.
Pourtant, Le Droit rapportait il y a quelques semaines que certaines femmes qui travaillent actuellement au sein des FAC songent, encore aujourd’hui, à réduire la taille de leurs seins à cause de l’uniforme.
Helen Wright assure que de la recherche est présentement menée sur le remodelage d’uniformes, de la protection balistique, de sacs à dos spéciaux et sur la santé des femmes en général. Du personnel spécialisé en santé féminine a aussi été intégré aux FAC.
«Il demeure encore du travail à faire […] Mais je dirais qu’à partir du moment où on est assis devant un médecin ou autre professionnel de la santé, on reçoit le même niveau de qualité dans les soins, que l’on s’identifie comme une femme, un homme ou à une diversité de genre», assure Helen Wright.
À son avis, le problème n’est pas dans la qualité des soins, mais dans la manière dont le système est conçu. Par exemple, le dépistage du cancer du col de l’utérus peut s’avérer difficile quand on fait de longs séjours à l’étranger, car les rendez-vous de dépistage peuvent devoir attendre, illustre Helen Wright.
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Neutralité de genre
«La neutralité de genre exclut les femmes», a statué Rebecca Patterson devant le comité parlementaire. Pendant longtemps, cette neutralité résultait de la prédominance masculine au sein des FAC.
C’est ce qui faisait en sorte, par exemple, que les uniformes n’étaient pas adaptés au corps typiquement féminin, explique-t-elle en entrevue avec Francopresse. «Les femelles et les femmes ont des différences biologiques et sociales qui doivent être prises en compte.»
Aujourd’hui, la neutralité de genre a une tout autre signification.

Maya Eichler est professeure agrégée d’études politiques et d’études féminines. Elle est également directrice du Centre pour l’innovation sociale et l’engagement communautaire dans les affaires militaires à l’Université Mount Saint Vincent.
La chercheuse Maya Eichler a étudié le genre au sein des FAC. L’approche de neutralité de genre était au départ une manière d’éviter les politiques discriminatoires, explique-t-elle. «C’était plus comme une cécité au genre.»
Les enjeux spécifiques aux femmes étant ainsi ignorés, les choses ont changé, notamment par le financement de recherches sur la santé des femmes. Ce qui est encore plus nouveau, dit-elle, c’est l’ajout des questions de diversité de genre.
«Dans un sens, ça vient d’une bonne place parce qu’ils tentent d’être inclusifs, mais je crois aussi que c’est potentiellement problématique parce que c’est peut-être en train de réduire la visibilité des expériences distinctes des femmes.»
«Souvent, ils vont mettre les femmes, 2SLGBTQI+ et la diversité de genre, bref, tous ceux qui ne sont pas des hommes, dans un même panier. Je vois là une nouvelle façon par laquelle les femmes sont potentiellement invisibilisées, poursuit Maya Eichler. Il faut trouver un équilibre.»
Des vétéranes ont exprimé à Helen Wright une préoccupation similaire quant au titre de la branche «Santé des femmes et de la diversité» : «Certaines ne sont pas très contentes que l’on ait ajouté “diversité”, parce qu’elles pensent que ça retire de l’attention aux femmes.»
À son avis, il n’y a pas de risque d’invisibiliser les femmes, parce qu’il y a justement une emphase sur la diversité des besoins, y compris ceux des femmes. «Ce qu’est une femme au sein des FAC englobe en fait un large éventail d’individus. On ne peut pas séparer les autres éléments de l’identité de quelqu’un pour dire que c’est juste une femme.»
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